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Le 25 juin 2016.
Contenu
I. Le quatrième
Évangile et les Synoptiques
1. Quelques
points communs
1.1. Le genre littéraire de l’Évangile
1.2. Les récits en parallèle
2. Certains
points différents
2.1. Les récits
2.2. Le vocabulaire
2.3. La topographie
2.4. Le style grec
2.5. Les thèmes johanniques
II. Les procédés
littéraires de quatrième Évangile
1. Le malentendu
2. L’ironie
3. Le langage symbolique
III. Conclusion
Dans cette étude, nous
présentons les caractéristiques du quatrième Évangile sur deux sujets : (I)
quelques points communs et différents entre l’Évangile de Jean et les Évangiles
synoptiques (Mt-Mc-Lc), (II) les trois procédés littéraires johanniques (le
malentendu, l’ironie et le langage symbolique). L’analyse de ces sujets aidera le
lecteur à découvrir les particularités et l’originalité du récit johannique.
I. Le quatrième Évangile et les Synoptiques
L’Évangile de Jean
est l’un des quatre Évangiles canoniques (Mt-Mc-Lc-Jn), dans lequel il existe
des similitudes avec les trois autres. Cependant le quatrième Évangile contient
plus de particularités que de ressemblances par rapport aux Synoptiques (Mt-Mc-Lc). Nous présentons brièvement (1) quelques
points communs et (2) certains points différents.
1. Quelques points communs
Notons qu’un
thème commun des Évangiles peut contenir de différences profondes dans la
manière que l’auteur construit son récit, à savoir, les divergences dans le
détail et dans le contexte littéraire du récit. Dans cette perspective, nous
abordons ci-dessous deux points
communs importants entre le quatrième Évangile et les Synoptiques : (1.1)
le genre littéraire de l’Évangile et (1.2) les récits en parallèle.
1.1. Le genre littéraire de
l’Évangile
Le genre
littéraire de l’Évangile est commun aux quatre Évangiles, à savoir qu’il s’agit
de raconter la vie d’un personnage : Jésus de Nazareth. Dans les quatre
Évangiles, la vie publique de Jésus commence par l’activité de Jean Baptiste
comme le précurseur. Les deux grandes parties de la mission de Jésus sont les
récits concernant (1) ses enseignements et ses activités publiques, (2) sa mort
et sa résurrection. Les quatre Évangiles sont écrits vers la fin du 1er
siècle (entre les années 70-100 ap. J.C.), c’est-à-dire, la composition des
Évangiles se fait bien après le ministère de Jésus des années 30 de notre ère.
Les Évangiles sont adressés aux communautés respectives (la communauté matthéenne…,
la communauté johannique) en vue de transmettre au lecteur le fondement de la
foi et la vie des disciples. Nous bénéficions donc de quatre récits
évangéliques, quatre témoignages vivants de l’enseignement de Jésus, quatre
expériences de la foi en Jésus et quatre interprétations d’un seul événement :
la vie et la mission, puis la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth.
1.2. Les récits en parallèle
La comparaison de
l’Évangile de Jean avec les Synoptiques fait apparaître certains récits en parallèles.
À titre d’exemple, relevons quelques ressemblances entre l’Évangile de Jean et celui
de Marc dont l’activité de Jean Baptiste qui précède le ministère de Jésus (Jn
1,19-36 // Mc 1,4-8) ; l’épisode de l’expulsion des vendeurs du Temple
de Jérusalem (Jn 2,13-22 // Mc 11,15-17) ; la multiplication des pains et
la marche sur les eaux (Jn 6,1-21 // Mc 6,34-52) ; l’entrée
solennelle de Jésus à Jérusalem (Jn 12,12-15 // Mc 11,1-10), etc.
Dans le détail, il existe des parallèles au niveau d’expressions
textuelles, de citations de l’AT, de certaines paroles de Jésus ou celles des autres
personnages. En général, les quatre Évangiles suivent le même déroulement dans
le récit de la Passion (l’arrestation de Jésus, la comparution devant
l’autorité juive, puis devant l’autorité romaine, enfin la crucifixion, la mort
et la mise au tombeau).
Les parallèles entre l’Évangile de Jean et les Synoptiques
montrent qu’il existe une tradition commune aux quatre Évangiles. Cependant, la
manière dont l’auteur du quatrième Évangile utilise la tradition commune pour
construire le récit de Jésus de Nazareth est originale. Certains points différents
ci-dessous témoignent de l’originalité de l’Évangile de Jean par rapport aux Synoptiques.
2. Certains points différents
Il existe plusieurs divergences entre l’Évangile de Jean et
les Synoptiques. Sans entrer dans les détails, nous indiquons cinq particularités
johanniques : (2.1) les récits, (2.2) le vocabulaire, (2.3) la
topographie, (2.4) le style grec, et (2.5) les thèmes abordés.
2.1. Les récits
- Les deux premiers disciples de Jésus (un disciple anonyme et André) sont les
disciples de Jean Baptiste (1,37). Le récit des cinq premiers disciples de
Jésus selon l’Évangile de Jean en 1,35-51 (un disciple innommé, André, Simon-Pierre,
Philippe, Nathanaël) diffère du récit des premiers disciples selon les Synoptiques.
- La péricope d’expulsion des vendeurs du Temple de
Jérusalem (2,13-22) ouvre sur l’activité publique de Jésus, tandis que dans les
Synoptiques, cet événement s’est produit à la fin de la vie publique de Jésus.
- Quatre signes propres à l’Évangile de Jean sont « l’eau
devenue bon vin à Cana » (2,1-12), « la guérison du paralytique à la
piscine de Béthesda » (5,1-9), « la guérison de l’aveugle-né » (9,1-7),
« la mort et la vie de Lazare » (11,1-44). Certains signes sont
suivis d’un long discours (5,10-47 ; 6,22-59) ou un large développement (9,8-41).
- Les autres récits propres au quatrième Évangile sont « l’entretien
avec Nicodème » (3,1-21) ; « le voyage et les rencontres à
Samarie » (4,1-42) ; « Jésus et ses frères »
(7,1-10) ; « Jésus et les Grecs » (12,20-23), « le lavement
des pieds » (13,4-11), « les discours d’adieu »
(13,33–14,31 ; 15,1–16,33), et « la prière d’intervention de Jésus
auprès de son Père » (Jn 17). Il existe des particularités indéniables
dans les récits de la Passion (Jn 18–19) et les apparitions du Ressuscité (Jn
20–21).
- L’enseignement de Jésus est souvent présenté sous forme de
monologues (3,13-21 ; 5,19-47), de discussions (8,12-59) ou de discours
(14,1–16,33).
- Selon le quatrième Évangile, le ministère de Jésus se
déroule en grande partie à Jérusalem plutôt qu’en Galilée selon les Synoptiques.
- L’indication de trois Pâque (2,13 ; 6,4 ; 11,55)
dans l’Évangile de Jean permet de penser que la mission de Jésus a duré environ
trois ans.
2.2. Le vocabulaire
Le vocabulaire du quatrième Évangile est plus condensé que
les Synoptiques. On y trouve 1011 mots dans l’Évangile de Jean, contre 1961
dans Matthieu, 1345 dans Marc, 2055 dans Luc (cf. É. Cothenet, « L’Évangile selon saint Jean », 30).
L’Évangile de Jean est moins littéraire que celui de Luc, cependant le champ
sémantique du quatrième Évangile est chargé de sens symbolique et théologique.
Par exemple, l’usage johannique des verbes (croire, aimer, connaître, juger,
témoigner, envoyer, garder, manifester, demeurer…) et des substantifs (la vie,
la mort, la lumière, les ténèbres, la vérité…) sont utilisés pour exprimer la
théologie. Ce champ sémantique sert à révéler l’identité de Jésus, les réalités
du monde d’en haut ainsi que la situation de l’homme dans le monde d’en bas.
L’usage du double « amen, amen » qui apparaît 25 fois
dans l’Évangile de Jean ne figure nulle part ailleurs dans le NT. Jésus emploie
ce double « amen » pour s’adresser à ses interlocuteurs :
« Amen, amen, (amèn, amèn) je vous le dis… » (cf. 1,51 ;
5,19…). La Bible de Jérusalem rend ce double « amen » par
« En vérité, en vérité, je vous le dis… ». Il existe un certain
nombre de termes araméens suivis souvent de la traduction grecque dans le texte :
rabbi (8 f.), rabbouni (1 f., 20,16), Messias (2 f., 1,41 ; 4,25), Kèphas
(1 f., 1,42), Silôam (2 f., 9,7.11), Béthesda (1 f., 5,2), Gabbatha (1 f.,
19,13), Golgotha (1 f., 19,17). La plupart des personnages (le Père, Jésus, le
Paraclet, les disciples, Nathanaël, Nicodème, le prince de ce monde, les Juifs,
le monde, etc.) ont des caractéristiques propres dans l’Évangile de Jean.
2.3. La topographie
La topographie de Jérusalem et de la Palestine est plus
abondante dans le quatrième Évangile par rapport aux Synoptiques. À Jérusalem,
l’Évangile de Jean mentionne la piscine de Béthesda qui a cinq portiques (5,2),
la piscine de Siloé (9,7), le portique de Salomon au Temple (10,23), le jardin
sur l’autre rive du Cédron (18,1), le Lithostrotos (Gabbatha) en 19,13, le
Crâne (Golgotha) en 19,17, Béthanie (11,18). La topographie de la Palestine
évoquée est Béthanie au-delà du Jourdain (1,28), Aenon près de Salim (3,23), Cana
en Galilée (2,1.11 ; 4,46), Sychar en Samarie (4,4), le puits de Jacob (4,11),
le village d’Éphraïm où Jésus s’est réfugié (11,54).
Il y a des indications géographiques communes aux autres
évangiles, par exemple, Jérusalem (1,19), le Temple de Jérusalem (2,14), le
sanctuaire (2,19), le lieu-dit du Trésor au Temple de Jérusalem (8,20), Judée
(3,22), Samarie (4,4), Galilée (1,43), Capharnaüm (2,12), la mer de Tibériade (6,1),
Bethsaïda (1,44), etc.
2.4. Le style grec
Le style du quatrième Évangile est caractérisé par l’utilisation
fréquente des termes grecs : kai, oun, hina, hoti. D’abord, la
conjonction « kai » (et) utilisée
comme parataxe pour lier les propositions, « kai » peut avoir le sens additif (1,10) ou le sens adversatif
(1,11). Ensuite, la particule « oun »
(alors, donc) exprime la conséquence. Parfois, « oun » est une simple copule de liaison sans signification
particulière. Enfin, les conjonctions « hina » (afin que…,
pour que…, à savoir que…) et « hoti »
(que, parce que) introduisent souvent une proposition subordonnée. La particule
« hina » peut avoir le sens
final (cf. 15,11.17), le sens complétif
(cf. 4,34), ou le sens déclaratif (épexégétique), cf. 6,40, 15,12. La
conjonction « hoti » introduit
souvent une parole indirecte (cf. 4,9), ou directe (cf. 1,20) ou encore une
explication (cf. 15,25).
Quelques autres termes caractéristiques du quatrième
Évangile sont (1) le pronom démonstratif « ekeinos » (celui-là), 44 fois ; (2) l’adjectif possessif
« emos » (mon), 39 fois ;
(3) les pronoms réflexifs (13 fois) : « aph’eautou » (lui-même), cf. 5,19, « ap’emautou » (moi-même), cf. 5,30 ; (4) la préposition
« ek » (de).
Pour les temps du verbe conjugué, il n’y a de participe
future, d’infinitif future et d’optatif dans le quatrième Évangile. Le
narrateur fait alterner l’aoriste et le présent historique dans son récit. Le parfait
est souvent utilisé pour marquer les effets permanents d’une action passée. Cf.
le style grec dans É. Cothenet,
« L’Évangile selon saint Jean », 30 ; Id., « Le quatrième
évangile », 122-123 ; J. Zumstein*,
I, 33.
2.5. Les thèmes johanniques
Il existe plusieurs thèmes propres au quatrième Évangile,
par exemple, Jésus conscient de sa divinité et de sa préexistence (8,58 ;
10, 30-38 ; 14, 9 ; 17,5.24) se présente comme l’envoyé du Père et est
en communion permanente avec son Père. Les paroles et les œuvres de Jésus sont
celles du Père. Les enseignements de Jésus dans le quatrième Évangile se
concentrent, d’une part, sur son origine et sa mission, et, d’autre part, sur
le fondement de la foi et la vie de la communauté des croyants dans un contexte
de crise (cf. Jn 13–21). Plusieurs idées font allusion à la situation de la communauté
johannique après Pâques, par exemple, la confession sur Logos-Jésus préexistante
(1,1-5) ; l’eschatologie réalisée (11,25-26) ; l’exclusion de la
synagogue (9,22) ; la persécution par le monde hostile (15,18) ; l’activité
du Paraclet (14,15–16,15). Certains autres thèmes johanniques sont le dualisme,
le procès, les signes, les déclarations « Je suis » (egô eimi),
le Paraclet, etc. Le thème du « royaume de Dieu » qui tient une place
importante dans les Synoptiques est peu développé dans l’Évangile de Jean
(3,3.5).
II. Les procédés littéraires du quatrième Évangile
Le lecteur du quatrième Évangile peut repérer trois procédés
littéraires : le malentendu, l’ironie et le langage symbolique. Ces procédés
peuvent être liés entre eux, par exemple, en 4,5-15, le sens courant et le sens
symbolique de « l’eau » provoquent le malentendu chez la femme
samaritaine. Le malentendu contient des traits ironiques autour du thème de l’eau
et dans les paroles de la femme. En tenant compte de ces procédés littéraires,
le lecteur est guidé par le narrateur dans la compréhension du récit. Nous
présentons ci-dessous quelques exemples sur les trois procédés littéraires
johanniques.
1. Le malentendu
Le malentendu se produit quand les interlocuteurs ont compris
la parole de Jésus dans un sens qui n’est pas celui que Jésus veut exprimer. Ce
procédé littéraire joue sur les termes à double sens, par exemple, « détruire et
relever un sanctuaire de pierre » ou « détruire et relever un
sanctuaire du corps » (2,19-20) ; « naître de nouveau » et « naître
d’en haut » (3,3-7) ; « l’eau vive de la source » et
« l’eau vive qu’offre Jésus » (4,10.13-14). Dans le récit, le
sens véritable de la déclaration de Jésus échappe à la compréhension de
l’interlocuteur. Ce dernier l’interprète selon l’expérience humaine tandis que
Jésus vise le sens symbolique pour révéler les réalités du monde d’en haut. Les
métaphores johanniques sont donc le langage de la révélation. Le procédé du malentendu
joue un double rôle. D’abord, il permet à Jésus ou au narrateur de préciser le
sens des mots utilisés. Ensuite, grâce au contexte ou à l’explication dans le
récit, le lecteur parvient à saisir le véritable sens de la parole de Jésus. Le
vrai sens à retenir est communiqué au lecteur soit par le narrateur (2,21),
soit par Jésus lui-même (3,5), soit par le contenu du récit (4,10.13-14). Trois
exemples ci-dessous (2,13-22 ; 3,3-7 ; 4,10-15) expliquent en détail le
procédé littéraire du malentendu.
(1) Un malentendu venant des Juifs se produit dans la
péricope 2,13-22. Quand Jésus a chassé de l’esplanade du Temple de Jérusalem les
vendeurs des animaux et les changeurs de monnaie (2,14-15), les Juifs dit à
Jésus : « Quel signe nous montres-tu pour agir ainsi ? »
(2,18) Jésus leur répondit : « Détruisez ce sanctuaire et en trois
jours je le relèverai » (2,19). Cette déclaration évoque un malentendu
chez les Juifs. Ces derniers ont compris dans le sens de « détruire et
relever » le sanctuaire de pierre qui est devant leurs yeux. Les Juifs
interrogent Jésus sur un ton ironique : « Il a fallu quarante-six ans
pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèveras ? » Pour
le lecteur, la deuxième partie de la parole de Jésus « en trois jours je
le relèverai » (2,19) peut faire allusion à autre chose que la
reconstruction du sanctuaire de pierre, mais le texte ne fournit pas encore des
détails pour saisir le sens de la déclaration de Jésus. Dans le verset suivant
(2,21), le narrateur montre au lecteur que la compréhension des Juifs n’est pas
la bonne, puisque le narrateur s’adresse ainsi au lecteur et non aux Juifs :
« Mais lui [Jésus] parlait du sanctuaire de son corps » (2,21).
Notons que dans le récit Jésus n’explique pas aux Juifs le
véritable sens de sa parole. C’est le narrateur qui donne au lecteur la clé
interprétative de la déclaration de Jésus. S’il s’agit du « sanctuaire de
son corps » (2,21), le sens des verbes « détruire » et
« relever » en 2,19 change complètement, à savoir, « être
détruit » veut dire « être mis à mort » et
« relever ce sanctuaire » veut dire « relever d’entre les
morts » (cf. 2,22). Grâce à l’explication du narrateur le lecteur accède au
véritable sens de la révélation de Jésus. Le récit vise donc le lecteur, le
narrateur ne raconte pas la suite de l’échange entre Jésus et les Juifs. La
question de ces derniers (2,20) reste en suspens. En tant que personnages du
récit, les Juifs n’ont pas obtenu de réponse à leur question ni d’explication
sur le sens de la parole de Jésus. Par contre, le lecteur a des éléments dans
le récit pour accéder au véritable sens de la parole de Jésus.
(2) Le malentendu de Nicodème sur « la naissance de
nouveau » en 3,4 permet à Jésus de préciser le sens de sa parole. Jésus
dit à Nicodème en 3,3 : « En vérité, en vérité, je te le dis, à moins
de naître de nouveau (gennèthèi
anôthen), nul ne peut voir le Royaume de Dieu. » Nicodème lui dit avec
un ton sarcastique : « Comment un homme peut-il naître, étant vieux ?
Peut-il une seconde fois entrer dans le sein de sa mère et naître ? »
(3,4) Pour Nicodème, la réponse à cette question est évidemment négative. Jésus
lui explique en 3,5 : « En vérité, en vérité, je te le dis, à
moins de naître d’eau et d’Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu »
(3,5) et lui dit encore en 3,7 : « Ne t’étonne pas, si je t’ai dit :
Il vous faut naître d’en haut (gennèthènai
anôthen). » Il est difficile voire impossible de traduire l’adverbe
grec « anôthen » qui est à
double sens : « de nouveau » et « d’en haut ». Nicodème
a compris seulement le premier sens du terme « anôthen » : « de nouveau » selon la naissance
physique. La précision de Jésus en 3,5 permet d’orienter l’expression de « gennaô anôthen » (naître de
nouveau / naître d’en haut) vers le sens de « naître d’eau et d’Esprit ».
Le malentendu de Nicodème dans le récit aide donc le lecteur dans sa recherche du
véritable sens de la parole de Jésus. Notons que le jeu du mot grec « anôthen » dans le texte dévoile la
limite de la traduction. Le même adverbe « anôthen » est rendu dans les versions : La Bible de Jérusalem, 2000 et La Bible, Traduction œcuménique, 2011 par deux termes
différents : « de nouveau » en 3,3 et « d’en haut » en
3,7. En réalité, Jésus utilise un seul terme grec « anôthen » dans ces deux versets (3,3.7). La traduction du grec
en français dans les versions citées (aussi dans d’autres langues) fait donc perdre
la subtilité et l’ambiguïté dans le jeu de mot et le malentendu qui en découle.
(3) Le malentendu de la femme samaritaine en 4,5-15 a sa
particularité. Jésus définit l’eau vive qu’il offre en 4,13-14, mais le
malentendu chez la femme samaritaine persiste (4,15). Le dialogue sur le thème
de l’eau prend fin en 4,15 quand la femme n’a pas encore compris ce que veut
dire « l’eau vive » dont Jésus lui en parle. Dans le verset suivant
(4,16), Jésus change de sujet en lui demandant : « Va, appelle ton
mari et reviens ici. » Le narrateur laisse donc au lecteur de trouver la
différence entre « l’eau vive d’une source » (l’eau courante) et « l’eau
vive que Jésus offre ».
Le malentendu s’est produit quand Jésus en demandant à la
femme à boire de l’eau qu’elle a (4,7) affirme qu’il peut lui donner « l’eau
vive » (4,10b). La condition pour recevoir cette eau est la connaissance du
« don de Dieu » et « celui qui a demandé à boire » (4,10a).
La femme a compris que « l’eau vive » dont Jésus parle est l’eau du
puits, elle lui demande donc avec un ton humoristique et ironique :
« Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond. D’où l’as-tu
donc, l’eau vive ? » Cette question conduit Jésus à préciser la
nature de « l’eau vive » en 4,13-14 : « 13 Quiconque boit
de cette eau aura soif à nouveau ; 14 mais qui boira de l’eau que je lui
donnerai n’aura plus jamais soif ; l’eau que je lui donnerai deviendra en lui
source d’eau jaillissant en vie éternelle. » C’est étonnant que la femme
n’a pas compris cette parole, puisqu’elle dit à Jésus en 4,15 : « Seigneur,
donne-moi cette eau, afin que je n’aie plus soif et ne vienne plus ici pour
puiser. » Cependant, pour le lecteur, l’explication de Jésus en 4,13-14
est claire. Il est évident que « l’eau vive » que Jésus donne n’est
pas « l’eau du puits » dans le sens courant du terme. Ainsi, le lecteur
ne confond pas, comme le fait la samaritaine, entre « l’eau puisée du puits »
(4,15), et « la source d’eau jaillissant en vie éternelle » (4,14). Le
récit vise donc l’intelligence du lecteur, le contenu du texte a permis au lecteur
d’accéder à une juste compréhension de la révélation de Jésus, tandis que le
personnage dans le récit (la femme samaritaine) ne saisit pas encore le sens. L’incompréhension
persistante de la samaritaine peut être perçue comme un procédé littéraire. Puisqu’elle
n’a pas rien compris sur « l’eau vive », c’est le moment pour changer
le sujet du dialogue. Jésus lui demande donc d’aller appeler son mari (4,16),
mais elle ne part pas, la discussion continue jusqu’au verset 26 sur des sujets
importants : le lieu d’adoration Dieu (4,20-24), le salut (4,23b) et les grandes
figures de la tradition : les pères (4,20a), le prophète (4,19), le Messie
(4,25-26).
En résumé, à travers le procédé littéraire du malentendu, le
narrateur guide le lecteur dans l’interprétation des données du récit. Trois
exemples plus haut montrent que, dès les premiers chapitres de l’Évangile, la
révélation de Jésus s’oriente vers son l’Heure. L’Heure de sa mort sur la croix
coïncide avec l’Heure de son élévation et sa glorification. Dès la réalisation
de cette Heure (Jn 18–21), le corps de Jésus devient le sanctuaire (2,18-22)
pour ses disciples. En croyant en Jésus, l’homme naît « de nouveau / d’en
haut », c’est-à-dire, naît « d’eau et d’Esprit » (3,3-7) et
reçoit le don de « l’eau vive » (4,10-14). Ainsi, le procédé du
malentendu révèle au lecteur le sens symbolique des verbes : « détruire »,
« relever » et celui des expressions : naître « de nouveau /
d’en haut » (anôthen),
« l’eau vive ». Voir l’usage du procédé littéraire « le malentendu »
dans les autres passages en 6,51-52 ; 7,33-36 ; 8,21-22.31-58.
2. L’ironie
L’ironie découle d’une situation ou d’une parole dans le
récit qui évoque l’humour, le sarcasme ou le paradoxe. L’ironie joue sur un double niveau. D’une part, on peut noter les
traits ironiques entre les personnages du récit, et d’autre part, il s’agit d’un
mode de communication entre le narrateur et le lecteur, c’est-à-dire le
narrateur communique au lecteur par le procédé d’ironie et ainsi lui indique le
sens du récit. L’ironie johannique parcourt l’Évangile, en particulier,
l’ironie dans les controverses entre Jésus et ses adversaires en Jn 8 et dans le
récit de l’aveugle de naissance (Jn 9). À titre d’exemple, voici les traits ironiques
chez quelques personnages : (1) Nicodème en 3,1-12, (2) Jésus et la femme
samaritaine en 4,5-15, (3) les autorités juives, Pilate et Jésus dans la
péricope 18,28–19,16a.
(1) L’ironie dans le dialogue entre Nicodème et Jésus en 3,1-12
se joue sur le thème de « savoir ». En effet, Nicodème montre sa
connaissance en disant à Jésus en 3,2 : « Rabbi, nous le savons (oidamen),
tu viens de la part de Dieu comme un Maître : personne ne peut faire les
signes que tu fais, si Dieu n’est pas avec lui. » Cependant, à la fin du
dialogue, Jésus lui dit en 3,10 : « Tu es Maître en Israël, et
ces choses-là, tu ne les saisis pas (ou ginôskeis) ? » Le
récit place Nicodème au côté du « non-savoir », et Jésus au côté du « savoir ».
En effet, avant que Nicodème n’apparaisse dans le récit, le narrateur a noté en
2,25b que Jésus « connaissait (eginôsken) ce qu’il y avait
dans l’homme ». Pour le lecteur, la prétention de connaître Jésus de la
part de Nicodème est ironique. À travers cette ironie le narrateur invite son
lecteur à découvrir en Jésus, le Révélateur et le Maître par excellence qui
enseigne les choses de la terre (3,12a) et dévoile les choses du ciel (3,12b). Le
lecteur est invité à ouvrir son esprit et son cœur pour entendre la parole de
Jésus.
(2) Il existe un double trait ironique dans la rencontre de
Jésus avec la femme samaritaine en 4,5-15. D’abord, l’ironie dans le fait que
le narrateur réunit les deux figures opposées en un seul personnage :
celui qui demande « l’eau à boire » est celui qui offre « l’eau
vive ». Jésus dit à la femme : « Si tu savais le don de Dieu et
qui est celui qui te dit : Donne-moi à boire, c’est toi qui l’aurais prié
et il t’aurait donné de l’eau vive » (4,10). À travers ce contraste
ironique, le lecteur saisit les deux sens de l’eau (physique et symbolique) et par
ce procédé litteraire l’identité de Jésus commence à se dévoiler. Jésus est un
vrai homme, il est fatigué par la marche jusqu’à midi (la sixième heure, cf.
4,6) et demande donc à la femme samaritaine à boire. En même temps, Jésus est
l’envoyé de Dieu et il vient d’en haut, il peut offrir « une source d’eau
jaillissant en vie éternelle » (4,14b). À travers l’image d’eau, le
contraste entre l’humanité et la divinité de Jésus est mis en relief ; cette
révélation est communiquée au lecteur par le procédé littéraire de l’ironie.
Le deuxième trait ironique se trouve dans la parole de la
femme samaritaine. Elle pose à Jésus deux questions en 4,11-12. La première
question est « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est
profond. D’où l’as-tu donc, l’eau vive ? » (4,11), puis la seconde
suit en 4,12 : « Serais-tu plus grand que notre père Jacob, qui nous
a donné ce puits et y a bu lui-même, ainsi que ses fils et ses
bêtes ? » Pour elle, la réponse à ces deux questions est évidemment
négative. Mais le lecteur sait qu’elle ne comprend pas la parole de Jésus en
4,10 et que c’est le contraire qu’il faut retenir, à savoir que l’eau vive que
Jésus offre n’est pas l’eau du puits et Jésus est infiniment plus grand que le
patriarche Jacob. C’est au lecteur de découvrir des traits ironiques dans le
récit pour remarquer que la perception du personnage va dans la fausse direction,
et c’est le sens contraire que le narrateur veut communiquer au lecteur.
(3) La péricope « Jésus devant Pilate »
(18,28–19,16b) est saturée d’ironies et de contrastes. Les détails dans le
récit contribuent à renverser la position et la déclaration des personnages. Les
autorités juives, au matin (18,28b), manifestent leur respect de la Loi juive, elles
n’entrent pas dans la résidence de Pilate « pour ne pas se souiller et
pouvoir manger la Pâque » (18,28c), elles montrent donc leur fidélité au Seigneur,
leur Dieu. Inversement, à midi (19,14), elles deviennent les fidèles de César
en proclamant haut et fort : « Nous n’avons pas d’autre roi que
César » (19,15). Les autorités juives ont donc quitté le monde juif pour se
soumettre à la royauté de César, l’empereur romain. Quant à Pilate, en
proclamant l’innocence de Jésus et en voulant le relâcher, c’est un païen qui
se situe du côté de Jésus, de ce fait, il est placé dans le monde juif !
L’ironie johannique dans les dialogues entre Jésus et Pilate
est bien construite. La relation entre Pilate et Jésus est celle entre le juge
et l’accusé, entre celui qui a le pouvoir et celui qui est dépouillé, bafoué. La
hiérarchie entre le juge (Pilate) et l’accusé (Jésus) est renversée au fur et à
mesure dans le récit. Tout d’abord, Jésus se situe comme un interlocuteur au
même niveau que Pilate. Jésus renvoie la responsabilité à Pilate sur sa parole
en lui disant : « C’est toi qui dis que je suis roi » (18,37), et il ne
répond pas à la question de Pilate en 19,9. Ainsi, au niveau du dialogue, Jésus
n’est aucunement inférieur à Pilate. Ensuite, sur le plan psychique, il n’y a
aucun signe de peur ou d’angoisse chez Jésus, l’accusé qui encourt la peine de
mort. En revanche, Pilate, le juge dans cette affaire, est effrayé devant
Jésus. En effet, quand les Juifs dit à Pilate : « Nous avons une Loi et d’après cette Loi il [Jésus] doit mourir,
parce qu’il s’est fait Fils de Dieu » (19,7), le narrateur note :
« Lorsque Pilate entendit cette
parole, il fut encore plus effrayé » (19,8). Pilate a eu peur et
maintenant, il est « plus
effrayé » à cause de l’origine mystérieuse de Jésus. Pilate demande
donc à Jésus : « D’où es-tu, toi ? » (19,9b) « Mais Jésus ne lui donna pas de
réponse » (19,9c). Au fond, Pilate ne connaît pas qui est Jésus ;
il a peur d’une disgrâce aux yeux de César. C’est pourquoi dans le récit Pilate
ne juge pas Jésus ; il cède à la volonté des Juifs en livrant Jésus pour
être crucifié (19,16a). Le rôle des personnages est totalement renversé, Jésus
est présenté donc dans le récit comme le vrai juge.
En effet, de manière ironique, c’est l’accusé Jésus qui affiche
au grand jour le péché de ses adversaires et celui du juge Pilate. Jésus dit à
Pilate en 19,11 : « Celui qui m’a livré à toi porte un plus grand
péché. » C’est-à-dire que tous les deux (les accusateurs et Pilate) ont
péché, mais le péché des premiers est plus grand que celui du second. À travers
ces traits ironiques, le texte aide le lecteur à discerner les réalités
profondes des personnages dans le récit « Jésus devant Pilate »
(18,28–19,16b) concernant le mensonge et la vérité, l’honnêteté et la malhonnêteté,
le pouvoir et le non pouvoir. Dans la péricope 18,28–19,16b, le procédé
littéraire d’ironie nuance le caractère dramatique de la mort de Jésus et à
travers ce procédé, le narrateur communique au lecteur l’origine d’en haut de
la royauté de Jésus : il manifeste l’autorité d’un juge au moment où il n’a aucun pouvoir
politique et religieux. En fait, c’est le moment le plus pertinent pour définir
la royauté et le pouvoir de Jésus : son royaume n’est pas de ce monde (18,36a),
mais il exerce son pouvoir de juge dans ce monde (19,11.13).
3. Le langage symbolique
L’utilisation du langage symbolique est l’un des caractéristiques
du quatrième Évangile. « Les réalités en haut » et « le don de
la vie éternelle » sont présentés par des symboles et des métaphores
bibliques. Le symbole se base sur le sens courant des réalités de ce monde pour
exprimer des réalités du monde d’en haut. Avec des métaphores, Jésus enseigne et
transmet aux interlocuteurs son message. Pour le narrateur, c’est à travers le
langage symbolique dans le récit qu’il transmet à son lecteur le message de
l’Évangile. Le narrateur invite le lecteur à dépasser le sens premier pour
accéder à la révélation. La richesse de la symbolique johannique peut se regrouper
en quatre points : (1) l’utilisation des images opposées, (2) les symboles
dans l’expérience humaine, (3) Les images appliquées aux personnages, (4) les figures
symboliques attribuées à Jésus.
(1) Le narrateur utilise souvent des images opposées, par
exemple, « la lumière et les ténèbres » (1,4-5 ; 8,12) ;
« le jour et la nuit » (9,5 ; 11,9-10) ; « la vie et
la mort » (8,51 ; 11,26) ; « d’en haut et d’en bas »
(8,23) ; « de ce monde et pas de ce monde » (8,23 ;
15,19 ; 17,14.16), cf. l’étude
sur « le dualisme johannique ». Ces couples de termes contiennent
des sens symboliques et théologiques.
(2) Les symboles s’enracinent dans l’expérience humaine, par
exemple, les thèmes de l’eau (4,7-14 ; 7,37-39) et de la naissance (de
nouveau, d’en haut, 3,5-12) ; les images du grain de blé jeté en
terre (12,24), de l’apprentissage du fils dans l’atelier de son père (5,19-20a),
de l’ami de l’époux (3,29), de la femme en couches (16,21), etc. Ces
expériences humaines décrivent les réalités du monde d’en haut, la mission de Jésus
et la situation des disciples.
(3) Les métaphores sont appliquées aux personnages dans le
récit, par exemple, le Père de Jésus est le vigneron (15,1b). Les disciples de
Jésus prennent la figure des sarments (15,2), des brebis (10,1-21) ;
au moment du départ de Jésus, la détresse des disciples ressemble à la
situation d’une femme en couches (16,21). Jean Baptiste définit sa relation
avec Jésus par la métaphore « l’ami de l’époux » (3,29), etc.
(4) La plupart des figures symboliques est attribuée à
Jésus, par exemple, pour Jean Baptiste, Jésus est l’époux (3,29). La mort de Jésus
est renvoyée par l’image d’un grain de blé tombé en terre qui doit mourir pour
porter beaucoup de fruit (12,24). En particulier, les six déclarations de Jésus
en « Moi, je suis » (egô eimi)
avec un attribut qui contient une dimension symbolique : « Moi, je
suis » : « le pain de vie » (6,35.41.48.51), « la
lumière du monde » (8,12, cf. 9,5; 12,46), « la résurrection et la
vie » (11,25), « la porte des brebis » (10,7.9), « le bon
pasteur » (10,11.14), « le Chemin, la Vérité et la Vie » (14,6),
« la vigne véritable » (15,1.5). Ces symboles servent à dévoiler l’identité
et la mission de Jésus, cf. l’étude
sur « Je suis » dans l’Évangile de Jean.
Les symboles johanniques
sont le langage de la révélation. Ils suggèrent au lecteur d’aller plus loin
dans leur compréhension. Au lieu de forcer ou d’imposer au lecteur par des
formules d’abstraction théologique, les métaphores johanniques laissent au lecteur
le travail de décoder les symboles grâce aux données dans le récit. Le procédé
littéraire du symbolisme est donc un mode de communication silencieux entre le
narrateur et lecteur. Nous présentons brièvement, à titre d’exemple, trois
symboles johanniques : (1) la lumière, (2) l’eau et (3) le bon
pasteur.
(1) Le symbole de la lumière (phôs) parcourt la première partie de l’Évangile (Jn 1–12). Le Logos
dans le Prologue est identifié à la lumière : « Le Verbe était la
lumière véritable, qui éclaire tout homme, venant dans le monde » (1,9).
En 8,12, Jésus déclare : « Je suis la lumière du monde. Qui me suit
ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie. » La
vie est identifiée à la lumière dans le Prologue : « Ce qui fut en
lui [Logos] était la vie, et la vie
était la lumière des hommes » (1,4). Dans le sens métaphorique, le monde
ne peut pas exister sans la lumière et la mission de Jésus est de donner aux
hommes « la lumière de la vie » (8,12d). En croyant en lui, les
hommes auront « la lumière » dans laquelle ils peuvent « vivre »,
« marcher », « travailler » selon le sens symbolique de ces
verbes. Tout homme est invité à « marcher dans la lumière » qui est l’enseignement
de Jésus (cf. 8,12) et à « ne pas demeurer dans les ténèbres »
(12,46), c’est-à-dire de refuser de croire en Jésus.
(2) Le thème de l’eau (hudôr)
apparaît pour la première fois dans la déclaration de Jean Baptiste :
« Moi, je baptise dans l’eau » (1,26a) et pour la dernière fois sur
la croix. Le narrateur relate en 19,34 : « L’un des soldats, de sa
lance, lui [Jésus] perça le côté et il sortit aussitôt du sang et de l’eau. »
Entre ces deux occurrences (1,26 ; 19,34) du terme hudôr (eau), il
y a « l’eau devenue bon vin à Cana » (2,1-12), « la renaissance
de l’eau et de l’esprit » (3,5), le don de « l’eau vive » (4,10 ;
7,37-38), « l’eau » des piscines Bethesda (5,1-9), Siloé (9,6-7), « l’eau »
de purification dans le récit du lavement des pieds (13,1-15). Le symbole de
l’eau dans le quatrième Évangile révèle l’identité de Jésus. En effet, ce
dernier peut offrir « l’eau vive » au monde parce qu’il est « le
sauveur du monde » (4,42). Jésus définit « l’eau vive » en
disant à la femme samaritaine : « Qui boira de l’eau que je lui
donnerai n’aura plus jamais soif ; l’eau que je lui donnerai deviendra en
lui source d’eau jaillissant en vie éternelle » (4,14). La mission de
Jésus est d’offrir cette eau vive aux croyants. Le don de « l’eau
vive » prend sa source dans le don de la vie de Jésus sur la croix (cf.
7,37-39 ; 19,34).
(3) La figure du bon Pasteur (ho poimèn ho kalos) n’apparaît
qu’en Jn 10, mais ce symbole est important dans la théologie johannique. Jésus est l’unique bon Pasteur parce qu’il a dit en 10,8 : « Tous ceux qui
sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands. » L’identité du bon Pasteur se manifeste dans son pouvoir de
« déposer sa vie pour ses brebis et la reprendre » (10,18). La mission
du bon Pasteur est double :
donner la vie en surabondance à ses brebis (10,10) et rassember d’autres brebis d’autres enclos pour les faire devenir « un seul troupeau, un seul pasteur » (10,16). Les brebis dans le récit symbolisent les disciples de Jésus.
En suivant le bon Pasteur et en écoutant sa voix, les disciples sont protégés, guidés, nourris selon le sens symbolique,
théologique et spirituel de ces termes.
La métaphore « des brebis » revient à la fin de
l’Évangile quand Jésus confie à Simon-Pierre la mission de faire paître son
troupeau (21,15-17). Le récit de 21,15-17 insiste sur le fait que Jésus est
toujours l’unique bon Pasteur puisque le troupeau appartient à lui et non à Simon-Pierre.
Jésus dit à Simon-Pierre à trois reprises : « sois le pasteur de mes
brebis » (21,16c), « fais paître mes agneaux » (21,15c) et
« fais paître mes brebis » (21,17d). Simon-Pierre est donc le pasteur
qui fait paître les agneaux et les brebis de Jésus. Selon la théologie
johannique, la crédibilité de la charge de pasteur de Simon-Pierre repose sur
son amour pour Jésus qui est l’unique bon Pasteur du troupeau.
III. Conclusion
En comparant le texte de l’Évangile de Jean et celui des Synoptiques,
nous avons présenté deux points communs : (1) le genre littéraire de l’Évangile
et (2) certains récits en parallèle. Ces ressemblances montrent qu’il existe
une tradition commune aux quatre Évangiles. Ensuite, nous avons indiqué cinq points
différents concernant (1) les récits propres du quatrième Évangile, (2) le
vocabulaire, (3) la topographie, (4) le style grec et (5) les thèmes traités
dans l’Évangile. Ces particularités prouvent que la rédaction du quatrième Évangile
s’appuie sur trois éléments principaux : la tradition commune aux quatre
Évangiles, la tradition de la communauté johannique et la contribution de
l’école johannique. Le narrateur offre donc au lecteur un récit original sur la
vie de Jésus de Nazareth tant sur la forme que sur le fond. En limitant notre
étude sur le texte du quatrième Évangile à son état final, nous n’entrons pas
dans le débat sur la question de l’indépendance et de la dépendance entre
l’Évangile de Jean et les Synoptiques. Ce sujet appartient à la recherche de la
genèse du texte et non au sens du récit à l’état final.
Pour transmettre son message, le narrateur utilise souvent trois
procédés littéraires (le malentendu, l’ironie et le langage symbolique) dans
son Évangile. Nous trouvons ces procédés littéraires à travers des rencontres
(avec Nicodème, la femme samaritaine), des discussions (avec les Juifs, les
Pharisiens), des dialogues (avec les disciples, Pilate). Le narrateur élabore les
procédés littéraires par la manière de raconter le récit et par l’utilisation des
termes à double sens (le sens général et le sens symbolique). Ces procédés
littéraires sont les techniques de communications entre le narrateur et le
lecteur. C’est donc au lecteur de découvrir ces techniques littéraires pour
saisir le message du texte. Par exemple, le malentendu de la femme samaritaine en
4,5-15 fait comprendre au lecteur la différence entre « l’eau de la source »
et « l’eau vive » qu’offre Jésus. L’ironie sur la royauté de Jésus
dans la péricope « Jésus devant Pilate » (18,28–19,16a) veut communiquer
au lecteur que Jésus est le vrai roi et il exerce son rôle de juge. Le
narrateur laisse au lecteur le soin d’interpréter d'une façon symbolique les besoins vitaux de ce monde, comme l’eau, le
pain, la lumière, les ténèbres, etc. La clé interprétative du sens symbolique se
trouve dans les détails du récit. Ainsi, par les procédés littéraires du
malentendu, de l’ironie et du langage symbolique, le narrateur transmet au lecteur
les révélations concernant la mission de Jésus en faveur de l’humanité./.
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