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Le 2 décembre 2017
Contenu
I. Introduction
II. Le contexte et la structure 9,1–10,21
III. Le parcours de l’aveugle de naissance (9,1-41)
1.
La structure 9,1-41
2.
Le péché, le discernement et le savoir en Jn 9
a)
Qui est le pécheur ?
b)
Le discernement (krima) et le
jugement (krisis)
c)
Le savoir et le non-savoir
3.
Voir et entendre de l’aveugle-né
a)
La vue physique et la vue spirituelle
b)
L’écoute de l’aveugle de naissance
c)
Le signe reçu par l’aveugle-né et le lecteur
IV. Les brebis écoutent la voix du pasteur (10,1-21)
1. Le
contexte et la structure 10,1-21
2. Les
brebis et le pasteur
3. Entendre
la voix du bon pasteur
V. Conclusion
Bibliographie
Les
articles liés à « voir » et « entendre »
La capacité de voir et d’entendre est cruciale pour les auditeurs de
Jésus et le lecteur puisque Jésus dit à la foule en 6,40b : « Que quiconque
voit (theôrôn) le Fils et croit en
lui ait la vie éternelle », et aux Juifs en 8,47a : « Qui est de
Dieu entend (akouei) les paroles de
Dieu. » Nous avons présenté les thèmes : l’ambiguïté dans le voir des signes et l’incapacité d’entendre la parole de
Jésus, ainsi que les conditions pour réellement voir et
entendre. Mais cette capacité est-elle acquise une fois pour toute ou c’est un
cheminement tout au long de la vie ? Pour répondre à ces questions, nous
étudions la section 9,1–10,21 en trois parties : (I) le contexte et la
structure 9,1–10,21 ; (II) le parcours de l’aveugle de naissance (9,1-41) ;
(III) les brebis écoutent la voix du pasteur (10,1-21).
Pour préparer l’analyse de la
section 9,1–10,21, nous abordons trois points : (1) le lien avec ce qui
précède et ce qui suit ; (2) la délimitation de 9,1–10,21 ; et (3)
sa structure.
(1) Pour le lien avec ce qui
précède et ce qui suit, constatons
que la section 9,1–10,21 relate l’activité de Jésus à Jérusalem. En effet, en
7,10, Jésus monte à Jérusalem et ses activités se déroulent dans le Temple
(section I : ch. 7–8), hors du Temple (section II : 9,1–10,21), puis
à nouveau dans le Temple (section III : 10,22-40). Cette dernière section commence
par la mention de la fête de la Dédicace (10,22) et se termine par le départ de
Jésus au-delà du Jourdain (10,40a). Dans le contexte de la partie 7,1–10,40, la
déclaration de Jésus en 9,5 : « Tant que je suis dans le monde, je
suis la lumière du monde » et la mention de l’eau de la piscine
de Siloé (9,7) renvoient à la fête des Tentes (cf. 7,37) avec les rites
d’illumination de la lumière à la tombée de la nuit et les rites de libation
d’eau.
Quant au parallèle entre 8,12 et 9,5, chaque déclaration sur l’identification
entre Jésus et la lumière a sa particularité. Jésus dit en 8,12b : « Moi,
je suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais
aura la lumière de la vie. » La lumière–Jésus permet aux hommes de ne pas
marcher dans les ténèbres. Tandis qu’au ch. 9, la lumière du jour est le moment
pour travailler aux œuvres de Dieu. Jésus dit aux disciples en 9,4-5 :
« 4 Tant qu’il fait jour, il nous faut travailler aux œuvres de celui qui
m’a envoyé ; la nuit vient, où nul ne peut travailler. 5 Tant que je suis
dans le monde, je suis la lumière du monde. »
Les Pharisiens et les Juifs sont les personnages principaux de la partie
7,1–10,40. Les sujets de débat aux ch. 7–8 sont repris en 9,1–10,40. Par
exemple, le thème du péché en 8,34.46 est repris en 9,2.3.16.24.25.31.34.41. Les
Juifs accusent Jésus d’être démoniaque, en 8,48b.52a et en 10,20a. La
controverse en 7,1–10,40 tourne autour de l’identité divine de Jésus. Ainsi, la
lecture de la section 9,1–10,21 doit tenir compte de l’hostilité qui
l’encadre : l’intention de tuer Jésus (7,19.20.25 ; 8,37.40.59 et 10,31)
et la volonté de l’arrêter (7,30.32.44 et 10,39). Malgré l’inimitié des autorités
juives, la lumière triomphe des ténèbres à travers le personnage de l’aveugle-né
(9,1-41) et le pouvoir de Jésus de reprendre sa vie (10,17-18).
(2) Les observations ci-dessus montrent que la section 9,1–10,21 est
liée à son environnement textuel, en même temps, elle est bien délimitée. Cette
section est encadrée par la sortie et le retour de Jésus au Temple. En effet,
le narrateur rapporte en 8,59 : « Ils [les Juifs] ramassèrent alors
des pierres pour les lui jeter ; mais Jésus se déroba et sortit du Temple »
et en 10,22-23 : « 22 Il y eut alors la fête de la Dédicace à
Jérusalem. C’était l’hiver. 23 Jésus allait et venait dans le Temple sous
le portique de Salomon. » De plus, la section 9,1–10,21 commence et se
termine par le terme « tuphlos »
(aveugle). Le narrateur relate en 9,1 : « En passant, il vit un homme
aveugle (tuphlon) de naissance. »
À la fin de la section certains Juifs disent en 10,21b : « Est-ce qu’un
démon peut ouvrir les yeux des aveugles
(tuphlôn) ? »
(3) La section 9,1–10,21 se structure en deux péricopes : le signe
de l’aveugle-né devenu voyant (9,1-41) et le discours sur le pasteur et les
brebis (10,1-21). Ces deux péricopes sont étroitement liées puisque les
auditeurs sont les mêmes entre 9,40-41 et 10,1-5. La réponse de Jésus à la
question des Pharisiens en 9,40b continue jusqu’à 10,5. Le pronom personnel
« leur » en 10,6a : « Jésus leur (autois) tint ce discours mystérieux » désigne les Pharisiens en
9,40a. Le groupe de personnages « les Juifs » en 9,18-22 réapparaît
en 10,19 : « Il y eut de nouveau scission parmi les Juifs à cause de
ces paroles », raconte le narrateur. L’expression « de nouveau »
(palin) ici renvoie à la scission
entre les Pharisiens en 9,16c : « Et il y eut scission parmi eux
[les Pharisiens] ». L’expression « ouvrir les yeux des aveugles » en 10,21b oblige à lire ensemble
les deux péricopes 9,1-41 et 10,1-21. En continuité avec ce qui précède et ce
qui suit, Jésus continue à révéler son identité et sa mission dans la section
9,1–10,21. Il est la lumière du monde et travaille aux œuvres de Dieu (9,4-5) ;
il est la porte, le bon pasteur ; il donne la vie (zôè) en abondance et il donne sa vie (psuchè) pour ses brebis (cf. ces deux formes de vie (zôè, psuchè) dans « le contexte et
la structure 10,1-21 » ci-dessous). En particulier, Jésus révèle sa
souveraineté devant sa mort, il dépose sa vie pour la reprendre (10,18).
En résumé, la continuité de 10,1-21 avec ce qui précède (9,1-41) indique
que les discours en 10,1-21 concernent à la fois l’ancien aveugle-né et les
autorités juives. Ainsi, l’ancien aveugle est la figure d’une brebis mal
traitée par les autorités. Ces derniers se placent du côté des voleurs, des brigands
et des mercenaires. La péricope 10,1-21 présente donc la prise en charge par
Jésus de ceux qui sont « jetés dehors » (cf. 9,34b).
Le parcours de l’aveugle de naissance est traité en trois points :
(1) la structure 9,1-41 ; (2) le péché, le discernement et le savoir en Jn
9 ; et (3) voir et entendre de l’aveugle-né.
Le ch. 9 se structure en chiasme avec sept unités littéraires (A, B, C,
D, C’, B’, A) comme suit :
Le ch. 9 est introduit (unité A) par une déclaration de Jésus concernant
sa mission en 9,4a : « Tant qu’il fait jour, il nous faut travailler
aux œuvres de celui qui m’a envoyé » et ce chapitre se conclut (unité A’) aussi
par une parole de Jésus sur sa mission en 9,39a : « C’est pour un
discernement que je suis venu en ce monde. » Le fait que l’aveugle-né retrouve
la vue est rendu public par les voisins (unité B) et son histoire ne prend fin
que par sa confession de foi (unité B’). Les unités « C » et
« C’ » relatent le dialogue entre l’ancien aveugle avec les Pharisiens
(C), puis avec « ils » (C’). Notons que le pronom personnel
« ils » en 9,24a est imprécis : « Ils appelèrent (ephônèsan) donc, une seconde fois,
l’homme qui avait été aveugle. » Or, l’expression « une seconde
fois » renvoie au premier entretien entre l’ancien aveugle et les Pharisiens
en 9,13-17. En même temps, le pronom « ils » en 9,24a désigne les
Juifs puisqu’en 9,20-21, les parents de l’aveugle parlent aux Juifs. Ainsi, ce
pronom renvoie, à la fois aux Pharisiens et aux Juifs que nous nommons « les
autorités juives ». Ces dernières mènent une enquête sur l’identité de Jésus
qui a rendu la vue à l’aveugle le jour de sabbat. Il y a donc certaines ressemblances
entre les Pharisiens et les Juifs (cf. « les Juifs » dans
l’article : « Jn 8,31-47 : L’incapacité
d’entendre la parole de Jésus. »
Le centre du chiasme (unité « D ») présente la situation de
la communauté johannique à traverse la glose du narrateur en 9,22 : « Ses
parents dirent cela parce qu’ils avaient peur des Juifs ; car déjà les
Juifs étaient convenus que, si quelqu’un reconnaissait Jésus pour le Christ, il
serait exclu de la synagogue. » Cette explication dévoile, d’une part,
l’hostilité des Juifs envers ceux qui confessent que Jésus est le Christ, et
d’autre part, la difficulté des judéo-chrétiens à la fin du premier siècle. Les
parents de l’aveugle figurent donc les croyants qui n’osent pas confesser leur
foi en Jésus, par peur d’être exclus de la synagogue. Dans cette perspective,
la confrontation entre l’ancien aveugle et les autorités juives prend le relais
du conflit entre Jésus et les autorités. Ainsi, le procès entre la lumière et
les ténèbres à l’époque de Jésus se poursuit jusque dans la communauté
johannique. Le courage de l’ancien aveugle est un modèle de disciple de Jésus.
Pour mieux saisir le message de Jn 9, nous analysons trois thèmes
clés : (a) qui est le pécheur ? ; (b) le discernement (krima) et le jugement (krisis) ; et (c) le savoir et le
non-savoir.
Le thème du péché est introduit dans le récit par la question des
disciples adressée à Jésus en 9,2 : « Rabbi, qui a péché (tis hèmarten), lui ou ses parents, pour
qu’il soit né aveugle ? » Le ch. 9 se termine sur le même thème quand
Jésus dit aux Pharisiens en 9,41 : « Si vous étiez aveugles, vous
n’auriez pas de péché (hamartian) ;
mais vous dites : Nous voyons ! Votre péché (hè hamartia humôn) demeure. » Au début du ch. 9, Jésus ne
donne pas la cause de la cécité de l’aveugle en disant à ses disciples en 9,3 :
« Ni lui ni ses parents n’ont péché, mais c’est afin que soient
manifestées en lui les œuvres de Dieu. » Au terme de Jn 9, Jésus dévoile
l’état de péché des Pharisiens qui disent « nous voyons » (9,41b).
Le ch. 9 souligne le thème du péché. Il y a deux fois le verbe « hamartanô » (pécher) en 9,2.3
concernant le péché de l’aveugle-né et ses parents ; quatre fois
l’adjectif substantivé « hamartôlos »
(le pécheur) en 9,16.24.25.31 désignant Jésus ; et trois fois le nom
« hamartia » (le
péché) en 9,34 ; 9,41a.41b en parlant du péché de l’aveugle-né (9,34)
et celui des Pharisiens (9,41a.41b).
L’humour dans le récit pointe vers ces personnages : l’aveugle-né,
Jésus et les autorités juives (les Juifs et les Pharisiens) sont tous des pécheurs.
Selon les autorités, l’ancien aveugle n’est que péché depuis sa naissance (9,34).
Ce jugement répond directement à la question des disciples au début du récit (9,2).
Certains Pharisiens pensent que Jésus est pécheur parce qu’il a violé le sabbat
(9,16a). Ce raisonnement est discutable, puisque certains autres Pharisiens
argumentent en 9,16b : « Comment un homme pécheur peut-il faire de
tels signes ? » C’est pourquoi il y a scission parmi eux (9,16c). L’ironie
rencontrée chez les autorités juives vient de leur jugement erroné que Jésus
est pécheur (9,16a.24b), l’ancien aveugle est un pécheur de naissance (9,34a)
et pourtant elles disent « nous voyons (blepomen) »
(9,41b), mais elles ne se rendent pas compte que leur péché demeure (9,41c). C’est
le cas de « ceux qui voient deviennent aveugles » (9,39c), dit Jésus.
Le péché des Pharisiens est lié à leur manière de voir. Il s’agit d’une prise
de position contre celui qui a fait le signe. En fait, c’est le refus de croire
en Jésus qui est le péché par excellence, comme Jésus le dit aux Juifs en 8,24 :
« Je vous ai donc dit que vous mourrez dans vos péchés. Car si vous ne
croyez pas que Moi, Je Suis, vous mourrez dans vos péchés. »
Cependant, l’état de péché des Pharisiens en 9,41 n’est pas définitif.
Leur péché résulte d’une méconnaissance. Ils ne savent pas qu’ils sont aveugles.
Ils disent à Jésus en 9,40b : « Est-ce que nous aussi, nous
sommes aveugles ? » La réponse de Jésus : « Si vous étiez
aveugles, vous n’auriez pas de péché » (9,41a) dévoile leur ignorance. Le
voir authentique reste ouvert pour eux. Cette ouverture est exprimée par la « scission »
(schisma) parmi les Pharisiens (9,16c)
et les Juifs (10,19). Cette division est signifiante puisque parmi les
adversaires de Jésus (les Juifs et les Pharisiens), il y a certains qui ne
partagent pas l’attitude contre Jésus. Ils se placent du côté de Jésus en
disant aux autres Pharisiens en 9,16b : « Comment un homme pécheur
peut-il faire de tels signes ? » et aux autres Juifs en 10,21 : « Ces
paroles ne sont pas d’un démoniaque. Est-ce qu’un démon peut ouvrir les yeux des aveugles ? » Le
thème de scission ne permet pas de considérer les Pharisiens et les Juifs comme
des groupes uniformes opposés à Jésus. La division montre qu’une autre manière
de voir est possible. Pour les Pharisiens en 9,40-41, la chance de parvenir à une
vraie connaissance est toujours possible.
La parole de Jésus en 9,39a : « C’est pour un discernement (krima) que je suis venu en ce monde »
(BiJér, 2000) est-elle un
jugement comme la traduction de la TOB,
2011 : « C’est pour un jugement (krima)
que je suis venu en ce monde » ? Nous observons l’utilisation des termes :
« krima » (discernement) et
« krisis » (jugement),
« krinô » (juger) dans
l’Évangile pour cerner leurs sens. Le nom « krima » apparaît en une occurrence dans l’Évangile en 9,39 ; celui « krisis », 11 fois
en 3,19 ; 5,22.24.27.29.30 ; 7,24 ; 8,16 ; 12,31 ;
16,8.11 ; et le verbe « krinô »,
19 fois en 3,17.18a.18b ; 5,22.30 ; 7,24a.24b.51 ;
8,15a.15b.16.26.50 ; 12,47a.47b.48a.48b ; 16,11 ; 18,31.
Jésus parle de
« jugement » (krisis) et
« juger » (krinô) en 3,18-19 : « 18 Qui croit en lui n’est pas jugé (krinetai) ; qui ne croit pas est déjà jugé (kekritai), parce qu’il n’a pas cru au
Nom du Fils Unique-Engendré de Dieu. 19 Et tel est le jugement (hè krisis) : la lumière est venue
dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, car leurs
œuvres étaient mauvaises. » En 5,24, Jésus dit aux Juifs : « En
vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit à celui
qui m’a envoyé a la vie éternelle et ne vient pas en jugement (krisin), mais il est passé de la mort à
la vie. » Ainsi, le croyant n’est pas jugé (3,18a) et ne vient pas en
jugement (5,24c). (Cf. le point « II.3. Le jugement » dans l’article : « “Aimer
(agapaô) les ténèbres” (Jn 3,19c) et
“aimer (phileô) son propre bien” (Jn
15,19a) »).
Quant à « krima » en
9,39a, ce vocable renvoie d’abord à l’ancien aveugle : « pour
que ceux qui ne voient pas voient » (9,39b) et ensuite aux Pharisiens : « et
que ceux qui voient deviennent aveugles » (9,39c). Ainsi, le terme « krima » ne peut pas être
traduit par « jugement » comme le fait la TOB, 2011. Le choix de la BiJér
de rendre « krima » par
« discernement » correspond au contexte. En effet, le discernement en 9,39a vaut
pour l’ancien aveugle et pour les Pharisiens. C’est en prenant position devant Jésus–Lumière
(cf. 8,12 ; 9,5) que l’on devient voyant ou aveugle. Le choix de rester
dans les ténèbres, c’est-à-dire d’aimer les ténèbres plus que la lumière (cf. 3,19b)
et de ne pas croire en Jésus, devient un auto-jugement pour l’homme (3,19a). Dans
le contexte du ch. 9, le discernement est lié au contraste entre savoir et ne
pas savoir.
Le thème de « savoir » et « ne pas savoir » est
dominant dans le ch. 9. Hormis Jésus, ce sujet concerne tous les autres personnages :
les disciples, les voisins de l’aveugle, les Pharisiens, les Juifs, les parents
de l’aveugle et l’ancien aveugle lui-même. Ce thème est présenté, d’une part, (1)
par les questions ou les diverses opinions, et d’autre part, (2) par le verbe
« oida » (savoir).
(1) Pour les questions et les opinions, Jn 9 commence et se termine par
un non-savoir. Au début du chapitre, les disciples demande Jésus en 9,2 : « Rabbi,
qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » À la
fin du chapitre, les Pharisiens demandent à Jésus en 9,40b : « Est-ce
que nous aussi, nous sommes aveugles ? » Ces versets montrent l’ignorance
des disciples et des Pharisiens. La différence d’interprétation se trouve dans l’échange
entre les voisins de l’aveugle et la confirmation de ce dernier en 9,8-9 :
« 8 Les voisins et ceux qui étaient habitués à le voir auparavant, car c’était
un mendiant, dirent alors : “N’est-ce pas celui qui se tenait assis à mendier ?”
9 Les uns disaient : “C’est lui.” D’autres disaient : “Non, mais il
lui ressemble.” Lui disait : “C’est moi” », rapporte le narrateur. De
plus, une question qui revient trois fois dans le récit souligne, à la fois, le
non-savoir des personnages du récit et la grandeur du signe que Jésus a
fait : d’abord, les voisins demandent à l’ancien aveugle en 9,10 :
« Comment donc tes yeux se sont-ils ouverts ?” Ensuite, le
narrateur rapporte en 9,15 : « À leur tour les Pharisiens lui
demandèrent comment il avait recouvré la vue. » Enfin, « ils »
(les Juifs et les Pharisiens) disent à l’aveugle en 9,26 : « Que t’a-t-il
fait ? Comment t’a-t-il ouvert les yeux ? »
(2) Le verbe « oida »
(savoir) met en relief le thème de savoir et non-savoir. Dans le ch. 9, le
verbe « oida » revient 11 fois
en 9,12.20.21a.21b.24.25a.25b.29a.29b.30.31 dans lesquelles le savoir (+) et le
non-savoir (-) concernant les personnages sont ainsi distribués : (a) les
autorités juives : 9,24 (+) ; 9,29a (+) ; 9,29b (-) ; 9,30 (-) ;
(b) les parents de l’aveugle : 9,20 (+) ; 9,21a (-) ; 9,21b (-) ;
et (c) l’ancien aveugle : 9,12 (-) ; 9,25a (-) ; 9,25b (+) ;
9,31 (+).
(a) L’ironie sur le savoir et non-savoir des autorités juives se retrouve
dans les unités 9,24-34 et 9,39-41. Elles disent à l’aveugle en 9,24b :
« Rends gloire à Dieu ! Nous savons, nous, que cet homme [Jésus] est
un pécheur. » Cependant, l’aveugle montre que leur savoir est douteux puisqu’elles
n’ont pas d’explication satisfaisante sur celui qui lui a rendu la vue (9,25).
De plus, les autorités confessent qu’elles ne connaissaient pas l’origine de
Jésus en 9,29 : « Nous savons, nous, que Dieu a parlé à Moïse ;
mais celui-là, nous ne savons pas d’où il est », disent-elles à l’aveugle. S’elles
ne savent pas d’où vient Jésus comment peuvent-elles dire que Jésus est un
pécheur ? Autrement dit, elles prétendent voir et connaître, mais en réalité
elles sont ignorantes et aveugles comme Jésus le dit aux Pharisiens en
9,41b : « Vous dites : Nous voyons ! Votre péché demeure. »
L’expression « nous voyons » ici renvoie à celle de « nous
savons » en 9,24b. L’ironie est que pour les autorités juives, Jésus est un
pécheur (9,24b), mais en réalité ce sont eux les vrais pécheurs (9,41b).
(b) Quant aux parents de l’aveugle, par peur des Juifs, ils ne donnent
pas une vraie réponse. Le narrateur rapporte la réponse des parents à la
question des Juifs sur leur fils en 9,20-21 : « 20 Ses parents
répondirent : “Nous savons que c’est notre fils et qu’il est né aveugle.
21 Mais comment il y voit maintenant, nous ne le savons pas ; ou bien qui
lui a ouvert les yeux, nous, nous ne le savons pas. Interrogez-le, il a
l’âge ; lui-même s’expliquera sur son propre compte.” » Le narrateur
révèle en 9,22-23 que ses parents ne disaient pas tout ce qu’ils savaient par
peur d’être exclus de la synagogue.
(c) Pour l’ancien aveugle, sa connaissance sur l’identité de Jésus
commence par un non-savoir. En effet, quand les voisins lui demandent où était
celui qui lui avait ouvert ses yeux (9,12a), il leur dit : « Je ne
sais pas » (9,12b). Son savoir à ce stade est
simplement « l’homme qu’on appelle Jésus » (9,11a). Dans la
suite du récit sa connaissance progresse vers un savoir de plus en plus
pertinent. En effet, en 9,17b, il dit aux Pharisiens que Jésus était un
prophète. En 9,33, il répond aux autorités juives : « Si cet homme [Jésus]
ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. » Notons que le savoir
de l’ancien aveugle s’accroît au cours d’un interrogatoire mené par les autorités
juives. La force et l’humour du récit se retrouvent dans le fait que l’injure
et la menace des autorités renforcent la conviction de l’ancien aveugle. Il
voit de plus en plus claire l’identité de Jésus. De plus, le savoir de l’ancien
aveugle est la connaissance de tout le peuple incluant les autorités. Il leur parle
en « nous » : « Nous savons que Dieu n’écoute pas les
pécheurs, mais si quelqu’un est religieux et fait sa volonté, celui-là il l’écoute »
(9,31). Ce savoir est fondamental dans la relation entre Dieu et son peuple. L’injure
des autorités en 9,34a : « De naissance tu n’es que péché et tu nous
fais la leçon ! » est ironique. Comme elles ont dit : « tu
nous fais la leçon », le savoir de l’aveugle est une vraie leçon pour eux.
L’ancien aveugle ne possède aucun pouvoir face aux autorités qui le
jettent dehors (9,34b). À quoi sert son savoir ? Il retrouve la vue,
mais il est exclu de la communauté ! En réalité, les œuvres de Dieu, dont
Jésus parle en 9,4, sont en train de se réaliser. Jésus trouve l’ancien aveugle
et lui dit en 9,35b : « Crois-tu au Fils de l’homme ? » Le
dialogue entre Jésus et cet homme, dans cette deuxième rencontre (9,35-38),
renvoie à la première en 9,6-7. Mais cette fois ci, il voit réellement et il croit
en Jésus, le Fils de l’homme. Les verbes « voir » et « entendre »
décrivent donc son parcours : de voir la lumière du jour (9,7c) à voir la
lumière du monde qui est Jésus (9,5).
Un aveugle ne perçoit pas la
lumière, mais il peut entendre. C’est en écoutant la parole de Jésus et en faisant
ce qu’il dit (9,7a) que l’aveugle-né retrouve la vue physique (9,7b). Pour lui,
l’écoute précède donc la vue physique. En même temps, le thème de voir et d’entendre
de ce personnage se déroule tout au long du ch. 9. Nous étudions donc d’abord (a)
la vue physique et la vue spirituelle ; ensuite (b) l’écoute de l’aveugle
de naissance ; et enfin (c) le signe de l’aveugle-né et le lecteur.
a) La vue physique
et la vue spirituelle
Le champ sémantique lié à la vision est abondant dans le ch. 9 avec les
verbes : « blepô »,
« theôreô », « horaô » (voir), « anablepô » (recouvrir la vue),
« anoigô » (ouvrir). En
effet, dans le ch. 9, il existe quatre fois « anablepô » (recouvrir la vue), en 9,11.15.18a.18b ; une
fois « theôreô » (voir) en
9,8 ; deux fois « horaô »
(voir) en 9,1.37 ; et sept fois « anoigô »
(ouvrir) dans l’expression « ouvrir les yeux » en
9,10.14.17.21.26.30.32 ; en particulier, neuf fois « blepô » (voir), en
9,7.15.19.21.25.39a.39b.39c.41. Ce verbe exprime à
la fois la vue physique de l’aveugle-né (le verbe « blepô » en 9,7c) et la vue qui rend aveugles les Pharisiens (le
verbe « blepô » en 9,41b).
Il y a donc un lien entre « voir » (blepô), « l’aveugle » et « le péché ». Cf. l’article :
« Les thèmes “voir” et
“entendre” dans l’Évangile selon Jean. »
En Jn 9, le terme « tuphlos »
(aveugle) apparaît en 13 occurrences en 9,1.2.13.17.18.19.20.24.25.32.39.40.41
dans lesquelles les dix premières occurrences (9,1-32) désignent l’aveugle-né
et les trois dernières (9,39.40.41) expriment la cécité des Pharisiens. Le
verbe « gennaô » (naître)
au passif décrivant celui qui est né aveugle est apparu cinq fois en Jn 9 (9,2.19.20.32.34) ;
et le nom « genetè »
(naissance), une seule fois dans l’Évangile en 9,1. Le texte souligne la situation
de l’aveugle de naissance. Il n’a jamais vu la lumière avant que Jésus lui rende
la vue. Être né aveugle n’est pas une maladie ; le texte ne parle pas de guérison
mais d’ouvrir (anoigô) les yeux et de
recouvrir la vue (anablepô). Le parcours
de l’aveugle commence par la vue physique et s’accomplit par la vue spirituelle
dans sa confession de foi devant Jésus en 9,38a : « Je crois
Seigneur. » En devenant croyant, l’ancien l’aveugle est l’un de ceux que
Jésus en parle en 9,39b : « ceux qui ne voient pas voient ». La
vue ici n’a plus le sens physique mais la vue par la foi. Ainsi, la parole de
Jésus en 9,39c : « ceux qui voient deviennent aveugles » est
appliquée aux Pharisiens qui ne croient pas en lui et disent : « Nous
voyons » (9,41b). Ils sont donc aveuglés par leur péché d’incroyance. Le
parcours pour arriver de la vue physique à la foi de l’aveugle-né commence par
un « voir » de Jésus en 9,1 : « En passant, il vit (eiden) un homme aveugle de
naissance », et se termine par un « voir » de l’ancien
aveugle-né comme Jésus le dit en 9,37 : « Tu le vois (heôrakas) ; celui qui te parle, c’est
lui. » Dans le ch. 9, le « voir » authentique est exprimé par le
verbe « horaô ».
En Jn 9, le thème de l’écoute est exprimée à la fois par le verbe « akouô » (entendre, écouter) et par
le contexte. Dans le cas de l’aveugle de naissance, son écoute est présentée
seulement par le contexte du récit et non par le verbe « akouô ». Nous traitons d’abord (1) l’écoute
des personnages formulée par le verbe et ensuite (2) l’écoute de l’aveugle-né
dans le contexte.
(1) Le verbe « akouô »
(entendre) apparaît en 7 occurrences dans le ch. 9, en
9,27a.27b.31a.31b.32.35.40, et concerne l’écoute de Dieu (v.31a.31b), de Jésus
(v.35), des autorités juives (v.27a.27b.40) et des gens (v.32). En effet, l’ancien
aveugle parle aux autorités juives de l’écoute de Dieu en 9,31 :
« Nous savons que Dieu n’écoute pas (ouk
akouei) les pécheurs, mais si quelqu’un est religieux et fait sa volonté,
celui-là il l’écoute (akouei). » En
9,35a, le narrateur rapporte l’écoute de Jésus : « Jésus apprit (èkousen) qu’ils l’avaient jeté
dehors ». La BiJér, 2000 traduit
le verbe « akouô » ici par
« apprendre ». Quant à l’écoute des autorités juives, le narrateur
relate en 9,40a : « Des Pharisiens, qui se trouvaient avec lui,
entendirent (èkousan) ces paroles et
lui dirent :… » Les autorités ne sont pas sourdes mais elles
paraissent incapables d’entendre, comme l’ancien aveugle leur dit en
9,27 : « Je vous l’ai déjà dit et vous n’avez pas écouté (ouk èkousate). Pourquoi voulez-vous l’entendre
(akouein) à nouveau ? Est-ce
que, vous aussi, vous voudriez devenir ses disciples ? » Dans cette
parole, l’aveugle fait un rapprochement entre « entendre » et
« devenir ses disciples ». Ainsi, l’écoute en 9,27 n’est plus un
simple phénomène d’audition, de fonctionnement des oreilles, mais possède une
portée théologique : la capacité de recevoir la parole de Jésus. Être son disciple
permet de l’entendre et de comprendre qui il est. La faculté d’entendre des
gens se trouve dans la parole de l’ancien aveugle adressée aux autorités en
9,32 : « Jamais on n’a ouï dire que quelqu’un ait ouvert les yeux
d’un aveugle-né », littéralement : « Jamais on n’a entendu dire
que… »
(2) Le verbe « akouô »
(entendre, écouter) n’est pas employé pour exprimer l’écoute de l’aveugle-né
mais cette faculté est primordiale pour lui. En effet, parce qu’il est aveugle
de naissance, l’écoute devient un moyen important de communication. D’abord, c’est
par l’écoute qu’il réalise l’ordre de Jésus en 9,7a : « Va te laver à
la piscine de Siloé. » Ensuite, l’ancien aveugle voit clairement Jésus
mais il ne perçoit pas encore que Jésus est le Fils de l’homme (9,35-36). C’est
en écoutant la révélation de Jésus en 9,37 : « Tu le vois ;
celui qui te parle, c’est lui » que la vue physique de l’ancien aveugle change
en vue par la foi (9,38a). Il parvient donc à la foi grâce à la conjugaison de
deux facultés « voir » et « entendre ». Ainsi, « voir »
Jésus au sens théologique est inséparable d’« entendre » sa parole.
Le parcours d’écoute de l’aveugle-né manifeste la liberté de l’homme
avec un double aspect. Dans un sens, la question de Jésus adressée à l’ancien aveugle
en 9,35b : « Crois-tu au Fils de l’homme ? » demande sa
décision personnelle. Il est libre d’aller à la piscine de Siloé (9,7) et de
croire en Jésus (9,38). Dans un autre sens, c’est la foi qui rend l’homme
réellement libre, comme Jésus le révèle aux Juifs en 8,36 : « Si donc le Fils vous libère, vous serez réellement libres. » Dans le ch. 9, la foi de l’aveugle-né résulte d’un voir et d’un entendre
authentiques, c’est-à-dire grâce à la vue et à l’écoute, il parvient à voir la
lumière–Jésus et avoir la lumière de la vie (8,12c).
c) Le signe reçu par l’aveugle-né et le
lecteur
L’ensemble du ch. 9 est un signe au sens johannique du terme. Certains
Pharisiens disent de Jésus en 9,16b : « Comment un homme pécheur peut-il
faire de tels signes ? » Ce signe est la manifestation des œuvres de Dieu
chez l’aveugle-né (cf. 9,3). Dans ce signe, l’aveugle physique (9,1) renvoie à
l’aveugle spirituel (9,41). La vue physique atteint son but quand elle parvient
à voir la lumière qui est Jésus. La conclusion du signe se trouve dans la
parole de Jésus en 9,39b : « C’est pour un discernement que je suis
venu en ce monde : pour que ceux qui ne voient pas [les aveugles] voient (Jésus,
la lumière du monde) et que ceux qui voient [les voyants] deviennent
aveugles. » Il s’agit donc d’une cécité à ne pas croire en Jésus, la
lumière du monde. Les aveugles au cours des siècles peuvent donc voir la
lumière, par la foi en Jésus. Ainsi, le cheminement de l’aveugle de naissance est
un exemple de cheminement de tout homme. Le lecteur est invité à s’identifier à
ce personnage sur quatre points :
(1) Tout homme est, en quelque sorte, aveugle de naissance face la
lumière du monde qui est Jésus (9,5). Par sa propre force, il est incapable de
voir cette Lumière. Jésus seul peut ouvrir les yeux pour que l’homme puisse la
voir. Ce premier pas de Jésus rejoint les thèmes naître de nouveau (3,3b) et l’attirance
du Père (6,44a). Venir à Jésus est d’abord un don de Dieu qui précède la décision
de l’homme.
(2) Le parcours de l’aveugle-né est un modèle pour le lecteur. Comment
l’homme parvient-il à voir la lumière–Jésus ? Le premier pas de Jésus est
essentiel, en même temps, la volonté de répondre favorablement à l’invitation
de Jésus est indispensable. Comme l’aveugle-né, il fait ce que Jésus lui
demande en 9,7 et dit « oui » à la question de Jésus « crois-tu
au Fils de l’homme ? » (9,35b). Le lecteur est sollicité à se laisser
guider par le narrateur et par la parole de Jésus pour reconnaître en lui la
lumière véritable.
(3) Le fait que l’aveugle-né soit jeté dehors par les autorités (9,34b)
montre que la foi en Jésus exige un engagement coûteux. En même temps,
l’interrogatoire des autorités lui permet d’avancer vers la lumière–Jésus. Plus
il est questionné, méprisé, injurié, plus il tient ferme dans la vérité. Le
courage de l’ancien aveugle figure la force invincible de la lumière sur les
ténèbres (cf. 1,5). Ainsi, la controverse devient une occasion pour lui d’avancer
vers la foi. Sur ce point, le lecteur est exhorté de se comporter courageusement
comme lui.
(4) La résistance seule ne peut pas vaincre le pouvoir abusif des autorités
(9,34). Comme l’ancien aveugle, les croyants peuvent être mal traités et jetés
dehors mais Jésus les accueille et les protège. La vie des croyants repose
désormais sur Jésus. Il est la porte et le bon pasteur qui donne la vie en
abondance à ses brebis. En réalité, le parcours de l’ancien aveugle ne s’arrête
pas à la profession de foi (9,38). La péricope suivante (10,1-21) montre qu’entendre la
voix du bon pasteur est vital pour les brebis de Jésus.
Le discours de Jésus en
10,1-21 est la suite de l’échange avec les Pharisiens en 9,40-41. Nous
examinons la péricope 10,1-21 en trois temps : (1) le contexte et la
structure 10,1-21 ; (2) les brebis et le pasteur ; (3) entendre
la voix du bon pasteur.
1. Le contexte
et la structure 10,1-21
La péricope 10,1-21 est reliée à celle qui précède (9,1-41). « Le
discours mystérieux » (paroimia)
de Jésus en 10,1-5 est la suite de 9,41. Nous présentons dans cette partie
quatre points : (1) le terme « paroimia »
(le discours mystérieux) ; (2) la structure 10,1-21 ; (3) les
deux développements dans le discours (10,7-10 et 10,11-18) ; (4) la vie « zôè » et
la vie « psuchè ».
(1) Le terme « paroimia »,
avec 4 occurrences dans l’Évangile (10,6 ; 16,25a.25b.29), signifie un
discours mystérieux, énigmatique ou figuré. Le contraire de « paroimia » est « parrèsia » (en toute clarté). Jésus
dit à ses disciples en 16,25 : « Tout cela, je vous l’ai dit en
figures (paroimiais). L’heure vient
où je ne vous parlerai plus en figures (paroimiais),
mais je vous entretiendrai du Père en toute clarté (parrèsiai). » Le narrateur rapporte en 10,6 :
« Jésus leur [les Pharisiens] tint ce discours mystérieux (paroimian) mais eux ne comprirent pas ce
dont il leur parlait. » Le discours mystérieux de Jésus en 10,1-5 et son
explication en 10,7-10 (il est la porte des brebis) puis le développement en
10,11-18 (le bon pasteur et ses brebis) ressemblent à une parabole (parabolè) puisque Jésus s’identifie explicitement
à la porte des brebis (10,7b.9a) et au bon pasteur (10,11a.11b.14a). Cependant,
le caractère énigmatique et mystérieux du
discours se manifeste dans le récit 10,1-21. Par exemple, le texte ne donne pas
d’éléments pour identifier les
figures : les voleurs et les brigands (10,1c.8a.10a), le portier (10,3a),
les brebis (10,3b.4c…), les étrangers (10,5), le mercenaire (10,12.13), le loup
(10,12). À qui et à quoi ces figures font-elles allusion ? Le texte reste
ouvert, plusieurs interprétations sont possibles. En tout cas, dans la
continuité avec le ch. 9, l’ancien aveugle proclamant la foi en Jésus (9,38) prend
la figure d’une des brebis de Jésus et les opposants aux brebis renvoient aux autorités
juives.
(2) En tenant compte des caractères du
discours mystérieux (paroimia), la péricope
10,1-21 se structure en parallèle A, B, C, A’, B’, C’. Les éléments en
parallèle sont en couleur dans le tableau ci-dessous :
La structure en parallèle se développe pour atteindre deux affirmations
de « egô eimi » (Moi, je
suis…). Jésus déclare en 10,7b : « Moi, je suis la porte des brebis »
et en 10,11a : « Moi, je suis le bon pasteur ». Il y a donc un
parallèle entre les deux développements en 10,7-10 et
10,11-18.
(3) Les deux développements dans le
discours (10,7-10 ; 10,11-18) comportent des éléments nouveaux par rapport
au discours mystérieux (10,1-5). Par exemple, en 10,2, « entrer par la
porte » montre la légitimité du pasteur, tandis qu’en 10,9, « entrer
par la porte » garantit la sécurité et la nourriture des brebis. Le
mercenaire et le loup dans l’unité 10,11-18 sont des éléments nouveaux par
rapport à 10,1-5. Dans les deux développements (10,7-18),
les métaphores dans le discours (10,1-5) s’appliquent à Jésus. Ce dernier s’identifie
avec la porte (10,9a) et le bon pasteur (10,11a). Dans la première unité
littéraire (10,7-10), Jésus est la médiation unique pour le salut :
« Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ;
il entrera et sortira, et trouvera un pâturage » (10,9). Dans la deuxième
unité (10,11-18) la légitimité et l’autorité du bon pasteur se manifestent dans
son amour jusqu’à l’extrême : « déposer sa vie pour ses brebis »
(10,11b). Les deux affirmations solennelles par « egô eimi » (Moi, je suis…) en 10,9a.11a reposent sur l’amour
du Père et le pouvoir de Jésus de reprendre sa vie. Jésus dit en 10,17 :
« C’est pour cela que le Père m’aime, parce que je dépose ma vie (tèn psuchèn mou), pour la reprendre »
(10,17). Jésus annonce ainsi l’échec de l’intention des autorités de le faire
mourir.
(4) Notons que les deux termes grecs « zôè » et « psuchè »
sont traduits en français par le même mot : « vie ». Cependant le
sens de ces deux termes est différent : « psuchè » est la vie physique ; l’expression
« déposer ou donner sa vie (tèn
psuchèn) » signifie « mourir ». Tandis le terme « zôè » renvoie à la vie éternelle
que Jésus donne au croyant, comme il le dit à la foule en 6,40b : « Que
quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle (zôèn aiônion). » C’est dans ce sens
que Jésus dit en 10,10b : « Moi, je suis venu pour qu’on ait la vie (zôèn) et qu’on l’ait
surabondante. » (Cf. le point « II.4. Les deux formes de vie : “psuchè” et “zôè” » dans l’article :
« Jn
12,25 : Aimer sa vie la perd, haïr sa vie la conservera en vie éternelle »).
La métaphore des brebis en 10,1-21 est centrale. Le bon pasteur dépose sa
vie pour que ses brebis aient la vie en abondance. Dans son contexte, les
brebis sont en danger à cause des voleurs, des brigands, des mercenaires et des
loups. La protection du bon pasteur et une vigilance de la part des brebis sont
nécessaires. Mais à qui cette métaphore fait-elle allusion ?
Le terme « probaton » (la brebis) au pluriel « probatôn » (les brebis) apparaît en
19 occurrences dans l’Évangile, distribuées ainsi : deux fois dans la
péricope 2,13-22 (2,14.15), deux fois au ch. 21 (21,16.17) et quinze fois au ch.
10. Dans ce chapitre ce terme revient cinq fois en 10,1-6 (10,1.2.3a.3b.4), huit
fois en 10,7-21 (10,7.8.11.12a.12b.13.15.16), et deux fois en 10,22-39
(10,26.27). Ainsi la métaphore des brebis se concentre dans le ch. 10, en
particulier en 10,1-21 (treize fois). Quant à la métaphore du pasteur (poimèn), ce vocable apparaît en six
occurrences et seulement dans la péricope 10,1-21 (10,2.11a.11b.12.14.16)
laquelle décrit une scène de pâturage familière en Palestine et connue dans l’Ancien
Testament (cf. Is 40,10-11 ; Jr 23,1-4 ; Ez 34,1-24). À qui renvoie-t-elle
la métaphore des brebis ? Les données du récit 10,1-21 ne fournissent pas
de réponse explicite. Mais cette métaphore dans son contexte peut désigner (1) le
peuple de Dieu, (2) les disciples de Jésus ou (3) tout homme.
(1)
Les brebis figurent le peuple de Dieu. En effet, Ézéchiel prophétise contre les mauvais pasteurs
du peuple en Ez 34,2b-3 : « 2b Pasteurs (tois poimesi), ainsi parle le Seigneur Yahvé. Malheur aux pasteurs
(poimenes) d’Israël qui se paissent
eux-mêmes. Les pasteurs (poimenes) ne
doivent-ils pas paître le troupeau (ta
probata) ? 3 Vous vous êtes nourris de lait, vous vous êtes vêtus de
laine, vous avez sacrifié les brebis les plus grasses, mais vous n’avez pas
fait paître le troupeau (ta probata). »
Ici la BiJér traduit le pluriel
« ta probata » par
« le troupeau » et non « les brebis » comme dans Jn 10. Les
autorités juives en Jn 9,1–10,21 (les Pharisiens et les Juifs) ont revêtu, en
quelque sorte, la figure de mauvais pasteurs en Ez 34,2b-3, puisqu’elles ont
insulté, rejeté l’une des brebis, c’est-à-dire l’ancien aveugle (Jn 9,34). En
Ez 34,23, David est le modèle du pasteur selon la parole Seigneur Yahvé :
« Je
susciterai pour le mettre à leur tête un pasteur (poimèna) qui les fera paître, mon serviteur David : c’est lui
qui les fera paître et sera pour eux un pasteur (poimèn). » En particulier, le pasteur par
excellence est le Seigneur lui-même : « 11 Car ainsi parle le
Seigneur Yahvé : Voici que j’aurai soin moi-même de mon troupeau (ta probata mou) et je m’en occuperai. 12
Comme un pasteur (ho poimèn) s’occupe
de son troupeau (to piomnion), quand
il est au milieu de ses brebis éparpillées, je m’occuperai de mes brebis (probatôn). Je les retirerai de tous les
lieux où elles furent dispersées, au jour de nuées et de ténèbres » (Ez
34,11-12).
Les métaphores du pasteur et des
brebis en Jn 10,1-21 paraissent complexes. Le récit de l’Évangile ne met pas en
parallèle le bon pasteur et les mauvais pasteurs et n’utilise pas non plus le
mot « pasteur » pour désigner les responsables du peuple de Dieu. En
Jn 10,1-21, les brebis sont distinguées des voleurs, des brigands, des étrangers,
des mercenaires dont Jésus fait ainsi mention des responsables avant lui en
10,8 : « Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des
brigands ; mais les brebis ne les ont pas écoutés. » Ainsi, les
brebis existent avant la venue de Jésus, en 10,8, elles renvoient donc au
peuple de Dieu.
(2) Les brebis sont les
disciples de Jésus. La nouveauté en Jn 10,1-21 est que Jésus s’identifie avec
« la porte » et « le bon pasteur » (10,9a.11a.14a) et il a
ses propre brebis (10,11b.14b). Jésus dit en 10,14 : « Moi, je suis
le bon pasteur ; je connais mes brebis et mes brebis me
connaissent. » Littéralement : « Je connais les miens (ta ema) et les miens (ta ema) me connaissent. » La BiJér traduit « les miens »
par « mes brebis ». Dans cette perspective, le sens du terme « les
brebis » désignant le peuple de Dieu a évolué, puisque dans ce peuple il y
a des brebis qui n’appartiennent pas aux brebis de Jésus. En effet, en tant qu’appartenance
au peuple de Dieu, les Juifs sont membres du troupeau de Dieu, mais ils ne
croient pas en Jésus, ils ne sont donc pas ses brebis, comme Jésus leur dit en
10,25-26 : « 25 Je vous l’ai dit, et vous ne croyez pas. Les œuvres
que je fais au nom de mon Père témoignent de moi ; 26 mais vous ne
croyez pas, parce que vous n’êtes pas de mes brebis (tôn probatôn tôn emôn). » Selon la théologie johannique, la
descendance généalogique d’Abraham est insuffisante pour appartenir au troupeau
de Dieu (cf. 8,33-41). Les brebis de Jésus sont définies par la foi en lui. Le
titre « le bon pasteur » appliqué à Jésus fait allusion au Seigneur
Yahvé, le pasteur par excellence de son peuple en Ez 34,11-12. Désormais, avec
la venue du bon pasteur Jésus, ses brebis forment le troupeau du Seigneur
Yahvé. Les disciples de Jésus constituent donc le peuple de Dieu (les Juifs et
les Païens).
(3) Les brebis peuvent désigner
aussi tous les hommes. Jésus déclare en 10,16 : « J’ai encore d’autres
brebis (alla probata) qui ne sont pas
de cet enclos (ek tès aulès tautès) ;
celles-là aussi, il faut que je les mène ; elles écouteront ma voix ;
et il y aura un seul troupeau (mia poimnè),
un seul pasteur (heis poimèn). »
Dans ce verset, Jésus affirme qu’il a des brebis qui ne connaissent pas encore la
voix de l’unique pasteur. « Cet enclos » en 10,16a désigne la
communauté des disciples de Jésus ; et « les brebis qui ne sont pas
de cet enclos » représentent les hommes. Ce sont les Juifs, les
Samaritains, les païens qui ne connaissent pas encore Jésus. Dans cette vision,
le troupeau de Dieu déborde le peuple d’Israël. La parole de Jésus en 10,16 ne
fait pas de distinction entre les Juifs et les Païens, mais entre celui qui
croit en lui et celui qui ne croit pas encore en lui, dans une perspective
universelle.
Quelques indices dans le texte
montrent l’universalité de la figure des brebis. En effet, Jésus emploie les
pronoms « quelqu’un » et « il » pour parler du salut en 10,9a :
« Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé. »
En 10,10b, le pluriel « ils » est sujet de l’expression « avoir
la vie ». Jésus déclare : « Moi, je suis venu pour qu’on ait la
vie et qu’on l’ait surabondante » (10,10b), littéralement : « Moi,
je suis venu pour qu’ils aient la vie et qu’ils l’aient surabondante. »
Ces observations montrent que Jésus invite tout homme à le connaître, en
particulier le lecteur. La porte de l’enclos est donc ouverte à tous. Le bon
pasteur n’exclut personne et les brebis désignent tous les hommes.
En résumé, le terme
« brebis » dans la péricope 10,1-21 contient plusieurs niveaux de
signification. Selon le contexte, les brebis peuvent désigner le peuple d’Israël,
les disciples de Jésus ou les hommes. Avec la révélation de Jésus et son rôle d’unique
pasteur, désormais les brebis du Seigneur Yahvé (le peuple de Dieu) sont les
brebis de Jésus (la communauté de ses disciples). Ainsi la métaphore de la brebis
possède une dimension universelle. Jésus invite les hommes à devenir ses brebis
pour avoir la vie en abondance. Par définition, les brebis de Jésus sont
capables d’entendre sa voix et le suivre.
Dans le ch. 10, la relation entre le pasteur et les brebis est indiquée
par les expressions : « entrer » par la porte (10,9b), « écouter »
la voix du pasteur (10,3b.27a), « connaître » sa voix (10,4d), le « suivre »
(10,4c.27b) et le « connaître » (10,14c). Dans le cadre d’étude sur
le parcours de voir (l’aveugle de naissance) et d’entendre (les brebis), nous
analysons seulement la locution « entendre la voix du pasteur ».
Le thème de la voix (phônè)
est important dans l’Évangile avec quinze occurrences en 1,23 ;
3,8.29 ; 5,25.28.37 ; 10,3.4.5.16.27 ; 11,43 ;
12,28.30 ; 18,37. En général, la voix est en relation avec Jésus. Par
exemple la voix de l’époux (3,29c), la voix du Fils de Dieu (5,25c), la voix du
Fils de l’homme (5,27-28), la voix de l’unique pasteur (10,16c.27a). En 10,1-21,
les brebis sont en danger face aux voleurs et aux brigands. Entendre la voix du
pasteur est donc vital. Cette écoute est un refrain dans le ch. 10. En effet,
il existe cinq occurrences du terme « voix » (phônè), en 10,3.4.5.16.27 et cinq occurrences du verbe
« entendre » (akouô), en
10,3.8.16.20.27. Dans ces occurrences, trois fois ces termes se retrouvent dans
l’expression « entendre la voix » (10,3b.16c.27a). Les deux fois du
terme « voix » se trouvent est dans l’expression « connaître la
voix » (10,4d.5c). Les deux autres fois du verbe « entendre »
sont en 10,8 : les brebis n’écoutent pas des voleurs et des brigands ;
et en 10,20 quand les Juifs disent entre eux : « Il [Jésus] a un
démon ; il délire. Pourquoi l’écoutez-vous ? » Pour le thème d’entendre
la voix du pasteur, nous exposons six remarques :
(1) La capacité d’entendre la voix du pasteur implique un discernement
et une communication directe. En effet, le parcours de l’ancien aveugle pour
devenir la brebis de Jésus consiste à discerner entre la voix des étrangers
(10,5c) et celle du pasteur (10,3b). Entendre la voix est donc un moyen de
communication qui exige la présence du pasteur et la capacité d’écouter et de discerner
des brebis.
(2) Le but d’entendre la voix du pasteur est de le suivre (10,4c).
Il s’agit d’un engagement de confiance au pasteur. Cette écoute implique une
reconnaissance réciproque, comme Jésus le dit en 10,14-15 : « 14 Moi,
je suis le bon pasteur ; je connais (ginôskô)
mes brebis et mes brebis me connaissent (ginôskousi),
15 comme le Père me connaît (ginôskei)
et que je connais (ginôskô) le Père,
et je dépose ma vie pour mes brebis. » Quatre fois le verbe « ginôskô » (connaître), en deux
versets, montre l’importance de ce thème. Il ne s’agit pas d’une pure
spéculation mais d’une connaissance interpersonnelle dans l’amour et la
confiance. Ainsi, entendre la voix du pasteur est donc inséparable de la
connaître et la suivre.
(3) Pour les brebis, entendre la voix du bon pasteur est une
action continue. Il faut toujours prêter l’oreille pour ne pas se perdre. Cette
faculté d’entendre exige une vigilance constante qui permet aux brebis d’éviter
les dangers. La vie et la mort des brebis reposent sur ce fonctionnement de
l’ouïe en contact incessant avec le pasteur. La voix du bon pasteur est donc un
appel quotidien. Cette voix qui se fait entendre chaque jour laisse une place à
la liberté des brebis.
(4) Entendre la voix du bon pasteur caractérise l’identité des brebis. Ceux
qui ne croient pas en Jésus ne sont pas ses brebis (10,26b). Ainsi, celui qui
entend la voix du pasteur montre qu’il appartient aux brebis de Jésus. Cette aptitude
d’entendre constitue l’un des profils du disciple de Jésus.
(5) Le contexte permet de penser à la mission des brebis de Jésus. « Entendre
la voix du bon pasteur » est une invitation adressée à tous. Il y a
d’autres brebis (Juifs ou Païens) qui ne sont pas de cet enclos (10,16a). Les
brebis de Jésus sont appelées à contribuer à la mission de Jésus, à savoir
faire connaître aux autres brebis la voix de l’unique pasteur Jésus.
(6) Entendre la voix c’est se situer du côté des brebis, cependant leur
vie dépend totalement du pasteur. C’est par la porte Jésus que les brebis sont
sauvées, en liberté et en sécurité (cf. 10,9). Le pasteur donne la vie (zôè) en abondance à ses brebis (10,10) et
dépose sa vie (psuchè) pour elles
(10,11.15b). En particulier, il a le pouvoir de reprendre sa vie (10,17-18).
En tant qu’unique pasteur, il fait entendre sa voix à ses brebis ; sans sa
voix, les brebis restent égarées.
En résumé, la richesse du thème d’entendre la voix du pasteur est
exprimée en six points : (1) être en contact direct avec le pasteur, par l’écoute et le discernement. (2) Le but
d’entendre la voix du pasteur est de le connaître et le suivre. (3) L’écoute
est une activité continue tout au long de la vie. (4) L’écoute de la voix du
pasteur fait partie de l’identité des brebis. (5) Les brebis dans cet enclos
sont mobilisées pour contribuer à la mission du pasteur, à savoir faire
connaître aux autres brebis la voix de l’unique pasteur. (6) Le bon pasteur
donne sa vie pour ses brebis et a le pouvoir de la reprendre. Ainsi en écoutant
sa voix et en le suivant, les brebis sont sauvées et possède la vie en abondance.
La section 9,1–10,21 joue sur deux volets : ouvrir les yeux pour
voir (9,1-41) et prêter l’oreille pour entendre (10,1-21). Ces deux facultés
physiques sont les fondements théologiques de voir et d’entendre qui conduisent
à croire en Jésus.
Pour le premier volet (9,1-41), l’analyse des termes : péché - pécheur,
discernement - jugement, savoir - non-savoir permet de tracer le parcours de
l’aveugle-né. Le « voir » de ce dernier commence par un « voir »
de Jésus en 9,1. Grâce à la vue de Jésus (9,1) et à l’écoute de l’aveugle-né (9,7)
que celui-ci retrouve la vue physique. Devenu voyant, il devient le témoin dans
une enquête menée par les autorités juives (les Pharisiens et les Juifs) sur
celui qui a fait le signe. À travers l’interrogatoire, l’ancien aveugle
découvre pas à pas l’identité de son bienfaiteur. Son long raisonnement en
9,30-33 (quatre versets) est une vraie leçon donnée aux autorités. Ces dernières
sont vexées de recevoir la leçon d’un pauvre mendiant (9,8) et aveugle de
naissance ; elles l’injurient et jettent dehors (9,34). Ainsi, ayant
retrouvé la vue physique, l’ancien aveugle perd sa place dans la communauté. Cependant,
le récit ne s’arrête pas là. Son parcours atteint le point culminant dans la
rencontre avec Jésus (9,35-38). De nouveau, sa capacité de voir et d’entendre est
mobilisée. Il a entendu la demande de Jésus : « Crois-tu au Fils de
l’homme ? » (9,35b), et a vu le Fils de l’homme (9,36). Cette
capacité le conduit à la profession de foi exprimée par une parole et un geste :
« Alors il déclara : “Je crois, Seigneur”, et il se prosterna devant
lui » (9,38), relate le narrateur. Cet engagement voit accomplir la
manifestation des œuvres de Dieu chez l’ancien aveugle dont Jésus parle en 9,3b.
Sa cécité physique a donc la valeur de signe, c’est-à-dire qu’il n’est pas
nécessaire d’avoir la vue physique pour voir la lumière du monde qui est Jésus.
Les aveugles peuvent voir et entendre, c’est-à-dire croire en Jésus. Par contre
les voyants peuvent être aveugles comme le cas des Pharisiens en 9,40-41. Jésus,
la lumière du monde (9,5b), se manifeste dans la foi de l’ancien aveugle qui
voit réellement la lumière–Jésus. Il a donc la lumière de la vie (8,12) et sa
nouvelle vie est présentée en 10,1-21.
Le deuxième volet (10,1-21) décrit la relation entre Jésus et ses
disciples à travers les métaphores du bon pasteur et des brebis. Les brebis,
dans la péricope 10,1-21, peuvent faire allusion au peuple de Dieu (10,8), les
hommes (10,16) ou en particulier les disciples de Jésus. Il y a un
développement du contenu de la métaphore des brebis. En effet, les brebis
du Seigneur Yahvé (Ez 34,11-12) deviennent maintenant les brebis de Jésus (Jn 10,11-18)
puisque ce dernier est l’unique pasteur qui prend soin de ses brebis, selon le
commandement qu’il a reçu de Dieu, son Père (10,18c). De plus, les brebis de
Jésus en 10,16 possèdent une dimension universelle dans laquelle s’inscrit la
mission de Jésus de rassembler toutes ses brebis en un seul troupeau et ayant un
seul pasteur. Devenir la brebis de Jésus ne se fait pas une fois pour toute.
Elle doit entendre la voix du bon pasteur pour le suivre dans chaque moment de
sa vie puisque cette écoute concerne la vie, la mort, le salut et la perte de
chacune des brebis.
Du thème « voir la lumière du monde » de l’ancien aveugle-né au
thème « entendre la voix du pasteur », la section 9,1–10,21 présente un
véritable cheminement dans la foi (pour les croyants) et vers la foi en Jésus (pour
les croyants à venir). Cette manière de voir et d’entendre exige un
discernement, une décision, un engagement, une connaissance et une communion
permanente avec celui qui se fait voir (la lumière véritable) et se fait
entendre (la voix du pasteur)./.
Source : http://leminhthongtinmunggioan.blogspot.co.il/2017/12/jn-911021-le-cheminement-de-voir-et.html
Bibliographie
BOISMARD, M.-E., COTHENET, E., La tradition johannique, vol. 4, (Introduction à la Bible, édition nouvelle, t. III : Introduction critique au Nouveau Testament, A. GEORGE et P. GRELOT, Dir.), Paris, Desclée, 1977, 328 p.
L’éPLATTENIER,
C., L’évangile de Jean, Genève, Labor
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LÉON-DUFOUR, Xavier, Lecture de l’Évangile
selon Jean, t. II : chapitres 5–12, (Parole de Dieu), Paris,
Le Seuil, 1990.
ZUMSTEIN, Jean, L’Évangile selon saint
Jean (1–12), (CNT IVa, deuxième série), Genève, Labor et Fides, 2014,
423 p.
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