01/03/2014

Le dualisme dans l’Évangile de Jean



Article en Vietnamien:

Email: josleminhthong@gmail.com
Le 01 Mars 2014.

Contenu

I. Introduction
II. Le dualisme naturel: lumière et ténèbres, jour et nuit
III. Le dualisme spatial: le monde d’en haut et d’en bas
     1. L’origine de Jésus: le monde céleste
     2. L’accès au monde d’en haut
IV. Le dualisme de l’appartenance
     1. À Dieu ou au diable
     2. À la vérité ou au mensonge
V. Le dualisme dans la vie humaine
     1. Avoir la vie éternelle ou se perdre
     2. Ne pas être jugé ou être jugé
     3. La vie ou la mort 
     4. La liberté ou l’esclavage
     5. Né de l’Esprit ou né de la chair
VI. Le dualisme dans la vie des disciples
     1. Porter du fruit ou ne pas porter de fruit
     2. Demeurer en Jésus ou être jeté dehors
     3. Ne pas être du monde ou être du monde
VII. L’origine du dualisme et son sens théologique
     1. D’où vient le dualisme johannique?
     2. Le dualisme théologique de l’Évangile de Jean
VIII. Conclusion



I. Introduction

L’auteur de l’Évangile de Jean utilise plusieurs éléments dualistes lesquels sont des idées opposées ou contrastées. Le dualisme johannique n’a pas de sens philosophique, à savoir la doctrine qui admet dans l’univers deux principes premiers irréductibles, par exemple les principes du Bien et du Mal. Dans le contexte de l’Évangile de Jean, l’usage du langage du dualisme a pour but de présenter la théologie et la révélation.

Souvent les deux éléments du dualisme johannique sont incompatibles, l’un exclut l’autre, par exemple lumière et ténèbres, de Dieu ou du diable, de la vérité ou du mensonge, avoir la vie ou subir la mort… Cependant, certains éléments ne sont pas totalement opposés, par exemple le monde d’en haut et le monde d’en bas. Ces deux mondes distincts sont étroitement liés. L’origine de Jésus est le monde d’en haut, mais il est descendu dans le monde d’un bas pour exercer sa mission. En tant qu’humain, l’homme appartient au monde d’en bas, mais il peut accéder au monde d’en haut à condition de naître d’en haut (Jn 3,3.7), naître d’eau et d’Esprit (3,5b).

Pour étudier le dualisme dans l’Évangile de Jean, nous présenterons d’abord les éléments opposés dans cet Évangile. Ce sont le dualisme naturel (lumière et ténèbres; jour et nuit); le dualisme spatial (le monde d’en haut et le monde d’en bas); le dualisme de l’appartenance (à Dieu ou au diable, à la vérité ou au mensonge); le dualisme dans la vie humaine et le dualisme dans la vie des disciples. Ensuite, nous aborderons le dualisme johannique dans son milieu ainsi que le dualisme théologique de l’Évangile de Jean.

II. Le dualisme naturel: Lumière et ténèbres, jour et nuit

L’Évangile de Jean est marqué par les éléments du dualisme dans la nature: La lumière et les ténèbres; le jour et la nuit. La lumière du jour symbolise le Logos–Jésus. Ce dernier est la lumière venue dans le monde pour éclairer tout homme. Tandis que les ténèbres de la nuit symbolisent le pouvoir opposé à Jésus. Les ténèbres renvoient à la mort et à la perte pour l’homme.

Dans le Prologue, l’auteur de l’Évangile écrit en 1,4-5.9-10: “4 Ce qui fut en lui [Logos] était la vie, et la vie était la lumière des hommes, 5 et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas saisie”; “9 Le Verbe était la lumière véritable, qui éclaire tout homme; il venait dans le monde. 10 Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le monde ne l’a pas reconnu.” (Les citations sont prises dans la Bible de Jérusalem). Le Logos (le Verbe) s’identifie à la lumière (1,9a) et sa mission est de venir dans le monde (1,9c) pour éclairer tout homme (1,9b). Cette mission de la lumière est exposée au refus des ténèbres (1,5). Dans sa mission publique, Jésus s’identifie à la lumière et il invite les interlocuteurs à le suivre pour avoir la lumière de la vie et ne pas marcher dans les ténèbres. Jésus déclare en 8,12: “Je suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie.”

Le dualisme de la lumière et des ténèbres est en parallèle avec le couple le jour et la nuit. Le jour symbolise le temps de la mission de publique de Jésus et la nuit fait allusion à sa mort. Jésus dit à ses disciples en 9,4-5: “4 Tant qu’il fait jour, il nous faut travailler aux œuvres de celui qui m’a envoyé; la nuit vient, où nul ne peut travailler. 5 Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde.” Au moment où Jésus affronte la menace de mort (11,7-8.16), il dit aux disciples en 11,9-10: “9 N’y a-t-il pas douze heures de jour? Si quelqu’un marche le jour, il ne bute pas, parce qu’il voit la lumière de ce monde; 10 mais s’il marche la nuit, il bute, parce que la lumière n’est pas en lui.” Ici “marcher la nuit” veut dire marcher sous l’emprise du pouvoir des ténèbres.

À la fin de la mission de Jésus, quand l’heure de sa Passion se rapproche, il dit à la foule en 12,35-36: “35 Pour peu de temps encore la lumière est parmi vous. Marchez tant que vous avez la lumière, de peur que les ténèbres ne vous saisissent: celui qui marche dans les ténèbres ne sait pas où il va. 36 Tant que vous avez la lumière, croyez en la lumière, afin de devenir des fils de lumière.” La lumière–Jésus va s’éteindre sur la croix. À partir de cet événement, il offre à tout homme la vraie lumière de la vie. Ainsi, les éléments du dualisme de la lumière et des ténèbres, le jour et la nuit, sont opposés. Jésus propose à tout homme de sortir des ténèbres pour entrer dans la lumière de la vie. Voir les articles sur le dualisme de “lumière – ténèbres”, “jour – nuit”: (1) Lumière et ténèbres dans l’Évangile de Jean. (2) Dans l’Évangile de Jean, à quoi sert le symbole de la lumière? (3) “Jour” et “nuit” dans l’Évangile de Jean.

III. Le dualisme spatial: le monde d’en haut et d’en bas

Le dualisme spatial représente ces deux mondes: le monde d’en haut et le monde d’en bas. Le monde céleste est l’origine de Jésus, il est descendu du ciel pour offrir aux hommes d’en bas un accès au monde d’en haut.

     1. L’origine de Jésus: le monde céleste

Dans l’élaboration théologique de l’Évangile de Jean, “le monde d’en bas” est en rapport avec “le monde d’en haut”, “le monde céleste”, le monde d’où Jésus est venu. Dans un contexte de débat et de controverse, Jésus dit aux Pharisiens en 8,23: “Vous, vous êtes d’en bas; moi, je suis d’en haut. Vous, vous êtes de ce monde; moi, je ne suis pas de ce monde.” Le monde d’en haut, le monde de Dieu, échappe à la perception de l’homme. Jésus affirme en 3,13: “Nul n’est monté au ciel, hormis celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme,” et en 6,46, Jésus dit aux Juifs: “Non que personne ait vu le Père, sinon celui qui vient d’auprès de Dieu: celui-là a vu le Père.”

Dans ces versets (3,13; 6,46; 8,23), Jésus révèle son origine d’en haut et son statut d’envoyé du Père. Jean le Baptiste parle de Jésus en 3,31-33: “31 Celui qui vient d’en haut est au-dessus de tous; celui qui est de la terre est terrestre et parle en terrestre. Celui qui vient du ciel 32  témoigne de ce qu’il a vu et entendu, et son témoignage, nul ne l’accueille. 33  Qui accueille son témoignage certifie que Dieu est véridique.” Il y a donc une séparation entre céleste et terrestre, mais il n’y a pas d’opposition entre ces deux mondes. Au contraire, Jésus vient du ciel pour lier ces deux mondes. La mission de Jésus est de révéler au monde d’en bas ce qu’il a vu et entendu (3,32) auprès du Père dans le monde d’en haut. Jésus déclare en 12,49-50: “49 Car ce n’est pas de moi-même que j’ai parlé, mais le Père qui m’a envoyé m’a lui-même commandé ce que j’avais à dire et à faire connaître; 50 et je sais que son commandement est vie éternelle. Ainsi donc ce que je dis, tel que le Père me l’a dit je le dis.”

Jésus est roi mais son royaume n’est pas de ce monde comme il dit à Pilate en 18,36: “Mon royaume n’est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes gens auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Mais mon royaume n’est pas d’ici.” L’origine de Jésus n’est pas de ce monde, mais il exerce sa mission dans ce monde. Jésus dit à Pilate en 18,37b: “Tu le dis: je suis roi. Je ne suis né, et je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix.”

     2. L’accès au monde d’en haut

Le monde-humanité est en rapport avec le monde d’en haut. Jésus est venu d’en haut pour donner la vie éternelle au monde d’en bas. C’est-à-dire que les hommes d’en bas peuvent accéder au monde d’en haut à condition qu’ils acceptent de naître d’en haut (3,3.7), autrement dit de naître d’eau et d’Esprit (3,5). Jésus dit à Nicodème: “En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d’en haut, nul ne peut voir le Royaume de Dieu” (3,3); “En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d’eau et d’Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu” (3,5). Ainsi, avec la venue de Jésus dans le monde d’en bas, le monde d’en haut est ouvert à tout homme. Jésus révèle aux hommes d’en bas les réalités du monde d’en haut et le dessein du Père (12,49-50).

Selon l’Évangile de Jean, “naître d’en haut,” “naître d’eau et d’Esprit” veut dire accueillir Jésus, recevoir son enseignement et croire en lui. Désormais, celui qui croit en Jésus peut “voir le Royaume de Dieu” (3,3b) et “entrer dans le Royaume de Dieu” (3,5b). Autrement dit, le croyant voit et vit les réalités du monde d’en haut tout en demeurant dans le monde d’en bas comme Jésus dit à la foule en 6,35.40: “Je suis le pain de vie. Qui vient à moi n’aura jamais faim; qui croit en moi n’aura jamais soif” (6,35); “Oui, telle est la volonté de mon Père, que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour” (6,40).

IV. Le dualisme de l’appartenance

Le dualisme de l’appartenance est l’un des thèmes majeurs de l’Évangile de Jean, nous traitons ici deux points: (1) L’appartenance à Dieu ou au diable, (2) L’appartenance à la vérité ou au mensonge.

     1. À Dieu ou au diable

La discussion entre Jésus et les Juifs dans le passage 8,31-47 se focalise sur le thème de l’appartenance. Les Juifs revendiquent leur descendance d’Abraham en disant à Jésus: “Notre père, c’est Abraham” (8,39a). Jésus leur répond en 8,39b-41: “39b Si vous êtes enfants d’Abraham, faites les œuvres d’Abraham. 40 Or maintenant vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité, que j’ai entendue de Dieu. Cela, Abraham ne l’a pas fait! 41a Vous faites les œuvres de votre père.” Les Juifs et le lecteur ne savent pas encore de quel père Jésus parle ici. Jésus sait que les Juifs sont “la descendance d’Abraham” (8,37a) mais ces Juifs ne font pas les œuvres d’Abraham (8,39b-40). Ils cherchent à tuer Jésus (8,37.40), ainsi, ils n’ont plus Abraham pour père. Cette vérité embarrassante dévoilée par Jésus pousse les Juifs à changer leur paternité, ils lui disent: “Nous ne sommes pas nés de la prostitution; nous n’avons qu’un seul Père: Dieu” (8,41b). Mais Jésus réfute leur affirmation en disant: “Si Dieu était votre Père, vous m’aimeriez, car c’est de Dieu que je suis sorti et que je viens; je ne viens pas de moi-même; mais lui m’a envoyé” (8,42). En réalité, ces Juifs n’aiment pas Jésus et ne le reconnaissent pas comme l’envoyé de Dieu, ils n’ont donc pas Dieu pour Père.

Qui est-il le père de ces Juifs? Jésus leur répond en 8,44: “Vous êtes du diable, votre père, et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. Il était homicide dès le commencement et n’était pas établi dans la vérité, parce qu’il n’y a pas de vérité en lui: quand il profère le mensonge, il parle de son propre fonds, parce qu’il est menteur et père du mensonge.” Ainsi, les Juifs ont le diable pour père, ils ne sont pas de Dieu et n’écoutent pas Jésus comme il leur dit en 8,47: “Qui est de Dieu entend les paroles de Dieu; si vous n’entendez pas, c’est que vous n’êtes pas de Dieu.”

Cette appartenance au diable doit être comprise dans le contexte de l’Évangile de Jean. C’est l’action qui détermine l’appartenance. Les Juifs dans le passage 8,31-47 sont hostiles à Jésus, ils cherchent à le faire périr (8,37.40). Cette action les range du côté du diable. Ce sont les désirs du diable que les Juifs veulent accomplir (8,44b). Par contre, si ces Juifs font les œuvres d’Abraham (8,39c) et aiment Jésus (8,42b), ils reconnaîtront le langage de Jésus et entendront sa parole (8,43). Dans ce cas, ils seront enfants d’Abraham (8,39b) et Dieu sera leur père (8,41).

Dans l’Évangile de Jean, l’appartenance au diable est en parallèle avec l’appartenance au Prince de ce monde. L’hostilité des Juifs envers Jésus est en parallèle avec l’hostilité du monde (15,18–16,4a). Jésus s’adresse à son Père en 17,14: “Je leur [les disciples] ai donné ta parole et le monde les a haïs, parce qu’ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde.” Nous parlerons du thème “du monde ou pas du monde” dans la partie du “dualisme dans la vie des disciples” un peu plus loin. Voir l’analyse sur l’appartenance au diable et au Prince de ce monde dans l’article: “Six caractéristiques ‘du monde hostile’ et ‘des adversaires de Jésus’ dans l’Évangile de Jean.

     2. À la vérité ou au mensonge

Le dualisme d’appartenance “à Dieu ou au diable” conduit au dualisme “de la vérité ou du mensonge.” Le diable n’appartient pas à la vérité, il est menteur et père du mensonge comme Jésus dit aux Juifs en 8,44b: “Il [le diable] était homicide dès le commencement et n’était pas établi dans la vérité, parce qu’il n’y a pas de vérité en lui: quand il profère le mensonge, il parle de son propre fonds, parce qu’il est menteur et père du mensonge.”

Quant à Jésus, son Père et les disciples tous appartiennent à la vérité. Jésus dit à son Père en 17,17: “Sanctifie-les [les disciples] dans la vérité: ta parole est vérité.” L’auteur affirme dans le Prologue: “Car la Loi fut donnée par Moïse; la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ” (1,17). La vérité vient de Jésus, parce qu’il dit la vérité. Il questionne les Juifs en 8,45-46: “45 Mais parce que je dis la vérité, vous ne me croyez pas. 46 Qui d’entre vous me convaincra de péché? Si je dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas?”

La mission de Jésus dans le monde est de rendre témoignage à la vérité. Il dit à Pilate en 18,37b: “Je ne suis né, et je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix.” En 14,6, Jésus s’identifie à la vérité, quand il  dit à Thomas: “Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père que par moi.” Ces citations permettent d’établir un dualisme de l’appartenance: à la vérité ou au mensonge dans l’Évangile de Jean.

V. Le dualisme dans la vie humaine

En ce qui concerne les hommes, Jésus propose à tous le choix dans une perspective de dualité. Ce dualisme dans la vie humaine se base sur la décision de l’homme de croire ou de ne pas croire en Jésus. Cette partie présentera cinq points: (1) Avoir la vie éternelle ou se perdre, (2) Ne pas être jugé ou être jugé, (3) Vie ou mort, (4) Liberté ou esclavage, (5) Né de l’Esprit ou né de la chair.

     1. Avoir la vie éternelle ou se perdre

 Dès le début de l’Évangile de Jean, Jésus déclare en 3,16-17: “16 Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. 17 Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.” Il existe deux couples de dualisme dans ces deux versets. (1) Jésus vient pour sauver le monde et non pas pour le juger. C’est le contraste entre “juger le monde” et “sauver le monde.” (2) Pour ne pas se perdre, il est essentiel de croire en Jésus. Le verbe “perdre” (apollumi) a aussi le sens de “mourir”. Dans son contexte, “se perdre” veut dire ne pas avoir la vie éternelle, ne pas être sauvé. C’est le dualisme entre la vie éternelle et la perte (la mort) dans le sens théologique des termes.

     2. Ne pas être jugé ou être jugé

“Ne pas être jugé” ou “être jugé” sont des éléments dualistes qui équivalent à “avoir la vie” ou “se perdre.” Le sort de l’homme qui est jugé ou qui n’est pas jugé dépend de sa décision de ne pas croire ou de croire en Jésus. Jésus le révèle en 3,18: “Qui croit en lui n’est pas jugé; qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au Nom du Fils unique de Dieu.” Le verbe “juger” (krinô) ici a le sens de “condamner.” “Être jugé” en 3,18 veut dire “être condamné” à la perte, puisque le fait de ne pas croire en Jésus conduit à la perte, à ne pas avoir la vie éternelle.

     3. La vie ou la mort  

Plusieurs fois dans l’Évangile de Jean, le récit indique le lien de cause à effet entre “croire” et “avoir la vie éternelle” d’une part, et entre “ne pas croire” et “mourir” d’autre part. Jésus résume sa mission en 3,13-15: “13 Nul n’est monté au ciel, hormis celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme. 14 Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l’homme, 15 afin que quiconque croit ait par lui la vie éternelle.” En 3,36, Jean le Baptiste exprime la même idée: “Qui croit au Fils a la vie éternelle; qui refuse de croire au Fils ne verra pas la vie; mais la colère de Dieu demeure sur lui.” En 6,40, Jésus révèle ainsi à la foule la volonté de Dieu: “Telle est la volonté de mon Père, que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour.” Ces citations montrent que la révélation de Jésus est sans ambiguïté: celui qui croit en lui a la vie éternelle.

À l’inverse, le fait de ne pas croire en Jésus conduit à la mort. Jésus dit aux Juifs en 8,24: “Je vous ai donc dit que vous mourrez dans vos péchés. Car si vous ne croyez pas que Je Suis, vous mourrez dans vos péchés.” Autrement dit,  l’homme ne meurt plus s’il croit en Jésus. Ce dernier dit aux Juifs en 8,51: “En vérité, en vérité, je vous le dis, si quelqu’un garde ma parole, il ne verra jamais la mort.” Cette importante révélation est affirmée de manière solennelle en 11,25-26a, Jésus dit à Marthe: “25 Je suis la résurrection. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra; 26a et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais.” La mort physique n’empêche pas le croyant de vivre la vie éternelle, c’est-à-dire, que celui qui croit en Jésus ne mourra jamais (11,26a), il ne verra jamais la mort (8,51b). Le dualisme de “la vie ou de la mort” qui dépend de “croire” ou de “ne pas croire” en Jésus  est une expression forte de la théologie johannique.

     4. La liberté ou l’esclavage

Le dualisme de l’esclavage et de la liberté est présenté dans l’échange entre Jésus et les Juifs en 8,31-36. Jésus les invite à devenir ses vrais disciples pour être libérés par la vérité. Il leur dit en 8,31b-32: “31b Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples 32 et vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libérera.” Cependant, selon ces Juifs, ils n’ont pas besoin d’être libérés, ils disent à Jésus en 8,33: “Nous sommes la descendance d’Abraham et jamais nous n’avons été esclaves de personne. Comment peux-tu dire: Vous deviendrez libres?” Jésus leur révèle la situation de l’esclavage ou de la liberté en 8,34-36: “En vérité, en vérité, je vous le dis, quiconque commet le péché est esclave. 35 Or l’esclave ne demeure pas à jamais dans la maison, le fils y demeure à jamais. 36 Si donc le Fils vous libère, vous serez réellement libres.”

En 8,39a, les Juifs revendiquent le statut d’“enfants d’Abraham,” mais Jésus montre qu’Abraham n’est plus leur père (8,39-40). Le fait de chercher à tuer Jésus (8,37.40) leur fait perdre le statut d’enfants d’Abraham. Ce dessein funeste est un péché (8,34b) qui les rend esclaves (8,34c) et les fait appartenir au diable (8,44). Ainsi, selon Jésus, les Juifs ont besoin d’être libérés par le Fils pour devenir réellement libres. Le Fils est donc le libérateur de tout homme par sa parole de vérité. La condition pour être libéré est de demeurer dans sa parole (8,31a) pour devenir son vrai disciple (8,31b). Le dualisme de l’esclavage ou de la liberté se présente dans ce choix: soit adhérer à Jésus pour être libéré par lui, soit s’opposer à lui et devenir esclave du péché. C’est le péché de ne pas croire en Jésus selon la théologie de l’Évangile de Jean.

     5. Né de l’Esprit ou né de la chair

Il existe un dualisme entre l’Esprit et la chair dans l’Évangile de Jean. Comme nous l’avons présenté plus haut, la condition pour accéder au monde d’en haut est de naître d’en haut, naître de nouveau (3,3.7). Jésus explique cette naissance à Nicodème en 3,5: “En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d’eau et d’Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu.” Ensuite, Jésus différencie les deux expressions “né de la chair” et “né de l’Esprit” en 3,6: “Ce qui est né de la chair (sarkos) est chair (sarx), ce qui est né de l’Esprit (pneumatos) est esprit (pneuma).” Cette parole éclaire la question de Nicodème en 3,4: “Comment un homme peut-il naître, étant vieux? Peut-il une seconde fois entrer dans le sein de sa mère et naître?” La pensée de Nicodème se situe en rapport à la naissance par la chair (3,6a) ce qui ne permet pas d’entrer dans le Royaume de Dieu (3,5b).

Un autre passage qui différencie  l’esprit et la chair se trouve en 6,63. Après avoir entendu le discours de Jésus sur le pain de vie (6,25-59), beaucoup de ses disciples murmurent: “Elle est dure, cette parole! Qui peut l’écouter?” (6,60b). En sachant cela, Jésus leur dit en 6,61b-64a: “61b Cela vous scandalise? 62 Et quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant?... 63 C’est l’esprit (pneuma) qui vivifie, la chair (sarx) ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie. 64a Mais il en est parmi vous qui ne croient pas.”

La révélation de Jésus en 6,63 sur l’esprit et la chair est une réponse aux murmures des disciples en 6,60b. Ces disciples ne croient pas à la parole de Jésus parce qu’ils “jugent selon la chair (sarka)” (8,15). Jésus utilise cette expression quand il dit aux Pharisiens qui s’opposent à lui en 8,15-16: “15 Vous, vous jugez selon la chair (sarka); moi, je ne juge personne; 16 et s’il m’arrive de juger, moi, mon jugement est selon la vérité, parce que je ne suis pas seul; mais il y a moi et celui qui m’a envoyé.”

La chair selon la tradition biblique désigne la condition humaine qui est fragile et mortelle, c’est pour cela que la chair a besoin de l’esprit (pneuma) qui vivifie (6,63a) pour être capable d’entendre et de comprendre les paroles de Jésus, lesquelles sont esprit et vie (6,63b). Le jugement “selon la chair” (8,15) est donc de se fermer à la source vivifiante de l’Esprit (6,63). Par conséquent, beaucoup de disciples cessent d’être disciples de Jésus comme le narrateur relate en 6,66: “Dès lors, beaucoup de ses disciples se retirèrent, et ils n’allaient plus avec lui.”

Dans l’Évangile de Jean, il existe un autre usage du terme “sarx” qui ne s’oppose pas à l’esprit quand le terme “sarx” (chair) exprime la mission de Jésus. L’auteur du Prologue affirme en 1,14a: “Le Verbe s’est fait chair (sarx) et il a habité parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire.” L’affirmation “le Verbe s’est fait chair (sarx)” désigne l’incarnation de Jésus. En 6,54, Jésus affirme à ses interlocuteurs: “Qui mange ma chair (sarka) et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour.” Ainsi, Jésus est le Logos (le Verbe) qui s’est fait chair (sarx) pour révéler la volonté de Dieu aux hommes (6,40) et il offre sa chair (sarx) et son sang aux hommes (6,54a). Ce don de sa vie est la nourriture et la boisson véritables (6,55) qui apportent la vie éternelle aux croyants (6,58b).

VI. Le dualisme dans la vie des disciples

Dans l’Évangile de Jean, les disciples de Jésus sont souvent devant un dilemme. Le choix d’être le disciple de Jésus n’est pas toujours facile. Nous présenterons le dualisme dans la vie des disciples en trois points: (1) Porter du fruit ou ne pas porter de fruit, (2) Demeurer en Jésus ou être jeté dehors, (3) ne pas être du monde ou être du monde.

     1. Porter du fruit ou ne pas porter de fruit

Jésus dit à ses disciples en 15,1-2: “1 Je suis la vigne véritable et mon Père est le vigneron. 2 Tout sarment en moi qui ne porte pas de fruit, il l’enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l’émonde, pour qu’il porte encore plus de fruit.” Ce texte est une parabole qui lie le peuple d’Israël à Jésus. Dans l’Ancien Testament, le Seigneur est le vigneron de la vigne qui est la maison d’Israël (Is 5,7). Avec l’arrivée de Jésus, désormais la vigne de Dieu contient trois éléments: (1) Jésus est la vigne véritable (15,1a), (2) Le Père est le vigneron (15,1b) et (3) Israël est le sarment de la vigne véritable (15,2). Ainsi, tout sarment en Jésus “qui ne porte pas de fruit” (15,2a) renvoie aux Juifs qui appartiennent au peuple d’Israël, concrètement ceux qui ne croient pas en Jésus dans sa mission publique. Ils sont enlevés, c’est-à-dire, ils ne sont plus en communion avec la vigne véritable. Quant à “tout sarment qui porte du fruit” (15,2b), celui-ci renvoie à tous ceux qui croient en Jésus, par conséquent ils sont ses disciples. Le dualisme se fait dans le dilemme: porter du fruit et avoir la vie ou ne pas porter de fruit et être séparé de la source de vie.

Les disciples de Jésus sont porteurs de fruit, mais ils doivent persévérer dans les épreuves. Ce thème est présenté dans la deuxième parabole (15,4-7) et aussi dans une perspective de dualisme: demeurer en Jésus ou être jeté dehors pour être brûlé.

     2. Demeurer en Jésus ou être jeté dehors

Dans la deuxième parabole (15,4-7), il ne s’agit plus de porter ou ne pas porter de fruit (15,1-3) mais il s’agit de  demeurer ou ne pas demeurer sur la vigne véritable. Jésus dit à ses disciples en 15,4-7: “4 Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut de lui-même porter du fruit s’il ne demeure pas sur la vigne, ainsi vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi. 5 Je suis la vigne; vous, les sarments. Celui qui demeure en moi, et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit; car hors de moi vous ne pouvez rien faire. 6 Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment et il se dessèche; on les ramasse et on les jette au feu et ils brûlent. 7 Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voudrez, et vous l’aurez.”

Le dualisme dans la vie des disciples se présente sans ambiguïté: s’ils s’attachent à Jésus ils possèderont la vie, s’ils se détachent de Jésus ils subiront la mort. Celui qui demeure en Jésus comme Jésus en lui, portera beaucoup de fruit (15,5b). Au contraire, celui qui ne demeure pas en Jésus sera jeté dehors pour être brûlé (15,6). En réalité, les disciples se trouvent dans un dilemme. Dans un sens, s’ils demeurent  en Jésus et lui appartiennent, ils seront haïs et persécutés par le monde hostile comme Jésus les avertit: “Si le monde vous hait, sachez que moi, il m’a pris en haine avant vous” (15,18); “S’ils m’ont persécuté, vous aussi ils vous persécuteront” (15,20c). Les disciples ont risqué leur vie comme Jésus leur dit en 16,2b: “L’heure vient où quiconque vous tuera pensera rendre un culte à Dieu.” Dans un autre sens, s’ils ne demeurent pas en Jésus et appartiennent au monde, ils seront aimés par ce monde (15,19), mais ils n’auront pas la vie éternelle, ils seront jetés dehors “comme le sarment et il se dessèche; on les ramasse et on les jette au feu et ils brûlent” (15,6b).

Devant ce dilemme, il ne s’agit pas de faire le choix entre la vie et la mort, mais d’une option sur la qualité de la vie et de la mort, il s’agit de vivre et de mourir dans la fidélité à Jésus ou de lui être infidèle. La fidélité à la foi en Jésus jusqu’à la mort, c’est de vivre pleinement la vie éternelle maintenant et après la mort physique. Jésus propose aux disciples de faire ce choix. Il les invite à mettre en valeur la vie authentique en demeurant sur la vigne véritable. C’est le choix d’appartenir à Jésus et non pas au monde.

     3. Ne pas être du monde ou être du monde

Du fait de devenir les disciples de Jésus, les croyants n’appartiennent pas au monde hostile qui les hait et les persécute. Jésus leur dit en 15,18-19: “18 Si le monde vous hait, sachez que moi, il m’a pris en haine avant vous. 19 Si vous étiez du monde, le monde aimerait son bien; mais parce que vous n’êtes pas du monde, puisque mon choix vous a tirés du monde, pour cette raison, le monde vous hait.” Dans le contexte littéraire, “ne pas être du monde” veut dire “être haï” par ce monde. Ce dualisme de l’appartenance se trouve dans le même thème de l’appartenance à Dieu ou au diable présenté ci-dessus. Pour les sens du terme “kosmos” (monde) et la définition du “monde hostile”, voir l’article: “Le monde (kosmos) dans l’Évangile de Jean.”

VII. L’origine du dualisme et son sens théologique

Cette partie répondra à la question: (1) D’où vient le dualisme dans l’Évangile de Jean?, et traitera (2) Le dualisme théologique de cet Évangile.

     1. D’où vient le dualisme johannique?

La question de l’origine du dualisme dans l’Évangile de Jean est complexe. Nous pouvons dire que le dualisme johannique est influencé par la culture grecque et témoigne d’un enracinement dans les textes vétérotestamentaires (cf. Jb 24,13-17; Is 29,15; Jr 49,9; Ps 11,2…), intertestamentaires (cf. 1 Hén 41,8; 58,6; 2 Ba 18,2…) et néotestamentaires (cf. Ep 5,8-14…). Nous signalerons quelques opinions et les débats liés au dualisme johannique ci-dessous.

Rudolf Bultmann pense qu’il y a un arrière-plan de gnose: “L’interprétation du jugement comme séparation de la lumière et des ténèbres était donnée par la tradition gnostique.” (Cette citation est prise dans G. STEMBERGER, La symbolique du bien et du mal selon saint Jean, (Parole de Dieu), Paris, Le Seuil, 1970, p. 29). La thèse de l’influence de la gnose sur le dualisme johannique a été réfutée ou nuancée par les spécialistes. (Cf. J. ZUMSTEIN, “L’évangile selon Jean”, dans D. MARGUERAT, (éd.), Introduction au Nouveau Testament, 2000, p. 357-360). Selon Günter Stemberger, “Il manque dans la gnose l’idée du jugement, et, de plus, la notion de lumière et ténèbres est – malgré un langage analogue – totalement différente de celle de Jean” (G. STEMBERGER, La symbolique du bien et du mal selon saint Jean, 1970, p. 29). La notion même d’“influence gnostique” fait problème comme le remarque Jean Zumstein: “Les documents littéraires gnostiques les plus anciens que nous possédons datent du IIe siècle… Ce diagnostic se vérifie pour l’évangile de Jn: les documents gnostiques qui lui sont le plus étroitement liés… apparaissent au IIe siècle, soit après la rédaction de l’évangile.” (J. ZUMSTEIN, “L’évangile selon Jean”, dans D. MARGUERAT, (éd.), Introduction au Nouveau Testament, 2000, p. 360).

Selon J. Zumstein le dualisme dans Jean se place dans le milieu culturel hellénistique: “L’évangile selon Jn se situe au carrefour de différents mondes religieux, porteurs de langages et de représentations bien spécifiques.” (J. ZUMSTEIN, “L’évangile selon Jean”, dans D. MARGUERAT, (éd.), Introduction au Nouveau Testament, 2000, p. 357). Barnabas Lindars, pour sa part se tourne vers le judaïsme et l’enseignement chrétien dans le monde hellénistique plutôt que vers la gnose. (Cf. B. LINDARS, The Gospel of John, (NCeB), London, Oliphants, 1972, p. 147-148).

Dans les écrits intertestamentaires, il existe une opposition entre le “Prince des lumières” et l’“Ange de ténèbres”. Voici le texte de la Règle de la Communauté de Qumrân: “D’une fontaine de lumière est l’origine de la Vérité, et d’une source de ténèbres est l’origine de la Perversion. Dans la main du Prince des lumières est l’empire sur tous les fils de justice: dans des voies de lumière ils marchent; et dans la main de l’Ange de ténèbres est tout l’empire sur les fils de perversion: et dans les voies de ténèbres ils marchent” (1QS III,19b-21a, la citation est prise dans A. DUPONT-SOMMER; M. PHILONENKO, (dir.), La Bible, écrits intertestamentaires, (Bibliothèque de la Pléiade), Paris, Gallimard, 1987). Il s’agit de l’opposition “vérité – perversion.” Tandis que dans l’Évangile de Jean, l’opposition se fait entre “aimer les ténèbres” et “venir à la lumière”, entre “faire la vérité” et “faire le mal” (Jn 3,20-21). 

Pour M.-é. Boismard et A. Lamouille, “Les rapports entre le texte johannique et celui de Qumrân sont évidents et multiples” (M.-é. BOISMARD; A. LAMOUILLE, Synopse des quatre évangiles, t. III, 1977, p. 123-124). Selon M.-é. Boismard et A. Lamouille, l’unité Jn 3,18-21 est influencée par Paul: “Il faut admettre aussi une influence de Paul sur Jn […] Le Christ est identifié à la lumière: explicitement en Ep 5,14b, implicitement en Jn 3,19a. L’opposition ‘lumière – ténèbres’ distingue les hommes en deux groupes, en rapport avec les œuvres qu’ils accomplissent (Ep 5,8a.11; Jn 3,19b.20a.21a). Les œuvres mauvaises de chacun seront ‘dénoncées’, les œuvres bonnes seront ‘manifestées’ (Ep 5,11.13; Jn 3,20b.21b).” (M.-é. BOISMARD; A. LAMOUILLE, Synopse des quatre évangiles, t. III, 1977, p. 116).

En résumé, le dualisme johannique pourrait recevoir des influences multiples, cependant, par manque de documents, il est difficile de savoir comment cela s’est réalisé. Nous nous tournons donc vers l’Évangile de Jean pour trouver les caractéristiques de la pensée du dualisme johannique.

     2. Le dualisme théologique de l’Évangile de Jean

Dans l’Évangile de Jean, l’identification entre la lumière et Jésus lui-même exclut la notion métaphysique ou cosmologique de la lumière selon la conception philosophique grecque. G. Stemberger écrit: “Il s’agit, non d’un dualisme cosmique, mais d’un dualisme éthique dépendant de la décision de l’homme.” (G. STEMBERGER, La symbolique du bien et du mal selon saint Jean, p. 46). Cet auteur parle du “dualisme éthique” en le différenciant du “dualisme cosmique.” Nous préférons parler d’un “dualisme théologique” car le dualisme de l’Évangile de Jean sert à construire la théologie et à transmettre la Révélation.

Le dualisme johannique élabore la théologie dans une perspective de l’eschatologie réalisée (la vie éternelle est donnée maintenant à ceux qui croient en Jésus) où les éléments antithétiques expriment la souveraineté de Dieu devant le refus de l’homme. Malgré le refus et la haine, l’amour de Dieu et la lumière se manifestent en toute clarté, dans toute leur force. Avec une portée générale des termes (lumière – ténèbres, d’en haut – d’en bas…), le dualisme théologique de l’Évangile concerne tout homme. Celui qui croit est invité à demeurer dans la lumière, celui qui ne croit pas encore est convié à reconnaître Jésus pour avoir la vie éternelle. Tout homme est appelé à “faire la vérité” et à “venir à la lumière” (3,21a).

VIII. Conclusion

Nous avons présenté les éléments du dualisme dans l’Évangile de Jean, à savoir le dualisme naturel (la lumière et les ténèbres, le jour et la nuit), le dualisme spatial (le monde d’en haut et le monde d’en bas), le dualisme de l’appartenance (à Dieu ou au diable), le dualisme dans la vie humaine et le dualisme dans la vie des disciples.

Les éléments du dualisme expriment le conflit entre Jésus (lumière) et ses adversaires (ténèbres). Ce conflit reflète l’opposition entre Dieu et le diable (Satan), entre Jésus et le Prince de ce monde. Cependant, les éléments du dualisme ne se situent pas sur le même plan. Les ténèbres ne sont que le rejet de la lumière. Le dualisme johannique n’est pas ontologique, il est profondément théologique. Il met en relief l’intervention de Dieu. La venue de Jésus entraîne tous les hommes dans un procès où chacun doit s’interroger sur son action et choisir son camp: être de Dieu (8,47) ou être du diable (8,44). Le dualisme johannique structure le discours théologique pour décrire la réponse des hommes face à la venue de Jésus qui sauve le monde.

Ce dualisme s’exprime paradoxalement sur deux niveaux de lecture. Sur le plan historique, le pouvoir des ténèbres a réussi à éliminer la lumière. Jésus est crucifié sur la croix. Sur le plan de la Révélation, la croix est le lieu où Jésus triomphe définitivement des ténèbres. En réalité, le combat entre la lumière et les ténèbres se poursuit dans la vie des disciples, mais avec la certitude que Jésus “a vaincu le monde” (16,33) et que “le Prince de ce monde est jugé” (16,11)./.





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