16/02/2014

Le monde (kosmos) dans l’Évangile de Jean



Article en vietnamien:

Email: josleminhthong@gmail.com
Le 16 Février 2014.

Contenu

I. Introduction
II. Le monde désigne des choses
     1. Le monde-univers
     2. Le monde-planète
          a) “Quitter le monde” (16,28b)
          b) “Venir dans le monde” (3,19)
III. Le monde désigne des personnes
     1. Le monde-humanité
          a) Dieu a aimé le monde (3,16a)
          b) Jésus est la lumière du monde (8,12)
     2. Le monde des non-croyants
     3. Le monde hostile
IV. Conclusion



I. Introduction

L’usage du terme “kosmos” (monde) dans l’Évangile de Jean  peut entraîner un malentendu. Par exemple, Jésus déclare en Jn 3,16: “Dieu a tant aimé le monde (kosmon) qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle.” (Les citations sont prises dans la Bible de Jérusalem). Mais, à la fin de sa mission, Jésus dit à son Père: “C’est pour eux [les disciples] que je prie; je ne prie pas pour le monde (kosmou), mais pour ceux que tu m’as donnés, car ils sont à toi” (17,9). Est-ce que Jésus a retiré les disciples du monde et ne s’intéresse plus à ce dernier? Quel est le monde pour lequel Jésus ne prie pas?

En 17,18, Jésus s’adresse au Père: “Comme tu m’as envoyé dans le monde (kosmon), moi aussi, je les [les disciples] ai envoyés dans le monde (kosmon).” Dans ce verset, le monde (kosmos) devient objet de la mission de Jésus et celle de ses disciples. Un autre sens du terme “monde” se trouve en 15,18. C’est le monde qui hait Jésus et ses disciples. Jésus révèle à ses disciples: “Si le monde (kosmos) vous hait, sachez que moi, il m’a pris en haine avant vous” (15,18). Pourquoi ce monde hait-il Jésus et ses disciples? Quel monde est-il visé en 15,18? Dans quel monde Jésus envoie-t-il ses disciples (17,18)?

Devant cette apparente contradiction, il est nécessaire de chercher le sens du terme “kosmos” (monde) dans l’Évangile de Jean. Ce terme apparaît en 78 occurrences dans cet Évangile en:
+ Ch. 1–12 (33 fois): 1,9.10a.10b.10c.29; 3,16.17a.17b.17c.19; 4,42; 6,14.33.51; 7,4.7; 8,12.23a23b.26; 9,5a.5b.39; 10,36; 11,9.27; 12,19.25.31a.31b.46.47a.47b.
+ Ch. 13–17 (40 fois): 13,1a.1b; 14,17.19.22.27.30.31; 15,18.19a.19b.19c.19d.19e; 16,8.11.20.21.28a.28b.33a.33b;  17,5.6.9.11a.11b.13.14a.14b.14c.15.16a.16b.18a.18b.21.23.24.25.
+ Ch. 18–21 (5 fois): 18,20.36a.36b.37; 21,25.

Le terme “kosmos” (monde) utilisé 78 fois dans l’Évangile de Jean est un terme-clé pour construire la théologie de cet Évangile. Dans cet article, nous aborderons les cinq sens du terme “monde” en deux points: (I) Le monde désigne des choses: (1) Le monde-univers, (2) Le monde-planète. (II) Le monde désigne des personnes: (1) Le monde-humanité, (2) Le monde des non-croyants, (3) Le monde hostile.

II. Le monde désigne des choses

Le premier groupe de sens du terme “kosmos” (monde) réfère à la créature de Dieu à deux niveaux: (1) Le monde désigne l’univers et (2) Le monde désigne la planète Terre.

     1. Le monde-univers

Au début et à la fin du ch. 17 (Jn 17,5.24), Jésus révèle son origine et sa relation avec son Père. Jésus s’adresse à son Père en 17,5: “Et maintenant, Père, glorifie-moi auprès de toi de la gloire que j’avais auprès de toi, avant que fût le monde (kosmon).” À la fin du ch. 17, Jésus dit: “Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, afin qu’ils contemplent ma gloire, que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde (kosmou)” (17,24).

Il existe en 17,5 l’expression: “avant que fût le monde (pro tou ton kosmon einai).” C’est la construction grecque: une préposition (pro) + un article au génitif (tou) + un nom à l’accusatif (ton kosmon) + un verbe à la mode de l’infinitif (einai). Le verbe “eimi” (être), qui a le sens: “être”, “avoir”, “exister”, est conjugué au mode l’infinitif (einai) et n’a pas d’attribut. Ainsi, la locution: “avant que fût le monde” équivaut à “avant qu’existât le monde.”

Dans certains manuscrits grecs: D* (s D2; Irlat Epiph), à la place de la phrase: “avant que fût le monde”, c’est la variante: “avant que fût né le monde (pro tou genesthai ton kosmon).” Dans cet énoncé, “genesthai” est l’infinitif aoriste du verbe “ginomai” (naître, venir à l’existence). Ainsi, en 17,5, les deux verbes “eimi” (être), “ginomai” (naître) sont employés pour décrire le moment où Jésus possède sa gloire: “avant que fût le monde”, “avant que fût né le monde” (17,5).   

Jn 17,5 fait allusion au Prologue de l’Évangile (1,1-18). Le narrateur affirme en 1,1: “Au commencement (en arkhêi) était le Verbe et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu.” Le terme “commencement” dans ce verset renvoie au début du livre de la Genèse. Dans la Septante (LXX), la version de la Bible hébraïque en langue grecque, le premier verset de la Genèse (Gn 1,1) commence par le mot “(en arkhêi)” (au commencement) comme dans Jn 1,1. L’auteur de la Genèse écrit: “Au commencement (en arkhêi) Dieu créa le ciel et la terre” (Gn 1,1). Par conséquent, il existe un lien entre Jn 1,1; 17,5 et Gn 1,1. Ce lien permet de comprendre le terme “kosmos” (monde) en Jn 17,5 dans le sens de toute créature de Dieu, de tout ce qui existe. C’est-à-dire le monde en Jn 17,5 désigne l’univers.

À la fin de Jn 17, Jésus redit ce thème avec d’autres termes. Jésus s’adresse à son  Père en 17,24b: “Tu m’as aimé avant la fondation du monde (kosmou).” Le terme “katabolê” (fondation) dans l’expression: “Avant la fondation du monde (pro katabolês kosmou)” veut dire aussi “le commencement”, “le début”, “la naissance”. Quand Jésus commence son discours (17,5) et le termine (17,24) comme ci-dessus, il dévoile son identité, son origine et sa relation avec son Père à travers ces deux affirmations:
+  Jésus avait la gloire auprès de son Père avant que fût le monde (17,5).
+ Le Père aimait Jésus avant la fondation du monde (17,24).

Sur ces deux points théologiques importants (17,5.24), le terme “monde” (kosmos) désigne tout ce qui existe, tout ce qui a été créé par Dieu. Heinrich Schlier écrit: “Le monde, c’est d’abord ‘tout’, panta. Le monde est tout ce qui a été fait et ce qui est” (H. SCHLIER, Essais sur le Nouveau Testament, [Lectio Divina 46], Paris, Le Cerf, 1968, p. 281). Ici nous pouvons qualifier donc le terme “monde” en 17,5.24 de “LE MONDE-UNIVERS” pour le différencier des autres sens de ce terme. Dans le contexte de Jn 17, “le monde-univers” ne se comprend pas comme une information scientifique ou historique sur l’existence du monde, mais il s’agit d’une affirmation théologique forte sur l’origine céleste de Jésus et de son identité divine. Le monde-univers a un rapport avec la gloire que Jésus avait (17,5) et avec l’amour du Père pour lui (17,24).

La préposition “pro” (avant) en 17,5.24 exprime la préexistence de Jésus. Dans le Prologue de l’Évangile de Jean (1,1-18), l’auteur proclame la préexistence du Verbe-Jésus (Logos) de manière solennelle: “Au commencement était le Verbe et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu” (1,1);  “3 Tout fut par lui, et sans lui rien ne fut. 4 Ce qui fut en lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes” (1,3-4). En Jn 17, ce n’est plus la déclaration de l’auteur mais Jésus lui-même affirme sa préexistence. Il est avec son Père avant que fût le monde (17,5), avant le commencement du monde-univers (17,24).

L’usage du terme “monde” (kosmos) en 17,5.24 permet d’en tirer une affirmation théologique essentielle: L’existence du monde-univers est donc l’œuvre du Père (Dieu) et du Fils (Jésus). Ainsi, le Père et le Fils ont leur souveraineté absolue sur le monde-univers. Selon l’Évangile de Jean, c’est avec cette autorité suprême que Jésus manifeste l’amour de Dieu pour l’humanité (cf. Jn 3,16).

Le monde (kosmos) dans le sens “le monde-univers”  est peu utilisé dans l’évangile de Jean, mais il exprime de manière éclatante l’origine et l’autorité de Jésus. Dans les autres endroits, le terme “monde” exprime une réalité plus restreinte: Le monde est notre planète Terre.

     2. Le monde-planète

Dans l’Évangile de Jean, le terme “kosmos” (monde) désigne notre planète Terre par deux expressions: (a) “Quitter le monde” (16,28b) et (b) “Venir dans le monde” (3,19).

          a) “Quitter le monde” (16,28b)

Dans certains endroits de l’Évangile de Jean (16,28; 17,11.13), le terme “kosmos” (monde) a le sens de la planète Terre. En 16,28, Jésus dit à ses disciples: “Je suis sorti d’auprès du Père et venu dans le monde (kosmon). De nouveau je quitte le monde (kosmon) et je vais vers le Père.” Au ch. 17, Jésus dit à son Père en 17,11a.13 à propos de sa mort imminente: “Je ne suis plus dans le monde; eux [les disciples] sont dans le monde, et moi, je viens vers toi” (17,11a). Dans ce verset, la phrase: “Je ne suis plus dans le monde” doit être lue dans la perspective post-pascale où Jésus n’est plus physiquement dans le monde. En 17,13, Jésus s’adresse à son Père: “Maintenant je viens vers toi et je parle ainsi dans le monde, afin qu’ils aient en eux-mêmes ma joie complète.”

Les expressions: “Quitter le monde” (16,28) ou “ne plus être dans le monde” (17,11) font allusion à la mort physique de l’homme. En effet, Jésus parle de sa mort à travers ses mots en 16,28; 17,11.13. Pour Jésus, “ne plus être dans le monde” (17,11) veut dire qu’il va vers son Père (16,28). Ainsi, Jésus annonce une séparation physique entre lui et ses disciples par sa mort sur la croix. Cependant, cette mort est interprétée comme le retour de Jésus auprès de son Père. En 13,1, le narrateur relate ainsi l’heure de la mort de Jésus: “Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde vers le Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin.”

Le terme “monde” (kosmos) dans les citations ci-dessus désigne notre planète Terre, c’est le lieu où l’homme vit et habite. À la naissance, on “vient dans le monde” (1,9; 16,21; 18,37). Tant qu’on est vivant, on est “dans le monde” (17,11; 1,10; 9,5). Quand on meurt, on passe de ce monde (13,1), on quitte le monde (16,28). Le terme “monde” (kosmos) prend donc le sens du globe terrestre. “LE MONDE-PLANÈTE” est la maison de l’humanité en rapport avec la vie et la mort physique de tout homme.

          b) “Venir dans le monde” (3,19)

Selon la théologie de l’Évangile de Jean, Jésus est identifié à la lumière (8,12; 9,5; 12,46). En 3,19 et 12,46, Jésus utilise l’expression “la lumière est venue dans le monde” pour parler de sa mission. Jésus déclare: “Et tel est le jugement: la lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, car leurs œuvres étaient mauvaises” (3,19); “Moi, lumière, je suis venu dans le monde, pour que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres” (12,46).

Jésus apparaît sur cette planète Terre, mais au lieu de l’accueillir, “les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière” (3,19b). C’est-à-dire que ces gens refusent de croire en Jésus. À la fin de sa mission, Jésus redit qu’il est venu dans le monde pour faire sortir les hommes des ténèbres (12,46). Le terme “monde” dans ces deux versets (3,19; 12,46) peut se comprendre comme le monde-planète. Dans la perspective universelle du salut, la planète Terre est le lieu où Jésus exerce sa mission en faveur de toute l’humanité.

En résumé, cette partie a présenté les deux sens du terme “kosmos” (monde) quand ce terme désigne les choses: (1) Le monde qui signifie l’univers, désigne toute créature de Dieu. (2) Le monde est notre planète Terre, c’est la résidence des vivants, le lieu où Jésus révèle le dessein de Dieu aux hommes. Dans l’Évangile de Jean, le terme “monde” peut représenter des groupes différents de personnes.

III. Le monde désigne des personnes

Le monde dans l’Évangile de Jean ne vise pas seulement les choses, ce terme peut renvoyer aux groupes de personnes concrètes. L’Évangile de Jean permet d’aborder trois groupes désignés par le terme “monde” (kosmos): (1) Le monde-humanité, (2) Le monde des non-croyants et (3) Le monde hostile.

     1. Le monde-humanité

Le terme “monde” représente l’humanité dans les locutions suivantes: (a) Dieu a aimé le monde (3,16a) et (b) Jésus est la lumière du monde (8,12; 9,5).

          a) Dieu a aimé le monde (3,16a)

La mission de Jésus est présentée au début de l’Évangile de Jean, Jésus révèle en 3,16-17: “16 Car Dieu a tant aimé le monde (kosmon) qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. 17 Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde (kosmon) pour juger le monde (kosmon), mais pour que le monde (kosmos) soit sauvé par lui.”

Le terme “monde” en 3,16-17 prend un sens universel, il désigne l’humanité. Il ne s’agit pas du monde-univers ou du monde-planète, parce que l’amour de Dieu pour ce monde est de donner la vie éternelle à ceux qui croient en Jésus, le Fils unique de Dieu. L’amour de Dieu est manifesté à tout homme, à toute humanité, à tous les humains de la planète Terre. Tout le monde est invité à croire en Jésus pour “ne pas se perdre” (3,16). Le verset suivant (3,17) confirme cette interprétation, Jésus ne vient  pas pour juger le monde “mais pour que le monde (kosmos) soit sauvé par lui” (3,17b). Le monde ici vise toute l’humanité sans exception. Dans ces deux versets (3,16-17), le lecteur peut remplacer le terme “monde” par “humanité.” Dieu a tant aimé l’humanité qu’il a donné son Fils unique pour la sauver.

La mission de Jésus est donc d’offrir la vie éternelle à tous ceux qui croient en lui. L’auteur de l’Évangile de Jean utilise le terme “monde” en 3,16-17 pour affirmer l’universalité du salut. Le terme “kosmos” (monde) en 3,16-17 prend donc le sens de “humanité.”

          b) Jésus est la lumière du monde (8,12)

L’identification entre Jésus et la lumière (8,12; 9,5; 12,46) est une des originalités de l’Évangile de Jean. Jésus dit aux Juifs en 8,12: “Je suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie.” Le terme “monde” dans l’expression “la lumière du monde” désigne toute l’humanité, parce que la deuxième partie de ce verset (8,12b) parle des actions de l’homme: “Ne pas marcher dans les ténèbres” et “avoir la lumière de la vie.”  Tout le monde est invité à suivre Jésus–lumière pour avoir la vraie vie, parce que Jésus–lumière est venu pour tous les hommes, pour chaque personne, pour sauver celui qui croit en Lui. À propos de l’identification entre Jésus et la lumière, voir les articles: (1) Lumière et ténèbres dans l’Évangile de Jean; (2) Dans l’Évangile de Jean, à quoi sert le symbole de la lumière?

En résumé, le terme “kosmos” (monde) dans ces expressions: “Dieu a aimé le monde” (3,16) et “la lumière du monde” (8,12; 9,5) désigne l’humanité toute entière, on peut donc le nommer “LE MONDE-HUMANITÉ.” Selon l’Évangile de Jean, ce monde est une réalité neutre, ni bonne, ni mauvaise au sens moral du terme. Cependant, ce monde-humanité ne possède pas la vie éternelle. C’est pour cela que Dieu a envoyé son Fils dans le monde pour lui donner la vie éternelle (3,16). En tant qu’humains, les disciples de Jésus appartiennent toujours à ce monde-humanité.

Le monde-humanité est un des éléments majeurs pour élaborer la théologie johannique. Jésus est envoyé du Père pour le monde-humanité, Jésus réalise sa mission auprès de ce monde. Tous ceux qui reçoivent Jésus et croient en lui ont la vie éternelle aujourd’hui et après sa vie terrestre comme le montre la révélation de Jésus à Marthe en 11,25-26a: “Je suis la résurrection. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra; 26a et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais.” 

Dans le premier chapitre: “Le monde hait Jésus et Ses disciples” de ma thèse: Aimer et Haïr dans l’Évangile de Jean, (présentée à l’Université Catholique de Lyon, 2007), je présente ensemble le monde-planète et le monde-humanité. Dans cet article, pour plus de clarté, je différencie ces deux réalités: Le monde-planète (la chose) et le monde-humanité (les humains). Le texte de l’Évangile de Jean permet d’établir un autre sens plus restreint du terme “kosmos” (monde) qui peut désigner tous ceux qui ne croient pas encore en Jésus, c’est le monde des non-croyants.

     2. Le monde des non-croyants

L’un des principaux thèmes de Jn 17 est la révélation de Jésus sur sa mission et celle des disciples; ce thème fait allusion à la mission de tous les croyants dans l’histoire. Dans les paroles de Jésus en Jn 17, les disciples sont désignés comme étant “ceux que le Père a donnés à Jésus” (17,6.9). Jésus délègue à ce groupe une mission dans le monde. Il dit à son Père en 17,18: “Comme tu m’as envoyé dans le monde (kosmon), moi aussi, je les [les disciples] ai envoyés dans le monde (kosmon).” Désormais, les disciples sont envoyés par Jésus dans le monde pour continuer la mission de Jésus. Cette dernière s’enracine dans la volonté du Père et celle des disciples se fonde sur la parole de Jésus en 17,18. Le Père a envoyé Jésus dans le monde-humanité, une fois que Jésus a accompli sa mission publique, il envoie ses disciples dans le monde des non-croyants pour prêcher et témoigner en faveur de Jésus. Ainsi, les non-croyants peuvent “croire” et “connaître” que le Père a envoyé Jésus (17,21.23).

Les disciples (les croyants) de tout temps ont la mission de faire connaître au monde des non-croyants ce que Jésus offre à tous: La vie éternelle. Le terme “monde” dans l’expression “dans le monde (eis ton kosmon)” en 17,18 renvoie alors à tous les hommes qui ne croient pas encore en Jésus. Les disciples qui appartiennent au monde-humanité sont envoyés dans le monde des non-croyants. C’est-à-dire qu’une fois devenu disciple de Jésus, celui-ci n’appartient plus au monde des non-croyants. Ainsi, le terme “monde” en 17,18 comprend toutes les personnes qui ne connaissent pas encore Jésus, nous pouvons le nommer “LE MONDE DES NON-CROYANTS.” Ce monde est l’objet de la mission des disciples de tout temps. Dans l’Évangile de Jean, ce monde inclut les adversaires de Jésus qui ne le croient pas et le persécutent. En général, “le monde des non-croyants” n’est pas péjoratif, au contraire, la mission de Jésus et celle de ses disciples sont d’aller à la rencontre de ce monde.

En réalité, l’enseignement de Jésus et celui des disciples se heurtent à l’hostilité à deux niveaux: (1) La première est le pouvoir des ténèbres que l’Évangile de Jean nomme: “Satan (satan)” (13,27), “le diable (diabolos)” (13,2), “le Mauvais (ponêros)” (17,15) et “le Prince de ce monde (arkhôn tou kosmou)” (14,30). C’est une force invisible qui agit contre Dieu. (2) La deuxième est l’hostilité des adversaires de Jésus. Ce sont des gens qui refusent de croire en Jésus, le haïssent et haïssent aussi ses disciples. Ils appartiennent à un monde que l’on peut lui donner le nom de “monde hostile.”

     3. Le monde hostile

Il existe dans l’Évangile de Jean un monde qui est le sujet du verbe “haïr” (miseô). Ce monde hait Jésus (7,7), le Père (15,23-24) et les disciples (15,18; 17,14). Ce monde est signalé pour la première fois dans l’Évangile de Jean en 7,7. Jésus dit à ses frères: “Le monde (kosmos) ne peut pas vous haïr; mais moi, il me hait, parce que je témoigne que ses œuvres sont mauvaises” (7,7). 

À la fin de sa mission publique, Jésus révèle à ses disciples en 15,18-19: “18 Si le monde vous hait, sachez que moi, il m’a pris en haine avant vous. 19 Si vous étiez du monde, le monde aimerait son bien; mais parce que vous n’êtes pas du monde, puisque mon choix vous a tiré du monde, pour cette raison, le monde vous hait.” L’une des raisons pour lesquelles le monde hait les disciples est que ces derniers écoutent, suivent et croient en Jésus. Manifestement, les disciples n’appartiennent pas à ce monde-hostile. Jésus dit à son Père en présence de ses disciples: “Je leur [les disciples] ai donné ta parole et le monde les a haïs, parce qu’ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde” (17,14).

Quand le monde hostile ne croit pas en Jésus, ne le reçoit pas et le hait, ce monde hait aussi le Père. Jésus l’accuse quand il dit à ses disciples en 15,22-24: “22 Si je n’étais pas venu et ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas de péché; mais maintenant ils n’ont pas d’excuse à leur péché. 23 Qui me hait, hait aussi mon Père. 24 Si je n’avais pas fait parmi eux les œuvres que nul autre n’a faites, ils n’auraient pas de péché; mais maintenant ils ont vu et ils nous haïssent, et moi et mon Père.” Xavier Léon-Dufour propose de distinguer “le monde hostile” et “le monde-humanité” dans le passage 15,18-21: “Le terme ‘monde’ ne désigne pas ici [15,18-21] l’humanité tout court, qui certes ne possède pas encore la ‘vie éternelle’ mais y est appelée. Il dit l’ensemble de ceux qui refusent de croire en Jésus révélateur du Père; il totalise les références données à la ténèbre (cf. 3,19).” (X. LéON-DUFOUR, Lecture de l’Évangile selon Jean, t. III, [Parole de Dieu], Paris, Le Seuil, 1993, p. 188-189). Ainsi, “le monde hostile” et “le monde-humanité” sont deux réalités différentes.

Dans l’Évangile de Jean, le terme “monde” (kosmos) désigne ceux qui haïssent Jésus, ses disciples et le Père, on peut donc le nommer “LE MONDE HOSTILE.” Dans le contexte de cet Évangile, le monde hostile représente un petit groupe de personnes qui ne croient pas en Jésus et le persécutent. Les adversaires de Jésus dans l’Évangile de Jean sont “les Juifs”, “les Pharisiens”, “les grands prêtres”. Ils condamnent Jésus à mort (11,47-54) et cherchent à l’arrêter (11,57). De plus, le fait que l’auteur utilise le terme neutre: “monde” (kosmos) pour parler du refus et de l’hostilité, permet de comprendre que ce monde hostile renvoie à ceux qui persécutent la communauté des disciples à la fin du premier siècle de notre ère. Pour le lecteur d’aujourd’hui, le monde hostile est l’image de toute sorte d’hostilité envers les disciples de Jésus au cours des siècles.

IV. Conclusion

Nous avons présenté les cinq sens du terme “kosmos” (monde) dans l’Évangile de Jean. Cette analyse prouve la richesse, la subtilité et l’originalité de la théologie johannique de l’usage du terme “monde” (kosmos). Chaque dénomination exprime un thème théologique important:

(1) “Le monde-univers” détermine l’origine et l’identité de Jésus. Il possède la gloire et l’amour du Père avant que fût le monde.

(2) “Le monde-planète exprime le lieu où Jésus est envoyé pour réaliser sa mission. Il est venu dans le monde et il va quitter le monde pour retourner auprès de son Père.

(3) “Le monde-humanité” comprend tous les hommes auxquels Dieu a manifesté son amour. Jésus est envoyé à toute l’humanité, à chaque personne pour lui offrir la vie éternelle.

 (4) “Le monde des non-croyants” est l’ensemble des gens qui ne croient pas encore à Jésus. Les disciples exercent leur mission dans ce monde. Les disciples sont des croyants et Jésus les envoie auprès des non-croyants pour leur faire “croire”  et “connaître” Jésus.

(5) “Le monde-hostile” désigne les gens qui ont écouté les enseignements de Jésus et vu les signes qu’il avait opérés, mais ne le croient pas (15,22-24). Jésus fait connaître à ses disciples les difficultés dans la péricope 15,18–16,4a. Ils peuvent être haïs et persécutés par ce monde.

Ces cinq dénominations du terme “monde” peuvent se présenter ainsi:
  



Cette image montre que si le lecteur ne fait pas de différence entre ces réalités: “Le monde hostile”, “le monde des non-croyants” et “le monde-humanité”, il risque de mal interpréter le sens du texte de l’Évangile. Par exemple, le fait de généraliser l’hostilité du monde, comme si tous ceux qui ne croient pas en Jésus étaient hostiles, ne correspond pas au contexte littéraire et à la théologie de l’Évangile de Jean. Les multiples sens du terme “monde” permettent de montrer que les disciples appartiennent toujours au monde-humanité. Jésus les tire du monde des non-croyants pour les faire devenir des croyants. De ce fait, ils n’appartiennent plus au monde des non-croyants. Jésus envoie ses disciples dans ce monde des non-croyants pour continuer sa mission. Le monde des non-croyants inclut le monde hostile. Ce dernier est un petit groupe de personnes hostiles à Jésus et ses disciples.

Le quatrième cercle (le monde des non-croyants) et le cinquième (le monde hostile) sont présentés par des lignes en pointillé. Cela voudrait dire que l’homme avec sa liberté peut passer de l’un à l’autre cercle. Un disciple peut abandonner sa foi et entrer dans le cercle du monde des non-croyants, voire il peut persécuter les croyants et de ce fait appartient au monde hostile. Dans l’Évangile de Jean, beaucoup de disciples se retirent, ils ont abandonné leur statut de disciple (6,66). À l’inverse, des gens qui ne croient pas encore maintenant peuvent devenir disciples de Jésus dans l’avenir. Par exemple, Nicodème, l’un des Pharisiens et un notable des Juifs (3,1), se comporte comme un disciple à la fin de l’Évangile. Avec Joseph d’Arimathie, Nicodème ensevelit le corps de Jésus dans un tombeau neuf (19,38-42).

Il vaut mieux écarter l’idée que les disciples de Jésus appartiennent automatiquement à tout jamais à Jésus et que les gens du monde hostile sont pour toujours dans leurs péchés et ils sont destinés à la perte. En réalité, l’homme (croyant ou non-croyant), avec sa liberté, doit choisir à chaque moment de sa vie à qui il appartient: l’appartenance à Dieu ou au diable, au monde hostile ou au côté de Jésus. De cette manière, pour “être” disciple et pour “se faire” disciple authentique de Jésus, il est indispensable de toujours opter pour l’appartenance à Dieu, à la vérité, à Jésus, à son troupeau, et L’écouter. Parce que Jésus dit aux Juifs en 10,26-27: “Vous ne croyez pas, parce que vous n’êtes pas de mes brebis. 27 Mes brebis écoutent ma voix, je les connais et elles me suivent.”

Étudier les sens du terme “monde” (kosmos) ci-dessus aide à mieux comprendre le texte, cependant, l’ambiguïté posée par le terme “monde” reste, parce que l’auteur utilise un seul mot “kosmos” (monde) pour désigner plusieurs réalités différentes. Voir l’analyse sur l’emploi du terme “kosmos” (monde) dans ma thèse: Aimer et Haïr dans l’Évangile de Jean, l’Université Catholique de Lyon, 2007, p. 31-40). Le monde hostile et les adversaires de Jésus sont des thèmes majeurs pour construire la théologie de l’Évangile de Jean. Quelles sont les caractéristiques de ce pôle d’opposition à Jésus et ses disciples (le monde hostile et leurs adversaires)? Nous aborderons ce sujet dans l’article suivant./.

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