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Le 30 septembre 2017
Contenu
I. Introduction
II. Le témoignage sur Jésus (3,31-32)
1.
Le contexte de la péricope 3,31-36
2.
Jésus témoigne de ce qu’il a vu et entendu (3,32a)
III. Le témoignage oculaire et auriculaire des
hommes
1.
Le témoignage de Jean le Baptiste
a) Jean témoigne de ce qu’il a vu et entendu (1,32-34)
b) Un homme qui vient après est passé devant (1,30)
2.
Le témoignage du « disciple que Jésus aimait »
a) « Celui qui a vu a rendu témoignage » (19,35a)
b) L’accomplissement de l’Écriture
c) Le témoignage sur la mort de Jésus
3.
Le témoignage de l’évangéliste
4.
Le témoignage de « nous »
III. Conclusion
Bibliographie
Nous avons étudié les termes « témoigner » et
« témoignage » dans l’Évangile de Jean ainsi que le témoignage de Jésus et du
Père ; celui de Jean le Baptiste et du disciple que Jésus aimait. La structure des deux
conclusions du quatrième Évangile (20,30-31 ; 21,24-25) et les pronoms
« nous » et « vous » johanniques sont traités dans
l’article : « L’auteur et le lecteur réels,
l’auteur et le lecteur implicites du quatrième Évangile. » Nous reviendrons sur
ces sujets dans cet article en nous concentrant sur le lien entre les verbes
« voir » et « entendre » avec le thème témoignage. Nous
parlons donc du témoin oculaire et auriculaire.
Le mot témoignage, au sens courant, veut dire déclaration de ce qu’on a
vu et entendu. Le témoignage sert à établir la vérité. Le témoin se situe souvent
dans le cadre d’un procès ou d’une contestation. Les témoignages en faveur de
Jésus dans l’Évangile sont nombreux : d’abord le témoignage de Jésus
lui-même (8,14) ; ensuite le témoignage du Père (5,37 ; 8,18), des
Écritures (5,39), de l’Esprit Saint (15,26) etc. ; enfin le témoignage des
hommes en faveur de Jésus.
L’Évangile met en relief le thème témoignage en lien avec les verbes « voir »
et « entendre », c’est-à-dire témoigner de ce qu’on a vu et entendu.
Nous traitons dans un premier temps (I) le témoignage de Jésus en 3,31-32 et
dans un deuxième temps (II) celui des hommes en sa faveur.
Le témoignage sur Jésus en 3,31-32 appartient au monologue de Jean le
Baptiste en 3,31-36. Nous présentons d’abord le contexte de la péricope 3,31-36
et ensuite le témoignage de Jésus en 3,31-32.
1. Le contexte de la péricope 3,31-36
Les versets 3,31-32, concernant le témoignage de Jésus, se situent dans
la partie 2,23–3,36, elle-même divisée en deux sections : 2,23–3,21 et
3,22-36. Ces deux sections sont construites selon un même modèle : un
récit, un dialogue et un monologue. Le monologue de Jean le Baptiste (3,31-36)
se trouve à la fin de la deuxième section :
Il existe des parallèles notables entre le monologue de Jésus (3,13-21) et celui de Jean (3,31-36). Par exemple, les thèmes « terrestre / céleste » et « monté / descendu du ciel » en 3,12-13 et 3,31) ; le couple « témoigner / ne pas accueillir » (3,11 // 3,31b-32) ; l’expression : « celui qui croit au Fils a la vie éternelle » (3,14-16 // 3,36), etc. Le parallèle concerne aussi les perceptions « voir » et « entendre » du témoin en 3,11 et 3,31b-32. Jésus dit à Nicodème en 3,11a : « Nous attestons ce que nous avons vu ; mais vous n’accueillez pas notre témoignage. » Jean le Baptiste parle de Jésus en 3,31b-32 : « 31b Celui qui vient du ciel 32 témoigne de ce qu’il a vu et entendu, et son témoignage, nul ne l’accueille. » Par ces parallèles notables, il y a la tentation de déplacer la péricope 3,31-36 en l’insérant après 3,21, comme deuxième développement du monologue de Jésus en 3,13-21. Pour nous, la construction du texte en l’état actuel a sa cohérence dans sa répartition : récit – dialogue – monologue. Le monologue de Jean en 3,31-36 est parallèle à celui de Jésus en 3,13-21. Nous analysons donc ces deux monologues, l’un renvoyant à l’autre, sans déplacer les versets 3,31-36.
Si la péricope 3,31-36 a sa place dans le texte actuel, Jean le Baptiste
peut-il dire des paroles si proches de celles de Jésus en 3,13-21 ? En
3,29a, Jean désigne Jésus ainsi : « Qui a (ho echôn) l’épouse est l’époux. » La particule « ho echôn » (qui a) est le participe
présent du verbe « echô »
(avoir). L’utilisation du participe continue dans la suite des versets 3,31-32.
Par exemple : « Celui qui vient (ho…
erchomenos) d’en haut » (3,31a), « ho… erchomenos » est le participe présent du verbe « erchomai » (venir) ;
« celui qui est (ho ôn) de la
terre est terrestre » (3,31b), « ho
ôn » est le participe présent du verbe « eimi » (être). De plus, l’expression « la colère de
Dieu » en 3,36c convient mieux au langage de Jean le Baptiste : elle
s’inscrit dans des annonces prophétiques vétéro-testamentaires.
Notons que le dialogue entre Jésus et Nicodème (3,2b-12) et celui entre
Jean et ses disciples (3,26b-30) se situent dans une ambiance polémique. C’est
pour cela que le texte parle de témoignage et de jugement. L’acceptation ou le
refus du témoignage entraîne par conséquent : avoir ou non la vie
éternelle, vivre dans la lumière ou dans les ténèbres. Jean l’affirme en 3,36 :
« Qui croit au Fils a la vie éternelle ; qui résiste au Fils ne verra
pas la vie ; mais la colère de Dieu demeure sur lui. » Le monologue
en 3,31-36 reste cohérent dans la bouche de Jean en tant qu’envoyé de Dieu
(1,6) pour rendre témoignage à la lumière (1,7).
Dans dialogue entre Jésus et Nicodème, il y a une identification entre
le témoignage de Jésus et celui des disciples, Jésus dit à Nicodème en 3,11 :
« En vérité, en vérité, je te le dis, nous parlons de ce que nous
savons, nous attestons ce que nous avons vu ; mais vous n’accueillez
pas notre témoignage ». On
pourrait entendre par-là deux choses. Premièrement, il s’agit d’une
transposition historique de l’époque de Jésus à celle de la communauté des
disciples. Les pronoms « nous » et « vous » en 3,11
renvoient à la polémique entre les Chrétiens de la communauté johannique et les
Juifs au moment de la rédaction de l’Évangile. Deuxièmement, selon la théologie
johannique, il y a une identification entre Jésus et les croyants sur le thème
témoignage. Dans l’Évangile, cette identification se manifeste de plusieurs
manières : dans la mission commune (20,21), dans la relation avec le
Père (20,17), dans l’union de vie (15,5), et dans la persécution (15,18).
Le témoignage de Jésus et celui des disciples sont donc inséparables (cf. le
témoignage de « nous » à la fin de l’article).
Dans la partie 2,23–3,36, le texte met en place une séparation entre en
haut et en bas, entre le ciel et la terre. Cette séparation est infranchissable
pour l’homme parce que Jésus déclare en 3,13 : « Nul n’est monté au
ciel, hormis celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme. » Quant à
Jean le Baptiste, il atteste en 3,31a : « Celui qui vient d’en haut
est au-dessus de tout. » La distance entre les choses de la terre et les
choses du ciel est insurmontable pour l’homme puisque « celui qui est de
la terre est terrestre et parle de façon terrestre » (3,31b). Désormais
seul « celui qui vient du ciel » (3,31c) peut communiquer aux hommes
les choses du ciel. Le Fils de l’homme est le seul « qui est descendu du ciel »
(3,13b) ; son témoignage de ce qu’il a vu et entendu d’en haut devient
unique. Par le caractère exceptionnel de « voir » et d’« entendre »
de « celui qui vient du ciel » (3,31b-32), Jésus est le Révélateur incomparable.
Dans cette vision, le témoignage du « nous » en 3,11 qui inclut le
témoignage des disciples et le témoignage
de « celui qui vient du ciel » en 3,31c n’ont pas le même statut. Bien que le témoignage de la communauté
croyante ait son fondement dans le témoignage de Jésus, le statut de ces deux
témoignages est radicalement différent.
Jésus témoigne « de ce qu’il a vu (heôraken) et entendu (èkousen) »
(3,32a). Le verbe « voir » (horaô)
est au temps du parfait (heôraken).
Le témoignage de Jésus sur « ce qu’il a vu » exprime le résultat actuel
et durable d’une action. L’action du « voir » de Jésus est une
réalisation parfaite et définitive dans le passé, ses effets sont durables dans
le présent. Par contre, le verbe « akouô »
(entendre) en 3,32a est à l’aoriste : « èkousen » (a entendu). Ce temps aoriste indique la valeur du
témoignage de Jésus. Ce qu’il a entendu est un fait passé sans idée de
commencement ni de durée. Cet aoriste renforce l’autorité de ce dont Jésus
témoigne. Puisque dans le passé, Jésus a entendu le Père (3,32a), maintenant il
« prononce les paroles de Dieu » (3,34a). Cette interprétation est
confirmée en 3,35 : « Le Père aime le Fils et a tout remis dans sa main. »
Par « voir » au temps parfait (heôraken)
et « entendre » au temps aoriste (èkousen) de Jésus auprès du Père (3,32), Jésus devient un témoin
oculaire et auriculaire par excellence des réalités célestes.
Le témoignage oculaire et auriculaire de
Jésus comporte des aspects nouveaux par rapport à son rôle de « faire
connaître Dieu » (cf. 1,18c). En effet, Jésus dit aux
Juifs en 8,38a : « Je dis ce que j’ai vu chez mon Père. » Jésus témoigne donc d’un autre monde : le
monde d’où il vient et où il retourne (cf. 16,28). Le témoignage de Jésus
concerne « les choses du ciel » (3,12), à savoir le royaume
de Dieu (3,3.5), la naissance de l’Esprit (3,6.8), l’amour de Dieu pour tout
homme (3,15-16), le monde où Jésus exerce sa royauté (18,36), etc.
Le témoignage de Jésus est mis en doute
par les Pharisiens, ils lui disent en 8,13 : « Tu
te rends témoignage à toi-même ; ton témoignage n’est pas valable. » Jésus
leur répond : « Bien que je me rende témoignage à moi-même, mon
témoignage est valable, parce que je sais d’où je suis venu et où je vais ;
mais vous, vous ne savez pas d’où je viens ni où je vais » (8,14). Son origine divine dépasse le statut du
témoignage humain. Le témoignage de Jésus possède une autorité particulière
dans sa relation intime et permanente avec son Père. Jésus fait ce qu’il voit
faire au Père (cf. 5,19), il dit ce que son Père lui a dit (cf.
12,50). Ces formules montrent que les œuvres et les paroles de Jésus
sont ceux du Père lui-même. L’autorité du témoignage oculaire et auriculaire unique
de Jésus doit être articulée avec sa relation transcendante avec Dieu présentée
dans le Prologue (1,1-18). Jésus révèle que le Père (5,37-38), les
Écritures (5,39-40), ses œuvres (5,36) et le Paraclet (15,26) lui rendent
témoignage, cependant les versets 3,31-32 maintiennent le statut unique du
témoignage de Jésus. Il est l’unique témoin en son genre. Le témoignage des
hommes prend sa source et son inspiration dans celui de Jésus.
Nous traitons dans cette partie (1) le témoignage de Jean le Baptiste
(1,29-34), (2) du « disciple que Jésus aimait » (19,35 ;
21,24a), (3) de l’évangéliste (21,24b) et (4) du « nous » johannique
(1,14.16.18 ; 21,24) en lien avec les verbes « voir » et
« entendre ».
1. Le témoignage de Jean le Baptiste
Jean le Baptiste est présenté comme un témoin favorable à Jésus. Il
apparaît d’abord dans deux unités du Prologue (1,6-8 ; 1,15), puis dans la
section 1,19-51. Cette section est, en quelque sorte, un prologue narratif ou
historique de l’Évangile dans lequel Jean présente Jésus (1,19-34), suivi par
le récit des premiers disciples de ce dernier (1,35-51). Jean le Baptiste a une
place notable dans le quatrième Évangile : en dehors du Prologue et de la section
1,19-51, Jean prend la parole en 3,22-36 ; Jésus parle aux Juifs du témoignage
de Jean en 5,31-35 ; et en 10,41 beaucoup de gens admirent Jean le
Baptiste.
Le terme « le lendemain » (tèi epaurion) au début des versets 1,29.35.43 permet de
répartir la section 1,19-51 en quatre unités littéraires : 1,19-28 ;
1,29-34 ; 1,35-42 ; 1,34-51. Jean le Baptiste entre en scène comme un
témoin à décharge dans un procès en 1,19 : « Et voici quel fut le
témoignage de Jean, quand les Juifs lui envoyèrent de Jérusalem des prêtres et
des lévites pour lui demander : ‘Qui es-tu ?’ » Le témoignage de
Jean se situe dans une enquête des autorités juives. L’Évangile s’ouvre donc sur
un procès qui parcourt la suite du récit.
Le témoignage oculaire et auriculaire de Jean figure en 1,32-34. Il
témoigne de ce qu’il a vu quand il déclare en 1,32b-34 : « 32b J’ai
vu (tetheamai) l’Esprit descendre,
tel une colombe venant du ciel, et demeurer sur lui. 33 Et moi, je ne le
connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, celui-là m’avait
dit (eipen) : “Celui sur qui tu
verras (idèis) l’Esprit
descendre et demeurer, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint.” 34 Et moi,
j’ai vu (hèôraka) et je témoigne que
celui-ci est l’Élu de Dieu. » Selon le quatrième Évangile, Jean le
Baptiste n’est pas présenté comme un précurseur, mais comme un témoin, un « envoyé
de Dieu » (1,6). Son rôle est de rendre témoignage à la lumière (1,7). Il
témoigne de ce qu’il a vu et entendu. Son témoignage a un caractère public et place
l’événement de Jésus dans l’histoire concrète.
La deuxième unité littéraire (1,29-34) est encadrée par deux paroles de
Jean désignant Jésus par les titres : « l’agneau de Dieu qui enlève
le péché du monde » (1,29a) et « l’Élu de Dieu » (1,34b). Entre
ces deux titres messianiques attribués à Jésus, Jean témoigne de la mission de
Jésus en disant : « C’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint »
(1,33d). L’expression « voir l’Esprit descendre », deux fois en deux
versets (1,32b.33c), s’accomplit en Jésus l’annonce du prophète Isaïe en Is
11,1-2a : « 1 Un rejeton sortira de la souche de Jessé, un surgeon
poussera de ses racines. 2a Sur lui reposera l’Esprit de Yahvé ». En tant
qu’envoyé de Dieu, Jean le Baptiste atteste que Jésus est le Messie attendu, sa
mission est à la fois en continuité avec la Première Alliance et en rupture
avec elle par la nouveauté de sa révélation et son origine céleste. L’origine mystérieuse
de Jésus est annoncée dans la déclaration de Jean en 1,30.
Jean le Baptiste parle de Jésus en 1,30 : « Derrière moi
vient un homme qui est passé devant moi parce qu’avant moi il était. » L’expression
« Derrière moi (hopisô mou)
vient un homme » (1,30a) montre que Jésus a été derrière Jean dans
l’espace. Au niveau du sens figuré, l’expression « être derrière
quelqu’un » ou « suivre quelqu’un » désigne la position de
disciple. Jésus a donc probablement été un disciple de Jean le Baptiste. Selon
le quatrième Évangile, Jésus est proche du milieu baptiste : d’abord les
deux premiers disciples de Jésus sont disciples de Jean (1,37) ; ensuite Jésus
et ses disciples ont pratiqué le rite baptismal en parallèle avec Jean (cf.
3,22-23 ; 4,1-2). Conformément à la condition humaine, le témoignage
oculaire de Jean campe l’existence de Jésus dans l’histoire. La nouveauté est qu’il y a un dépassement, voire un
renversement de la position de Jésus par rapport à celle de Jean. Jean, le
maître, déclare qu’il n’est même pas digne de dénouer la sandale de Jésus
(1,27). Devant la grandeur de Jésus, Jean n’ose même pas se situer comme
esclave.
Le verset 1,30b contient deux idées : (1) « qui est passé (gegonen) devant (empprosthen) moi (mou) »
et (2) « parce qu’avant (prôtos)
moi (mou) il était (hèn) ». L’adverbe « empprosthen + génitif » veut
dire : « devant », « en présence de ». Le renversement
entre « derrière » et « devant » marque un dépassement dans
l’espace : Jésus est derrière Jean, maintenant il le devance. Au sens
figuré, Jésus devient le maître. L’utilisation du verbe « ginomai » (naître, venir à
l’existence) à l’indicatif parfait grec : « gegonen » (« qui est passé ») signale non
seulement que Jésus est passé devant Jean dans l’espace mais l’a aussi devancé par
sa naissance, par son existence. Cette interprétation est confirmée par
l’indicatif parfait (hèn) du verbe
« eimi » (être, naître,
exister) en 1,30c : « parce qu’avant moi, il était (hèn) ».
Jean témoigne donc d’un renversement total entre lui et Jésus dans
l’espace et dans le temps. Ce dépassement est enraciné dans l’existence même
des deux personnes en question. Devant ce dépassement infini, Jean déclare à
ses disciples en 3,30 : « Il faut que lui [Jésus] grandisse et que
moi je décroisse. » Le témoignage oculaire et auriculaire de Jean inaugure
la mission de Jésus. Les titres messianiques dans la section (1,19-51) montre
que Jésus est le Messie (le Christ) annoncé dans les Écritures et attendu par
le peuple d’Israël.
La mention explicite du « disciple que Jésus aimait » se
trouve cinq fois en Jn 13–21 (13,23 ; 19,26 ; 20,2 ;
21,7.20). Sauf en 19,26, quatre fois, ce disciple est mis en relation avec
Pierre. Dans le récit, « le disciple que Jésus aimait » est appelé par
« ce disciple » en 19,27 ; 21,23.34 ou « l’autre
disciple » en 20,2.3.4.8. Nous distinguons « le disciple que Jésus
aimait » des trois autres figures dans l’Évangile : (1) un disciple
anonyme en 1,40 qui est l’un des deux disciples de Jean le Baptiste ; (2) le contexte immédiat ne permet pas
d’identifier « l’autre disciple » en 18,15 avec « le disciple
que Jésus aimait » ; (3) Jésus a appelé Lazare « notre ami Lazare »
(11,11) et Jésus l’aime (11,3.5), en tout cas le récit n’autorise pas d’identifier
Lazare avec « le disciple que Jésus aimait ».
Le quatrième Évangile a réussi à garder l’anonymat du « disciple
que Jésus aimait ». Cette appellation a sa signification. Le texte
n’utilise pas l’appellation « le disciple bien aimé ». En fait, le
nom propre « Ièsous » (Jésus) est toujours présent dans la nomination : « ton mathètèn hon ègapa ho Ièsous (le disciple que Jésus
aimait) » (21,20) ;
ou « allon mathètèn hon ephilei ho Ièsous (l’autre disciple, celui que Jésus
aimait) » (20,2). L’appellation du texte : « le disciple que
Jésus aimait » dit bien que c’est Jésus qui aime ce disciple. L’amour de
Jésus devient son nom. À travers l’anonymat, ce disciple est présenté comme une
figure type du disciple de Jésus. L’amour de Jésus devient donc l’identité de chacun
et chacune de ses disciples. Le lecteur est invité à s’identifier au disciple
que Jésus aimait. Ce disciple porte une dimension symbolique pour les croyants.
En même temps, il est un personnage historique dans le récit. Par sa qualité de
disciple, son témoignage en 19,35 a une importance particulière.
Le témoignage du disciple que Jésus aimait en 19,35 appartient au récit
de la Passion (Jn 18–19). Cette partie se divise en quatre péricopes, selon le
lieu : Jésus est au-delà du torrent du Cédron (18,1-12) ; chez Hanne
et Caïphe (18,13-27) ; devant Pilate (18,28–19,16a) et au Golgotha
(19,16b-42). La péricope 19,16b-42 est composée de sept unités littéraires :
Le verset 19,35 se trouve dans l’unité 19,31-37, encadré par deux citations
bibliques :
Cette structure
en parallèle (A, B // A’, B’) avec l’élément central (C) indique l’importance du témoignage en 19,35,
en lien avec les actions
des soldats (A, B) et l’accomplissement de l’Écriture (A’, B’). Peut-on
identifier « Celui qui a vu (ho heôrakos) »
en 19,35a ? Dans
le récit de crucifixion (19,16b-37), les personnages présentés au Golgotha sont
les soldats (19,16b-18.23-24.32-34) d’un côté ; la
mère de Jésus, les autres femmes et « le disciple que Jésus aimait »
de l’autre (19,25-26). Ce disciple est le seul disciple masculin
présent avec la mère de Jésus et les autres femmes au pied
de la Croix. Le témoignage de « celui qui a vu » en 19,35 ne peut être
que celui du disciple que Jésus aimait. Les autres personnages sont toujours au
pluriel : « les soldats », « les femmes ».
Une autre question se pose : Qui est « celui-là
(ekeinos) »
dans la phrase « celui-là (ekeinos)
sait qu’il dit vrai » ? (19,35b) Dans son contexte, « celui-là » en 19,35b renvoie à
« celui qui a vu » en 19,35a, c’est-à-dire « le disciple que
Jésus aimait ». Certains pensent que « celui-là » (ekeinos) désigne
soit Dieu, soit Jésus. Cette interprétation s’appuie sur l’utilisation du
pronom « ekeinos » dans l’Évangile, à
savoir « ekeinos » désigne Jésus (3
fois en 1,18 ; 2,21 ; 3,28) et Dieu (3 fois en 1,33 ;
6,29 ; 8,42). Cependant, l’utilisation du pronom « ekeinos » renvoie grammaticalement toujours à une personne qui est mentionnée
plus haut dans le récit. En 19,35b « celui-là » est bien le disciple
que Jésus aimait.
L’acte de voir « de celui qui a vu (heôrakôs) » (19,35a) est signifié par le verbe « horaô ». Ce verbe exprime une pénétration
du mystère de celui qui voit (cf. 1,34 ; 19,35 ; 20,8.18.25.29…), en
même temps comme nous l’avons remarqué, le verbe « horaô » avec les autres verbes de vision : « theaomai », « theôreô » et « blepô » impliquent une vue physique
(cf. article : Les thèmes « voir »
et « entendre » dans l’Évangile selon Jean). Notons qu’à la fin de l’Évangile,
Jésus dit à Thomas en 20,29b : « Heureux ceux qui n’ont pas vu (idontes) et qui ont cru. » Jésus
met en valeur la foi des disciples qui n’ont pas vu Jésus physiquement. Cependant,
le verbe « voir » en 19,35 souligne le statut du témoin oculaire :
il faut voir pour témoigner. L’insistance du texte sur ce témoin oculaire
comporte deux facteurs : la qualité du disciple et sa conscience.
Ce n’est pas n’importe quel disciple mais c’est « le disciple que
Jésus aimait », et c’est lui qui prend conscience de son témoignage : « Celui-là sait qu’il dit
vrai » (19,35c). Le narrateur recourt au témoignage de ce disciple pour fortifier
la foi de la communauté qui ne voit pas Jésus de leurs propres yeux.
Avec les yeux humains, en 19,31-37, le « voir » de ce disciple
et le « voir » des soldats sont identiques. Cependant seul le
disciple peut témoigner, puisqu’il porte le témoignage d’une réalité
invisible : l’exaltation et la glorification de Jésus sur la croix. Cette
mort causée par la haine du monde (15,18) et acceptée par l’amour de Jésus
jusqu’à l’extrême (13,1) donne la vie éternelle à tous les croyants (20,31).
L’objet du « voir » humain est donc différent de l’objet du
témoignage. C’est pour cela que seuls les disciples qui croient en Jésus
peuvent devenir des témoins. « Pour saint Jean le témoin n’est pas tant un
témoin des faits, il est un témoin de sa foi. » (La Potterie, La vérité dans saint Jean, t. I, p. 82).
Le disciple témoigne que ce qui s’est passé après la mort de Jésus est
un accomplissement de l’Écriture. La structure de la péricope 19,31-37 place le contenu du témoignage en
19,35 entre l’action des soldats et les deux paroles de l’Écriture. D’une part,
le fait que les soldats n’aient pas brisé les jambes de Jésus (19,33b)
accomplit cette parole de l’Écriture : « Pas un os ne lui sera brisé » (19,36b). D’autre part, le fait
qu’un soldat frappe le côté de Jésus et qu’aussitôt il en sortit du sang et de
l’eau (19,34) accomplit une autre parole : « Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé » (19,37b). Le
disciple témoigne que les jambes de Jésus n’ont pas été brisées et que du sang
et de l’eau sont sortis du côté transpercé de Jésus. Il témoigne ainsi de
l’accomplissement de l’Écriture en Jésus crucifié.
La citation au verset 19,36b : « Pas un os ne lui sera brisé » est une combinaison de trois
versets du texte vétéro-testamentaire : Ex 12,10 ; Nb 9,12
et Ps 33,21. L’agneau pascal (Ex 12,10 ; Nb 9,12) est un
signe de la délivrance d’une situation d’esclavage du peuple. Le Psaume 33 est
un chant de louange du Juste souffrant qui proclame sa confiance en Dieu :
il est persécuté mais Dieu le délivre. Jésus sur la croix évoque ces deux
figures : le juste souffrant et l’agneau pascal. C’est en Jésus que Dieu
libère le peuple de l’esclavage et rassemble dans l’unité ses enfants dispersés
(cf. Jn 11,52).
Le coup de lance et la sortie du sang et de l’eau renvoient à la prophétie
de Zacharie en Za 12,10 : « Ils regarderont vers moi, celui
qu’ils ont transpercé ». Dans le contexte des oracles de Zacharie (Za 12–14),
ce verset a une portée messianique et salutaire. Le personnage mystérieux en Za
12,10b est identifié à Jésus. C’est par lui le Transpercé, le Messie que Dieu
libère et sauve son peuple. Le verbe de vision en Jn 19,37 est au futur :
« Ils regarderont » (opsontai) évoquant un regard tourné vers
l’avenir. Le « voir » devient une contemplation pour les croyants. Le
regard de foi perçoit que le sang et l’eau sortis du côté transpercé sont une
source inépuisable de la vraie vie.
Le disciple témoigne que Jésus est réellement mort sur la croix. Dans
l’unité 19,31-37, l’eau qui coule du côté du Transpercé fait allusion à la
source d’eau vive en 4,14 et 7,37-38. Le narrateur relate l’enseignement de Jésus
au Temple en 7,37-39 : « 37 Le dernier jour de la fête [des Tentes], le grand jour, Jésus,
debout, s’écria : “Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et il boira,
38 celui qui croit en moi !” Selon le mot de l’Écriture : De son
sein couleront des fleuves d’eau vive. 39 Il parlait de l’Esprit que devaient
recevoir ceux qui avaient cru en lui ; car il n’y avait pas encore
d’Esprit, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié. » Ce « pas encore » en 7,39 est réalisé en 19,34. Ainsi l’eau
qui coule du Transpercé désigne l’Esprit. De plus, la mort de Jésus peut s’interpréter
comme une effusion du don de l’Esprit. Le narrateur relate la mort de Jésus en
19,30 : « Quand il eut
pris le vinaigre, Jésus dit : “C’est achevé” et, inclinant la tête, il
remit l’esprit (to pneuma). » L’expression
« remettre l’esprit » pour parler de la mort
d’une personne est inhabituelle. Le terme « to pneuma » (esprit) en 19,30 fait donc allusion à l’Esprit (to pneuma) au sens de l’Esprit Saint (cf.
1,33 ; 7,39 ; 14,26). La mort de Jésus s’interprète comme une
transmission de l’Esprit au monde.
En aucun cas, la mort est glorieuse. La mort de Jésus est le résultat
d’un conflit entre la lumière et les ténèbres. Jésus est condamné injustement
et meurt douloureusement sur la croix. Mais au regard de la foi, malgré
l’intention homicide de l’homme, l’amour de Dieu pour l’homme se manifeste
pleinement dans la mort de Jésus puisque les ténèbres ne peuvent pas saisir la
lumière (cf. 1,5). L’amour de Jésus pour les siens, manifesté jusqu’à l’extrême
sur la croix, devient une contemplation de l’amour de Dieu pour l’homme :
« Ils regarderont celui qu’ils ont
transpercé » (19,37b). La croix est donc le lieu de la manifestation
de l’amour de Jésus et la puissance de Dieu.
La mort de Jésus est fondamentale puisqu’elle possède une portée
salutaire comme il le révèle à la foule en 12,32 : « Et moi, une fois
élevé de terre, je les attirerai tous à moi. » C’est par la foi dans
« le Fils de l’homme élevé » (cf. 3,14-15) que l’on obtient la vie
éternelle. Au cours du récit de la passion, la royauté de Jésus est mise
en relief dans la scène devant Pilate (18,28–19,16a), au point que sa mort
devient sa glorification. Cette « heure » de Jésus est le sommet de
la théologie et la christologie johanniques. Dans cette perspective, le
témoignage du disciple que Jésus aimait est capital pour la foi des
croyants : « Afin que vous aussi vous croyiez » (19,35d). Ce
témoignage est adressé à « vous » (19,35d). Au moment de la rédaction
de l’Évangile, ce « vous » désigne la communauté johannique.
Aujourd’hui, ce pronom renvoie à tout lecteur.
La foi des chrétiens à partir de la deuxième génération est fondée sur
le témoignage oculaire du « disciple que Jésus aimait ». Le
témoignage de ce disciple garantit l’authenticité de l’ensemble de l’Évangile
comme l’affirme le narrateur dans la deuxième conclusion en 21,24 :
« C’est ce disciple qui témoigne de
ces faits et qui les a écrits, et nous savons que son témoignage est
véridique. » Au moment de la rédaction du ch. 21 le
disciple que Jésus aimait est déjà mort, mais son témoignage demeure dans le
récit évangélique. Le noyau de l’Évangile remonte à l’écriture du
« disciple que Jésus aimait », un témoin oculaire et auriculaire de la
mission de Jésus.
L’état du texte de l’Évangile que nous lisons aujourd’hui porte la
trace de nombreuses étapes de la rédaction. Il y a des ajouts, des répétitions,
des doublets, des insertions, des gloses, des incohérences. L’Évangile est donc
formé en plusieurs étapes par une école de pensée que l’on nomme « école
johannique ». Nous désignons l’auteur de la rédaction finale par « l’évangéliste »
car seul le texte final est appelé Évangile. L’évangéliste met un point
final à son Évangile en sachant que les paroles et les œuvres de Jésus ne sont
pas limitées dans son livre. Il y a beaucoup d’autres choses qui ne sont pas
rapportées dans l’Évangile. Le parallèle entre les deux conclusions (20,30-31
et 21,24-25), organisées autour du thème « écrire » et « ne pas
écrire » (cf. Simoens, Selon Jean,
t. 3, p. 949), exprime bien le but ainsi que la limite de son Évangile :
Les unités A et A’ mettent l’accent sur « ne pas écrire » (A)
et « ne pas pouvoir écrire » (A’). L’incapacité à tout écrire est en
rapport avec le livre (biblion).
Cette structure des deux conclusions montre que l’évangéliste a eu l’intention
d’ajouter la deuxième conclusion en l’harmonisant et l’articulant avec la
première. L’auteur se situe comme intermédiaire entre la communauté et les
témoins oculaires et auriculaires de Jésus. Il y a « ses disciples »
[de Jésus] en 20,30a et « ce disciple » en 21,24a, à la troisième
personne, d’un côté, et de l’autre côté, le « vous » en 20,31, le
« nous » en 21,24b et le « je » en 21,25c, à la première et
deuxième personne. Ainsi l’évangéliste parle de « nous »,
« je » et s’adresse directement à « vous » : le
lecteur de la communauté johannique et le lecteur au cours des siècles.
C’est face à ce « vous » que l’évangéliste déclare en 21,24c :
« Nous savons que son témoignage [du
disciple que Jésus aimait] est véridique. » L’auteur
de l’Évangile n’est donc pas un personnage solitaire : la rédaction de l’Évangile
s’enracine dans la tradition qui remonte au témoignage des disciples de la
première génération, en particulier celui du « disciple que Jésus
aimait ». L’évangéliste, au nom des autres membres de l’école johannique,
transmet par écrit à la communauté et à tout lecteur le témoignage qui est conforme
à la vérité.
La théologie johannique est vécue et expérimentée au sein d’une
communauté croyante qu’on appelle « la communauté johannique ». L’Évangile
est écrit d’abord pour cette communauté, puis cet écrit est reconnu et reçu par
l’Église. L’Évangile est ensuite adressé aux autres communautés croyantes et à
tout lecteur au cours de l’histoire. Le récit de l’Évangile renvoie à une communauté
en difficulté : d’une part, la rupture avec le judaïsme à la fin du
premier siècle rend la communauté vulnérable ; en outre l’expulsion des
chrétiens de la synagogue (cf. 9,22 ; 16,2) déracine la communauté du lieu
de sa formation. D’autre part, la haine du monde (15,18) met à l’épreuve
l’identité religieuse des chrétiens dans la société. C’est dans ce contexte
polémique que l’Évangile est apparu comme un procès entre la lumière et les
ténèbres dans lequel les croyants de la communauté sont des témoins. Le lecteur
de nos jours peut actualiser la situation de la communauté johannique et apprendre
la manière de surmonter les difficultés, de rendre témoignage à Jésus et de
mener la vie de disciple, selon le modèle du disciple que Jésus aimait.
Le pronom « nous » intervient dans l’Évangile à plusieurs
endroits. Il y a un « nous » qui revendique un statut de témoin
oculaire. Dans les autres occurrences, ce pronom peut faire allusion à
plusieurs niveaux de sens. De manière explicite ou implicite, le
« nous » johannique est lié à la notion de témoignage. En tenant
compte du contexte, nous présentons les allusions à ce pronom personnel.
D’abord, le « nous » désigne des témoins oculaires qui ont
suivi Jésus. Ce groupe est situé au même niveau que « le disciple que
Jésus aimait ». Dans la première conclusion en 20,30-31, l’évangéliste
souligne le caractère oculaire du témoignage des disciples : « Jésus
a fait sous les yeux de ses
disciples encore beaucoup d’autres signes » (20,30a). Avec l’auteur du
Prologue, ce groupe de témoins oculaires figure solennellement en 1,14b :
« Nous avons contemplé sa
gloire. » La première conclusion (20,30-31) renvoie donc au Prologue
(1,1-18). Tout l’Évangile est construit comme un témoignage.
Ensuite, le « nous » peut renvoyer à l’école johannique à
laquelle l’évangéliste appartient. L’école johannique joue un rôle capital dans
la rédaction de l’Évangile. La deuxième conclusion fait allusion à ce groupe.
Le narrateur écrit en 21,24 : « C’est ce disciple [le disciple que Jésus aimait] qui témoigne de ces
faits et qui les a écrits, et nous
savons que son témoignage est véridique. » Ce groupe se
situe dans la deuxième génération des disciples, celle qui transmet les
témoignages oculaires du « disciple que Jésus aimait » à la
communauté.
Et puis, « nous » peut inclure Jésus, les disciples de la
première génération, la communauté à la fin du Ier siècle et tous
les croyants au cours des siècles. En effet, en 3,11, Jésus parle à Nicodème en
« nous » : « En vérité, en vérité, je te le dis, nous parlons de ce que nous savons et nous attestons ce que nous
avons vu ; mais vous
n’accueillez pas notre témoignage. » En disant « nous », Jésus
identifie son témoignage à celui des disciples au cours des siècles. Le
témoignage de « nous » (Jésus et les disciples) renvoie à la parole
de Jésus s’adressant aux disciples en 15,27 : « Mais vous aussi, vous
témoignerez, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement. » C’est
dans la prédication des témoins oculaires, que ce « nous » manifeste
l’authenticité et l’unicité de l’enseignement de Jésus.
En 4,22 Jésus dit à la femme samaritaine : « Vous, vous adorez
ce que vous ne connaissez pas ; nous,
nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient
des Juifs. » (4,22). Or auparavant, Jésus et cette femme se tutoient. Le
« nous » et le « vous » interviennent brusquement dans le
récit. Jésus s’identifie donc avec les disciples et parle le langage de la
communauté. Tous les croyants trouvent leur place dans cette parole de Jésus.
Ce « nous » qui renvoie à tous les croyants est présenté
solennellement dans le Prologue : « Oui, de sa plénitude nous avons tous reçu, et grâce pour
grâce » (1,16). C’est en écoutant et en accueillant la prédication des
témoins oculaires et auriculaires, que tous les croyants deviennent, à leur
tour, les témoins de Jésus-Christ.
Enfin, le contexte du récit permet de dégager plusieurs niveaux du
« nous » johannique dans lequel le cercle est de plus en plus élargi
jusqu’à atteindre toute l’humanité. En effet, le « nous » en 1,14a
peut inclure l’humanité entière : « Et le Verbe [ho logos] s’est fait chair et il a campé parmi nous. » Le Logos
habite au cœur de l’humanité, il illumine tout homme puisque le Logos « était la lumière véritable,
qui éclaire tout homme, venant dans le monde » (1,9). En tout cas, dans le
contexte immédiat, le « nous » dans le Prologue, en 1,14a.14b.16,
désigne en premier lieu le narrateur avec le groupe des témoins qui affirment
avec autorité l’identité de Jésus et sa mission. Plusieurs allusions du
« nous » johannique font que ce pronom est une des particularités de
l’Évangile.
Nous avons découvert que les verbes « voir » et
« entendre » sont importants pour présenter le thème du témoignage. En
effet, le témoignage oculaire et auriculaire de Jésus est unique dans son
genre. Jésus est le seul à « voir le Père » (6,46), descendre du ciel
(3,13), venir d’en haut (3,31) et être « au-dessus de tout » (3,31a).
Avec ces caractéristiques, son témoignage diffère radicalement de ceux des
hommes. Jésus « témoigne de ce qu’il a vu entendu » (3,32a) auprès du
Père. Il fait connaître le Père et témoigne des choses du ciel : les
réalités célestes, le royaume de Dieu, l’amour du Père, sa volonté, etc.
Pour le témoignage des hommes, Jean le Baptiste, en tant qu’envoyé de
Dieu, témoigne que Jésus est le Messie attendu. La mission de Jésus est en
continuité avec la Première Alliance, et en même temps, elle est en rupture par
son origine d’en haut et son statut de l’Unique-Engendré (1,14c.18b ;
3,16a.18c). Désormais, Jésus est le Révélateur par excellence du Père. Le
témoignage du « disciple que Jésus aimait », de l’évangéliste et du
« nous » de l’école johannique se situent après la mort et la
résurrection de Jésus. En particulier le groupe des disciples de la première
génération sont des témoins oculaires et auriculaires de la vie de Jésus. Cette
chaîne de témoignage permet une transmission fidèle de la révélation de Jésus
aux générations à venir.
Sur le plan du contenu, le témoignage de Jésus et celui des disciples
sont différents : il s’agit du témoignage de Jésus et du témoignage sur
Jésus. L’Évangile présente une série de témoignages en faveur de Jésus qui se
ramène à un témoignage unique, celui du Père (5,37) sur lequel repose le
fondement de tous les autres témoignages en faveur de son Fils. Le témoignage sur Jésus au cours de l’histoire
s’enracine et prend sa source dans le témoignage de Jésus. Ces témoignages forment l’unicité de la
révélation de Dieu.
Dans l’Évangile, le témoignage de ce qu’ils ont vu et entendu vise à
faire connaître l’identité de Jésus et sa mission. Et pourtant, le récit montre
que parfois « voir » et « entendre » sont ambigus. Nous abordons
l’ambiguïté de ces verbes dans le prochain article./.
Bibliographie
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