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Le 30 Janvier 2015.
Contenu
Introduction
I. Les démarches
de l’étude historico-critique
1. Une discipline multiple
2. Les champs d’étude
II. Les difficultés
1. La recherche du hors-texte
2. La problématique du sens historique
du texte
Conclusion
Introduction
Après une vue globale sur le thème “Diachronie et synchronie dans l’étude de
la Bible”, nous
aborderons dans cet article l’étude historico-critique qui est la caractéristique
de l’approche diachronique. Pour mieux saisir les contributions ainsi
que les limites de cette étude, nous la présenterons en deux parties : (I)
Les démarches et (II) Les difficultés.
À propos des références
bibliographiques, la première qui apparaîtra sera une référence complète. Les
suivantes seront abrégées avec trois éléments : (1) le nom de l’auteur (en
minuscule) ; (2) quelques mots du titre (en italique s’il s’agit d’un
livre, entre guillemets s’il s’agit d’un article) ; (3) la page concernée.
La première occurrence du nom de l’auteur sera complète (prénom et nom), les
suivantes auront simplement le nom de l’auteur sans son prénom. Une
bibliographie sera
donnée à la fin de l’article (voir
les abréviations).
I. Les démarches de l’étude
historico-critique
Les
deux adjectifs “historique” et “critique” de l’étude historico-critique définissent
déjà ses démarches. C’est une étude « historique », parce qu’elle
étudie l’histoire de la réception du texte biblique, le contexte historique,
les processus historiques des étapes de la production d’un livre et son
destinataire. C’est une étude « critique » parce qu’elle opère à
l’aide de critères scientifiques aussi objectifs que possible en chacune de ses
démarches.
L’étude
historico-critique en elle-même n’est pas une méthode avec ses propres
critères, mais elle fait appel à plusieurs disciplines. Francolino Gonçalvès
remarque : « On parle souvent de “méthode historico-critique”, mais
cette désignation est doublement inexacte. L’exégèse dont on parle met en œuvre
un grand nombre de disciplines qui ont chacune son but et sa méthode propres.
Ces disciplines ne sont pas toutes de nature historique, loin de là. »
(GONÇALVÈS, Francolino, “Enjeux et possibilités de la quête du sens historique
originaire. Est-ce la même chose que le sens littéral ?”, dans VENARD,
Olivier-Thomas, (Éd.), Le sens littéral
des Écritures, (Actes du colloque international, Jérusalem, École biblique
et archéologique française, 28-30 novembre 2007, organisé par EBAF), (Lectio
Divina), Paris, Le Cerf, 2009, p. 54).
Dans
cette partie, nous parlerons d’abord des disciplines utilisées dans l’étude
historico-critique, et ensuite des champs de recherche de cette approche historique.
1. Une discipline multiple
Au début du XXe
siècle, Joseph Marie Lagrange a présenté trois étapes de l’exégèse
historico-critique : « La division du travail qui s’impose de notre
temps a introduit la distinction commode de critique textuelle, critique littéraire,
critique réelle. La critique textuelle s’efforce de reproduire le texte
primitif, tel qu’il est sorti de la plume de l’auteur d’un livre. La critique
littéraire demande à l’auteur quel genre il a entendu choisir ; s’il est
poète, moraliste ou historien ; s’il a été témoin oculaire ou s’il a suivi
des sources ; si ces sources étaient écrites ou simplement témoignage
oral ; s’il a refondu sa matière, ou s’il s’est contenté d’abréger ou de
compiler. La critique réelle s’attaque à l’objet même du livre, discute sa
véracité, s’il s’agit d’histoire, non pas seulement d’après les garanties qu’il
paraît offrir de sincérité et de bonne information, mais d’après ce que nous
savons de certain en histoire ; s’il s’agit de doctrines, elle en pèse le
sens et la portée. » (LAGRANGE, Marie-Joseph, La méthode historique, (EtB 1), (Édition augmentée), Paris,
Librairie Victor Lecoffre, 1904, p. 11).
À partir de ces trois disciplines :
la critique textuelle, la critique littéraire et la critique réelle (ou la
critique historique), l’étude historico-critique se développe de plus en plus
précisément en plusieurs disciplines. Nous présenterons les étapes de la
recherche historico-critique en nous appuyant sur ces trois documents :
(1) La Commission Biblique Pontificale (CBP), L’interprétation de la Bible dans l’Église, (1993), (4e éd.),
Paris, Le Cerf, 2010, p. 31-32) ; (2) Jean-Marie VAN CANGH, “La
méthode historico-critique. Quelques applications”, dans Otto Hermann ; Jean-Marie
VAN CANGH, (Dir.), Comment faire de la
théologie aujourd’hui? Continuité et renouveau, Bruxelles, Académie
Internationale des Sciences religieuses, 2003, p. 175-176 ; (3) Jean
ZUMSTEIN, “Les limites de l’interprétation”, dans Pierre BUHLER ;
Clairette KARAKASH, (éd.), Quand
interpréter c’est changer. Pragmatique et lectures de la Parole, (Actes du
Congrès international d’herméneutique, Neuchâtel, 12-14 septembre 1994), (Lieux
théologique 28), Genève, Labor et Fides, 1995, p. 78-80.
Il y a plusieurs manières pour
présenter les étapes de l’étude historico-critique, ici nous pouvons résumer 9
étapes : (1) la critique textuelle ; (2) l’étude
philologique ; (3) la critique littéraire classique ; (4) la critique
historique ; (5) l’histoire comparée des religions ; (6) l’histoire
des formes et l’histoire de la tradition ; (7) L’histoire de la
rédaction ; (8) la socio-exégèse ; (9) l’histoire de la réception.
(1) La critique textuelle étudie
les témoignages des manuscrits les plus anciens, les traductions anciennes et
les citations ou les références dans les textes patristiques. La critique
textuelle cherche à établir un texte biblique qui soit aussi proche que
possible du texte original. Cette discipline a sa propre méthode et ses
critères pour examiner les variantes qui figurent dans les manuscrits différents.
Pour le texte du Nouveau Testament, les spécialistes de la critique textuelle se
sont basés sur les manuscrits pour établir le texte grec standard du Nouveau
Testament. (Voir “le texte final” dans l’article: “Diachronie
et synchronie dans l’étude de la Bible”). La critique textuelle est
une étape indispensable pour l’étude diachronique ainsi que l’étude synchronique.
(2) L’étude philologique du texte
consiste à étudier la linguistique (morphologie
et syntaxe) et la sémantique du texte.
(3) La critique littéraire
classique s’identifie à la recherche des sources. Il s’agit de discerner le
début et la fin des unités textuelles, de repérer les répétitions, les
doublets, les divergences inconciliables qui manifestent le caractère composite
du texte. À partir de ces indices, on étudie l’appartenance possible des textes
à diverses sources. Il s’agit d’établir des rapports de filiation entre les
textes-sources.
(4) La critique historique
concerne les textes historiques. « Lorsque les textes étudiés
appartiennent à un genre littéraire historique ou sont en rapport avec des
événements de l’histoire, la critique historique complète la critique
littéraire, pour préciser leur portée historique, au sens moderne de
l’expression. » (CBP, L’interprétation,
p. 32).
(5) L’histoire comparée des
religions est une discipline inspirée par l’école d’histoire des religions (Religionsgeschichtliche
Schule). Cette étude compare les religions présentées dans le texte étudié. Par
exemple, la comparaison du Nouveau Testament avec les textes de Qumrân ou avec
le Judaïsme du 1er siècle av. et ap. J.-C.
(6) L’histoire des formes
(Formgeschichte) et l’histoire de la tradition (Traditionsgeschichte) tentent de
reconstituer l’histoire des traditions du texte. Elles cherchent à situer les
textes dans les courants de tradition puis à préciser l’évolution au cours de
l’histoire. « Le centre de la méthode consiste à chercher les genres
littéraires primitifs en relation avec leur fonction dans la communauté
primitive (Sitz im Leben). »
(Van Cangh, “La méthode historico-critique”, p. 175). Cette étude des formes
« a eu comme résultat de manifester plus clairement que la tradition
néotestamentaire a eu son origine et a pris sa forme dans la communauté
chrétienne, ou Église primitive, passant de la prédication de Jésus lui-même à
la prédication qui proclame que Jésus est le Christ. » (CBP, L’interprétation, p. 30).
(7) L’histoire de la rédaction (Redactionsgeschichte)
ou la critique de la rédaction. Cette discipline « étudie le stade final
de l’œuvre écrite, avec les thèmes théologiques spécifiques que chaque auteur
introduit et développe dans son œuvre. » (Van Cangh, “La méthode
historico-critique”, p. 176). Elle « étudie les modifications que les
textes ont subies avant d’être fixés dans leur état final ; elle analyse
cet état final, en s’efforçant de discerner les orientations qui lui sont
propres. » (CBP, L’interprétation, p.
32). Autrement dit, la critique de la rédaction « cherche à mettre en
lumière la contribution personnelle de chaque évangéliste et les orientations
théologiques qui ont guidé son travail de rédaction ». (CBP, L’interprétation, p. 30).
(8) La socio-exégèse éclaire les
conditions de production d’un texte avec l’interaction entre le texte et son
milieu, son effet social.
(9) L’histoire de la réception ou
l’histoire de l’effet du texte (Wirkungsgeschichte). Cette discipline consiste
à montrer les effets dans la vie de l’Église tout au long de son histoire.
L’exégèse historico-critique peut
recourir aux autres disciplines qui contribuent à la compréhension du milieu
historique du texte. Gonçalvès le résume ainsi : « Selon la teneur
des textes étudiés et les intérêts ou les compétences de l’exégète, elle peut
mettre encore à contribution bien d’autres disciplines, surtout des sciences
humaines : l’anthropologie, l’archéologie, l’épigraphie, l’ethnologie, la
géographie, l’histoire politique, religieuse et sociale d’Israël, de Juda, de
la Judée et du Proche-Orient ancien en général, la sociologie, etc. Aucun exégète
ne maîtrisera toutes ces disciplines. Dans le meilleur des cas, il sera en
mesure d’utiliser toutes celles qui sont vraiment indispensables, les autres ne
pouvant jouer qu’un rôle subsidiaire. » (Gonçalvès, “Enjeux et
possibilités”, p. 55). Les disciplines utilisées dans la critique historique
peuvent se regrouper dans plusieurs champs
d’étude.
2.
Les champs d’étude
Les champs d’étude historico-critique
sont très divers dans les détails, mais ils peuvent être classés en quatre champs :
(1) Le texte ; (2) La genèse du texte ; (3) Le milieu du texte ;
(4) La réception du texte.
(1) Le texte (le texte final). Les
disciplines qui étudient le texte en l’état final sont la critique textuelle ;
l’étude philologique (linguistique et sémantique) ; la comparaison des textes
en vue de mieux saisir le sens du texte actuel. Par exemple, le thème de la
vigne en Jn 15,1-8 fait penser à l’image de la vigne dans l’Ancien
Testament (Is 5,1-7 ; Jr 2,21 ; Ez 15,1-8 ; 19,10-14).
(2) La genèse du texte (ce qui est
derrière le texte). Ce champ d’étude se concentre sur la formation du texte
final. Les observations dans la critique littéraire deviennent des données pour
la recherche des sources du texte. L’étude de l’histoire des genres littéraires
(l’histoire des formes et l’histoire de la tradition) tente de trouver leur
milieu d’origine. L’étude de l’histoire de la rédaction étudie le travail du
rédacteur final du texte.
(3) Le milieu du texte (ce qui est
autour du texte). Le milieu historique du texte est pris en considération dans
certains textes. L’histoire comparée des religions, la socio-exégèse, ainsi que
les autres disciplines permettent d’éclairer les conditions de production du
texte final.
(4) La réception du texte (ce qui
est devant le texte). L’étude de la réception s’intéresse aux effets que le
texte final a produits dans l’histoire de l’Église. Par exemple, elle étudie le
processus de canonisation du texte du Nouveau Testament ; l’interprétation
du Nouveau Testament chez les Pères de l’Église ou à l’époque du Moyen Age…
Les quatre champs d’étude : (1),
(2), (3), (4), présentés plus haut peuvent être illustrés par ce
schéma :
L’idéal est que tous ces champs
de recherche contribuent à l’interprétation du texte final. Zumstein rappelle :
« “Seul ce qui sert l’interprétation est légitime !” ; cette
règle d’or de l’exégèse doit être appliquée avec toute la rigueur
nécessaire. » (Jean ZUMSTEIN, “Critique historique et critique
littéraire”, dans Id., Miettes exégétiques,
(MdB 25), Genève, Labor et Fides, [1986], 1991, p. 62).
Cependant, la démarche de l’étude
historico-critique fait front à une double difficulté : d’une part, la
recherche et le débat portent souvent sur des problèmes hors-texte ;
d’autre part l’objectif de la recherche du sens original ou du sens historique du
texte est mis en question. Nous parlerons de ces difficultés en nous appuyant
sur deux articles de Jean Zumstein : (1) “Les limites de l’interprétation”
(cité plus haut) ; (2) “Interpréter le quatrième évangile aujourd’hui.
Question de méthode”, RHPhR 92/2 (2012) 241-258.
II. Les difficultés
Nous avons abordé brièvement les
limites de la critique historique dans l’article : “Diachronie
et synchronie dans l’étude de la Bible”, ici nous présentons les
difficultés de la critique historico-critique dans l’interprétation des textes
bibliques sur deux points : (1) La recherche du hors-texte et (2) la
problématique du sens premier du texte.
1.
La recherche du hors-texte
La recherche de ce qui est derrière, autour et devant le texte
a sa valeur scientifique et historique. Ces études peuvent contribuer à mieux comprendre
le texte biblique. En tout cas, cette recherche n’est pas encore une interprétation
du texte. Plusieurs auteurs remarquent la limite de cette recherche dans la compréhension
du sens du texte final.
Par exemple, dans l’article de Robert
T. FORTNA, “Diachronic / Synchronic: Reading John 21 and Luke 5”, in DENAUX,
A., (ed.), John and the Synoptics, (The 39th
session of the Colloquium Biblicum Lovaniense, August 7-9, 1990), (BETL 101), Leuven, Leuven University Press, 1992, p.
387-399, l’auteur présente la situation de la recherche de la relation entre
l’Évangile de Jean et les Évangiles Synoptiques ainsi :
« Une avancée sur notre question peut être trouvée
en posant une question simple mais amplement nouvelle – à savoir, à propos de
la signification relative de la
lecture des textes dans l’une ou l’autre de ces deux voies diachroniques (c.-à-d.
Jean [l’Évangile] dépend ou il est indépendant des Synoptiques). Est-ce que la
lecture résultant de l’une d’eux est plus compréhensible, plus claire, plus utilisable que l’autre ? Trop
souvent, je pense que nous nous sommes limités à une défense logique de la
plausibilité inhérente [théorie]
à l’une d’entre eux sur l’autre... sans se demander ce qu’elle
peut nous aider à lire du texte qui est devant nous. En bref, trop souvent, nous avons été détournés
de notre compréhension du texte par le
problème purement académique de sa
préhistoire. »
(“An advance on our question may
be found by raising a simple but largely new question – namely, about the
relative meaningfulness of reading
the texts in one or the other of these two diachronic ways (viz., John dependent
upon or independent of the Synoptics). Is the reading resulting from one of
them more understandable, clearer, more usable
than the other? Too often, I think, we have limited ourselves to a logical
defense of the inherent plausibility of one of them over the other… without
asking what it can do for us in helping us read the text that stands before us.
In short, we have been distracted too often from understanding the text by the purely
academic problem of its prehistory”). (Fortna, “Diachronic / Synchronic”, p.
389).
La limite de cette recherche est
signalée dans le document de la Commission Biblique Pontificale : « Dans
le désir d’établir la chronologie des textes bibliques, ce genre de critique
littéraire [la critique des sources] se limitait à un travail de découpage et
de décomposition pour distinguer les diverses sources et n’accordait pas une
attention suffisante à la structure finale du texte biblique et au message
qu’il exprime dans son état actuel (on montrait peu d’estime pour l’œuvre des rédacteurs).
De ce fait, l’exégèse historico-critique pouvait apparaître comme dissolvante
et destructrice. » (CBP, L’interprétation, p. 29).
Pour Zumstein, la préoccupation
première de l’étude historico-critique est de s’occuper de ce qui est derrière
le texte ou devant le texte et non pas du texte lui-même. L’auteur écrit :
« La prétention de la méthode historico-critique à établir le sens premier
d’un texte est pénalisée par sa construction sans cesse mouvante du mythe de
l’origine. L’origine fondatrice est identifiée successivement derrière le
texte, à côté de celui-ci ou devant le texte. La problématique du texte, sa
visée pragmatique explicite, ne sont plus l’objet premier du travail
interprétatif. » (Zumstein, “Les limites”, p. 78). Pour illustrer cette recherche
référée à un hors-texte, Zumstein parle des disciplines dans l’étude
historico-critique ainsi :
(1) La critique littéraire. « L’origine fondatrice n’est plus
identifiée avec le texte, mais avec celui dont parle le texte : Jésus de
Nazareth. Le texte devient un recueil de sources donnant accès à l’événement
véritable et décisif. » (Zumstein, “Les limites”, p. 79).
(2) L’histoire comparée des religions. « Le travail sur le texte vise
à identifier et à expliquer les représentations de l’univers religieux de
l’Antiquité (juive ou païenne), présentes dans le document étudié. Le texte
devient le catalyseur d’une histoire religieuse plus vaste qu’il atteste et
auquel il mène. » (Zumstein, “Les limites”, p. 79).
(3) L’histoire des formes. « Le travail sur le texte va donc viser
à reconstituer l’histoire des traditions affleurant dans les témoins
néotestamentaires et à s’approcher autant que faire se peut de la césure pascale. Le texte
devient la fenêtre qui donne accès aux premières formulations de foi de la
première Église. » (Zumstein, “Les limites”, p. 79).
(4) « L’histoire de la rédaction se concentre sur le travail du rédacteur
final du texte. En ce sens, elle amorce un retour vers le texte. Mais ce
mouvement reste partiel dans la mesure où l’analyse privilégie le travail du
rédacteur final en le distinguant, voire en l’opposant aux composantes
traditionnelles du document étudié. Le texte n’est donc pas davantage
interprété dans sa totalité. » (Zumstein, “Les limites”, p. 79).
(5) « La socio-exégèse a pour ambition d’éclairer les conditions de
production d’un texte, l’interaction entre ce texte et son milieu, son effet
social à long terme (paradigme : Theissen). En ce sens, la lecture du
texte se situe à un niveau exclusivement fonctionnel. » (Zumstein, “Les
limites”, p. 79).
(6) « La Wirkungsgeschichte [l’histoire de réception], en faveur
aujourd’hui, s’attache à discerner ce qui est devant le texte. L’objectif
consiste à montrer quels effets le texte a produits à des niveaux multiples de
la vie de l’Église et tout au long de son histoire. […]. L’origine est mieux
perçue dès l’instant où l’on s’intéresse à ses effets. » (Zumstein, “Les
limites”, p. 79).
Zumstein veut montrer dans cette
liste « la difficulté de la méthode historico-critique à se concentrer sur
ce qu’elle affirme être son objectif : l’interprétation du sens premier du
texte. » (Zumstein, “Les limites”, p. 80). Ainsi, l’étude
historico-critique étudie ce qui est derrière,
à côté ou devant le texte pour mieux cerner le sens historique du texte.
Cependant, la recherche de ce sens reposée sur l’histoire a laissé de côté la
recherche du sens dans le texte lui-même. Dans cette perspective, Zumstein
parle de la fécondité et aussi la limite de la critique historique :
« La caractéristique de la
critique historique est donc d’entreprendre l’interprétation du texte par la référence à un hors-texte :
c’est l’histoire qui précède le texte, qui l’environne, qui le nourrit, qui le
conditionne, qui le suscite – c’est cette histoire qui, par effet de retour,
autorise la clarification et l’explication du texte. Durant presque deux
siècles, ce modèle méthodologique a fait preuve de sa fécondité ; aussi
conserve-t-il son entière légitimité. Néanmoins, dans cette problématique, il
est une dimension qui reste en souffrance : c’est le texte pris en
lui-même, c’est le texte comme totalité organisée, c’est le texte structuré par
une argumentation et visant de façon intrinsèque à produire un effet sur tout
lecteur potentiel. » (Zumstein, “Critique historique”, p. 51-52).
L’objectif de l’étude
historico-critique est la recherche du sens historique, c’est-à-dire du sens
premier ou du sens original du texte, cependant, ce projet de recherche du sens
perdu dans le passé devient problématique.
2. La problématique du sens historique
du texte
À propos de la recherche du sens historique
du texte, Zumstein parle du “mythe du sens original du texte” dans son article
“Interpréter le quatrième évangile”, p. 48. Le terme “mythe” ici est compris dans
le sens d’extension : « Représentation de faits ou de personnages
souvent réels déformés ou amplifiés par l'imagination collective, une longue
tradition littéraire » ou « Image simplifiée, souvent illusoire, que
des groupes humains élaborent ou acceptent au sujet d’un individu ou d’un fait
et qui joue un rôle déterminant dans leur comportement ou leur appréciation. »
(Dictionnaire Le Petit Robert, 2014).
En parlant de l’interprétation d’aujourd’hui
du quatrième évangile, Zumstein indique que la recherche du sens historique
repose, pour une part, sur les illusions : « Dès son origine et
jusqu’aux années 1980, la règle d’or de la critique historique pouvait
s’énoncer ainsi : le but du travail historico-critique consiste à établir
le sens premier d’un texte, c’est-à-dire à le décrypter en fonction de son
premier contexte de communication. […]. Dans le cadre de cette problématique,
le sens du texte était unilatéralement égalé à l’intentio auctoris. La recherche récente a cependant montré que ce
modèle largement répandu reposait, pour une part, sur une série
d’illusions. » (Zumstein, “Interpréter le quatrième évangile”, p. 248). Aux
pages 248-251 de cet article, l’auteur illustre ses propos par les six points suivants :
(1) Il serait simplificateur de
considérer que l’Évangile de Jean est le produit des conditions historiques.
Cet évangile peut être aussi une création théologique pour répondre à une
situation historique de la communauté croyante.
(2) Il existe une distance entre « le
monde du texte » et « le contexte historique » dans lequel le
texte est né. Le monde du texte est une construction de la réalité vécue et il
est autonome. Il est donc difficile de reconstituer l’histoire de la communauté
johannique à partir du texte.
(3) La notion de l’intention de
l’auteur historique est à repenser. Dans le cas de l’Évangile de Jean qui se
forme en plusieurs étapes, il est impossible de distinguer entre l’intention de
l’évangéliste, du rédacteur, ou de l’école johannique.
(4) La recherche johannique
aujourd’hui montre que plusieurs lectures de l’Évangile sont possibles selon
ses lecteurs. « Alors que le XIXe et le XXe siècles
avaient été dominés par la question de l’auteur, nous assistons depuis le
milieu du XXe siècle à la naissance du lecteur. » (Zumstein,
“Interpréter le quatrième évangile”, p. 249).
(5) L’enracinement religieux du
quatrième évangile est à retravailler. La recherche récente se concentre plutôt
sur les contextes extra-chrétiens (contexte juif, contexte hellénistique,
contexte gnostique, etc…). Elle est encore à étudier l’Évangile de Jean dans le
contexte du christianisme primitif lui-même.
(6) « Il n’est pas davantage
adéquat d’enfermer l’évangile dans son contexte historique initial, car le
texte lui-même élève la prétention d’être une Écriture ou même d’être
l’Écriture pour toute l’Église. » (Zumstein, “Interpréter le quatrième
évangile”, p. 250).
Face à ces difficultés, la
recherche du sens du texte dans son contexte historique dans un moment donné
doit s’ouvrir à la recherche du sens dans le texte lui-même et en tenant compte
du rôle du lecteur. La Commission Biblique Pontificale remarque : « Assurément,
l’usage classique de la méthode historico-critique manifeste des limites, car
il se restreint à la recherche du sens du texte biblique dans les circonstances
historiques de sa production et ne s’intéresse pas aux autres potentialités de
sens qui se sont manifestées au cours des époques postérieures de la révélation
biblique et de l’histoire de l’Église. » (CBP, L’interprétation, p. 33).
En tout cas, la critique
historique reste indispensable pour comprendre la Bible mais elle a besoin de s’ouvrir
à la critique littéraire contemporaine que nous indiquerons brièvement dans la
conclusion ci-dessous.
Conclusion
La révélation de Dieu dans la
Bible est enracinée dans l’histoire, chez
un peuple avec sa culture et son écriture. C’est pour cela que l’étude
historique est indispensable pour comprendre un texte ancien. L’objectif de
l’étude historico-critique est de comprendre la Bible dans son milieu
historique, elle consiste à étudier un texte dans sa genèse et son milieu de
naissance. Aujourd’hui la tendance de l’étude historico-critique est de plus en
plus de mettre en valeur l’interprétation du texte final. Parce que le dessein
de Dieu et sa révélation sont exprimés dans le texte final de la Bible et non
pas dans une rédaction antérieure. Les travaux de l’étude historico-critique
doivent contribuer à comprendre le texte.
La contribution de l’étude
historico-critique est bien exprimée par Zumstein : « La critique historique (ou méthode
historico-critique) a rendu des services inestimables à l’exégèse. Elle l’a
fait entrer dans la modernité en la dotant d’une méthodologie de valeur
scientifique. Elle a opéré cette révolution copernicienne en centrant le
travail exégétique sur la problématique
historique. […]. Bref, la critique historique a travaillé en essayant de
clarifier les rapports multiformes et complexes s’établissant entre un texte et
la réalité historique. En cela, elle a permis une approche sobre et
méthodologiquement raisonnée du texte, approche dont l’enjeu final est
l’établissement du sens historique du texte. » (Zumstein, “Critique
historique”, p. 51).
Cependant, selon la Commission
Biblique Pontificale : « Quelle que soit sa validité, la méthode
historico-critique ne peut pas prétendre suffire à tout. Elle laisse forcément
dans l’ombre de nombreux aspects des écrits qu’elle étudie. » (CBP, L’interprétation, p. 34). Tout en
reconnaissant la valeur de la critique historique, Zumstein propose une
ouverture à la critique littéraire moderne : « La critique historique
en usage dans l’exégèse biblique ne doit à aucun prix s’isoler et se laisser
absorber par la seule sophistication de son appareil analytique. Si elle se
souvient de ses origines et de ses périodes les plus fécondes, elle constatera
qu’elle n’est pas une procédure née dans le champ théologique, mais qu’elle est
une méthodologie empruntée à la philologie, à l’histoire, à la littérature et à
la sociologie. C’est dans l’ouverture à ses diverses disciplines qu’elle s’est
constituée et c’est maintenant des échanges vivants avec l’ensemble des
sciences humaines qu’elle peut éviter de se scléroser. À cet égard et de façon
toute particulière, l’émergence récente des sciences du langage sonne comme un
défi qui doit être relevé sous peine de sombrer dans l’obsolescence. » (Zumstein,
“Critique historique”, p. 61).
L’expression “l’émergence récente
des sciences du langage” dans cette citation renvoie à la critique littéraire
contemporaine avec le modèle de la
relecture, la théorie de l’intertextualité,
le concept de l’hypertextualité, ainsi
que l’analyse narrative, l’analyse structurelle… Ce sont les approches
synchroniques du texte que nous envisageons de présenter dans les prochains
articles./.
Source : http://leminhthongtinmunggioan.blogspot.co.il/2015/01/letude-historico-critique-de-la-bible.html
Bibliographie
COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE (CBP), L’interprétation
de la Bible dans l’Église, (1993), (4e éd.), Paris, Le Cerf, 2010.
FORTNA, Robert T., “Diachronic / Synchronic:
Reading John 21 and Luke 5”, in DENAUX, A., (ed.), John and the Synoptics,
(The 39th session of the Colloquium Biblicum Lovaniense, August 7-9,
1990), (BETL 101), Leuven, Leuven
University Press, 1992, p. 387-399.
GONÇALVÈS, Francolino, “Enjeux et possibilités de la quête du sens
historique originaire. Est-ce la même chose que le sens littéral ?”, dans
VENARD, Olivier-Thomas, (Éd.), Le sens
littéral des Écritures, (Actes du colloque international, Jérusalem, École
biblique et archéologique française, 28-30 novembre 2007, organisé par EBAF),
(Lectio Divina), Paris, Le Cerf, 2009, p. 47-74.
LAGRANGE, Marie-Joseph, La méthode historique, (EtB 1), (Édition augmentée), Paris,
Librairie Victor Lecoffre, 1904.
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