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Le 21 décembre 2017
Contenu
Introduction
I. Le contexte et la structure de 15,18–16,4a
II. Les causes de la haine
1.
Ne pas être du monde (15,19b)
2.
Être choisi par Jésus (15,19c)
3.
L’identification entre les disciples, Jésus et le Père
4.
La méconnaissance du monde (15,21 ; 16,3)
5.
« Ils m’ont haï sans raison »
(15,25b)
III. La
manifestation de la haine et le péché du monde
1.
La mise à mort des croyants (16,2b)
2.
Le péché inexcusable du monde hostile (15,22-25)
IV. Les disciples face à la haine du monde
1.
Le témoignage des disciples (15,27)
2.
« Ne soyez pas scandalisés » (16,1b)
Conclusion
Bibliographie
Introduction
Dans l’article : « Le monde (kosmos) dans
l’Évangile de Jean », nous avons distingué « le
monde hostile » des autres sens du terme « monde ». Le monde qui
hait Jésus et ses disciples (15,18-19) n’a pas le même sens que le monde en
général, ni celui de l’humanité. Les caractéristiques de ce monde sont présentées
dans l’article : « Six caractéristiques “du monde
hostile” et “des adversaires de Jésus” dans l’Évangile de Jean », à savoir (1) haïr Jésus,
ses disciples et le Père ; (2) appartenir au Prince de ce monde et au
diable ; (3) ne pas connaître le Père et Jésus ; (4) ne pas croire en
Jésus ; (5) avoir le péché ; et (6) être invités à croire et à
connaître Jésus. Dans cet article, nous analysons la haine du monde dans la
péricope 15,18–16,4a, en quatre parties : (I) Le contexte et la structure
de 15,18–16,4a ; (II) les causes de la haine ; (III) La manifestation
de la haine et le péché du monde ; (IV) les disciples face à la haine du
monde.
Nous avons exposé le contexte et la structure de 15,18–16,4a dans
l’article : « Le contexte et la structure de
Jn 15,1-17 et 15,18–16,4a. » Ici, nous observons d’abord (1) l’utilisation des verbes « miseô » (haïr) et « diôkô » (persécuter) ; ensuite
nous présentons brièvement (2) le contexte et la structure de la péricope
15,18–16,4a et de l’unité 15,18-21.
(1) Le quatrième Évangile n’emploie pas le substantif « la
haine ». Ce terme employé dans cet article se réfère au verbe « miseô » (haïr) qui apparaît en
douze occurrences (3,20 ; 7,7a.7b ; 12,25 ;
15,18a.18b.19.23a.23b.24.25 ; 17,14) dont sept fois dans la péricope 15,18–16,4a.
La haine est l’un des thèmes principaux de la péricope 15,18–16,4a. Le monde
hait Jésus (15,18.23.24.25), le Père (15,23.25) et les disciples (15,18.19). Les
acteurs du verbe « haïr » ne sont pas toujours les mêmes. Excepté en
12,25 où Jésus parle de « haïr sa vie » pour la garder en vie
éternelle, tous les autres sujets de « miseô »
concernent le groupe opposé à Jésus. Le sujet de ce verbe en 3,20 est « pas » (quiconque) exprimant une
vérité en général. Si nous ne comptons pas la parole de Jésus en 15,23 (2 fois
du verbe « miseô ») qui a, elle
aussi, une portée générale et la citation de l’Écriture en 15,25, il reste sept
occurrences qui désignent la haine du monde, lesquelles se trouvent en 7,7 (2 fois) ;
15,18-25 (4 fois) ; 17,14 (1 fois).
Comme le verbe « miseô »,
l’Évangile n’emploie que le verbe « diôkô »
(persécuter) et non le substantif « la persécution ». Ce verbe
apparaît en trois occurrences (5,16 ; 15,20a.20b). Après le signe de la
guérison d’un infirme à la piscine de Bethzatha (5,1-9), le narrateur rapporte
en 5,16 : « C’est pourquoi les Juifs persécutaient Jésus : parce
qu’il faisait ces choses-là le jour du sabbat. » En 15,20, Jésus dit aux
disciples : « Rappelez-vous la parole que je vous ai dite : Le
serviteur n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, vous
aussi ils vous persécuteront ; s’ils ont gardé ma parole, la vôtre aussi
ils la garderont. » Ainsi la persécution par le monde hostile renvoie à la
persécution par les Juifs durant la mission de Jésus. Il s’agit de la
manifestation de haine envers Jésus et ses disciples.
(2) Les ch. 13–17 se structure en trois sections (ch. 13–14 ;
ch. 15–16 ; ch. 17). Les trois péricopes des ch. 15–16 (15,1-17 ;
15,18–16,4a ; 16,4b-33) renvoient l’une à l’autre. Il s’agit de la
relation interne et externe de la communauté des disciples. Dans la péricope 15,18–16,4a,
Jésus révèle la situation des disciples en dehors du cercle de la communauté. Les
disciples font face à la haine et à la persécution du monde. Cette péricope est
bien délimitée : il y a un changement de sujet au début (entre 15,17 et
15,18) et à la fin (entre 16,4a et 16,4b). Pour la première fois dans les
discours d’adieux (ch. 13–17), le verbe « haïr » apparaît en
15,18 : « Si le monde vous hait, sachez que moi, il m’a pris en haine
avant vous », dit Jésus aux disciples. À la fin de la péricope, le verset
16,4a conclut ce qui précède et le verset 16,4b introduit une nouvelle péricope
(16,4b-33). La péricope 15,18–16,4a se structure en parallèle avec l’élément (D)
au centre, comme suit :
Le parallèle A et A’ montre que les disciples sont haïs et persécutés
par le monde hostile ; la situation présente (A) renvoie à l’avenir (A’).
Les éléments B et B’ montrent la méconnaissance des persécuteurs. En même
temps, le monde hostile est responsable de ses actes. Jésus dévoile son péché,
et sa haine envers son Père et lui-même, en 15,22-25 (C) ; les
persécuteurs vont passer à l’acte en 16,4a (C’). L’unité centrale en 15,26-27
(D) est importante pour l’ensemble de la péricope. Jésus promet la venue
du Paraclet et son témoignage pour que les disciples ne soient pas scandalisés
(16,1) face à la haine. Au cœur de la haine et de la persécution, les
disciples sont invités à témoigner en faveur de Jésus avec l’aide du Paraclet,
l’Esprit de vérité. Les thèmes de la péricope (la haine, la persécution,
l’appartenance, le choix, le péché, le témoignage, le scandale) sont liés entre
eux.
Les éléments A (15,18-20) et B (15,21) forment une unité littéraire structurée
en parallèle (A, B, C, D, A’, B’, C’) :
L’élément au centre de la structure (D. v.20a.b) présente le thème de
l’identification entre Jésus et ses disciples que nous étudierons dans la
suite. Les parallèles (A. v.18 // A’. v.20a et B. v.19a.b // B’. v.20d)
commencent par une phrase au conditionnel « si » (ei). « Haïr » (A) est en
parallèle avec « persécuter » (A’) ; « garder la
parole » (B’) est conditionné par « ne pas être du monde » (B).
Le parallèle C et C’ montre les causes de l’hostilité du monde : le choix
de Jésus (C) et la méconnaissance du monde (C’). Cette structure nous aide à étudier
les causes de la haine.
Nous avons remarqué que la plupart des occurrences du verbe
« haïr » (miseô), sept sur
onze, se retrouve dans la péricope 15,18–16,4a. Cette haine atteint Jésus, ses
disciples et le Père. Les explications sur le pourquoi de la haine du monde
dans cette péricope sont nombreuses. Nous présentons les cinq causes de la
haine : (1) les disciples ne sont pas du monde (15,19b) ; (2) être
choisi par Jésus (15,19c) ; (3) l’identification entre les disciples,
Jésus et le Père ; (4) la méconnaissance du monde (15,21 ;
16,3) ; (5) cette haine est écrite dans « leur Loi » :
« Ils m’ont haï sans raison » (15,25b).
Jésus explique la raison pour laquelle le monde hait les disciples en
15,19. Nous examinons d’abord (1) la structure de 15,18-19 ; ensuite (2) l’expression
« ek tou kosmou » (du
monde) ; et enfin (3) nous évoquons quelques interprétations discutables
avant de proposer la nôtre.
(1) Les versets 15,18-19 introduisent les thèmes : « haïr »,
« aimer », « être de » et « choisir ». Ces
versets se structurent en chiasme A, B, A’ comme suit :
Le v.19 commence par un « si » (ei) suivi du verbe être à l’imparfait « étiez » (ète) indiquant une condition irréelle
(15,19a). Tandis que la situation réelle est « le monde vous
hait » (15,19d) où le verbe « miseô »
(haïr) est au
présent de l’indicatif (misei). Après la condition irréelle (15,19a), une explication est introduite par une
conjonction causale « parce que » (hoti), suivie d’une conjonction « mais » (de) exprimant une antithèse (15,19b).
On se demande si le v.19c explique le v.19b ou le v.19a. La conjonction
« alla » (v.19c) liant une
proposition négative à une proposition affirmative exprime une opposition. Mais
il n’y a pas d’opposition entre 15,19b et 15,19c. La conjonction « alla » introduit donc la deuxième
explication de 15,19a. En effet, le terme « hoti » au début du v.19b annonce une série d’explications :
l’une commence par « de » (mais)
et l’autre commence par « alla »
(puisque). Ces deux explications s’opposent à l’irréel en 15,19a :
« Si vous étiez du monde ». Le v.19c est donc la deuxième explication
du v.19a et non une précision du v.19b. Cette remarque permet de trouver la
première raison de la haine : « ne pas être du monde » (15,19b),
et la deuxième étant le choix de Jésus (15,19c).
(2) L’expression grecque « ek
tou kosmou » (du monde) est ambigüe. Dans les six occurrences du terme
« monde » (kosmos) en
15,18-19, le monde est le sujet des verbes « haïr » (deux fois :
15,18a.18b) et « aimer (phileô) »
(une fois : 15,19a). Les trois autres occurrences se retrouvent dans
l’expression « ek tou kosmou »
(du monde) en 15,19a.19b.19c. L’ambiguïté se produit dans le fait que si Jésus
a tiré les disciples « du monde » cela implique qu’ils étaient
« du monde » auparavant. Cette idée ne correspond pas avec 15,19a.b
puisque les disciples ne sont jamais du monde hostile.
Pour éviter le malentendu, certains manuscrits grecs précisent
davantage la locution « ne pas du monde » (ek tou kosmou ouk) en 15,19b, par exemple, « ne pas de celui-ci »
(ouk ek toutou) attestée dans le
manuscrit P66c ; ou « ne pas de ce monde ci » (ouk ek toutou tou kosmou), attestée dans
le manuscrit P66*. Le pronom démonstratif génitif
masculin « toutou » (celui-ci),
ajouté dans les variantes citées, renvoie au monde qui le précède, c’est le monde
qui « aimerait son propre bien » (15,19a) et qui hait Jésus et ses
disciples (15,18). Le terme « monde » en 15,19b.19c risque
d’entraîner confusion et malentendu d’où les variantes pour préciser le sens.
Nous sommes en désaccord avec C.H. Dodd, L’interprétation, p.
520-521 et X. Léon-Dufour, Lecture de
l’Évangile, t. III, p. 188-189. Ces auteurs ont fait le rapprochement de l’expression
« ek tou kosmou » (du
monde) entre 15,19 et 8,23. Cependant, il ne s’agit pas du même « monde »
dans ces deux versets. En effet, Jésus dit aux Juifs en 8,23 : « Vous,
c’est d’en bas que vous êtes ; moi, c’est d’en haut que je suis. Vous,
c’est de ce monde (humeis ek toutou tou
kosmou) que vous êtes ; moi, je ne suis pas de ce monde (egô ouk eimi ek toutou tou kosmou). » Il s’agit d’être ou de ne pas être de
ce monde-ci par rapport à un autre monde. Le parallèle s’opère, d’une part,
entre « être de ce monde-ci » et « ne pas être de ce monde-ci » ;
et d’autre part, entre « être d’en bas » et « être d’en
haut ». C’est une comparaison du statut de Jésus et celui des Juifs. La
situation en 8,23 n’est donc pas celle des disciples face au monde hostile en
15,18-19. De ce fait, le rapprochement de l’expression « ek tou kosmou » en 15,19 et en 8,23
par C.H. Dodd et X. Léon-Dufour ne se justifie guère. Dans ces versets (8,23 ;
15,19), le contexte n’est pas le même et le sens du terme « monde » est
différent.
Pour rendre intelligible trois occurrences de l’expression « ek tou kosmou » (du monde) en 15,19a.19b.19c,
il faut tenir compte des divers sens de la préposition « ek » (de) et du terme « kosmos » (monde). En effet, la
préposition « ek » a deux
sens principaux : le premier exprime une origine, un état, une situation,
une appartenance. L’expression « ek
tou kosmou » en 15,19a.19b veut dire du monde, appartenir au monde. Le
deuxième a le sens local : « venant de », « sortant
de » ; il marque une séparation, « ek tou kosmou » en 15,19c veut dire « du milieu du
monde ». Cette distinction se complète par les divers sens du monde (cf. l’article « le monde »).
Si le « monde » en 15,19 désigne,
soit le monde hostile, soit le monde-humanité, l’expression « ek tou kosmou »,
utilisée trois fois, en 15,19, est logique.
En effet, « le monde » en 15,18.19a.19b est « le monde
hostile » qui hait Jésus, ses disciples et aime son propre bien. Les disciples
ne sont pas de ce monde. Par contre, le terme « monde » en 15,19c a
le sens de « monde-humanité » dans lequel Jésus a choisi les disciples.
Ainsi, « le monde hostile » renvoie aux adversaires de Jésus ; quant au « monde-humanité », il représente
tout homme. Jésus a choisi les disciples dans le monde-humanité. Ces derniers ne
sont jamais du monde hostile ; la condition irréelle en 15,19a l’indique.
Dans l’Évangile, la locution être « du monde (ek tou kosmou) » au sens de être « du monde
hostile » renvoie à être « du Mauvais » (ek tou ponèrou) » (17,15b) et « du diable (tou diabolou) » (8,44a). La
non-appartenance des disciples au monde hostile évoque la haine de ce monde. Une
autre raison de la haine est le choix de Jésus (15,19c).
La structure de 15,19 plus haut exige de lire ensemble 15,19c :
« puisque mon choix vous a tirés du monde » et 15,19d : « pour
cette raison, le monde vous hait. » La tournure « pour cette
raison » (dia touto) lie ces
deux phrases. La traduction de la BiJér,
2000, ci-dessus s’éloigne du texte grec, qui est littéralement :
« puisque moi (all’
egô), je vous ai choisi (exelexamèn humas) du
milieu du monde (ek
tou kosmou), pour cela
(dia touto), le monde vous hait (misei humas ho kosmos) » (15,19c.d). Jésus est le sujet du verbe « eklegomai » (choisir). C’est le
choix de Jésus qui est en jeu. Une observation de ce thème dans l’Évangile aide à comprendre 15,19c.
Le verbe « eklegomai » (choisir) apparaît en cinq occurrences
(6,70 ; 13,18 ; 15,16a.16b.19) dans lesquelles Jésus est toujours le sujet du verbe. Ce dernier parle
aux disciples de leur statut en 15,16a : « Ce n’est pas vous qui
m’avez choisi ; mais c’est moi qui vous ai choisis et vous ai établis pour
que vous alliez et portiez du fruit et que votre fruit demeure. » Le verbe
« eklegomai » en 6,70 ; 13,18 se retrouve dans le contexte où Jésus parle de celui
qui va le livrer, Judas Iscariote. Les deux occurrences du verbe en 15,16a.16b
apparaissent après l’affirmation de Jésus sur l’amour le plus grand :
déposer sa vie pour ses amis (15,13). En 15,19, « eklegomai » revient après l’annonce de la haine du monde (15,18). Ainsi, Jésus parle
de son choix en employant le verbe « eklegomai » dans un contexte de crise, à la fois interne de la communauté des
disciples : l’action de Judas (6,70 ; 13,18), le départ imminent du
maître (15,16a.16b) ; et externe : la haine et la persécution du
monde (15,19).
Cette sélection ne doit pas être comprise comme une préférence (choisir
ceux-ci et non pas ceux-là). Si Dieu aime l’humanité (3,16), l’amour de Dieu
est pour tous. Jésus invite tout homme à venir à lui pour devenir son disciple.
En même temps, le thème du choix exprime la théologie de l’Évangile. D’abord
Jésus dévoile la profondeur de la situation des disciples. Certes, le fait de
croire en Jésus est une décision personnelle, en même temps, le don de Dieu est
antérieur (6,44a). Ce n’est pas par sa propre force que l’homme parvient à croire
en Jésus. Pour devenir disciple, le choix de Jésus est primordial (15,16a).
Ensuite, cette sélection est à la fois la cause de la haine du monde (15,19d)
et l’affirmation de l’autorité et du pouvoir du maître. En un sens, si le monde
hait les disciples à cause du nom de Jésus (15,21), ce dernier assume la responsabilité
de la haine du monde envers ses disciples. En réalité le monde hait et
persécute Jésus à travers ses disciples. En un autre sens, le choix de Jésus manifeste
son pouvoir de protéger les siens. L’insistance du sujet en 15,19c :
« Moi (egô), je vous ai
choisis » confirme cette interprétation.
La troisième raison de la haine est
l’identification entre Jésus et ses disciples et entre Jésus et son Père. Ce thème s’exprime à travers plusieurs sujets : haïr (15,18.23), persécuter
(15,20a) et garder la parole (15,20b). Nous examinons d’abord (1) le verbe
« haïr » et la préposition « avant » en 15,18 ;
ensuite, (2) l’identification entre Jésus, les disciples et le monde ; et
enfin, (3) l’identification entre Jésus et le Père (15,23).
(1) Jésus dit à ses disciples en 15,18 : « Si le monde vous
hait (ei ho kosmos humas misei),
sachez que moi, il m’a pris en haine avant vous. » La BiJér, 2000, traduit le verbe « haïr » en 15,18b par
« prendre en haine », littéralement : « Moi, il m’a haï
avant vous (eme prôton humôn memisèken) ».
Le thème de l’identification joue sur le temps du verbe « miseô » (haïr). Ce verbe est
conjugué au temps présent (misei) pour
les disciples (15,18a) et au parfait (memisèhen)
pour Jésus (15,18b).
Le temps présent exprime la durée qui a une valeur permanente ou de répétition.
Il peut faire allusion à la situation de la communauté johannique. Le narrateur
rapporte la révélation de Jésus pour que le lecteur de la communauté ne
succombe pas à l’épreuve. C’est à cause de Jésus, à cause de son Nom (15,21a) que
la haine se déchaîne. Le présent du verbe « haïr » en 15,18a
n’est pas seulement un présent historique qui rend le récit plus vivant, mais
il exprime aussi la durée d’une situation. « Le monde vous hait »
(15,18a) est une réalité qui persiste au cours des siècles.
La haine que subissent les disciples est postérieure à celle subie par Jésus,
puisque « Moi, il m’a haï avant (prôtos) vous »
(15,18b), dit-il. La préposition « prôtos »
exprime ce qui est avant, le premier dans une série. Jésus est le premier qui a
éprouvé la haine du monde. Le verbe « haïr » au parfait (memisèken) exprime le résultat actuel et
durable d’une action. La haine du monde envers les disciples trouve donc son
origine dans sa haine envers Jésus. Ce ne sont pas les disciples mais c’est
Jésus demeurant dans les disciples que le monde hait. Ainsi, le sort de Jésus
et celui des disciples sont inséparables.
(2) Le processus de l’identification s’opère sur plusieurs
acteurs : le monde, Jésus et les disciples. Le monde d’abord, s’il hait
les disciples, il identifie Jésus à ses disciples. Haïr Jésus et haïr ses
disciples vont de pair, l’un implique l’autre. La haine envers les disciples
vise explicitement leur maître. Jésus ensuite s’identifie avec ses disciples. Il
a choisi les disciples et il les rejoint dans leurs épreuves. C’est une
identification protectrice et efficace puisque le maître demeure avec et dans
les disciples. Vient enfin l’identification entre les disciples et Jésus. C’est
avec Jésus que les disciples affrontent la haine. Ils ne sont jamais seuls face
à l’hostilité du monde. Jésus, le vainqueur du monde (16,33c), demeure en eux.
Un seul moyen pour surmonter la crise est donc de demeurer en lui, en son amour
(15,1-11) et dans sa parole (8,31). En s’unissant à Jésus, comme les sarments
sur la vigne, les disciples puisent la force et le courage pour tenir ferme leur
foi.
(3) Quant à l’identification entre Jésus et le Père, elle figure dans
les affirmations de Jésus en 15,23 et 15,24d. Le parallèle entre 15,22-23 et
15,24-25 est explicite sur les thèmes : la mission, le péché et la
haine :
La haine (D//D’) est mentionnée après la révélation du péché du monde
(B//B’). L’hostilité du monde est donc liée au péché. Le refus d’écouter les
paroles de Jésus et de voir ses œuvres pour reconnaître en lui l’envoyé du Père
est un péché inexcusable (15,22c). Nous étudierons davantage ce péché par la
suite ; pour l’instant retenons que ce péché conduit à la haine. La parole
en 15,23 exprime le principe d’identification. Dans l’Évangile, la relation
entre Jésus et son Père est dévoilée de manière inédite. Jésus déclare :
« Moi et le Père nous sommes un » (10,30 ; cf. 17,22b) et
« le Père est en moi et moi dans le Père » (10,38 ; cf.
14,10-11). Que la haine du monde envers Jésus éclabousse le Père n’est donc pas
étonnante.
L’indentification entre Jésus et le Père a une portée théologique. En
un sens, si le monde hait Jésus, il hait Dieu lui-même. Cette accusation montre
la gravité de la haine du monde. Les persécuteurs prétendent servir Dieu
(16,2), mais en réalité ils le haïssent et se dressent contre lui. En un autre
sens, si le monde hait le Père, le Dieu auquel il croit rendre un culte (16,2)
n’est pas le vrai Dieu. Cette révélation rassure les disciples dont la foi en
Dieu est remise en cause. L’identification entre Jésus et le Père exclut donc l’amalgame
entre le Dieu des persécuteurs et le Dieu des disciples.
L’identification dans l’Évangile doit se comprendre dans le sens de
communion de vie et non pas de fusion. Elle se différencie de l’identification,
dans le domaine psychologique, selon laquelle s’identifier avec un autre peut
conduire à la perte de son identité, au sentiment de fusion, ce qui est signe d’une
pathologie. Au contraire, le « moi » de Jésus, le « vous »
désignant les disciples et l’appellation « mon Père » par Jésus en
15,18–16,4a affirment la place de chacun dans une relation interpersonnelle.
En résumé, Jésus s’identifie à ses disciples pour les protéger et à son
Père pour assurer la foi des disciples en Dieu. Le monde hostile identifie Jésus
aux siens. Le thème de l’identification ayant une valeur christologique et
théologique dévoile la relation des plusieurs personnages : le monde, Jésus,
les disciples, le Père.
La quatrième cause de la haine est la méconnaissance du monde
hostile (15,21 ; 16,3). Il s’agit d’une caractéristique propre à tous ceux
qui refusent de croire en Jésus, (cf. article : « Six caractéristiques du monde
hostile »). Nous étudions ce thème en quatre
points : (1) le parallèle entre 51,21 et 16,2 ; (2) le sens des
verbes « oida » et
« ginôskô » (savoir, connaître) ; (3) ne pas connaître le Père conduit à ne
pas connaître Jésus ; (4) la relation entre le péché inexcusable et la
méconnaissance.
(1) Par deux fois (15,21 et 16,3), la méconnaissance du monde est
mentionnée après l’annonce de la persécution. Ces deux versets sont en
parallèle (A, B, A’, B’) :
Le terme « tauta »
(cela) en 15,21 renvoie à la haine et à la persécution (15,18-20) et celui en
16,3 renvoie à l’exclusion de la synagogue et à la mise à mort des disciples (16,2).
Ces deux occurrences de « tauta »
résument donc l’annonce et la manifestation de la haine et de la persécution en 15,18–16,4a. Le verbe « faire » (poieô) au futur de l’indicatif (poièsousin), en 15,21a ; 16,3a, dévoile la persécution en acte :
« Ils le feront… » La raison pour laquelle le monde hait Jésus et ses
disciples jusqu’à les mettre à mort est qu’il ne connaît pas celui qui a envoyé
Jésus (15,21b) et ne reconnaît ni le Père ni Jésus (16,3b).
(2) Les verbes « oida »
(15,21b) et « ginôskô » (16,3b)
qui signifient connaître, reconnaître, savoir, peuvent-ils avoir des nuances ?
La BiJér, 2000, traduit ces deux
verbes dans son contexte, comme suit : le verbe « oida » est traduit par
« connaître » en 15,21b…, « savoir » en 15,15a… ; et le
verbe « ginôskô » par
« savoir » en 15,18b…, « connaître » en 17,3…, « reconnaître »
en 16,3b…, « comprendre » en 16,19…, « apprendre » en 12,9a…
P.-M. Jerumanis, Réaliser
la communion, n. 181, p. 147, résume trois
opinions sur le sens des verbes « oida »
et « ginôskô » : (1) maintenir la distinction entre ces deux
verbes (I. de La Potterie) ; (2)
considérer que ces deux verbes sont en général interchangeables et synonymes
(J. Gaffney ; K.J. Carl) ; (3) estimer qu’il y a une nuance mais ce
n’est pas une distinction nette (R.E. Brown, The Gospel, I, p. 514). Pour
nous, ces deux verbes ont à la fois des nuances différentes et des
complémentarités que nous justifions ci-dessous.
Le verbe « oida » a
la racine « id- » qui veut
dire « voir » (horaô) ;
« oida » exprime ainsi l’idée
d’une connaissance acquise par la capacité de raisonnement intellectuelle.
Cette capacité est possédée par le monde, mais elle est aveuglée par l’amour
pour les ténèbres (3,19b) et l’appartenance au diable (8,44a). Quant au verbe « ginôskô », le suffixe « skô- » est une forme à redoublement
au sens de répétition qui exprime l’idée d’apprentissage aboutissant à un
résultat, à la fin d’un processus ; « ginôskô » a donc le sens d’apprendre à connaître. Pour le
monde hostile, l’aboutissement de cet apprentissage est un échec : il ne
parvient pas à connaître Jésus. Dans l’usage biblique, le verbe « ginôskô » signifie une communion
intime, une relation interpersonnelle profonde. Jésus parle ainsi de sa
relation avec ses brebis et son Père en 10,14-15a : « 14 Moi, je suis
le bon pasteur ; je connais (ginôskô)
mes brebis et mes brebis me connaissent (ginôskousi),
15a comme le Père me connaît (ginôskei)
et que je connais (ginôskô) le Père. »
En 16,3b, « ne pas connaître (ginôskô)
le Père » renvoie à « ne pas connaître Dieu » présenté tout au
long de la Bible. Dans ce sens, le monde hostile n’arrive pas à entrer dans la
relation avec Dieu. La haine et l’hostilité du monde font allusion donc à
l’infidélité qui a jalonné l’histoire d’Israël. Les sens des verbes « oida » en 15,21b et « ginôskô » en 16,3b expriment donc les
divers aspects de la connaissance.
Le temps de ces verbes en 15,21b ; 16,3b est signifiant. L’indicatif
parfait « oidasin » du
verbe « oida » en 15,21b exprime
le résultat actuel d’une action du passé. La méconnaissance renvoie donc au
refus du monde devant les paroles et les œuvres de Jésus au cours de sa mission.
Ce temps du parfait exprime aussi la permanence des effets de cette action dans
le présent ; la méconnaissance du monde persiste dans l’histoire. Quant à
l’aoriste de l’indicatif « egnôsan »
du verbe « ginôskô » en
16,3b, ce temps exprime un fait du passé. Cette ignorance précède donc les
actes de persécution. Selon la nuance entre ces deux verbes, le monde ne sait
ni ne connaît le Père et Jésus. La négation « ouk » (ne pas) des verbes « oida » (15,21b) et « ginôskô »
(16,3b) décrit une méconnaissance totale de la part du monde. Il en est de même
au cours de la mission de Jésus où la méconnaissance de ses adversaires est exprimée
aussi par ces deux verbes : la négation de « ginôskô » en 8,55a : « Vous ne le [le Père] connaissez
(ouk egnôkate) pas », dit Jésus
aux Juifs ; la négation de « oida »
en 7,28d, Jésus déclare à la foule : « celui qui m’a envoyé est véridique. Vous, vous ne le connaissez (ouk oidate) pas. »
Quant à Jésus, sa connaissance est présentée par l’affirmation des deux
verbes « oida » et « ginôskô ». Jésus dit aux Juifs en
8,55b : « Moi, je le [le Père] connais (oida). » Dans un contexte de débat, l’aspect du raisonnement
et du savoir est mis en relief par le verbe « oida ». En 10,15a (cité plus haut), la communion réciproque
entre Jésus et le Père est exprimée par le verbe « ginôskô ». De ce fait, Jésus possède une connaissance parfaite
du Père.
(3) La méconnaissance du monde hostile concerne d’abord le Père. Ce
dernier est reconnu en 15,21b par le titre de celui qui a envoyé Jésus ; et
en 16,3b, le Père est mentionné avant Jésus. Ainsi, « ne pas connaître le
Père » conduit à « ne pas connaître Jésus ». La méconnaissance
du monde dans la péricope 15,18–16,4a renvoie à la méconnaissance des Juifs en
8,31-47 sur Dieu le Père. En effet, les Juifs sont incapables d’écouter la
parole de Jésus (8,43), car ils prétendent avoir pour père Dieu (8,41b), mais
en réalité ils ne le connaissent pas. En cherchant à tuer Jésus (8,37b.40a),
les Juifs font les œuvres de leur père le diable (cf. 8,41a.44a) ; ils ne
sont plus de Dieu (8,47b). Quant au monde hostile en 15,21 ; 16,3, il ne connaît pas le vrai Dieu puisqu’il pense rendre un culte à leur Dieu en faisant
mourir les disciples de Jésus (16,2b). À cause de cette méconnaissance fondamentale,
les Juifs et le monde hostile ne connaissent pas non plus Jésus. Pour le dire
avec les mots de M.-é.
Boismard et A. Lamouille, Synopse, t. III, p. 378 : « Étant mal disposés envers
Dieu, il leur est impossible de bien recevoir son envoyé ». Ne pas
connaître le Père précède donc ne pas connaître Jésus.
Cependant, avec la présence de celui que le Père a envoyé dans le
monde, le processus de connaître le Père est de commencer par connaître Jésus.
Ce dernier dévoile aux disciples en 14,7a : « Si vous me connaissez,
vous connaîtrez aussi mon Père. » Il en est de même pour les
Pharisiens, Jésus leur dit en 8,19b : « Vous ne connaissez ni moi ni
mon Père ; si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. »
Dans le contexte de la controverse sur le statut du témoignage (8,17-18), les
Pharisiens demandent à Jésus en 8,19a : « Où est ton
Père ? » S’ils ne connaissent pas Jésus, ils ne connaissent pas non
plus le Père. Ne pas connaître Jésus conduit à ne pas connaître le Père. Apprendre
à connaître est un cheminement qui implique une capacité d’entendre la parole
de Jésus. Il est indispensable de croire en Jésus pour le connaître et donc de connaître
le Père. En tant qu’envoyé du Père, Jésus conduit ses disciples vers une véritable
connaissance du Père (14,7a).
(4) Quant au lien entre le péché inexcusable (15,22.24a) et l’ignorance
de la part du monde hostile (15,21b ; 16,3b), quel rapport y a-t-il entre eux ?
Nous ne pouvons pas souscrire aux opinions d’Y. Simoens et d’H. van den
Bussche. Pour Y. Simoens, Selon Jean, t.
3, p. 644 : « Le péché, dénoncé sans complaisance, est excusé pour
ignorance. » Or, Jésus dénonce avec fermeté le péché du monde qui est sans
excuse. Le péché n’est donc pas excusé pour faute d’ignorance. Dans une autre
perspective, H. van den Bussche, Jean,
p. 433, considère que la haine envers le Fils « est l’effet d’une
méconnaissance du Père, laquelle ne bénéficie aux yeux de Jean d’aucune
circonstance atténuante, car elle est l’essence même du péché. » L’expression
« l’essence même du péché » est problématique. Si la méconnaissance
était l’essence du péché, le monde hostile serait enfermé dans sa condition
pécheresse. Le propos de H. van den Bussche laisse de côté l’idée que ce monde,
qui a méconnu le Père, est tout de même invité à le croire et à le connaître (cf.
17,21.23). Ces deux opinions ne correspondent donc pas à la pédagogie de l’Évangile
selon laquelle le péché du monde est inexcusable, en même temps une ouverture
est laissée pour la conversion.
À notre avis, l’affirmation conjointe du péché inexcusable et de la
méconnaissance, dans une situation concrète, demeure un paradoxe. Cependant, nous
pouvons interpréter que le péché inexcusable du monde est de l’ordre de
l’agir : refuser Jésus. Tandis que la méconnaissance est de l’ordre du
savoir aveuglé, cet aveuglement conduit à la haine et à la persécution. L’ignorance
n’excuse pas le péché, en même temps elle n’enferme pas non plus dans le péché.
La méconnaissance du monde n’exclut pas la responsabilité personnelle face au
message de Jésus. Cependant, cette ignorance n’est pas un jugement ou une accusation, mais une vérité
profonde sur le monde que Jésus révèle aux disciples en vue de les encourager et les réconforter. Le
fait de mettre ensemble « le péché inexcusable » et « la méconnaissance »
accorde une ouverture (a) pour Jésus et le monde et (b) pour les disciples.
(a) L’ouverture pour Jésus et le monde d’abord, du fait de la
méconnaissance du monde, une relation entre ce dernier et Jésus reste possible.
Tant que les adversaires de Jésus ne sont pas sortis de leur erreur et de leur
méconnaissance, Jésus continue à les enseigner et à les inviter à croire. En
disant que le monde ne connaît ni le Père ni lui-même, Jésus affirme son
autorité et sa souveraineté touchant à la révélation. La mission de Jésus est
de faire connaître (cf. 15,15 ; 17,26) le Père et lui-même à tous, y
compris le monde hostile. La révélation sur la méconnaissance du monde situe
Jésus dans une position dominante. Ce dernier n’enferme pas le monde hostile dans son péché inexcusable, une
vraie connaissance reste toujours possible pour ce monde (cf. 17,21.23).
(b) L’ouverture pour les disciples ensuite, il n’y a pas de rupture non
plus entre les croyants et le monde hostile. Seuls Jésus et ceux qui croient en
lui connaissent le Père (17,25). Si par ignorance, le monde hostile persécute
Jésus et ses disciples, la haine des croyants en retour est exclue puisqu’ils
connaissent le vrai Dieu. Les croyants répondent alors à la haine du monde par
l’amour. La mission des disciples consiste à faire en sorte que le monde
hostile puisse sortir de sa méconnaissance et parvenir à connaître Jésus et le
Père.
En résumé, le parallèle en 15,21b et en 16,3b met en relief le
thème de la méconnaissance. La négation des deux verbes « oida » (15,21b) et « ginôskô » (16,3) montre que la
méconnaissance du monde est totale. Les adversaires de Jésus sont dans l’erreur
sur leur père. Quatre points à retenir sur le lien entre le péché et le
non-savoir : (1) Ce lien reste un paradoxe ; (2) l’ignorance du monde
n’atténue pas son péché inexcusable, il doit assumer sa responsabilité ; (3)
la méconnaissance est une explication de la haine du monde envers Jésus et ses
disciples ; (4) ce thème présente une ouverture pour le monde (le
connaître est toujours possible) et pour Jésus et ses disciples (leur mission
est de faire connaître). La méconnaissance exprime donc la théologie de l’Évangile.
Nous en venons à la dernière explication
de la haine. Jésus dit aux disciples en 15,25 :
« Mais c’est pour que s’accomplisse la parole écrite dans leur Loi : Ils m’ont haï sans raison. » Nous
examinons trois points dans ce verset : (1) l’expression « leur
Loi » ; (2) la citation de 15,25b dans les Psaumes ; (3) la
locution « haïr sans raison ».
(1) La mention de « leur Loi » renvoie à la polémique entre
la communauté johannique et le Judaïsme en ce qui concerne l’Écriture. R.E.
Brown, La communauté du disciple, p.
44, a vu dans l’expression
« leur Loi » une prise de distance par les chrétiens : « Ce
Jésus qui dit les “Juifs” (13,33) et parle de ce qui est écrit dans “leur Loi” (15,25 ;
10,34 “votre Loi”) s’exprime à la façon du chrétien johannique pour qui la Loi
n’est plus la sienne, mais la marque d’une autre religion. »
Jésus a utilisé l’expression « votre Loi » (8,17 ;
10,34) pour parler aux Juifs au cours des controverses. En s’exprimant ainsi,
Jésus s’oppose à l’interprétation de l’écriture
par ses adversaires. Ironiquement, « leur Loi » se retourne
contre eux, puisque la citation (15,25b) explique la haine et accuse le monde. Les
renvois à l’Écriture dans l’Évangile sont abondants. Par exemple, la citation
du livre d’Isaïe en Jn 12,38-40 ; l’accomplissement de l’Écriture par la
Passion de Jésus (19,24.28.36.37) ; la trahison de Judas annoncée par
l’Écriture (13,18 ; 17,12). La vie et la mort de Jésus accomplissent alors
l’écriture.
(2) La citation « Ils m’ont
haï sans raison (emisèsan me dôrean) » (15,25b) renvoie au Ps 69(68),5a :
« Plus nombreux que les cheveux de ma tête, ceux qui me haïssent sans
cause (hoi misountes dôrean). » Selon le texte de la
Septante de ce psaume, le verbe « miseô »
(haïr) est au participe présent « misountes »
tandis qu’en Jn 15,25b, ce verbe est à l’indicatif de l’aoriste « emisèsan ». Cette différence
s’explique par l’influence du Ps 119(118),161a : « Des princes me
persécutent sans raison (archontes
katediôxan me dôrean) ». Dans ce verset le verbe « katadiôkô » (persécuter) est à
l’indicatif de l’aoriste « katediôxan ».
L’indicatif de l’aoriste du verbe « haïr » en Jn 15,25b renvoie à
l’indicatif de l’aoriste du verbe « persécuter » en Ps 119(118),161a.
Cette allusion est renforcée par le sujet du verbe en Ps
119(118),161a : « archontes »
(pluriel d’archôn) qui signifie les
chefs, les princes, les autorités. L’Évangile utilise le terme « archôn », dans 7 occurrences, pour
désigner « les notables » (3,1 ; 7,48 ; 12,42), « les
autorités » (7,26), et « le Prince de ce monde » (12,31 ;
14,30 ; 16,11). Ainsi, le sujet (les princes) et le verbe (persécuter) en
Ps 119(118),161a sont proches du contexte de Jn 15,18–16,4a. La citation en Jn
15,25b renvoyant aux deux Psaumes cités plus haut possède une valeur
apologétique : elle explique la haine du monde laquelle vient accomplir l’Écriture.
Les disciples ne devront donc pas être scandalisés (Jn 16,1) face à la haine et
la persécution.
(3) Dans la locution « haïr sans raison (dôrean) », l’adverbe « dôrean » signifie « sans raison », « sans
fondement », « gratuitement ». En 15,25b, « haïr sans
raison » souligne à la fois l’innocence des persécutés et le péché des persécuteurs.
À première vue, les adversaires de Jésus n’ont pas tort de s’opposer à lui. L’Évangile
rapporte la raison de l’hostilité des autorités juives. En effet, Jésus est accusé
en raison de ses déclarations sur son origine céleste (5,18 ; 6,38 ; 10,33b ;
19,7), sur son statut d’envoyé de Dieu (7,28-29) et sur sa relation intime avec
son Père (8,58 ; 10,30.38b). Les accusations de ses adversaires ne sont
pas infondées. En même temps, selon le style johannique les adversaires disent,
à leur insu, la vérité sur Jésus. Ce dernier est accusé de blasphème (10,33a) et
pourtant, Jésus est bien le Fils de Dieu au sens fort, il est descendu du ciel
et l’envoyé du Père (6,38).
L’arrière-fond de la polémique entre Jésus et ses adversaires fait allusion
au débat entre le Judaïsme et le Christianisme sur l’identité de Jésus. Le
débat est d’ordre théologique. La profession de Thomas devant Jésus ressuscité
en 20,28 : « Mon Seigneur et mon Dieu » est impensable pour le
Judaïsme. Le conflit doit être compris sous l’angle plus théologique
qu’éthique. En tous cas, cette haine est sans raison, puisque les opposants à
Jésus ne connaissent pas Dieu. L’allusion aux Psaumes en 15,25b joue donc une
double fonction. Pour le monde, la haine a été évoquée dans « leur
Loi », une haine sans fondement dans le passé et qui se déchaîne contre
Jésus et ses disciples. Cela explique son péché inexcusable. Pour les
disciples, le Ps 69(68), qui parle du Juste souffrant, explique la haine qu’ils
subissent comme une manifestation de leur fidélité à Jésus et à Dieu.
En résumé, trois raisons de la haine du monde concernent les disciples :
(1) ces derniers n’appartiennent jamais au monde hostile, (2) ils sont choisis
par Jésus et (3) sont identifiés avec leur maître. Une explication concerne le
monde : (4) la méconnaissance totale du monde en même temps ce monde est
invité à croire et à connaître. La dernière
cause (5) est une citation des Psaumes qui accuse le monde hostile et place les
disciples du côté des justes souffrants.
Pour comprendre la situation des
disciples, nous étudions les manifestations de la haine et le péché du monde hostile. D’après la structure de la péricope 15,18–16,4a, deux unités en
parallèle (A. 15,18-20 // A’. 16,1-2) parlent de la haine et de la persécution.
L’unité A est une explication ; l’unité A’ concrétise la haine et la persécution.
Nous abordons deux points dans cette partie : (1) la mise à mort des
croyants ; (2) le péché inexcusable du monde (15,22-25). Le thème de l’exclusion
de la synagogue (16,2a) sera traité dans un autre article.
Jésus dit aux disciples en 16,2b : « Bien plus, l’heure vient
où quiconque vous tuera pensera rendre un culte à Dieu. » Nous examinons cette
manifestation de la haine en commençant par (1) le thème de l’heure, puis (2) un
bref parcours historique sur la mort des croyants. Nous nous arrêterons ensuite
sur (3) la prétention des persécuteurs de rendre un culte à Dieu, ce qui sera
une difficulté majeure pour les disciples. Il s’agit du discernement entre le
Dieu des persécuteurs et le Dieu des persécutés.
(1) Dans l’Évangile, le thème de l’heure (hôra), qui se retrouve dans la parole de Jésus en 16,2b :
« Bien plus, l’heure vient (erchetai
hôra)… » a plusieurs sens. Par exemple, l’heure chiffrée (1,39 ;
4,6…), l’heure indiquant un moment (16,21.25), l’heure du jugement (5,25.28),
l’heure eschatologique (4,21.23), en particulier, l’heure de Jésus. La veille
de sa passion, son heure est venue (12,23 ; 13,1). L’heure de sa
passion est celle de sa glorification, de son élévation et de son retour auprès
de son Père. L’heure de Jésus est annoncée en 2,4 ; 7,30 ;
8,20 ; 12,23.27a.27b ; 13,1 ; 16,25.32 ; 17,1.
En 16,2b, il s’agit de l’heure des disciples. Tandis qu’en 16,4a, c’est
l’heure des persécuteurs : « Mais je vous ai dit cela, pour qu’une
fois leur heure (hè hôra autôn) venue,
vous vous rappeliez que je vous l’ai dit », dit Jésus aux disciples. M.-é. Boismard et A. Lamouille, Synopse, t. III, p. 373-374, proposent de supprimer le pronom
« autôn » (leur) puisqu’il
s’agirait d’une prolepse. Le texte serait : « lorsque viendra l’heure. »
Nous gardons le pronom « autôn »
(leur) attestée dans le manuscrit P66vid et retenu dans le texte de NTG-28th. Jésus a utilisé l’expression « l’heure vient » (4,21.23)
dans le dialogue avec la Samaritaine. C’est l’heure du salut (5,25.28). Ainsi,
la venue de l’heure en 16,2 est le moment où les disciples sont en communion
avec l’heure de Jésus dans sa souffrance mais aussi dans son exaltation et sa
glorification.
(2) Un bref parcours historique de la persécution au début du
Christianisme nous aide à situer l’annonce de Jésus en 16,2b. Cette violence
par motivation religieuse est attestée à l’époque. X. Léon-Dufour, Lecture de l’Évangile, t. III, p. 206,
remarque : « Un texte rabbinique, commentant l’épisode de Pinhas,
vengeur de Dieu dans le désert (Nb 25,6-13), dit : “Celui qui verse le
sang d’un impie est semblable à celui qui offre un sacrifice” (Nu R
21,4). » Quant à Paul de Tarse, il a avoué avoir persécuté l’Église de
Dieu en cherchant à la détruire en raison de son zèle débordant pour la
tradition des Pères (cf. Ga 1,13-14). Selon, P. Grelot, Les Juifs, p.
94 : « L’expression “rendre un culte à Dieu” est le propre des Juifs
qui croient en un Dieu unique. »
Après la rédaction de l’Évangile vers la fin du Ier siècle, il
existe des traces de la haine des Juifs envers les chrétiens. Il est probable
que l’intensité de ce conflit dépendait des régions et du temps. à Smyrne par exemple, le récit Le Martyre de Polycarpe, XIII, 1, écrit
par des témoins peu après l’événement vers l’an 156, raconte que les Juifs
préparaient le bûcher avec ardeur : « Les événements se
précipitèrent ; en moins de temps qu’il n’en fait pour le dire, ce fut une
ruée vers les ateliers et les bains où les gens ramassèrent bois et fagots. Les
Juifs surtout s’acquittaient de la besogne avec leur zèle accoutumé. » (Cf.
Les Pères
apostoliques, trad. de Fr. Quéré, p. 243). Justin Martyr, Dialogue avec le juif Tryphon, 133,4, renvoie
à Jn 15,18–16,4a : « Maintenant encore, en vérité, votre main est
levée pour accomplir le mal : car même après avoir tué le Christ, vous ne
vous repentez point pour autant, mais nous aussi, qui croyons par lui au Dieu
et Père de l’univers, vous nous haïssez et nous mettez à mort, chaque fois que
vous en avez le pouvoir ; et sans relâche, vous le maudissez, lui, et ses
disciples, tandis que nous prions pour vous et tous les hommes absolument,
ainsi que notre Christ et Seigneur nous a appris à le faire. » (Trad. du
grec par P. Bobichon, Justin martyr, vol.
I, p. 543-545).
Notons que ces dures paroles viennent des disciples de Jésus. Ces
traces de la persécution juive ont un caractère apologétique et il ne faut pas
la généraliser. En tous cas, l’annonce de 16,2b dans l’Évangile a sa place dans
l’ensemble du Nouveau Testament et dans la vie de l’Église. Jésus annonce le martyr
de Pierre en 21,18-19. L’acteur de la mise à mort des disciples en 16,2b est
« pas » (quiconque). Ce
pronom indéfini permet une actualisation permanente. La première victime de
cette persécution est Jésus lui-même (15,20). La persécution par les
« autorités juives » au cours de sa mission s’élargit donc à la
persécution par le « monde » envers ses disciples.
On peut y voir une allusion aux difficultés des chrétiens dans l’empire
romain. Pour F. Vouga, Le cadre
historique, p. 104, le verset 16,2b renvoie à la situation de la communauté
johannique en Asie Mineure et fait allusion à la persécution romaine :
« On ne voit pourtant pas comment, dans la diaspora – en Asie Mineure –
ceux-ci [les Juifs] auraient pu entreprendre réellement de telles actions
contre quiconque : c’est donc à des persécutions romaines que Jn 16/2 fait
allusion. » Cependant, il ne faut pas imaginer des persécutions
généralisées, systématiques en ce début du IIè siècle. En fait, l’Évangile
ne comporte pas de données permettant d’identifier le lieu et le temps de sa
rédaction et ne présente pas explicitement la persécution païenne ou romaine.
Cependant, l’utilisation du terme « monde » en 5,18–19 permet de
renvoyer à la situation des Chrétiens dans l’empire romain.
(3) Devant la mise à mort des disciples (16,2), le paradoxe est
radical. Qui a raison, les persécutés ou les persécuteurs, puisque les deux
côtés revendiquent leur fidélité à Dieu ? Les épreuves des disciples ne
viennent pas seulement de la souffrance physique (mise à mort) mais aussi de la
foi en Dieu. La révélation de Jésus en 16,3 : « Et cela, ils le
feront pour n’avoir reconnu ni le Père ni moi » reste une explication à
l’usage interne de la communauté des disciples. Si les persécuteurs prétendent
connaître Dieu, cette explication n’est pas valable pour eux. La question sur
Dieu demeure. Comment reconnaît-on le vrai Dieu ?
La discussion entre Jésus et ses adversaires éclaire cette question
difficile. Si Jésus doit mourir, c’est « parce qu’il s’est fait Fils de Dieu » (19,7b),
disent les Juifs à Pilate. Selon eux, Jésus a donc blasphémé (10,33.36). Ainsi ses
adversaires croyaient être fidèles à Dieu en le condamnant à mort. Et pourtant,
Jésus a dévoilé comme fausse cette prétention dans la controverse avec les
Juifs en 8,37-47. Dans ce passage, les appellations « Dieu » et
« le Père » ne sont pas pertinentes, elles doivent être précisées. En
effet, « Dieu, le père » des Juifs et « Dieu, le Père » de
Jésus ne sont pas le même. En 8,38-41, Jésus évite cet amalgame en
distinguant : « mon Père » et « votre père ». Ceux qui
n’aiment pas Jésus ne l’écoutent pas. Ils ne sont pas de Dieu, ils ont le
diable pour père comme Jésus le dit aux Juifs en 8,44a : « Vous êtes
du diable, votre père, et ce sont les désirs de votre père que vous voulez
accomplir. » Jésus ne critique pas le judaïsme en tant que tel puisque Moïse
et l’Écriture témoignent de lui ; par ailleurs la vie et la mort de Jésus
accomplissent l’Écriture. Les Juifs en 8,37-40 sont les enfants d’Abraham mais
ils ne font pas les œuvres d’Abraham. Les adversaires de Jésus se montrent donc
sous l’aspect d’un judaïsme infidèle au Dieu d’Abraham. Jésus accuse le monde
hostile en 15,25 : « Mais c’est pour que s’accomplisse la parole
écrite dans leur Loi : Ils m’ont haï
sans raison ». Les persécuteurs en 16,2 se rangent donc du côté des
autorités infidèles au Dieu d’Israël.
Les disciples de Jésus subissent le même sort que lui car ils sont
fidèles à Dieu. L’ironie en 16,2-3 est double. En un sens, les persécuteurs
pensent qu’ils servent Dieu (16,2b) mais ils ne le connaissent pas (16,3). En
un autre sens, ils prétendent servir Dieu en faisant mourir des disciples de
Jésus, mais en réalité ce sont les persécutés qui glorifient Dieu (cf. 21,16)
comme Jésus lui-même glorifie le Père dans sa mort décidée par les autorités
juives (cf. 11,53 ; 17,1b ; 19,7). L’accusation de Jésus au sujet du
péché inexcusable (15,22b) discrédite la prétention des persécuteurs à servir
Dieu.
La haine et la persécution résultent d’un choix devant le message de
Jésus. Les controverses dans l’Évangile constituent deux groupes principaux :
ceux qui croient en Jésus et ceux qui le refusent. Nous étudions d’abord (1) le
péché du monde grâce au parallèle entre 15,22-23 et 15,24-25 (cf. le tableau plus
haut) et au contexte de l’Évangile ; et ensuite, nous examinons (2) le lien
entre la liberté, la responsabilité et l’ouverture pour le monde.
(1) Le péché consiste à ne pas reconnaître Jésus, ni sa venue, ni son
enseignement, ni ses œuvres (15,22a.24a). Les deux propositions conditionnelles
irréelles avec « si » en 15,22a : « Si (ei) je n’étais pas venu (èlthon) et ne leur avais pas parlé (elalèsa)… », et en 15,24a :
« Si (ei) je n’avais pas fait (epoièsa) au milieu d’eux ces œuvres (ta erga) que nul autre ne fit (epoièsen)… » ont les mêmes
propositions principales : « Ils n’auraient pas (ouk eichosan) de péché (hamartian) »
(15,22b.24b). Le refus du monde hostile devant sa venue, sa parole et ses
œuvres est un péché inexcusable. Ces versets résument bien la mission de Jésus
et le choix du monde.
L’unité 15,22-25 définit le sens de péché. Il s’agit de refuser de
reconnaître l’identité divine de Jésus. En effet, après la péricope 15,18–16,4a,
Jésus parle du péché du monde qui consiste à ne pas le croire, en 16,9 :
« De péché, parce qu’ils [le monde] ne croient pas en moi… » L’Évangile
ne rapporte pas le péché des croyants comme dans la première épître (cf. 1 Jn
2,1) ; la théologie de l’Évangile souligne le péché de ne pas croire en
Jésus. P. Grelot, Jésus de Nazareth, p.
250, remarque : « Le “péché” reproché au monde n’est pas n’importe
lequel : c’est le péché par excellence que constitue la volonté de ne pas
croire en Jésus Christ. » Jésus avertit les Juifs de ce péché qui conduit
à la mort en 8,24 : « Je vous ai donc dit que vous mourrez dans vos
péchés. Car si vous ne croyez pas que Moi, Je Suis, vous mourrez dans vos
péchés. » (Cf. l’article : « “Moi, Je Suis” (egô eimi) dans
l’Évangile de Jean. »)
Dans la péricope 15,18–16,4a, le péché du monde hostile ne consiste non
pas seulement dans le refus d’écouter et de voir les signes mais c’est surtout
la haine envers Jésus, le Père et ses disciples. Selon N. Lazure, Les valeurs morales, p. 302-304, la
notion de péché dans l’Évangile se résume en quatre points : (a)
transgression de la volonté divine ; (b) refus malicieux de la
lumière ; (c) suffisance spirituelle ; (d) puissance satanique. En
réalité c’est l’appartenance aux ténèbres (3,19), au prince de ce monde
(14,30b), au diable (8,44a) qui est le péché par excellence. Cette appartenance
conduit au meurtre comme Jésus le dit aux Juifs en 8,44c : « Il [le
diable] était homicide dès le commencement et n’était pas établi dans la
vérité, parce qu’il n’y a pas de vérité en lui. »
(2) Dans l’Évangile, le refus de croire en Jésus met en relief la
liberté de l’homme. Les hommes peuvent refuser la révélation de Jésus. Ainsi,
ceux qui ne croient pas doivent assumer leur
responsabilité. Comme nous l’avons remarqué, la méconnaissance n’excuse
pas le péché, puisque cette méconnaissance est le résultat d’un choix, d’une décision,
d’un agir (cf. 8,38-47). Cependant, le péché inexcusable du monde ne reste pas définitif.
Le monde hostile est trompé, égaré et manipulé par le prince de ce monde. Les
gens qui ont de la haine envers Jésus et ses disciples sont les victimes de la
manipulation du diable. Une vraie connaissance reste ouverte pour le monde
hostile. Jésus ne désespère pas pour ces adversaires. Tout au long de l’Évangile,
il les invite à devenir ses vrais disciples (8,31b) et à garder ses paroles
(8,51). Quant aux disciples, leur unité est un signe pour que le monde puisse croire
(17,21) et connaître Jésus (17,23).
En résumé, nous avons présenté la manifestation de la haine du monde en
16,2b : faire mourir les disciples de Jésus. De ce fait, le monde doit
assumer sa responsabilité ; son péché est inexcusable.
La péricope 15,18–16,4a décrit
la haine et la persécution du monde mais ce dernier est absent. Le discours de
Jésus ne s’adresse pas au monde mais à ses disciples. Face à la haine du
monde, ces derniers sont invités à témoigner en faveur de Jésus (15,27) et à ne
pas être scandalisés (16,1). Nous examinons d’abord (1) le témoignage du
Paraclet et celui des disciples en 15,26-27 ; et ensuite (2) le verbe
« skandalizô »
(scandaliser) en 16,1.
La promesse de la venue du
Paraclet et son témoignage en faveur de Jésus (15,26) sont suivis par le
témoignage des disciples (15,27). Les activités du Paraclet sont présentées
dans cinq unités littéraires (14,15-17 ; 14,25-26 ; 15,26-27 ;
16,7-11 ; 16,12-15). La troisième unité en 15,26-27 n’est pas une
interpolation, elle a sa place dans l’ensemble de la structure de 15,18–16,4a
(cf. la structure plus haut). I. de La Potterie, La vérité, t. I, p. 379, montre la cohérence de 15,26-27 dans son
contexte : « C’est en raison de cette haine que le Paraclet doit “témoigner”
et c’est parce que le monde s’est opposé à Jésus (vv. 18.20.23.25) que l’Esprit
rendra témoignage de lui (v. 26). » Ainsi, « témoigner » est la
réponse des disciples devant la haine. Ce thème est traité en deux
points : (1) le verbe « martureô »
(témoigner) au futur de l’indicatif (marturèsei)
en 15,26 et au présent de l’indicatif (martureite)
en 15,27 ; (2) le lien entre le témoignage du Paraclet et celui des
disciples.
(1) Le thème du témoignage a une
place importante dans le quatrième l’Évangile. Cf. article : « “Le témoignage” (marturia) et
“témoigner” (martureô) dans
l’Évangile de Jean. » Le narrateur rapporte le témoignage de Jean le Baptiste
(1,7.15.19.32.34 ; 3,25 ; 5,33), du disciple que Jésus
aimait (19,35), du rédacteur (21,24), du Père (5,32.37 ; 8,18), de
Jésus (3,11.23 ; 4,44 ; 7,7 ; 8,13.18 ; 13,21 ;
18,37), de ses œuvres (5,36 ; 10,25 ; 12,17) et de l’Écriture (5,39).
En 15,26-27, le témoignage du
Paraclet et celui des disciples vont ensemble. Dans le contexte de haine et de
persécution, la venue du Paraclet et son témoignage sont liés à la situation de
crise des disciples. Cependant, le témoignage du Paraclet et celui des
disciples sont mis en décalage par la différence des temps du
verbe « témoigner ». Pour le témoignage du Paraclet, le verbe « martureô » est au futur « marturèsei » en 15,26c :
« Il [le Paraclet] me rendra témoignage (ekeinos marturèsei peri emou) », dit Jésus. Tandis que pour
les disciples, ce verbe est au présent « martureite » en 15,27a : « Mais vous aussi, vous
témoignez (kai humeis de martureite) »,
dit Jésus aux disciples. Dans la version de la BiJér, 2000, le verbe témoigner en 15,27a est au futur :
« vous témoignerez », pourquoi ?
Les manuscrits grecs (NTG-28th, GNT-4th) ne comportent aucune variante au futur
du verbe « martureô » en
15,27a. Pour la plupart des auteurs, ce verbe en 15,27a est au présent « martureite », par exemple, A.
Loisy, Le quatrième Évangile, p.
769 ; M.-J. Lagrange, Évangile selon
Saint Jean, p. 413 ; Osty,
1973 ; I. de La Potterie, La
vérité, t. I, p. 392 ; Y. Simoens,
Selon Jean, 1, p. 80. Cependant, certains auteurs traduisent
le verbe en 15,27a au futur : « vous témoignerez ». Par exemple,
H. Van Den Bussche, Jean, p. 429 ; M.-é. Boismard ; A. Lamouille, Synopse, t. III, p.
374 ; C. L’Éplattenier, L’évangile de Jean, p. 312 ; TOB, 1998. Cette traduction renvoie
à la Vulgate (version latine) dans laquelle le verbe « témoigner » est
au futur. Pour nous, en respectant les manuscrits grecs, le verbe en 15,27a est
au présent « martureite ».
Comment peut-on expliquer le changement
de temps du verbe « martureô » :
le Paraclet témoignera (futur), les disciples témoignent (présent) en 15,26c-27a ?
I. de La Potterie, La vérité, t. I,
p. 392, l’interprète ainsi : « Nous sommes donc invités à voir dans
le marturèsei du Paraclet un témoignage distinct du martureite des disciples et antérieur à lui, c’est-à-dire un
témoignage intérieur, qui pourra aussi, le cas échéant, inspirer leur
témoignage public devant le monde. » L’auteur n’explique pas la raison de
la différence entre le futur et le présent du verbe « martureô ». En fait, le futur du verbe « témoigner »
en 15,26c s’accorde avec le futur du verbe « envoyer » en 15,26a :
« Lorsque viendra le Paraclet, que je vous enverrai (pempsô) d’auprès du Père », dit Jésus aux disciples. Le
témoignage du Paraclet est au futur puisque Jésus est encore là. La venue du
Paraclet aura lieu après le départ de Jésus comme celui-ci le dit aux
disciples en 16,7 : « Cependant je vous dis la vérité : c’est
votre intérêt que je parte ; car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra
pas vers vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai. » Quand Jésus
est encore avec les disciples, il enseigne, exhorte et protège les siens. Cependant,
l’Esprit n’est pas absent puisqu’il demeure sur Jésus (1,33).
Quant au témoignage des
disciples en 15,27a, le présent du verbe
« témoigner » renvoie au présent
du verbe « être » (eimi) en
15,27b : « parce que vous êtes (este) avec moi depuis le commencement », dit Jésus. Quel lien y-a-t-il entre « depuis le
commencement » et « vous êtes avec moi » ? Si le commencement renvoyait à un moment passé où
les disciples ont suivi Jésus (1,36-51), le verbe « être » serait au
passé. De ce fait, le présent du verbe en 15,27b doit être interprété au sens
théologique. Les verbes en 15,27 sont au présent parce que « témoigner »
et « être avec Jésus » sont des actions toujours présentes pour le
disciple, ces deux actions caractérisent sa vie.
(2) Le témoignage du Paraclet
est à la fois indépendant et dépendant de celui des disciples. Celui du
Paraclet est indépendant dans la mesure où il rend témoignage devant les
disciples au sujet de Jésus. Selon I. de La Potterie, La vérité, t. I, p. 395 : « Le témoignage du Paraclet
dont parle la troisième promesse est essentiellement un témoignage intérieur :
son rôle sera d’éclairer la conscience des disciples, de les affermir dans
leur foi. À l’heure où ils connaîtront la tentation du doute, du scandale,
le Paraclet agira secrètement en eux, il témoignera devant leurs consciences en
faveur de Jésus. » L’auteur ne parle pas du rôle du Paraclet par rapport
au témoignage des disciples à l’extérieur, c’est-à-dire leur témoignage devant
le monde avec l’aide du Paraclet.
Pour nous, d’une part, le
témoignage du Paraclet est indépendant de celui des disciples puisqu’il
témoigne en faveur de Jésus devant ces disciples. En effet, le Paraclet exerce
sa fonction seulement auprès des disciples, parce que le monde ne connaît ni ne
voit le Paraclet (14,17). D’autre part, le témoignage du Paraclet dépend de
celui des disciples dans la mesure où il rend témoignage en faveur de Jésus à
travers eux. Les disciples rendent témoignage donc devant le monde sous
l’inspiration du Paraclet, l’Esprit de vérité. Dans la narration, le témoignage
du Paraclet (15,26c) précède le témoignage des disciples (15,27a). De ce fait,
le témoignage extérieur que rendent les disciples devant le monde doit être
compris comme une manifestation de l’activité du Paraclet, c’est-à-dire les
disciples ne peuvent témoigner qu’avec l’aide du Paraclet.
Le verset 15,27 est suivi par
l’exhortation de ne pas être scandalisés
(16,1). La BiJér, 2000, traduit
la parole de Jésus adressée aux disciples en 16,1 : « Je vous ai dit
cela pour vous éviter le scandale », littéralement : « Je vous
ai dit cela pour que vous ne soyez pas scandalisés (hina mè skandalisthète). » Ce thème est abordé en trois
points : (1) le sens courant du verbe « scandaliser » ; (2)
l’utilisation de ce verbe dans l’Évangile ; (3) le double risque d’être
scandalisé : face au monde hostile et face à Dieu.
(1) Selon le dictionnaire Le Petit Robert, 2012, le verbe
« scandaliser » au sens religieux signifie « être un sujet
de scandale pour (qqn), inciter au péché ; et au sens courant :
« Atteindre, toucher par le scandale ; apparaître comme un scandale
à. » L’usage du terme « scandale » de nos jours a souvent un
sens moral et péjoratif. Voici les sens de ce terme dans Dictionnaire Hachette Encyclopédique 2000 : (1) Occasion de tomber dans le péché, donnée par de mauvais
exemples, des discours corrupteurs. (2) Effet que suscite un acte, un événement
qui choque les habitudes, la morale. (3) Événement, fait révoltant. (4) Affaire
malhonnête qui arrive à la connaissance du public. (5) Bruit, désordre. Certains
auteurs traduisent le verbe « skandalizô »
en 16,1 par un autre verbe équivalent : « ne pas succomber à
l’épreuve » (TOB, 2011) ;
« ne pas trébucher » (X. Léon-Dufour, Lecture de l’Évangile, t. III, p. 202) ; « ne pas être
choqué » (Jeanne d’Arc, Évangile
selon Jean, p. 106).
(2) Le verbe « skandalizô » apparaît en deux
occurrences dans l’Évangile (6,61 ; 16,1). Le narrateur rapporte la
réaction des disciples après le discours sur le pain de vie en 6,60-61 :
« 60 Après l’avoir entendu, beaucoup de ses disciples dirent : “Elle
est dure, cette parole ! Qui peut l’écouter ?” 61 Mais, sachant en
lui-même que ses disciples murmuraient à ce propos, Jésus leur dit : “Cela
vous scandalise (skandalizei) ?” »
À cause de la révélation de Jésus, beaucoup de disciples sont scandalisés, ils
cessent de faire route avec Jésus (6,66). Il s’agit d’une crise à l’intérieur
du groupe des disciples en raison de la parole de Jésus.
En 16,1, le verbe « skandalizô » est employé dans le
contexte de crise qui vient du dehors : la haine et la persécution du
monde hostile. Ce verbe se présente comme le centre de la péricope 15,18–16,4a.
Dans l’expression en 16,1a : « Je
vous ai dit cela (tauta) », le terme
« tauta » (cela) renvoie, à
la fois à ce qui précède (15,18-27) et à ce qui suit (16,2). Les épreuves
annoncées en 15,18-20 se concrétisent en 16,1-2. « Ne pas être
scandalisé » (16,1b) devient l’objectif de la révélation de Jésus dans la
péricope 15,18–16,4a.
Ainsi, deux occurrences du verbe
« skandalizô » (6,61 ;
16,1) employé par Jésus n’ont pas le sens moral, mais elles décrivent un
obstacle pour la foi. L’obstacle lui-même peut venir de Jésus (6,61) ou de ses
adversaires (16,1). Ce qui provoque le scandale peut être la vérité (la
révélation de Jésus en 6,25-58) ou le péché (la haine et la persécution du
monde en 15,22-24 ; 16,9).
(3) En situation de crise, la
cause du scandale peut se comprendre en deux sens. En un sens, la haine et la
persécution du monde hostile peuvent conduire à l’abandon de la foi par peur de
perdre un statut (être exclu de la synagogue) et de perdre la vie (être tué). En
un autre sens, si les disciples sont haïs et persécutés par le monde à cause du
Nom de Jésus, le scandale a sa racine en Jésus lui-même. La foi en Dieu est remise
en question puisque les persécuteurs pensent
rendre un culte à Dieu en faisant mourir les disciples de Jésus
(16,2). La difficulté est d’ordre
théologique.
Le scandale fait cesser le
témoignage et fait naître un doute. J. Calloud et F. Genuyt, Le discours d’adieu, p. 74, montre la
double persécution (physique et morale) en faisant le lien entre témoignage –
scandale – persécution : « En le persécutant à mort, l’adversaire
croit rendre un culte à Dieu. Il en appelle donc au même Destinateur, à la même
loi, aux mêmes critères. Partisans et adversaires de Jésus semblent servir le
même Dieu. C’est la contradiction. Le scandale est donc équivalent à une perte
de sens. On voit donc que le terme scandale résulte de la combinaison d’une
menace d’ordre physique et d’une contradiction d’ordre intellectuel, et sous
ces deux aspects, il risque d’annihiler la volonté de témoignage. » Dans
cette perspective, l’expression « ne pas être scandalisé » veut dire
ne pas succomber devant l’épreuve et ne pas remettre en question la foi en
Jésus et en Dieu. Ainsi, « skandalizô »
est le verbe clé de la péricope 15,18–16,4a lequel insiste plus sur l’aspect
christologique qu’éthique. Jésus prévient ses disciples des épreuves et leur
donne des encouragements pour que leur foi ne soit pas ébranlée.
Les
disciples sont les auditeurs de la révélation de Jésus dans la péricope 15,18–16,4a.
Il s’agit d’une révélation interne à la communauté croyante. Nous avons analysé cinq raisons de la haine et la persécution. (1) La
première tient au fait que les disciples ne sont pas du monde. En tenant compte
des divers sens du terme « kosmos »
(monde) et de l’expression « ek tou
kosmou » (du monde), nous concluons que les disciples ne sont jamais
du monde hostile (15,19b), et que Jésus les a choisis du milieu du
monde-humanité (15,19c). (2) La deuxième raison est le choix par Jésus. Ce
choix conduit à la haine du monde, en même temps manifeste l’autorité de Jésus
et son pouvoir de protéger les siens. (3) La troisième se trouve dans le thème
de l’identification : « Jésus – ses
disciples » et « Jésus – son Père ». Le monde persécute Jésus à
travers ses disciples puisqu’il identifie Jésus aux siens. Ainsi les
disciples ne sont jamais seuls pour faire face à la haine. Jésus et son Père,
le vrai Dieu sont avec eux. (4) La quatrième explication est la méconnaissance totale
du monde hostile exprimée par la négation de deux verbes « oida » et « ginôskô » (savoir, connaître,
reconnaître). Cette ignorance montre que le Dieu auquel les persécuteurs
rendent un culte (16,2) n’est pas le vrai Dieu. (5) La cinquième explication est une citation : « Ils
me haïrent gratuitement » (Jn 15,25b) renvoyant aux Psaumes (Ps
69(68),5 ; 119(118),161a). Cette
référence à l’Écriture joue un double rôle : pour le monde, la
haine est ainsi dénoncée et prouvée ; pour les disciples, la haine qu’ils
ont subie est un signe de leur fidélité à Dieu.
Nous avons traité ensuite la manifestation
de la haine du monde (meurtre des croyants) et son péché inexcusable. Une difficulté redoutable pour les disciples est
la prétention des persécuteurs à servir Dieu (16,2). Elle entraîne une crise de
la foi en Dieu chez les disciples.
Pour faire face à cette grave situation de crise, Jésus donne à ses disciples
des explications qui visent à discréditer la prétention des persécuteurs. S’ils
sont des pécheurs sans excuses et s’ils ne connaissent ni le Père ni Jésus,
comment peuvent-ils prétendre servir Dieu ? En réalité ils haïssent le
Père, Jésus et ses disciples. Les disciples retrouvent donc la confiance en
Dieu au moment où la fidélité à Jésus peut leur coûter la vie en ce monde.
Enfin, nous avons étudié la
situation des disciples face à la haine et à la persécution du monde. Le rôle
du témoignage en 15,26-27 est double. En un sens, le Paraclet témoigne devant
les disciples pour les affermir dans la foi. En un autre sens, les disciples témoignent devant le monde, sous l’inspiration du
Paraclet, l’Esprit de vérité. Le verbe « skandalizô » (scandaliser) en 16,1 contribue à une élaboration
théologique. Face à la haine du monde, les disciples sont invités à témoigner
(15,27) et à ne pas être scandalisés (16,1), c’est-à-dire à tenir ferme la foi
en Jésus et en Dieu.
Le ton de l’ensemble de la péricope 15,18–16,4a n’est pas pessimiste.
Le discours de Jésus implique une ouverture pour lui, pour les disciples et pour
le monde. Jésus n’enferme pas le monde dans son péché inexcusable. Puisque le
monde ne connaît pas le Père et Jésus, la mission de ce dernier et de ses
disciples est de faire connaître l’identité de Jésus. Du côté des disciples, ils ne peuvent pas haïr le monde car eux-mêmes connaissent
Dieu. Du côté du monde hostile, son péché inexcusable n’est pas
définitif. Une vraie connaissance reste ouverte pour lui. En particulier, le discours de Jésus en 15,18–16,4a est adressé au lecteur qui peut l’actualiser
dans sa situation concrète. Les
thèmes : l’identification, la sélection, la venue du Paraclet, le
témoignage, sont des grandes exhortations pour le lecteur dans un contexte de
crise.
Le monde hait Jésus et ses disciples (15,18), mais il « aimerait (ephilei) son bien » (15,19a). En 3,19, Jésus dévoile l’amour des
hommes pour les ténèbres : « Et tel est le jugement : la lumière est
venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé (ègapèsan) les
ténèbres que la lumière, car leurs œuvres étaient mauvaises. » Il existe
donc un amour exprimé par les deux verbes « phileô » (15,19a) et « agapaô » (3,19c) qui conduit à la perte. Cet amour est le
sujet du prochain article./.
Source : https://leminhthongtinmunggioan.blogspot.co.il/2017/12/jn-1518164a-la-haine-du-monde-hostile.html
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