08/01/2015

Diachronie et synchronie dans l’étude de la Bible




Email: josleminhthong@gmail.com
Le 08 Janvier 2015.

Contenu

I. Introduction
II. L’origine des termes “diachronie” et “synchronie”
   1. La théorie de Ferdinand de Saussure
   2. L’application à l’étude biblique
III. Diachronie et synchronie dans l’étude biblique
   1. Deux perspectives différentes
   2. Le conflit et la querelle
   3. La synchronie est-elle aussi historique ?
IV. Les propositions
   1. La différence et l’indépendance
   2. La complémentarité entre les deux approches
   3. Les excès dans l’application
   4. Les limites de chaque approche
V. Le « texte final » du Nouveau Testament
VI. Conclusion
Bibliographie


I. Introduction

Les deux termes “diachronie” et “synchronie” sont souvent utilisés pour désigner deux approches différentes dans l’étude de la Bible. Cependant il existe souvent un conflit, une tension ou une querelle entre les partisans des deux approches diachronique et synchronique. L’autre possibilité est que certains considèrent que l’approche synchronique est aussi une étude historique. Pour éclairer la dichotomie « diachronie / synchronie », nous traiterons dans cet article les quatre points suivants : (1) L’origine des termes “diachronie” et “synchronie” ; (2) Diachronie et synchronie dans l’étude biblique ; (3) Des propositions pour utiliser ces deux approches ; (4) Le « texte final » du Nouveau Testament.

À propos des références bibliographiques, la première qui apparaîtra sera une référence complète. Les suivantes seront abrégées avec trois éléments : (1) le nom de l’auteur (en minuscules) ; (2) quelques mots du titre (en italique s’il s’agit d’un livre, entre guillemets s’il s’agit d’un article) ; (3) la page concernée. La première occurrence du nom de l’auteur sera complète (prénom et nom), les suivantes auront simplement le nom de l’auteur sans son prénom. Une bibliographie complète sera donnée à la fin de l’article (voir les abréviations).

II. L’origine des termes “diachronie” et “synchronie”

Dans cette partie, nous présenterons (1) la théorie de Ferdinand de Saussure sur la dichotomie « diachronie / synchronie », puis (2) l’application à l’étude biblique.

   1. La théorie de Ferdinand de Saussure

Les termes « diachronie » et « synchronie » sont utilisés par le linguiste Saussure dans son livre Cours de linguistique générale, publié en 1916 : SAUSSURE, Ferdinand de, Cours de linguistique générale, (Édition critique préparée par Tullo de Mauro), Paris, Payot, [1916], 2005. La publication du Cours ouvre une nouvelle étape dans l’histoire de la linguistique. Avant Cours, la linguistique considérée comme une science est une étude diachronique. Saussure remarque : « Depuis que la linguistique moderne existe, on peut dire qu’elle s’est absorbée tout entière dans la diachronie. » (Saussure, Cours, p. 118).

Saussure utilise les termes « diachronie – synchronie » pour exprimer deux axes dans l’étude du langage : « Il faudrait partout distinguer selon la figure suivante : 1o l’axe des simultanéités (AB), concernant les rapports entre choses coexistantes, d’où toute intervention du temps est exclue, et 2o l’axe des successivités (CD), sur lequel on ne peut jamais considérer qu’une chose à la fois, mais où sont situées toutes les choses du premier axe avec leur changements. » (Saussure, Cours, p. 115).


En se fondant sur cette définition, Saussure distingue deux linguistiques en utilisant les couples de termes : « évolution / diachronie » et « état / synchronie », l’auteur écrit : « Les termes d’évolution et de linguistique évolutive sont plus précis, et nous les emploierons souvent ; par opposition on peut parler de la science des états de la langue ou linguistique statique. Mais pour mieux marquer cette opposition et ce croisement de deux ordres de phénomènes relatifs au même objet, nous préférons parler de linguistique synchronique et de linguistique diachronique. Est synchronique tout ce qui se rapporte à l’aspect statique de notre science, diachronique tout ce qui a trait aux évolutions. De même synchronie et diachronie désigneront respectivement un état de langue et une phase d’évolution. » (Saussure, Cours, p. 117).

Pour mieux appliquer cette dichotomie à l’étude biblique, nous pouvons faire quatre remarques : (1) La différence entre l’approche diachronique et l’approche synchronique ; (2) La complémentarité entre elles ; (3) Elles ont le même objet d’étude : le texte ; (4) La primauté de la synchronie.

(1) Les différences entre la diachronie et la synchronie sont formulées par les états suivants :



Ce tableau montre la différence entre ces deux perspectives. Pour marquer la particularité propre de chacune, Saussure utilise le terme “opposition” : « L’opposition entre les deux points de vue – synchronique et diachronique – est absolue et ne souffre pas de compromis. » (Saussure, Cours, p. 119). Cette opposition est une distinction méthodologique qui permet de différencier le domaine d’étude de chaque approche.

(2) Les deux axes diachronique et synchronique sont complémentaires, l’un complète l’autre. L’étude diachronique fait mieux comprendre le langage de la synchronie comme Saussure le présente : « Après avoir accordé une trop grande place à l’histoire, la linguistique retournera au point de vue statique de la grammaire traditionnelle, mais dans un esprit nouveau et avec d’autres procédés, et la méthode historique aura contribué à ce rajeunissement ; c’est elle qui, par contre-coup, fera mieux comprendre  les états de langue. » (Saussure, Cours, p. 119). Ainsi, l’approche synchronique n’exclut pas l’approche diachronique, au contraire l’une éclaire l’autre.

(3) Ce qui est en commun à ces deux axes (diachronique et synchronique) fait l’objet de l’étude. Pour un linguiste, l’objet est le langage. Pour un bibliste, l’objet est le texte de la Bible.

(4) Selon Saussure, la primauté est à la synchronie. D’après Cours, le primat revient sans conteste à la synchronie sur la diachronie comme Saussure le remarque : « Il est évident que l’aspect synchronique prime l’autre [l’aspect diachronique], puisque pour la masse parlante il est la vraie et la seule réalité. » (Saussure, Cours, p. 128). Quant à l’aspect diachronique, Saussure constate : « On affirme souvent que rien n’est plus important que de connaître la genèse d’un état donné ; c’est vrai dans un certain sens : les conditions qui ont formé cet état nous éclairent sur sa véritable nature et nous gardent de certaines illusions […] ; mais cela prouve justement que la diachronie n’a pas de fin en elle-même. » (Saussure, Cours, p. 128).

   2. L’application à l’étude biblique

Les discussions entre les linguistes sur les axes diachronique et synchronique se poursuivent tout au long du XXe siècle. Au terme d’une brève présentation de l’histoire de la dichotomie « diachronie / synchronie », Christophe Rico conclut : « Pendant longtemps, les linguistes ont tendu à ne privilégier qu’une seule des deux perspectives, même lorsqu’en théorie ils reconnaissaient l’existence de la dimension opposée. Ainsi, à la synchronie syntagmatique des Grammairiens du XVIIIe succède l’intérêt pour la diachronie et le paradigme chez les Comparatistes du XIXe. Au XXe siècle, en revanche, l’accent sera mis résolument sur la synchronie, tantôt dans la perspective du paradigme (linguistique saussurienne) tantôt dans celle du syntagme (école générativiste). » (RICO, Christophe, “Synchronie et diachronie : enjeu d’une dichotomie : de la linguistique à l’interprétation de la Bible”, RB 108 (2001) p. 239).

Dans la deuxième moitié du XXe siècle, l’approche synchronique se développe à travers la Nouvelle Rhétorique qui étudie la structure du texte dans une perspective exclusivement synchronique, et la stylistique descriptive (synchronique) qui gagne du terrain par rapport à la stylistique génétique (diachronique). (Cf. Rico, “Synchronie et diachronie”, p. 237-238). Les analyses narrative, structurelle et sémiotique sont ensuite appliquées au texte biblique. De nos jours, l’approche synchronique de la Bible est de plus en plus élaborée pour devenir un outil scientifique propre à l’étude biblique (voir les ouvrages d’initiation ci-dessous). Au cours des dernières décennies, les termes “diachronie” et “synchronie” sont souvent utilisés pour désigner deux approches pour étudier de la Bible.

III. Diachronie et synchronie dans l’étude biblique

Nous aborderons dans cette partie la dichotomie : « diachronie / synchronie » en trois points : (1) D’abord, cette dichotomie  désigne deux perspectives différentes. (2) Ensuite, la situation de conflit et de querelle entre les partisans des deux approches diachronique et synchronique. (3) Enfin, nous exprimerons notre désaccord avec l’opinion que l’approche synchronique est aussi une étude historique.

   1. Deux perspectives différentes

En 1990, Johannes Beutler différencie les deux démarches diachronique ou synchronique dans l’étude johannique : « Dans l’interprétation du quatrième évangile, une différence de fond divise aujourd’hui les esprits, différence entre une lecture à dominante diachronique et une lecture à dominante synchronique. La question est de savoir si le texte de l’évangile doit être compris comme le produit d’une évolution historique ou s’il doit être interprété “en surface”, c’est-à-dire à partir de ce qui est immanent au texte, abstraction faite de sa genèse historique. » (BEUTLER, Johannes, “Méthodes et problèmes de la recherche johannique aujourd’hui” dans J.-D. KAESTLI; J.-M. POFFET; J. ZUMSTEIN, (éd.), La communauté johannique et son histoire. La trajectoire de l’Évangile de Jean aux deux premiers siècles, (MdB 20), Genève, Labor et Fides, 1990, p. 15-16).

En 1995, Michel Gourgues fait un bilan sur cinquante ans de recherche johannique en articulant son article sous deux rubriques : « I. Approche diachronique » et « II. Approche synchronique ». (Cf. GOURGUES, Michel, “Cinquante ans de recherche johannique: de Bultmann à la narratologie”, dans GOURGUES, M. ; LABERGE, L, (éd.), “De bien des manières: La recherche biblique aux abords du XXIe siècle, Actes du cinquantenaire (1943-1993) de l’Association Catholique des Études Bibliques au Canada (ACEBAC), (LeDiv 163), Montréal - Paris, Fides - Le Cerf, 1995, p. 229-306). L’auteur classe toutes les études johanniques dans ces deux catégories. L’approche diachronique concerne quatre sujets : (1) Le rapport entre l’Évangile de Jean et les Synoptiques ; (2) Les sources de l’Évangile de Jean ; (3) L’histoire de la rédaction ; (4) La communauté johannique. Pour l’approche synchronique, les études johanniques sont regroupées dans trois analyses : (1) L’analyse narrative, ou narratologie ; (2) L’analyse structurelle ; (3) L’analyse structurale ou sémiotique. Le plan de cet article sur l’état de la recherche johannique montre bien que les champs d’étude de l’Évangile de Jean peuvent être classés en deux catégories : diachronie et synchronie.

Cependant, l’étude synchronique ne se limite pas à ces trois analyses récentes (narrative, structurelle et sémiotique), dans la chronique de l’étude johannique en 1980 de Jean-Pierre LéMONON, “Chronique d’écriture sainte, repères dans l’exégèse johannique”, LV(L), n° 149 (1980) 104-112, l’auteur introduit la deuxième partie intitulée « II. Quelle méthode : archéologique du texte ou lecture synchronique » comme suit : « Depuis une décennie environ, le développement des procédures d’analyse de type structural conduit parfois à considérer toutes les autres approches comme identiques. L’erreur d’une telle interprétation se dévoile dès que l’on aborde les études consacrées à l’évangile de Jean. D’un point de vue méthodologique, deux orientations dominent ; pour les caractériser, je distinguerai, en m’appuyant sur les ouvrages cités ci-dessus [voir les références par la suite], les zélateurs de la critique littéraire et ses adversaires. » (Lémonon, “Chronique”, 1980, p. 105). « Les ouvrages cités ci-dessus » dans cette citation renvoient à deux ouvrages : (1) BOISMARD, Marie-Émile; LAMOUILLE, Arnaud, Synopse des quatre Évangiles en français, l’Évangile de Jean, t. III, Paris, Le Cerf, 1977 ; et (2) LA POTTERIE, I. de, La vérité dans saint Jean, t. I: Le Christ et la vérité. L’Esprit et la vérité, (AnBib 73); t. II: Le croyant et la vérité, (AnBib 74), Rome, Biblical Institute Press, 1977.

Le premier est placé du côté de l’« archéologie du texte », les auteurs de cet ouvrage sont « les zélateurs de la critique littéraire » (Lémonon, “Chronique”, 1980, p. 105). Selon Lémonon, l’ouvrage de La Potterie est une « lecture synchronique », cet auteur appartient au groupe des « adversaires de la critique littéraire », « ce sont les exégètes qui cherchent à valoriser le texte johannique sans son état actuel. » (Lémonon, “Chronique”, 1980, p. 108). Notre opinion sera donnée dans la partie 3. « La synchronie est-elle aussi historique ? » dans laquelle nous parlerons de l’approche historico-critique classée sous la rubrique de l’approche synchronique dans l’article de Léon-Dufour, “Où en est la recherche johannique?, Bilan et ouvertures”, dans A. MARCHADOUR, (éd.), Origine et postérité de l’Évangile de Jean, (XIIIè congrès de l’ACFEB, Toulouse, 1989), (LeDiv 143), Paris, Le Cerf, 1990, p. 17-41.

Dans un autre article de Jean-Pierre LéMONON, “Chronique johannique (1981-1992)”, LV(L), n° 209 (1992) 95-104, l’auteur résume les méthodes de la recherche johannique par les termes « diachronie » et « synchronie » : « Les publications qui rendent compte de ces travaux s’ouvrent par un bilan : l’un est l’œuvre de J. Beutler, l’autre est dû à X. Léon-Dufour [voir les références ci-dessous]. La diversité des méthodes mises en œuvre caractérise aujourd’hui l’univers johannique, tel est le constat des deux auteurs. On peut distinguer des approches diachroniques et d’autres synchroniques, mais en chacune de ces catégories la pluralité prévaut. » (Lémonon, “Chronique”, 1992, p. 95-96). Les articles des deux auteurs cités sont des contributions parmi d’autres dans deux ouvrages collectifs : (1) Beutler, “Méthode”, p. 15-38, dans  Kaestli  (et al.), (éd.), La communauté johannique, 1990 ; (2) Léon-Dufour, “Où en est la recherche johannique?”, p. 17-41, dans Marchadour, (éd.), Origine et postérité, 1990.

Pour être plus précis, Stanley E. Porter; Kent D. Clarke définissent l’approche synchronique et l’approche diachronique comme suit : « Le but de la première [synchronie] est de décrire un texte sur la base de sa cohérence, structure et fonction telle qu’elle existe dans sa forme finale. L’objectif de la seconde [diachronie] est d’expliquer les événements historiques et les processus qui ont amené le texte à cette forme. L’exégèse qui cherche à répondre à ce que le texte signifie aujourd’hui est généralement basée sur l’état synchronique du texte, c’est ce qu’il est. D’autre part, l’exégèse qui s’occupe de ce que le texte signifiait s’appuie plus fortement sur la condition diachronique du texte, c’est comment il est devenu ce qu’il est. »

(“The goal of the former [synchronic] is to describe a text on the basis of its coherence, structure, and function as it exists in its final form. The goal of the latter [diachronic] is to explain the historical events and processes that brought the text to this form. Exegesis that seeks to answer what the text means at present is usually based upon the synchronic condition of the text, that is, what it is. On the other hand, exegesis that concerns itself with what the text meant relies more heavily upon the diachronic condition of the text, that is, how it came to be what it is”). (PORTER, Stanley E.; CLARKE, Kent D., “What Is Exegesis? An Analysis of Various Definitions”, in  PORTER, Stanley E., (Ed.), A Handbook to the Exegesis of the New Testament, (NTTS 25), Leiden, Brill, 1997, p. 11-12).

Ces citations montrent que les approches diachronique et synchronique occupent deux dimensions d’un texte. La diachronie traite le sens du texte dans son milieu historique, dans sa genèse et dans son évolution. Pour atteindre cet objectif, on effectue une étude historico-critique qui contient plusieurs disciplines : la critique textuelle, la critique littéraire, la critique des traditions, la critique de la rédaction… Quant à l’approche synchronique, elle s’intéresse à « la forme finale » du texte (voir la présentation du « texte final » du Nouveau Testament ci-dessous). Les analyses dans la perspective synchronique sont les analyses narrative, structurelle et sémiotique…

En définitive, la différence fondamentale des approches diachronique et synchronique est son rapport au texte. En réalité, il existe un conflit, une querelle entre les deux camps, entre les partisans de l’approche diachronique et ceux de l’approche synchronique. Mais est-ce qu’il y a vraiment une tension entre ces deux approches ?

   2. Le conflit et la querelle

En 1990, Beutler (“Méthode”, p. 15-38) et Léon-Dufour (“Où en est la recherche johannique?”, p. 17-41) signalent le débat sur les méthodes. En 1992, Lémonon écrit dans son « Chronique Johannique » : « Depuis lors [Chronique 1982] le conflit autour des méthodes s’est avivé, en partie d’ailleurs parce qu’on n’a pas suffisamment distingué ce que chacune d’entre elles apporte. » (Lémonon, “Chronique”, 1992, p. 97).

Dans l’article de John BARTON, “Historical Criticism and Literary Interpretation. Is There Any Common Ground”, in LONG, V. Philipps, (ed.), Israel’s Past in Present Research. Essays on Ancient Israelite Historiography, (Sources for biblical and theology study, vol. 7), Winona Lake, (IN), Eisenbrauns, 1999, p. 427-438, l’auteur formule les oppositions entre les approches diachronique et synchronique par plusieurs paires de mots :

« Les études bibliques à l’heure actuelle illustrent bien le  phénomène des structuralistes qui étaient si intéressés par l’opposition binaire, et ces quelques paires seront suffisantes pour identifier les deux tendances impliquées : diachronique vs. [versus, opposé à] synchronique ; historique vs. littéraire ; objectiviste vs. subjectiviste ; investigation empirique vs. théorie littéraire ; ce que le texte signifiait vs. ce que le texte signifie (ou ce que les lecteurs peuvent apercevoir à partir du texte). La discussion entre les partisans de ce qu’on pourrait appeler l’option de droite ou l’option de gauche de cette liste est devenue plutôt acrimonieuse, là où elle n’a pas été tout à fait rompue, et il y a une suspicion mutuelle considérable et même un mépris mutuel. »

(“Biblical studies at the moment well illustrate the phenomenon structuralists used to be so interested in, the binary opposition, and a few such pairs will be enough to identify the two trends involved: diachronic vs. synchronic; historical vs. literary; objectivist vs. subjectivist; empirical investigation vs. literary theory; what the text meant vs. what the text means (or what readers may mean by it). Discussion between supporters of what might be called the right-hand or left-hand options in this list has become rather acrimonious, where it has not been broken off altogether, and there is considerable mutual suspicion and even mutual contempt”). (Barton, “Historical Criticism”, p. 427).

Le conflit entre les partisans pourrait être causé par le fait que l’approche synchronique reconnaît la polysémie du texte (plusieurs sens), tandis que l’approche diachronique cherche le sens que l’auteur historique du texte voulait exprimer. Barton utilise le terme “paradigme” qui désigne un système de représentations, de valeurs, de normes pour expliquer le conflit : « Le mot de “paradigme” implique qu’il y a plusieurs façons valables pour la lecture de textes, et je choisis celle-ci ou celle-là. Mais ce que nous venons à appeler aujourd’hui la critique “historique” n’a jamais vu le problème en ces termes. La critique historique n’avait jamais été une option valable parmi d’autres : elle était censée donner la vérité, et la vérité indépendante de perspectives de l’enquêteur. Il n’y a donc aucun moyen, au niveau théorique, par lequel les critiques de style ancien ou récent pourraient échanger sur leurs différences, et encore moins trouver un accord. Ils ne peuvent même pas être d’accord sur ce qui fait leur désaccord. Des deux côtés, il y a la conscience d’appartenir à des parties irrémédiablement opposées, qui n’apprécient toujours pas de partager le vocabulaire pour débattre et en fait, ne parlent pas des mêmes choses. »

(“‘Paradigm’ language implies that there are many valid ways of reading texts, and I choose this one, or that one. But what we have come to call ‘historical’ criticism never saw the matter in those terms. Historical criticism was never meant to be one valid option among many: it was supposed to yield truth, and truth independent of the outlook of the investigator. There is thus no way, at the theoretical level, in which older- and newer-style critics can even communicate their differences, let alone find agreement. They cannot even agree what it is they disagree about. On both sides, there is an awareness of belonging to irreconcilably opposed parties, which do not ever enjoy a shared vocabulary for debate and are not, in fact, talking about the same things”). (Barton, “Historical Criticism”, p. 428).

Le conflit persiste, en 2013, Koog P. Hong utilise les termes : « l’incompréhension », « la rivalité » et « l’antipathie » pour décrire la querelle entre les partisans de la diachronie et de la synchronie : « L’idée que la synchronie et la diachronie sont en opposition a surgi à la suite des études de la forme finale, qui ont favorisé le développement d’un récit à un moment donné, la fracture entre les camps historiques et ceux de la forme finale. L'interaction entre ces deux parties s’est heurtée à l’incompréhension, la rivalité, et l’antipathie. En ce moment, le débat devient une vitrine pour la suprématie exclusive, comme si une démonstration réussie par un côté annule l’autre. »

(“The idea that synchrony and diachrony are in opposition arose in the aftermath of final-form studies, which fostered in time a novel development, the divide between historical and final-form camps. The interaction between these two parties has been fraught with misunderstanding, rivalry, and antipathy. At time, the debate becomes a showcase for exclusive supremacy, as if a successful demonstration by one side negated the other”). (HONG, Koog P., “Synchrony and Diachrony in Contemporary Biblical Interpretation”, CBQ 75/3 (2013), p.  526-527).

Il semble que l’approche diachronique, en particulier,  l’étude historico-critique qui était dominante au long du XXe siècle, serait maintenant en position de défense face à la montée des partisans de l’approche synchronique dans l’étude biblique. Au cours de la dernière décennie, il y avait des publications qui argumentaient en faveur de l’étude historico-critique, par exemple : DENEKEN, Michel, “Un Plaidoyer théologique pour la méthode historico-critique”, RevSR 80/3 (2006) 387-402 ; SKA, J.-L., “Les vertus de la méthode historico-critique”, NRT 131 (2009) 705-727 ; FITZMYER, J. A, The Interpretation of Scripture: In Defense of the Historical-critical Method, New York – Mahwah, (NJ), Paulist Press, 2008.

Deneken écrit en 2006 : « C’est au moment où la méthode historico-critique commence à faire l’objet d’une réelle désaffection au bénéfice d’approches apparemment plus performantes, telles que la narratologie ou l’analyse rhétorique, que le Magistère romain prend position, en 1993, en faveur de cette méthode qui se justifie en raison du caractère historique de la Révélation. » (Deneken, “Un plaidoyer”, p. 387). L’auteur parle même d’une tentative « d’hégémonie sur les autres disciplines » : « Si l’exégèse peut constituer pour la théologie une autorité critique salutaire, elle doit se libérer de la tentation d’hégémonie sur les autres disciplines. » (Deneken, “Un Plaidoyer”, p. 387).

Quant à Ska, en 2009, l’auteur dénomme quatre “griefs principaux” (l’expression de l’auteur) que l’on reproche à l’étude historico-critique. (Cf. Ska, “Les vertus”, p. 705) :   

(1) La méthode historico-critique atomise les textes en découvrant une multitude de sources et de rédactions sans se poser de questions sur le sens du texte tel qu’il est à son stade final et dans sa forme canonique.

(2) La méthode historico-critique s’occupe de la genèse du texte et non de son état actuel. C’est une méthode archéologique, « excavative exegesis » (mot de R. Alter).

(3) Les exégètes qui pratiquent la méthode historico-critique multiplient à l’envi les hypothèses et ils n’arrivent jamais à se mettre d’accord.

(4) La méthode historico-critique est très compliquée, elle suppose trop de connaissance et elle requiert une technicité qui est réservée à l’usage d’une minorité de spécialistes.

Ensuite Ska parle du but de son article : « Mon propos n’est pas de vouloir justifier l’existence d’une méthode qui a acquis droit de cité. Il est plutôt de répondre à un certain nombre d’objections et d’accusations qui, à mon sens, ne sont pas entièrement fondées. En un mot, il s’agit de lui [la méthode historico-critique] rendre justice. » (Ska, “Les vertus”, p. 705-706).

D’un point de vue méthodologique, est-ce qu’il y a conflit entre les deux approches diachronique et synchronique ? Nous allons répondre à cette question dans la partie de nos propositions, pour l’instant nous émettons l’hypothèse que la synchronie contient aussi une dimension historique ou que l’exégèse historico-critique fait aussi une analyse synchronique du texte.

   3. La synchronie est-elle aussi historique ?

Le document de la COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE (CBP), L’interprétation de la Bible dans l’Église, (1993), (4e éd.), Paris, Le Cerf, 2010, parle d’une étape de l’étude synchronique dans l’exégèse historico-critique : « Alors que les étapes précédentes [critique textuelle, critique littéraire, critique des traditions] ont cherché à expliquer le texte par sa genèse, dans une perspective diachronique, cette dernière étape [critique de la rédaction] se termine par une étude synchronique : on y explique le texte en lui-même, grâce aux relations mutuelles des divers éléments et en le considérant sous son aspect de message communiqué par l’auteur à ses contemporains. » (CBP, L’interprétation, p. 32). L’expression “une étude synchronique” dans cette citation veut dire une étude du texte en l’état final dans une perspective historique, c’est-à-dire que le sens du texte final est construit sur des éléments historiques. Tandis que l’approche synchronique vise à chercher le sens du texte dans le texte lui-même. Autrement dit, la tâche de l’étude diachronique n’est pas la même que celle d’une étude synchronique du texte. Certes, ces deux approches (diachronique et synchronique) s’éclairent mutuellement mais il s’agit de deux points de vue méthodologiques différents. (Cf. la citation plus haut de Saussure, Cours, p. 119).

Cette même considération est présentée dans l’article de Hong, l’auteur s’appuie sur la théorie saussurienne des deux axes diachronique et synchronique pour conclure : « La synchronie et la diachronie sont deux dimensions du temps, deux angles temporels, à travers lesquels tout le phénomène ou l’objet historique peut être abordé. Ce qui différencie la synchronie de la diachronie n’est pas leur valeur historique, les deux sont historiques. Ce qui les différencie est leur point de vue sur le temps. Contrairement à une conception populaire parmi les critiques bibliques, la synchronie partage avec la diachronie un aspect ou une dimension importante de l’histoire. »

(“Synchrony and diachrony are two dimensions of time, two temporal angles through which any historical object or phenomenon can be approached. What differentiates synchrony from diachrony is not their historical value, both are historical. What differentiates them is their perspective on time. Contrary to a conception popular among biblical critics, synchrony shares with diachrony a significant side or dimensions of history”). (Hong, “Synchrony and Diachrony”, p.  523).

Hong extrait quelques citations de l’article de James BARR, “The Synchronic, the Diachronic and the Historical: A Triangular Relationship?”, in DE MOOR, Johannes C., Synchronic or Diachronic? A Debate on Method in Old Testament Exegesis, Leiden – New York – Koln, E.J. Brill, 1995, p. 1-14 : « Même en termes saussuriens, par conséquent, la synchronie ne peut pas être absolument opposée à l’approche historique. Une approche synchronique pure, ignorant complètement l’histoire, serait vue, serait logiquement possible que pour une étude du langage au moment présent : dès que l’on regarde l’état synchronique du langage au temps passé, alors on entre dans une enquête historique. Ainsi, la synchronie peut bien être une entreprise historique comme la diachronie. Une façon de penser cela est de poser la question sur ce que nous entendons par un “temps”. »

(“Even in Saussurean terms, therefore, the synchronic cannot be absolutely opposed to the historical. A pure synchronic approach completely ignoring history, it would be seen, would be logically possible only for a study of language in the present moment: as soon as one looks at the synchronic state of language in a past time, then one is entering into historical investigation. Thus the synchronic can be as much a historical enterprise as the diachronic is. One way to think of this is by asking the question what we mean by a ‘time’”). (Barr, “The Synchronic”, p. 2-3).

Dans l’article de Léon-Dufour, “Où en est la recherche johannique?, p. 17-41, l’auteur présente ses études en trois grandes parties : « I. Approche diachronique » ; « II. Approche synchronique » ; « III. Présentations Globales ». Il est étonnant que l’auteur classe « Approche historico-critique » dans la rubrique « Approche synchronique ». L’auteur explique : « Les études ici rapportées [l’approche historico-critique considérée comme l’approche synchronique] se soucient de découvrir grâce à des examens d’ordre linguistique l’enracinement du texte johannique. Elles relèvent ordinairement d’un souci concernant l’unité littéraire du texte, mais admettent aussi l’existence de “sources”. Si je les range sous la rubrique “synchronique”, c’est que, méthodologiquement, elles relèvent premièrement de cette approche. » (Léon-Dufour, “Où en est la recherche johannique?, p. 28). L’usage des termes « diachronie / synchronie » dans cet article ne correspond pas à la définition saussurienne de ces termes, puisque cette recherche de l’unité du texte (synchronique) est considérée comme une étude historico-critique (diachronique). Cependant, le classement de Léon-Dufour ci-dessus est intéressant dans la mesure où l’auteur a montré une tendance de l’étude qui met en valeur l’unité du texte à l’état final au sein de la recherche historico-critique. Au moment où l’étude historico-critique est dominante dans l’étude biblique, l’approche synchronique a eu besoin de plusieurs décennies pour devenir une étude indépendante par rapport à l’approche historico-critique.  L’indépendance de l’étude synchronique est manifestée dans l’organisation de l’article de Gourgues, “Cinquante ans”, cité plus haut.

En conclusion, nous sommes en désaccord avec les considérations ci-dessus qui attribuent une dimension historique à l’approche synchronique pour les deux raisons suivantes :

(1) Ce n’est pas parce que la synchronie et diachronie désignent deux dimensions du temps que « les deux sont historiques » (mots de Hong cités plus haut). Il est évident que les textes de toutes les époques peuvent être étudiés dans les deux axes diachronique et synchronique, mais ce n’est pas parce qu’un texte du 1er siècle que l’approche synchronique de ce texte d’aujourd’hui est “une enquête historique” (mots de Barr cités plus haut). Les considérations dans les citations ci-dessus sembleraient contradictoires avec la théorie de Saussure sur les deux axes diachronique et synchronique. Comme nous l’avons dit, selon Saussure, la synchronie est « l’axe des simultanéités (AB), concernant les rapports entre choses coexistantes, d’où toute intervention du temps est exclue ». (Saussure, Cours, p. 115). C’est-à-dire que la perspective synchronique ne contient pas la dimension du temps historique. Quant à la diachronie, c’est « l’axe des successivités (CD), sur lequel on ne peut jamais considérer qu’une chose à la fois, mais où sont situées toutes les choses du premier axe avec leur changements ». (Saussure, Cours, p. 115). Autrement dit, la perspective diachronique se situe dans le déroulement du temps, c’est une étude historique.

(2) Pour appliquer à l’étude biblique, il existe des dimensions « du temps » et « de l’histoire » dans l’approche synchronique mais ces dimensions ne sont pas historiques comme dans l’étude diachronique. L’approche  synchronique étudie « le temps », « l’histoire » ou « le récit » racontés dans le texte. Ce sont des événements du texte et non pas des événements historiques. C’est ainsi que dans l’étude synchronique, on peut parler de l’espace, du temps, du cadre, du déroulement du récit… Ces termes décrivent l’univers du texte et non pas les références historiques.

Les citations précédentes montrent que nous nous trouvons devant un dilemme pour comprendre les approches diachronique et synchronique, soit l’une contre l’autre, soit l’une impliquant l’autre. Pour sortir de ce dilemme, nous présentons nos propositions ci-après.

IV. Les propositions

Chaque approche, soit diachronique, soit synchronique a sa valeur, pour mieux les appliquer à l’étude biblique, nous proposons les quatre points suivants : (1) Elles sont différentes et indépendantes ; (2) Elles sont complémentaires, l’une éclaire l’autre ; (3) Les excès dans l’application ; (4) Les limites de chaque approche.

   1. La différence et l’indépendance

Cette partie présente la différence et l’indépendance des deux approches diachronique et synchronique. Saussure a bien distingué les deux axes diachronique et synchronique que nous avons présentés plus haut. Ce sont deux approches différentes d’un seul objet : le texte. Chacune garde son indépendance avec sa propre méthode.

L’étude diachronique étudie le texte dans son milieu historique. C’est une approche historico-critique, son objectif est de trouver le sens originel du texte, c’est le sens que l’auteur historique du texte a voulu donner. Quant à l’étude synchronique, l’aspect du temps est considéré autrement, ce n’est plus le temps du déroulement historique d’un événement mais le temps du déroulement d’un texte ou d’un film. « Contrairement à une affiche, la synchronie d’un film n’est pas une image, ou une série d’images considérées séparément, mais l’examen du film dans sa dynamique. » (DUBOIS, J.; GUESPIN, L., (et al.), Dictionnaire de linguistique, Paris, Larousse, 1973, p. 147).

Dans l’application au texte biblique, l’approche synchnronique utilise l’analyse narrative, l’analyse structurelle entre autres pour étudier le texte. Le principe de cette perspective synchronique est qu’ « une fois écrit, le texte existe par lui-même et se pose comme “lieu de sens” autonome ». (LÉtourneau, Pierre, Jésus, Fils de l’homme et Fils de Dieu, Jean 2,23–3,36 et la double christologie johannique, (Rech.NS 27), Montréal - Paris, Bellarmin - Le Cerf, 1993, p. 14-15). Ces analyses se concentrent sur le texte pour saisir son message, elles utilisent les termes techniques, par exemple : l’auteur et le lecteur implicites ; le narrateur et le narrataire (le destinataire du texte) ; l’intrigue ; l’espace et le temps du récit ; la structure du texte ; le rôle des personnages ; le rôle du lecteur d’aujourd’hui face au texte etc…

Voici quelques ouvrages d’initiation à l’analyse narrative : (1) MARGUERAT, Daniel ; BROUQUIN, Yvan, Pour lire les récits bibliques, Initiation à l’analyse narrative, (3e éd.), Paris –Genève, Le Cerf – Labor et Fides, 2004 ; (2) RESSEGUIE, James L., L’exégèse narrative du Nouveau Testament. Une introduction, (Le livre et le rouleau 36), Bruxelles, Lessius, 2009. (Org. Narrative Criticism of the New Testament: An Introduction, Grand Rapids (MI), Baker Academic, 2005. Ces ouvrages présentent les techniques de l’analyse narrative  et l’illustrent par des applications au récit de l’Ancien et du Nouveau Testament.

   2. La complémentarité entre les deux approches

Dans le domaine de l’analyse des figures, Paul Ricoeur montre l’intérêt d’une approche conjuguée des aspects synchroniques et diachroniques : « Un phénomène comme la métaphore a des aspects systématiques et des aspects historiques ; pour un mot, avoir plus d’un sens est, strictement parler, un fait de synchronie ; c’est mainenant, dans le code, qu’il signifie plusieurs choses ; il faut donc mettre la polysémie du côté de la synchronie ; mais le changement de sens qui ajoute à la polysémie et qui, dans le passé, avait contribué à constituer la polysémie actuelle, est un fait diachronique ; la métaphore, en tant qu’innovation, est donc à mettre parmi des changements de sens, donc parmi des faits diachroniques ; mais en tant qu’écart accepté elle s’aligne sur la polysémie, donc au plan synchronique. Il faut donc, encore une fois, médiatiser une opposition trop brutale et mettre en relation les aspects structuraux et historiques. Le mot semble bien être au carrefour des deux ordres de considération, par son aptitude à acquérir de nouvelles significations et à les retenir sans perdre les anciennes ; de ce procès cumulatif, par son caractère double, semble appeler un point de vue panchromique. » (RICOEUR, Paul, La Métaphore vive, Paris Le Seuil, 1975, p. 157).

Dans le domaine de l’étude biblique, Jean-Marie Van Cangh met en relief la complémentarité entre les approches diachronique et synchronique : « La méthode historico-critique qui appartient au domaine de la diachronie, doit être accompagnée de recherches de type synchronique : méthode sémiotique, méthode rhétorique et méthode narrative. » (VAN CANGH, Jean-Marie, “La méthode historico-critique. Quelques applications”, dans PESCH, Otto Hermann; VAN CANGH, Jean-Marie, (dir.), Comment faire de la théologie aujourd’hui? Continuité et renouveau, Bruxelles, Académie Internationale des Sciences religieuses, 2003, p. 176).

Quant à Léon-Dufour, l’auteur choisit l’approche synchronique pour son commentaire (Cf. LÉON-DUFOUR, Xavier, Lecture de l’Évangile selon Jean, t. I, (Parole de Dieu), Paris, Le Seuil, 1988, p. 23). En même temps, il précise la complémentarité entre la diachronie et la synchronie : « Deux méthodes principales commandent l’intelligence d’un texte. Selon la méthode “diachronique”, le commentateur tente de reconstituer les étapes de la formation du texte. Selon la méthode “synchronique”, le texte est examiné en son dernier état et non dans sa genèse. Ces deux méthodes sont complémentaires ; l’erreur serait de les croire mutuellement exclusives. » (Léon-Dufour, Lecture de l’Évangile, t. I, p. 21).

L’opinion de Francis J. Moloney au sujet de « narrative criticism » et « historical-critical » va dans le même sens de la complémentarité dans l’étude johannique : « La critique narrative est seulement une parmi plusieurs méthodes plus récentes utilisées dans les études johanniques contemporaines, mais c’est de loin, la plus importante contribution à (et non pas remplacement de) l’approche historico-critique qui est si habilement pratiquée par Brown. » (“Narrative criticism is only one of the several newer methods being used in contemporary Johannine scholarship, but it is by far the most important addition to (not replacement of) the historical-critical approach so capably wielded by Brown”). (L’introduction de F. J. Moloney dans R. E. Brown, An Introduction to the Gospel of John, (ABRL), New York (NJ), Doubleday, 2003, p. 13).

La complémentarité entre la diachronie et la synchronie ne se fait pas dans le sens que l’approche synchronique utilise les résultats de l’approche diachronique pour interpréter le texte, puisque ces approches sont différentes et qu’elles utilisent des méthodes divergentes pour examiner le texte. La complémentarité entre ces approches concerne deux aperçus différents du texte. Elle permet d’observer le texte dans ses deux dimensions (la diachronie et la synchronie).

Nous pouvons mentionner deux complémentarités concrètes entre la diachronie et la synchronie dans l’étude du Nouveau Testament : (1) La contribution de l’étude diachronique, en particulier de la critique textuelle est d’établir le texte grec standard. Ce texte sert comme « texte final » dans l’approche synchronique. (Voir la partie « le texte final » ci-dessous). (2) L’étude diachronique permet de dater la rédaction finale du texte et de situer le contenu dans l’histoire. Le lecteur sait que le texte de l’Évangile de Jean raconte la vie, la mission, la mort et la résurrection de Jésus des années 30, et que cet Évangile a pris sa forme finale à la fin du 1er siècle.

On peut dire que l’approche diachronique et l’approche synchronique ont leur propre valeur. L’importance est de savoir laquelle permet de parler judicieusement sur tel aspect du texte, et surtout les excès dans l’application sont à éviter.

   3. Les excès dans l’application

Les abus dans l’application des méthodes peuvent se produire dans toutes les approches. L’application de manière abusive et excessive aboutit à des résultats peu convaincants. Plusieurs auteurs parlent de ce phénomène.

Léon-Dufour signale ainsi la faiblesse d’une application excessive dans la structure du texte : « Je me rends compte qu’aujourd’hui sévit une fièvre chiasmatique qui trahit son artifice, du fait que les personnes atteintes de cette maladie ne débouchent aucunement sur des résultats identiques. » (LéON-DUFOUR, Xavier, “Bulletin d’exégèse du Nouveau Testament. L’évangile de Jean”, RSR 73 (1985) p. 267). Quant à Ska, l’auteur remarque en 2009 : « Dans le monde de l’analyse structurale, appelée aussi rhétorique biblique, on se plaît parfois à multiplier les catégories et sous-catégories ou encore à subdiviser les textes en unités de plus en plus concises. Les membres d’un parallélisme peuvent aller d’une page entière à un seul mot ou même à un suffixe. Là aussi, à mon sens, la scolastique risque de s’emparer de la méthode et de ramener la recherche à des discussions sur des points d’importance secondaire. Il en va de l’exégèse comme des grandes écoles d’architecture : aux périodes d’invention succèdent d’autres périodes où l’art se concentre uniquement sur la décoration. » (Ska, “Les vertus”, p. 707). Pour l’étude diachronique, en particulier l’étude historico-critique, Ska estime : « Il est clair, par ailleurs, que de nombreux exégètes ont procédé au découpage intensif des textes au point de mettre en péril la crédibilité des méthodes employées. » (Ska, “Les vertus”, p. 707).

Enfin, la remarque ci-dessous de Ska vaut pour l’approche diachronique ainsi que pour l’approche synchronique : « Certes, pour le dire simplement, il y a de bonnes lectures et de meilleures lectures. Et certaines lectures, je n’hésite pas à le dire, sont tout simplement erronées. » (Ska, “Les vertus”, p. 710).

   4. Les limites de chaque approche

Chaque approche étudie un aspect du texte, l’approche diachronique et l’approche synchronique ont leur propre particularité, leur propre domaine, c’est pour cela que ces approches ont leurs limites.

Dans le domaine de l’étude historico-critique, Ska remarque : « Expliquer quand et comment un texte a été écrit ne nous dit pas encore pourquoi il a été écrit et encore moins ce qu’il veut dire. » (Ska, “Les vertus”, p. 708). Quant à John E. McFayden, il exprime la situation de la recherche diachronique ainsi : « Partout les incertitudes abondent, et comme la colombe après le Déluge, il semble que nous ne trouvons nulle part la terre ferme pour la plante du pied. » (“Everywhere uncertainties abound, and, like the dove after the Deluge, we seem to find no solid ground anywhere for the sole of our foot”). (MCFAYDEN, John E., “The Present Position of Old Testament Criticism”, in PEAKE, Arthurs S., (ed.), The People and the Book, (Essays by the members of the Society for Old Testament Study), Oxford, Oxford University Press, 1925, p. 218).

Les résultats de l’exégèse historico-critique sont souvent fondés sur des hypothèses et l’objectif premier de cette exégèse consiste à établir le sens premier d’un texte dans son contexte historique. Jean Zumstein présente six limites de l’interprétation de l’étude historico-critique dans son article : ZUMSTEIN, Jean, “Les limites de l’interprétation”, dans BUHLER, Pierre ; KARAKASH, Clairette, (éd.), Quand interpréter c’est changer. Pragmatique et lectures de la Parole, (Actes du Congrès international d’herméneutique, Neuchâtel, 12-14 septembre 1994), (Lieux théologique 28), Genève, Labor et Fides, 1995, p. 77-83 :

(1) « L’exégèse historico-critique rend justice au sens premier des textes, mais elle les prive de ce fait de leur pertinence existentielle. Ici surgit la première limite de l’interprétation en lien avec le concept historico-critique. » (Zumstein, “Les limites”, p. 78). Nous pensons que la dimension existentielle du texte est la compétence de l’approche synchronique.

(2) L’étude historico-critique cherche ce qui est autour du texte  en utilisant plusieurs disciplines : Celui dont parle le texte, c’est Jésus de Nazareth, (critique littéraire) ; l’univers religieux de l’Antiquité présenté dans le texte (l’histoire comparée des religions) ; la reconstitution de l’histoire des traditions du texte (l’histoire des formes), les étapes de la rédaction du texte (l’histoire de la rédaction) ; les conditions de la production d’un texte (la socio-exégèse) ; les effets du texte au cours de l’histoire de l’Église (l’histoire de réception). Ces études se concentrent sur les questions autour du texte plutôt que sur le sens premier du texte et sur l’intention de l’auteur. (Cf. Zumstein, “Les limites”,  p. 78-80).

(3) « L’objectif de la méthode historico-critique – s’en tenir au sens initial du texte – soulève des problèmes aussi bien au niveau de la documentation elle-même, qu’en regard du phénomène du canon, qu’en regard de la nature même d’un texte littéraire. La question du statut du sens pose la troisième limite de l’interprétation. » (Zumstein, “Les limites”, p. 81). Pour le phénomène du canon, selon Zumstein : « Le phénomène de la canonisation des textes bibliques postule le divorce entre le texte retenu et son contexte de communication initial. Le canon induit un processus de décontextualisation. Le livre qui entre dans le canon biblique acquiert un caractère normatif, indépendamment de son enracinement originaire. Quel est le sens régulatif ? Le sens premier ou le sens canonique ? » (Zumstein, “Les limites”, p. 80). De la nature d’un texte littéraire, Zumstein  écrit : « Le phénomène de décontextualisation et de recontextualisation – dont le canon est la figure historique privilégiée – est une caractéristique de toute œuvre littéraire. Toute œuvre littéraire est en effet nantie d’une dynamique propre qui lui permet de se séparer de son auteur historique et de ses destinataires intentionnels pour faire sens dans de nouveaux contextes. Le sens d’un texte ne se limite pas à son sens premier, mais il se caractérise par une potentialité de sens. » (Zumstein, “Les limites”, p. 81).

(4) L’interprétation d’un texte suppose une précompréhension (savoir, expérience, enracinement historique) devant le contenu exprimé dans le texte. Il en est ainsi : « Seule une analyse critique de la précompréhension du lecteur ouvre la voie à une lecture critique du texte, car seule une telle enquête peut montrer à partir de quel point de vue le texte est abordé […]. La thématisation de la précompréhension permet de quitter le terrain des préjugés pour mieux porter au langage celui des présupposés. […] Une quatrième limite de l’interprétation s’annonce dans son caractère indépassablement situé. » (Zumstein, “Les limites”, p. 82).

(5) « Le sens du texte n’est pas une dimension cachée quelque part dans le texte et qu’il s’agirait de trouver, puis d’exhumer. Le sens advient par l’acte même de la lecture. […] Si la lecture est l’acte créatif qui fait surgir le sens du texte, se pose alors la question de la vérité de la lecture. » (Zumstein, “Les limites”, p. 82). Selon l’auteur, l’objectif de la lecture ne consiste pas à prouver que telle lecture est vraie mais plutôt à exclure les lectures fautives : « La cinquième limite de l’interprétation résulte du fait que je peux falsifier une lecture, mais non prouver sa vérité. L’établissement du sens d’un texte se situe dans le registre du possible (problème de la plurivocité). » (Zumstein, “Les limites”, p. 82). « La plurivocité » désigne un mot qui a plusieurs sens, plusieurs valeurs, plusieurs significations.

(6) « La principale forme d’oubli en honneur aujourd’hui est le positivisme exégétique. L’explication historique ou linguistique du texte tient lieu d’interprétation. […]. Conçue de façon positive, la compréhension ne peut pourtant jamais être absolue. Elle est placée sous le signe de l’historicité. Elle n’advient que dans une situation déterminée et pour cette situation déterminée. En ce sens, elle reste nécessairement inachevée. […] La sixième limite de l’interprétation résulte de l’historicité de la compréhension. » (Zumstein, “Les limites”, p. 83).

Les six limites d’interprétation présentées par Zumstein ci-dessus ne nous découragent pas de nous engager dans l’étude biblique. Au contraire, reconnaître ces limites est une chance pour que notre interprétation soit meilleure, juste et appréciée.

Quant à la limite de l’étude synchronique, ce sont les aspects historiques du texte. Beutler met en garde au sujet de la limite de l’approche synchronique : « Il ne faut pas que la concentration sur le texte existant fasse qu’on nie à priori sa (possible) préhistoire, ou qu’on la déclare d’emblée impossible à établir. Une lecture synchronique du texte est nécessaire, mais elle ne peut se suffire à elle-même. » (Beutler, “Méthodes”, p. 30).

La deuxième limite de l’étude synchronique est d’établir le « texte final ». L’approche synchronique est basée sur « le texte final » mais cette approche n’a pas la compétence pour établir « le texte final », puisque ce texte est le résultat d’une étude diachronique. Avant de lire le texte dit « en l’état final » dans une perspective synchronique, il vaut mieux savoir d’où vient ce « texte final ».

V. Le « texte final » du Nouveau Testament

En ce qui concerne le texte du Nouveau Testament, on peut se demander d’où vient « le texte final » ou « le texte actuel » ? Les détails différents des traductions du Nouveau Testament viennent-ils du choix d’un sens parmi d’autres mots, ou du choix parmi des variantes dans les manuscrits grecs ? Existe-t-il donc « un texte final » ou plusieurs textes, plusieurs traductions du texte ?

Le texte du Nouveau Testament a été écrit en grec. Ce que nous avons de nos jours sont des manuscrits, et des centaines d’entre eux remontent jusqu’au 2e siècle de notre ère. Dans ces manuscrits il y a des milliers de variantes. Le texte grec du Nouveau Testament est donc un texte qui a été établi à partir des anciens manuscrits. Les spécialistes de la critique textuelle (l’étude diachronique) ont examiné les variantes et ont établi un texte grec standard du Nouveau Testament qui sert comme référence pour l’étude du Nouveau Testament et pour la traduction du Nouveau Testament dans toutes les langues.

Les dernières éditions critiques du Nouveau Testament grec sont : (1) la 28e édition de Nestle-Aland, publiée en 2012 : Nestle-Aland, Novum Testamentum Graece, (28th Revised Edition), Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 2012, et (2) la 4e édition révisée de B. Aland, K. Aland et autres en 2001 : ALAND, B.; ALAND, K. (et al.), (eds.), The Greek New Testament, (Fourth Revised Edition), Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 2001.

Ce travail de critique textuelle n’est pas encore fini, puisque le choix des variantes est toujours à réexaminer, à réévaluer selon de nouvelles études de critique textuelle, de nouvelles interprétations des variantes ou de découvertes éventuelles des manuscrits. Dans cette perspective, c’est au lecteur (exégète, commentateur, chercheur…)  de critiquer et de faire le choix entre les variantes durant l’étude d’un texte.

L’approche synchronique du texte bénéficie donc des travaux de critique textuelle qui établissent le texte grec standard qu’on qualifie de « texte final ». Cependant, ce texte n’est pas encore « final » dans le sens où il est fixé et fermé. Les publications grecques du Nouveau Testament citées plus haut ne sont que des propositions, de choix des variantes parmi d’autres qui sont signalées dans l’apparat critique. Le choix d’une variante peut nuancer le sens du texte. C’est ainsi que « le texte final » reste « un texte ouvert ». L’usage de l’appellation « le texte final » est donc compris dans le sens du « texte standard » et il est important de tenir compte de la complexité du processus d’établissement du texte que nous lisons aujourd’hui soit en grec, soit dans une langue traduite.

À partir de ce texte standard, l’approche synchronique utilise l’analyse narrative, l’analyse structurelle, entre autres, pour délimiter une péricope, observer son contexte littéraire, sa structure, ses caractères sémantiques ainsi que les procédés littéraires comme le malentendu, l’ironie, le symbole, etc… avant de l’interpréter.

VI. Conclusion

Pour que l’étude de la Bible atteigne son objectif : contribuer à la compréhension de son message, la proposition de Ska ci-dessous semble pertinente. Il s’agit d’étudier scientifiquement, de savoir ses limites et de promouvoir le travail en équipe. Ska écrit : « Une exégèse trop technique s’éloigne de son public et surtout du peuple chrétien à qui la Bible appartient en tout premier lieu. Une exégèse trop peu technique ou trop simple nourrit le fondamentalisme et ne fournit aucun aliment solide au peuple chrétien. Les exégètes, par ailleurs, ne peuvent pas être tous de bons spécialistes et de bons vulgarisateurs. Il est donc indispensable que le travail se fasse en équipe. Que pasteurs, prédicateurs et enseignants ou enseignantes se documentent et consultent les travaux d’exégèse. Que l’exégète se souvienne qu’il fait partie d’une communauté croyante et d’une humanité qui cherche à donner un sens à son existence. » (Ska, “Les vertus”, p. 714).

En vue de saisir le sens du message de l’Évangile de Jean, nous étudions le quatrième évangile dans une perspective synchronique en utilisant en particulier l’analyse narrative et l’analyse structurelle. En travaillant sur le texte grec du Nouveau Testament, nous nous intéressons donc à la critique textuelle pour examiner et choisir les variantes. Nous consultons les résultats de la recherche diachronique pour mieux situer le texte de l’Évangile de Jean dans son milieu historique. Dans l’état actuel du texte de l’Évangile de Jean, plusieurs thèmes de l’étude historique sont indispensables pour comprendre cet évangile, par exemple la relation entre les Samaritains et les Juifs (Jn 4) ; les fêtes juives : la Pâque, la fête des Tentes, la fête de la Dédicace… ; la conséquence de l’exclusion de la synagogue ; le calendrier juif ; la topographie etc…

En bref, l’approche synchronique qui a sa propre technique doit tenir compte de l’approche diachronique du texte. Pour mieux comprendre la particularité de chaque approche, son indépendance et sa complémentarité, nous envisageons de présenter dans les articles suivants la technique de l’étude historico-critique (l’approche diachronique), et celles de l’analyse narrative et de l’analyse structurelle (l’approche synchronique)./.


Bibliographie


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