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Le 23 octobre 2015.
Contenu
I. Introduction
II. Les documents des IIe-IVe siècles
1. Irénée : Jean, le disciple du
Seigneur
2. Papias et Eusèbe : l’apôtre Jean et
le presbytre Jean
3.
Polycrate : Jean le prêtre
4.
Canon Muratori : Jean, l’un des disciples
5.
Clément d’Alexandrie : Jean (tout court)
6.
Les traditions de la vie de l’apôtre Jean
7.
Le martyre de Jean l’apôtre
III. Interprétation des données des IIe-IVe
siècles
1. Jean,
le disciple que Jésus aimait
2.
Jean, l’un des disciples
3.
Jean le Presbytre
4.
Jean le prêtre
IV. Conclusion
I. Introduction
Dans cet article, les références aux auteurs
sont abrégées. Le nom de l’auteur suivi d’un astérisque (*) renvoie à son
commentaire de l’Évangile de Jean. Pour un ouvrage ou un article nous ajoutons quelques
mots du titre, en italique s’il s’agit d’un livre, entre guillemets s’il s’agit
d’un article ou un extrait d’un ouvrage. La référence complète se trouve dans
la bibliographie à la fin de l’article.
En 1984, Cothenet, « L’Évangile »,
141, remarquait ainsi sur l’identification de l’auteur du quatrième Évangile avec Jean le fils de Zébédée : « Depuis la seconde moitié du IIe
s., une tradition ferme attribue le IVe Évangile à l’apôtre Jean,
fils de Zébédée. Cette attribution a été mise en doute pour la première fois en
1820 ; depuis lors elle fait l’objet de discussions passionnées. » Cothenet
reconnaît les embellissements légendaires dans les traditions des IIe-IVe
siècles, mais il défend la thèse d’identification entre « le disciple que
Jésus aimait » avec « l’apôtre Jean » : « Ces
excroissances de la légende ne permettent cependant pas de récuser
l’affirmation répétée qu’à la fin de sa vie l’apôtre Jean séjourna à Éphèse et
ne serait autre que le Disciple bien-aimé, garant des traditions du IVè
évangile. » (Cothenet, « L’Évangile », 146).
En réalité, l’identification entre « l’apôtre
Jean, fils de Zébédée » et « le disciple que Jésus aimait » n’est
pas évidente dans les traditions des IIè-IVè siècles. Les
auteurs anciens attribuent à « Jean » l’auteur du quatrième Évangile mais de quel Jean s’agit-il ? Les textes anciens parlent de plusieurs
Jean : « Jean » tout court, « Jean, le disciple du
Seigneur », « Jean, l’un des disciples », « Jean l’apôtre »,
« Jean le presbytre », « Jean le prêtre ». Il existe donc une
difficulté d’identification de l’auteur du quatrième Évangile basée sur la
tradition des premiers siècles. Nous abordons dans cet article ce que disent
les auteurs anciens (Irénée, Papias, Eusèbe, Polycrate, le Canon Muratori et Clément
d’Alexandrie) sur Jean et sur l’auteur du quatrième Évangile. Cette étude
montrera la complexité du dossier. Avant d’étudier les textes des auteurs
anciens, nous présentons quelques éléments biographiques selon l’ordre d’apparition
dans cet article :
■ Irénée, Père de
l’Église, le deuxième évêque de
Lyon, entre 177-202, d’où l’appellation : « Irénée de Lyon ». Il
est né à Smyrne en Asie Mineure vers 130 et mort martyr à Lyon en 202. Irénée
est le défenseur de l’orthodoxie de la foi contre la gnose et il est
le premier écrivain chrétien qui mentionne la liste des quatre Évangiles
canoniques dans l’ordre Mt – Mc – Lc – Jn (cf. Irénée, Contre les Hérésies III, 1,1, p. 25).
■ Polycarpe, Père
de l’Église (Père apostolique), évêque de Smyrne, appelé Polycarpe de Smyrne, il
est né à Smyrne vers 70 et mort martyr vers 155. Il est nommé évêque de Smyrne
vers l’an 100. Il combattit de nombreuses hérésies en particulier la gnose et Marcion.
La tradition considère que Polycarpe est un disciple de l’apôtre Jean.
■ Papias, Père de
l’Église (Père apostolique), évêque d’Hiérapolis dans la première partie du IIe
siècle, d’où l’appellation « Papias d’Hiérapolis ». La vie de Papias
se situe environ entre les années 70–165. Selon Irénée, Papias est « auditeur
de Jean, familier de Polycarpe » (Contre
les Hérésies V, 33,4, p. 417).
■ Eusèbe, Père de
l’Église, évêque de Césarée en Palestine, appelé Eusèbe de Césarée. Il adopte
lui-même le surnom de Pamphile pour rendre hommage à son maître Pamphile de
Césarée. Eusèbe est né vers 265 et mort le 30 mai 339. Il est l’auteur de
nombreux livres historiques, apologétiques et exégétiques, en particulier
l’ouvrage Histoire ecclésiastique qui
décrit histoire chrétienne des premiers siècles de notre ère.
■ Polycrate, évêque
d’Éphèse, appelé Polycrate d’Éphèse, né vers 125 et mort vers la fin du IIe
siècle. Il est contemporain d’Irénée. Polycrate est connu pour sa lettre
envoyée au Pape Victor Ier portant sur la querelle de la célébration
de la Pâque au soir du quatorze Nisan selon le calendrier juif (la Pâque
quartodécimaine).
■ Canon Muratori est une liste des textes du NT qui porte le nom de son
inventeur : « Muratori ». Selon Dubois, « Le Canon de
Muratori », 80, « Depuis les travaux de A. C. Sundberg, plusieurs
auteurs cherchent à dater ce texte de la période de fabrication des listes de
textes canoniques, soit du IVo siècle ; pour diverses raisons,
nous pensons que l’hypothèse d’une datation de ce texte vers la fin du IIo
ou au début du IIIo siècle reste encore celle qui explique le mieux
les composantes de cette liste descriptive. » Le terme « canon »
dans « Canon Muratori » ici doit être compris non pas au sens
strict : une liste des textes officiels de toute Église, mais dans le sens
« un fragment » contenant une liste des textes du NT qui marque le début d’un long processus de
canonisation. Si la datation du Canon Muratori remonte jusqu’à la fin du IIe
siècle, le Canon biblique comme une liste des livres retenus par l’Église
universelle doit être situé au IVè siècle. (Cf. Blanchard,
« Naissance du NT », 39).
■ Clément
d’Alexandrie, Père de l’Église (Père grec), né
à Athènes vers 150 et mort en Asie Mineure vers 220. Il
était de parents païens et fut converti au christianisme par saint Pantène, le
fondateur de l’école philosophique chrétienne qui dépendait de l’église d’Alexandrie. Clément y succéda
vers 187 à son maître, après avoir été ordonné prêtre. À la fin de sa vie, sa
place avait été donnée à son élève Origène.
■ Tertullien, Père
de l’Église (Père latin), né vers 155 à
Carthage (actuelle Tunisie) et décédé vers 220 à Carthage. Il est issu d’une
famille berbère romanisée et païenne. Il se convertit au christianisme à la fin
du IIe siècle et est considéré comme le plus grand théologien
chrétien de son temps. Cependant sa figure est controversée, car il rejoint le
mouvement hérétique montaniste à la fin de sa vie.
Nous abordons
les auteurs anciens à travers les sept points suivants : (1) Irénée :
Jean, le disciple du Seigneur ; (2) Papias et Eusèbe : l’apôtre Jean
et le presbytre Jean ; (3) Polycrate : Jean le prêtre ; (4)
Canon Muratori : Jean, l’un des disciples ; (5) Clément
d’Alexandrie : Jean (tout court) ; (6) Les traditions de la vie de
l’apôtre Jean ; (7) Le martyre de Jean l’apôtre.
1. Irénée : Jean, le disciple du Seigneur
Irénée de Lyon se réclame du témoignage de
Polycarpe de Smyrne et celui de Papias de Hiérapolis. Selon Irénée, Polycarpe a
une relation vivante avec les apôtres. Dans Contre
les Hérésies, III, 3,4, p. 39 et 41 (la page 40 est en latin et grec),
Irénée écrit : « Mais on peut nommer également Polycarpe. Non
seulement, il fut disciple des apôtres et vécut avec beaucoup de gens qui
avaient vu le Seigneur, mais c’est encore par des apôtres qu’il fut établi,
pour l’Asie, comme évêque dans l’Église de Smyrne. Nous-mêmes l’avons vu dans notre prime
jeunesse – car il vécut longtemps et c’est dans une vieillesse avancée
que, après avoir rendu un glorieux et
très éclatant témoignage, il sortit de cette vie –. » Eusèbe a cité ce passage dans Histoire ecclésiastique, IV, 14,3, p.
179. Zumstein, « L’évangile selon Jean », 363, remarque : « Les
écrits de Polycarpe sont muets concernant sa prétendue connaissance du
Zébédaïde. »
Pour Irénée, Papias est auditeur de l’apôtre
Jean et il a écrit cinq livres : « Voilà, ce que Papias, auditeur de
Jean, familier de Polycarpe, homme vénérable, atteste par écrit dans le
quatrième de ces livres – car il existe cinq livres composés par lui –. »
(Irénée, Contre les Hérésies, V,
33,4, p. 417). Cependant, Eusèbe a mis en doute le propos d’Irénée
considérant Papias comme l’auditeur de Jean. Eusèbe, Histoire ecclésiastique, III, 39,1-2, p. 153-154, écrit :
« [1] De Papias, on présente, au nombre de cinq, des livres qui sont
intitulés les Exégèses des discours du Seigneur. De ces livres, Irénée fait
mention comme des seuls qui aient été écrits par Papias, en disant
textuellement : “Papias, lui aussi auditeur de Jean et compagnon de Polycarpe,
homme ancien, a témoigné par écrit dans le quatrième de ses livres. En effet,
il existe cinq livres composés par lui.” Voilà ce que dit Irénée. [2] Pourtant,
Papias, dans la préface de ses livres, ne se montre pas lui-même comme ayant
jamais été l’auditeur ou le spectateur des saints apôtres, mais il apprend
qu’il a reçu ce qui regarde la foi par ceux qui les avaient connus ». Les
citations plus hauts montrent qu’on ne peut pas affirmer avec certitude le lien
entre les personnages : l’apôtre Jean, Polycarpe et Papias.
Quant à l’auteur du quatrième Évangile, Irénée
en parle dans son traité Contre les
Hérésies III, 1,1, p. 25 : « Puis Jean, le disciple du
Seigneur, celui-là même qui avait reposé sur sa poitrine, publia lui aussi l’évangile, tandis qu’il séjournait à éphèse, en Asie. » Irénée rappelle la place de ce disciple au dernier repas
en Jn 13,23 : « Un de ses disciples était installé tout contre
Jésus: celui que Jésus aimait ». L’expression « Jean, le disciple du
Seigneur » revient quand Irénée parle de la réception du quatrième Évangile dans Contre les Hérésies III,
11,1, p. 139 : « C’est cette même foi qu’a annoncée Jean, le disciple
du Seigneur. Il voulait, en effet, par l’annonce de l’évangile, extirper l’erreur semée parmi les hommes par
Cérinthe et, bien avant lui, par ceux qu’on appelle les Nicolaïtes – il s’agit
d’un rameau qui s’était détaché de la ‘prétendue Gnose’. – »
Irénée attribue donc l’auteur du quatrième Évangile à une personne nommée « Jean » qui est « le disciple du
Seigneur » et « qui avait
reposé sur sa poitrine [de Jésus] » (Irénée, Contre les Hérésies III, 1,1, p. 25), c’est-à-dire « le
disciple que Jésus aimait » de l’Évangile de Jean. Cependant, il n’y pas d’indice
explicite pour identifier ce « Jean » avec « l’apôtre Jean, le
fils de Zébédée ». La préoccupation d’Irénée était plutôt de défendre
l’authenticité du quatrième Évangile face aux textes gnostiques de son temps qui
se réclament du quatrième Évangile comme le remarque Moloney*, 7 : « Irénée aurait été fortement influencé par la nécessité d'authentifier la
tradition johannique, pour la sauver de spéculations des écrits gnostiques. (“Irenaeus might have been strongly influenced
by the need to authenticate the Johannine tradition, to save it from the
speculations of the Gnostic writings”). De toute façon, il
est difficile de vérifier les sources de ce que dit Irénée. Zumstein, « L’évangile
selon Jean », 363 écrit : « Le témoignage d’Irénée repose
assurément sur une tradition, mais il est impossible de reconstruire et
d’authentifier cette tradition.
En s’appuyant sur ce que dit Papias (cf. le
point suivant : 2. Papias et Eusèbe), Boismard pense qu’il y ait une
confusion faite par Irénée : « À la suite d’Eusèbe de Césarée (HE III xxxiv 1-6) [cité ci-dessous], il
faut admettre qu’en lisant les livres de Papias Irénée avait confondu deux
personnages différents : Jean l’apôtre et Jean l’Ancien [Jean le
Presbytre]. » (Boismard, Le martyre,
70).
Papias distingue deux noms : « Jean
l’apôtre » et « Jean le Presbytre ». Eusèbe écrit de ce que disait
Papias dans son Histoire ecclésiastique,
III, 39,4, p. 154 : « Si quelque part venait quelqu’un qui avait été
dans la compagnie des presbytres, je m’informais des paroles des
presbytres : ce qu’ont dit André ou Pierre, ou Philippe, ou Thomas, ou
Jacques, ou Jean, ou Matthieu, ou quelque autre des disciples du
Seigneur ; et ce que disent Aristion et le presbytre (presbuteros) Jean, disciples du Seigneur ».
Sur ce propos des deux noms de « Jean »,
Eusèbe pense que le quatrième Évangile est écrit par Jean l’apôtre, et que le
livre de l’Apocalypse est écrit par Jean le presbytre. Eusèbe commente ce que
disait Papias dans Histoire
ecclésiastique, III, 39,5-6, p. 154-155 : « [5] Ici, il est convenable
de remarquer que Papias compte deux fois le nom de Jean : il signale le
premier des deux avec Pierre et Jacques et Matthieu et les autres apôtres,
et il indique clairement l’évangéliste ; pour l’autre Jean, après avoir
coupé son énumération, il le place avec d’autres en dehors du nombre des
apôtres : il le fait précéder d’Aristion et le désigne clairement comme un
presbytre. [6] Ainsi, par ces paroles mêmes est montrée la vérité de l’opinion
selon laquelle il y a eu en Asie deux hommes de ce nom, et il y a, à Éphèse
deux tombeaux qui maintenant encore sont dits ceux de Jean. Il est nécessaire
de faire attention à cela, car il est vraisemblable que c’est le second Jean,
si l’on ne veut pas que ce soit le premier, qui a contemplé la révélation
transmise sous le nom de Jean ». C’est-à-dire que Jean le presbytre est
l’auteur du livre de l’Apocalypse.
Bardy a fait une note sur l’interprétation
d’Eusèbe dans Histoire ecclésiastique,
III, 39,5-6, n. 2, p. 155 : « Eusèbe interprète à sa façon le texte
de Papias et ne prétend pas s’appuyer pour cela, sur une tradition. Mais il est
intelligent, instruit de l’antiquité chrétienne plus que tout autre, et il sait
bien le grec. Aussi peut-on lui faire confiance lorsqu’il affirme la
distinction des deux Jean. Cf. G. Bardy,
art, Jean le Presbytre, dans Supplément du dictionnaire de la Bible,
t. IV, p. 843-837. »
Cependant, avant de rapporter ce qui disait Papias
en Histoire ecclésiastique, III,
39,4, Eusèbe raconte une tradition selon laquelle Jean, l’apôtre et évangéliste,
a été persécuté et exilé à l’île de Patmos en Histoire ecclésiastique, III, 13,1, p. 121 : « En ce
temps là, à ce qu’on rapporte, l’apôtre et évangéliste Jean était encore en
vie : à cause du témoignage en faveur du Verbe divin il avait été condamné
à habiter l’île de Patmos ». Ce détail permet de voir que « l’apôtre
et évangéliste Jean » est aussi l’auteur de l’Apocalypse, puisque l’auteur
du livre de l’Apocalypse dit de lui-même en Ap 1,9 : « Moi, Jean,
votre frère et votre compagnon dans l’épreuve, la royauté et la constance, en
Jésus. Je me trouvais dans l’île de Patmos, à cause de la Parole de Dieu et du
témoignage de Jésus » (BiJer). Ainsi le texte d’Eusèbe mentionne deux
traditions concernant l’auteur du quatrième évangile et
de l’Apocalypse : (1) l’apôtre Jean est l’auteur du quatrième Évangile et de l’Apocalypse, (2) l’apôtre Jean est l’auteur de l’Évangile et
Jean le presbytre est l’auteur de l’Apocalypse.
3. Polycrate : Jean le
prêtre
Jusqu’à la fin du IVe siècle,
les Églises chrétiennes d’Asie célébraient la fête de Pâque au soir du quatorze
Nisan (la Pâque quartodécimaine), selon le calendrier juif. Alors que les
Églises liées à Rome fêtent Pâques le dimanche suivant. Cette différence de
date de la célébration de Pâques provoque une querelle. Polycrate, évêque
d’Éphèse, a écrit une lettre au Pape Victor vers l’an 190 pour expliquer que la
pratique quartodécimaine ne change pas la
tradition de l’Église.
Les arguments de Polycrate sont rapportés dans
Eusèbe, Histoire ecclésiastique, V,
24,2-3, p. 67-68 : « [2] Nous célébrons donc scrupuleusement le jour,
sans rien retrancher, sans rien ajouter. En effet, c’est en Asie que reposent
de grands astres, qui ressusciteront au jour de la parousie du Seigneur, quand il viendra des cieux avec gloire et recherchera tous les saints :
Philippe, un des douze apôtres, qui repose à Hiérapolis avec ses deux filles
qui ont vieilli dans la virginité, et son autre fille, qui a vécu dans le
Saint-Esprit, repose à Éphèse ; [3] et encore Jean, qui a reposé sur la
poitrine du Seigneur, qui a été prêtre (hiereus)
et a porté la lame d’or (petalon),
martyr et didascale ; celui-ci repose à éphèse. »
Notons que dans la citation ci-dessus, Polycrate
a confondu l’apôtre Philippe l’un des Douze et le diacre Philippe, l’un des
sept diacres (Ac 21,8-9). Luc raconte le voyage de Paul vers Jérusalem en Ac
21,8-9 : « 8 Nous repartîmes le lendemain pour gagner Césarée.
Descendus chez Philippe l'évangéliste, qui était un des Sept, nous demeurâmes
chez lui. 9 Il avait quatre filles vierges qui prophétisaient. »
Pour Polycrate, celui qui a reposé sur la
poitrine du Seigneur (le disciple que Jésus aimait) est un prêtre non
identifiable avec l’apôtre Jean, le fils de Zébédée, un pêcheur au lac de
Galilée (Mc 1,19-20).
4. Canon Muratori :
Jean, l’un des disciples
Le Canon Muratori attribue à Jean, l’un des
disciples comme l’auteur du quatrième Évangile : « Quatrième livre des
Évangiles, de Jean, l’un des disciples. À ses co-disciples et aux évêques qui
l’exhortaient, il dit : “Jeûnez avec moi un triduum [durée de trois jours],
et ce qui sera révélé à chacun, nous le narrerons les uns aux autres.” La même
nuit, il fut révélé à André, l’un des apôtres, que Jean, avec l’assentiment de
tous, en leur nom décrirait toutes choses. » (Citation prise dans Dubois, « Le
Canon de Muratori », 80).
Le deuxième paragraphe après la citation
ci-dessus du Canon de Muratori parle encore du quatrième Évangile :
« Quoi d’étonnant, si Jean profère avec tant de constance chacune de ces
choses dans ses lettres, disant de lui-même : “Ce que nous avons vu de nos yeux, et avons entendu de nos oreilles, et
que nos mains ont palpé, ces choses nous vous les avons écrites.” Ainsi, en
effet, il ne se confesse pas seulement voyant et auditeur, mais aussi écrivain,
dans l’ordre, de toutes les choses merveilleuses du Seigneur. » (Dubois,
« Le Canon de Muratori », 81). Dans cette citation, les détails renvoient
aux textes 1 Jn 1-2 et Jn 20,31. Jean est aussi l’auteur des trois épîtres de
Jean. Ainsi le Canon Muratori attribue à « Jean, l’un des disciples »
l’auteur de l’Évangile et trois Épîtres.
Pour Zumstein, « Visage de la
communauté », n. 9, 90, la préoccupation du Canon de Muratori est
l’authenticité du corpus johannique : « Le Canon Muratori souligne l’apostolicité du IVè évangile,
sa spécificité par rapport aux synoptiques, mais aussi son accord de fond avec
ces derniers. Fait à souligner, il légitime l’évangile en citant le prologue de
1 Jn (1 Jn devient la porte d’entrée de Jn dans le canon). L’œuvre johannique
est ainsi établie dans son orthodoxie et invoquée comme Écriture de la Grande
Église face à l’hérésie, notamment
marcionite. »
Le Canon de Muratori n’explicite pas que
« Jean, l’un des disciples » est aussi Jean l’apôtre, l’un des Douze,
c’est pour cela que Colson, L’énigme du
disciple, 43, conclut : « C’est un disciple, témoin oculaire et auriculaire des merveilles
accomplies par Jésus, mais non pas, semble-t-il, un apôtre, au sens de l’un des Douze, comme c’est le cas d’André. »
5. Clément d’Alexandrie :
Jean (tout court)
Clément d’Alexandrie parle de
« Jean » (tout court), l’auteur du quatrième Évangile et le qualifie d’« Évangile spirituel ». Eusèbe, Histoire
ecclésiastique, VI, 14,7, p. 107, raconte ce qu’écrivait Clément
d’Alexandrie : « Quant à Jean, le dernier [des quatre Évangiles],
voyant que les choses corporelles avaient été exposées dans les Évangiles,
poussé par les disciples et divinement inspiré par l’Esprit, il fit un Évangile
spirituel (pneumatikon euaggelion).
Voilà ce que rapporte Clément. » Sur l’expression « Évangile
spirituel », Bardy a fait une note qui renvoie à Irénée et au Canon de
Muratori : « Il est vraisemblable que Clément rapporte encore une
tradition des presbytres, Saint Irénée rappelle que l’Évangile de saint Jean a
été rédigé le dernier, et le canon de Muratori sait qu’il l’a été sur la demande
des disciples ou des familiers de l’apôtre. Le caractère spirituel de
l’Évangile n’est mis en relief que par Clément. » (Histoire ecclésiastique, VI, 14,7, n. 6, p. 107-108).
En effet, l’expression « poussé par les
disciples » peut renvoyer à la considération du Canon Muratori :
« Jean, avec l’assentiment de tous, en leur nom décrirait toutes choses. »
(Dubois, « Le Canon de Muratori », 80). Clément indique simplement le
nom de « Jean », il ne précise pas que ce Jean est « un des
disciples » ou « Jean l’apôtre » ou « Jean le fils de
Zébédée ». Selon Colson, L’énigme du
disciple, 45 : « Le titre d’apôtre appliqué à Jean d’Éphèse,
surtout sous la plume de Clément d’Alexandrie, ne prouve donc rien pour identifier
Jean de Zébédée et Jean l’évangéliste. »
6. Les traditions de la vie de l’apôtre
Jean
Il existe deux traditions différentes sur la vie
de l’apôtre Jean. Selon Tertullien, l’apôtre Jean a comparu à Rome et il est
sorti indemne de l’huile bouillante. Tertullien, Traité de la prescription, XXXIV,2b-3, p. 137-138, raconte le
martyre des apôtres à Rome : « [2b] Si vous êtes sur les confins de
l'Italie, vous avez Rome, dont l'autorité nous apporte aussi son appui. [3] Heureuse Église ! les apôtres lui ont versé toute leur
doctrine avec leur sang. Pierre y subit un supplice semblable à celui du
Seigneur. Paul y est couronné d’une mort pareille à celle de Jean (Baptiste). L’apôtre
Jean y est plongé dans l’huile bouillante : il en sort indemne et se voit
relégué dans une île. » Cothenet, « L’Évangile », 145, remarque :
« Le supplice de l’huile bouillante, auquel Jean aurait été condamné à
Rome sous Domitien, est mentionné pour la première fois par Tertullien et est
purement légendaire. »
Quant à Eusèbe, Histoire ecclésiastique, III, 1,1, p. 97, l’apôtre Jean vécut et
mourut à Éphèse : « Les affaires des Juifs en étaient là. Quant aux
saints apôtres et disciples de notre Sauveur, ils étaient dispersés sur toute
la terre habitée. Thomas, à ce que rapporte la tradition, obtint en partage le
pays des Parthes, André la Scythie, Jean l’Asie où il vécut : il mourut à
Éphèse… »
7. Le martyre de Jean l’apôtre
Dans la péricope Mc 10,35-41, Jacques et Jean
demandent à Jésus de siéger à sa droite et à sa gauche dans sa gloire, Jésus
dit à ces deux frères : « La coupe que je vais boire, vous la
boirez, et du baptême dont je vais être baptisé, vous serez baptisés » (Mc
10,39). Cette parole semble faire allusion aux martyres de Jacques et Jean. Le
martyre de Jacques est raconté en Ac 12,1-2 : « 1 Vers ce temps-là,
le roi Hérode mit la main sur quelques membres de l'Église pour les maltraiter.
2 Il fit périr par le glaive Jacques, frère de Jean. » Le roi Hérode dans
cette citation est Hérode Agrippa I, le neveu d’Hérode Antipas (Lc 23,8-12), il
était roi de Judée et de Samarie en l’an 41, est mort en l’an 44.
On ne sait pas si l’apôtre Jean était martyr
ou non avec son frère sous le règne d’Hérode Antipas (41-44). En tout cas, on
perd la trace de l’apôtre Jean après l’assemblé de Jérusalem en l’an 49 dans
laquelle Paul a dit en Ga 2,9 : « Et reconnaissant la grâce qui m’avait
été départie, Jacques, Céphas et Jean, ces notables, ces colonnes, nous
tendirent la main, à moi et à Barnabé, en signe de communion : nous
irions, nous aux païens, eux à la Circoncision. »
Selon l’étude de Boismard, Le martyre, il y a des attestations des
premiers siècles du martyre de Jean l’apôtre. Boismard, Le martyre, 77-78, conclut : « Nous avons inventorié une
série de témoins qui, sans conteste possible (au moins pour la grande majorité)
attestent que Jean l’apôtre serait mort martyr, comme son frère Jacques, au
sens fort du terme. Des témoins liturgiques d’abord, dans la France
septentrionale ou méridionale des ve-viiie siècles et
probablement en Espagne, à Jérusalem aussi. Des martyrologues ensuite : en
Cappadoce, en Syrie et en Afrique. Des Pères anciens comme Grégoire de Nysse,
Jean Chrysostome, Aphraate le Syrien, Quodvultdeus l’Africain et enfin le plus
ancien de tous, Papias, évêque de Hiérapolis en Phrygie, qui écrit vers 135. La
multiplicité de ces témoignages, venant de toutes les parties du monde chrétien
(sauf Rome !), invite à donner son sens fort à la prédiction du Christ
rapportée en Mc 10,39. »
Dans cette citation, Aphraate fut évêque
d’Édesse dans la première moitié du IVème siècle et Quodvultdeus fut
l’évêque de Carthage, le successeur d’Augustin. Quant au témoin de Papias,
Boismard s’appuie sur le témoin de l’historien Philippe de Side (IVe
siècle) qui a écrit : « Papias dans son deuxième livre, déclare que
Jean le Théologien et son frère Jacques furent mis à mort par les Juifs. »
(Citation prise dans Boismard, Le martyre,
54).
Selon la thèse de Boismard, Jean l’apôtre
serait mort martyr avant la rédaction de l’Évangile de Marc, parce que
l’allusion du martyre des deux frères Jacques et Jean se trouve en Mc 10,30.
Dans ce cas, Jean l’apôtre n’est pas un vénérable vieillard sous le règne de
Trajan (98-117) à éphèse comme le
propos d’Irénée dans Contre les Hérésies,
II, 22,5, p. 225 : « Et tous les presbytres d’Asie qui ont été en
relation avec Jean, le disciple du Seigneur, attestent eux aussi que Jean leur
transmit la même tradition, car celui-ci demeura avec eux jusqu’au temps de
Trajan. » Si Jean l’apôtre est martyr avant la rédaction de l’Évangile de
Marc des années 70, il ne peut pas être l’auteur du quatrième Évangile composé
dans les années 90 de notre ère.
III. Interprétation des données
des IIe-IVe siècles
Nous voyons que les données des IIe-IVe
siècles proviennent de plusieurs traditions différentes avec des éléments
légendaires par exemple, le processus de la rédaction du quatrième Évangile raconté
dans le Canon de Muratori : « La même nuit, il fut révélé à André,
l’un des apôtres, que Jean, avec l’assentiment de tous, en leur nom décrirait
toutes choses » ou bien chez Tertullien l’apôtre Jean a subi le supplice
de l’huile bouillante. Ainsi la question de l’identité du disciple que Jésus
aimait n’est pas claire. Nous présentons la complexité de ce dossier en quatre
points : (1) Jean, le disciple que Jésus aimait ; (2) Jean, l’un des
disciples ; (3) Jean le Presbytre ; (4) Jean le prêtre.
1. Jean, le disciple que Jésus aimait
Le nom « Jean » chez les auteurs des
IIe-IVe siècles désigne plusieurs personnages. Irénée identifie
« Jean » avec « le disciple que Jésus aimait » (voir
citation plus haut de Contre les Hérésies III,
1,1). Si l’on accepte que le nom de « Jean » renvoie à Jean l’apôtre,
fils de Zébédée, le texte d’Irénée attribue à ce Jean trois figures : (1) « Jean
le fils de Zébédée », (2) « le disciple que Jésus aimait » et
(3) « l’auteur du quatrième Évangile ». Cependant Colson, L’énigme du disciple, 32,
remarque : « Apôtre, au IIè siècle, ne signifie pas
obligatoirement l’un des Douze. Irénée lui-même désigne les soixante-douze
disciples de l’évangile selon Saint Luc par le nom d’apôtre. » Ainsi l’identification
entre « Jean l’apôtre » et « le fils de Zébédée, l’un des
Douze » n’est pas certaine. Pour Eusèbe, c’est « Jean l’apôtre »
qui est l’auteur du quatrième Évangile. Il utilise l’expression :
« l’apôtre et évangéliste Jean » dans Histoire ecclésiastique, III, 13,1, p. 121, citée ci-dessus, mais Eusèbe
ne dit rien sur le lien entre « l’apôtre Jean » et « le disciple
que Jésus aimait ».
L’identification entre « Jean l’apôtre »,
« le fils de Zébédée » et « le disciple que Jésus aimait » n’est
pas évidente dans le texte d’Irénée puisque l’auteur ne précise pas ce « Jean »
est « un apôtre » ou « le fils de Zébédée ». De plus, il y
a deux auteurs (Papias et Polycrate) à l’époque d’Irénée qui parlent d’un autre
Jean que Jean l’apôtre. Selon Papias, le « disciple du Seigneur » est
« Jean le presbytre ». En distinguant entre « Jean
l’apôtre » et « Jean le presbytre », Eusèbe attribue le titre
« disciple du Seigneur » à « Jean le presbytre » (cf. Eusèbe, Histoire ecclésiastique, III, 39,4,
cité ci-dessus). Ce que dit Papias : « Aristion et le presbytre Jean,
disciples du Seigneur » (Eusèbe,
Histoire ecclésiastique, III, 39,4) renvoie à ce que dit Irénée : « Jean,
le disciple du Seigneur » (Contre
les Hérésies III, 1,1). Quant à Polycrate, « le disciple que Jésus
aimait » est un prêtre : « Jean, qui a reposé sur la poitrine du
Seigneur, qui a été prêtre. » (Eusèbe, Histoire
ecclésiastique, V, 24,3).
Dans cette perspective, l’identification entre
« Jean l’apôtre », « le fils de Zébédée » et « le
disciple que Jésus aimait » dans la citation d’Irénée ci-dessus n’est pas
claire. Il semble que « Jean » soit un nom fréquent aux premiers
siècles et les traditions différentes mettent plusieurs titres sous le nom de « Jean » :
« Jean, l’un des disciples », « Jean le Presbytre »,
« Jean le prêtre ».
2. Jean, l’un des disciples
Le Canon de Muratori mentionne l’auteur du
quatrième Évangile par un titre vague : « Jean, l’un des
disciples » et non pas « Jean le disciple du Seigneur » comme le
fait Irénée. De plus, le Canon de Muratori parle d’André avec le titre
« l’un des apôtres ». Il existe donc une différence de statut :
« Jean, l’un des disciples » et « André, l’un des apôtres »
(voir la citation plus haut du Canon de Muratori). « Jean, l’un des
disciples » semble ne pas appartenir au groupe des apôtres, ce Jean est un
des disciples, un cercle plus large que les apôtres.
3. Jean le Presbytre
Faute de reconnaître de façon certaine que
l'apôtre Jean est l'auteur du quatrième Évangile, certains auteurs considèrent
que c’est « Jean le presbytre » qui est l’auteur du quatrième Évangile et des trois épîtres de Jean, parce que la deuxième et la troisième Épîtres sont écrites par un presbuteros
(presbytre), traduit souvent par « ancien » (2 Jn 1 ; 3 Jn 1). Par
exemple Boismard, le martyre, 72, écrit :
« L’hypothèse qui nous semble la plus vraisemblable est qu’il s’agirait de
Jean l’Ancien [Jean le presbytre] et c’est
lui (et non pas Jean l’apôtre) qui aurait vécu à Éphèse “jusqu’aux temps de
Trajan” ». L’expression « jusqu’aux temps de Trajan » vient d’Irénée,
Contre les Hérésies, II, 22,5, citée
plus haut.
Cependant, selon Eusèbe, Jean l’apôtre est l’auteur
de l’Évangile et Jean le presbytre est l’auteur du livre de l’Apocalypse, ce
dernier n’est pas l’auteur de l’Évangile (cf. Histoire ecclésiastique, III, 39,5-6, cité ci-dessus). Notons que
l’auteur de la première Épître de Jean n’est pas mentionné. Quant
à « l’ancien » (presbytre) indiqué au début de 2 Jn et 3 Jn, on ne
sait pas le nom de cet ancien (presbytre) et on ignore si c’est un ancien qui a
écrit les deux lettres ou deux anciens différents, chacun écrivant sa lettre.
Pour Zumstein, l’attribution au « presbytre
Jean » la rédaction du quatrième Évangile et des Épîtres johanniques
« n’est soutenue ni par le quatrième évangile, ni par aucun témoignage
explicite de la tradition de l’église ancienne. Elle doit être
abandonnée » (Zumstein, « L’évangile selon Jean », 263).
4. Jean le prêtre
En s’appuyant sur le témoin d’Eusèbe sur ce
qu’écrivait Polycrate au sujet du « prêtre (hiereus) Jean » (Eusèbe, Histoire
ecclésiastique, V, 24,2-3, cité ci-dessus), certains identifient « le
disciple que Jésus aimait » avec « un prêtre de Jérusalem », son
nom est « Jean » et il connaît le Grand Prêtre. Par exemple, Colson, L’énigme du disciple, 112, écrit :
« Ce pourrait donc être ce “prêtre Jean”, devenu disciple de Jésus, le
disciple que Jésus aimait, son hôte pour la dernière Cène. »
S’appuyant sur la thèse de Colson, L’énigme du disciple, Winandy, « Le
disciple », considère que Jean, le compagnon de Pierre dans les Actes des
Apôtres et Jean de la lettre aux Galates (Ga 2,9), ne pourrait pas être Jean le
fils de Zébédée. Winandy voit dans ce Jean trois personnages : (1)
« autre disciple » en Jn 18,15-16, (2) « le disciple que Jésus
aimait » dans le quatrième Évangile et (3) « Jean le prêtre »
dont parle Polycrate. Winandy, « Le disciple », 75, conclut :
« Bref, tout paraît se conjuguer pour nous faire voir dans le compagnon de
Pierre, tel qu’il figure dans les Actes, et sans doute aussi dans le Jean de la
lettre aux Galates, tout autant que dans le disciple bien-aimé du quatrième
évangile, un prêtre de Jérusalem, devenu un élément actif de la première
communauté chrétienne. Identifié de la sorte, il était autrement qualifié que
le fils de Zébédée pour jouer auprès de Pierre le rôle que les textes lui
attribuent. »
IV. Conclusion
Nous avons vu qu’il y a plusieurs traditions concernant
l’auteur de l’Évangile de Jean et le disciple que Jésus aimait chez les auteurs
des IIe-IVe siècles. Le point commun des auteurs anciens
cités plus haut est que « Jean » a écrit le quatrième Évangile. La
divergence se trouve dans l’identification de ce personnage. Qui est ce
Jean ? Le témoin le plus ancien vient de Papias (entre les années 70–165)
qui distingue deux Jean : « Jean (apôtre) » et « le
presbytre (presbuteros) Jean,
disciples du Seigneur » (Eusèbe, Histoire
ecclésiastique, III, 39,4). Irénée (vers 130-202) parle de « Jean, le
disciple du Seigneur, celui-là même qui avait reposé sur sa poitrine, publia
lui aussi l’évangile » (Contre les Hérésies III, 1,1).
Quant à Polycrate (vers 135-200), contemporain d’Irénée, il parle de
« Jean, qui a reposé sur la poitrine du Seigneur, qui a été prêtre (hiereus) » (Eusèbe, Histoire ecclésiastique, V, 24,3). Ainsi
l’indentification entre « Jean l’apôtre », « le fils de
Zébédée », « le disciple que Jésus aimait » et « l’auteur
du quatrième Évangile » aux premiers siècles n’est pas claire. Nous
pouvons dire que le souci de la tradition d’attribuer le quatrième Évangile à
l’apôtre Jean a pour but d’assurer l’autorité et la crédibilité théologiques du
quatrième Évangile.
Brown, « Note sur
l’identification », 126, mentionne l’opinion de la Commission Biblique Pontificale sur
ce sujet : « En 1907, devant le refus croissant d’identifier le
Disciple et l’évangéliste avec Jean, fils de Zébédée, la Commission biblique
pontificale de Rome déclara que l’apôtre Jean était l’auteur de l’évangile.
Mais en 1955 le secrétaire de cette Commission écrivait que les interprètes de
l’écriture avaient “pleine
liberté” par rapport à de telles déclarations ne concernant ni la foi ni les
mœurs. Ainsi n’y a-t-il pas de position catholique fermée au sujet de
l’identification de l’auteur de l’évangile de Jean (ou des autres évangiles). »
De nos jours, il existe encore des auteurs qui
défendent la thèse : l’apôtre Jean était à l’origine du quatrième Évangile,
par exemple en 1977, Cothenet, « Le quatrième évangile », 288, écrit :
« Jean fils de Zébédée est le mieux placé pour s’identifier au disciple
que Jésus aimait. » En 1982, Gourgues, Pour que vous croyiez, 273, va dans le même sens : « Si
l’on persiste, malgré tout, à vouloir identifier le disciple bien-aimé, il
semble que, tout compte fait et jusqu’à plus ample informé, Jean l’apôtre – tel
qu’on peut le connaître par les synoptiques – est encore celui qui répondrait
le mieux au “signalement”. » (Cf. Morris*, 1995, 4-25 ; Carson*, 68-81 ; Robinson, The Priority of John, 92-112, etc.)
Brown indique la tendance dominante :
« Dans la dernière décennie du XXe siècle, la plupart des
grands exégètes commentateurs du quatrième évangile ne reconnaissaient plus
l’apôtre Jean dans le Disciple bien-aimé et ou dans l’évangéliste. »
(Brown, « Note sur l’identification », 126). Selon Brown, Que sait-on, 411 : « Il est
maintenant reconnu que ces hypothèses du IIè siècle tardif sur des
personnages ayant vécu un siècle plus tôt [l’identification entre Jean le fils
de de Zébédée, le disciple que Jésus aimait et l’évangéliste] étaient souvent
simplifiées ; et que la tradition relative à l’auteur était souvent plus
soucieuse de l’autorité sur laquelle
reposait un écrit biblique que sur la personne physique de l’écrivain. De même,
pour les autres évangiles, la majorité des exégètes doute que cet évangile ait
été écrit par un témoin oculaire du ministère de Jésus ».
Brown lui-même, dans son ouvrage sur La communauté du disciple, 36, a changé d’opinion :
« J’incline à changer d’avis (comme l’a fait aussi R. Schnackenburg) et à
abandonner l’opinion émise dans le premier volume de mon commentaire, où j’identifiais
le disciple bien-aimé avec l’un des Douze, Jean, fils de Zébédée ». Brown,
entre autres, est favorable à l’interprétation suivante : « Le
disciple bien-aimé était un personnage secondaire durant le ministère de Jésus,
pas assez important pour être rappelé dans la tradition plus officielle des
synoptiques. Mais ce personnage ayant pris de l’importance dans l’histoire de
la communauté johannique (peut-être fut-il fondateur ?), l’image que nous
donne de lui l’évangile en fit un personnage idéal, capable d’être opposé à
Pierre comme plus proche de Jésus par l’amour. » (Brown, Que sait-on, 411-412). Dans cette
vision, l’appellation « l’évangile selon Jean » ou « l’évangile
de Jean » doit être considérée comme le « nom » ou le
« titre » du quatrième Évangile et non pas comme l’apôtre Jean qui
est son auteur.
Dans la recherche d’aujourd’hui, il vaut mieux
distinguer au moins cinq personnages comme le remarque Meier, « Jean », 147-148 : « De
nombreux exégètes du Nouveau Testament ont aujourd’hui l’habitude de distinguer
cinq personnes différentes, dont la plupart, sinon toutes, ont été amalgamées
par la tradition chrétienne dans le personnage de Jean le fils de Zébédée. Les
cinq personnages, jamais confondus par le Nouveau Testament, sont les
suivants : (1) Jean le fils de Zébédée, (2) l’anonyme “le disciple que
Jésus aimait” du quatrième évangile, (3) l’auteur anonyme du quatrième évangile, (4) l’auteur anonyme des trois épîtres qui portent le nom de Jean et
(5) le prophète visionnaire qui a écrit le livre de l’Apocalypse et qui se
nomme lui-même Jean. »
Notons que la recherche sur l’auteur
historique (l’auteur réel) est la tâche des historiens et non pas des exégètes.
Ces derniers se concentrent sur l’interprétation du message du texte et non pas
sur les allusions historiques derrière le texte. Zumstein, « L’évangile
selon Jean », 362, a bien écrit : « Aujourd’hui […] le critère
de l’apostolicité n’est plus déterminant dans l’évaluation théologique d’un
écrit néotestamentaire. » Notre étude dans cet article montre que l’on ne
peut pas s’appuyer sur les auteurs des IIe-IVe siècles
pour identifier purement et simplement « l’auteur du quatrième Évangile » avec « Jean l’apôtre », « Jean le fils de Zébédée » et « le disciple que Jésus aimait ».
Maintenant nous pouvons nous concentrer sur le
texte et nous poser des questions : Est-ce qu’il y a des éléments dans le
quatrième Évangile et les Synoptiques qui permettent d’identifier le disciple
que Jésus aimait avec l’apôtre Jean, le fils de Zébédée ? Quels sont les
rôles du disciple que Jésus aimait dans le quatrième Évangile ? Que peut-on
dire de l’auteur ou du processus de la rédaction de cet Évangile ? Nous étudierons
ces questions dans les articles suivants./.
Source : http://leminhthongtinmunggioan.blogspot.co.il/2015/10/le-disciple-que-jesus-aimait-jean.html
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