22/02/2014

Six caractéristiques du monde hostile dans l’Évangile de Jean



Article en vietnamien:

Email: josleminhthong@gmail.com
Le 22 Février 2014.

Contenu

I. Introduction
II. Le monde hostile et les adversaires de Jésus
     1. “Le monde hostile” (singulier) et “ils” (pluriel)
     2. Les Juifs dans l’Évangile de Jean
     3. “Le monde hostile” en 7,1-10
III. Six caractéristiques du pôle opposé à Jésus
     1. Haïr Jésus, ses disciples et le Père
     2. Appartenir au Prince de ce monde et au diable
     3. Ne pas connaître Jésus et son Père
     4. Ne pas croire en Jésus
     5. Avoir le péché
     6. Être invité à croire en Jésus et à le connaître
IV. Conclusion



I. Introduction

Dans l’Évangile de Jean, le sens du terme “kosmos” (monde) est multiple et complexe. L’article: “Le monde (kosmos) dans l’Évangile de Jean” a présenté les cinq sens possibles du terme “kosmos” (monde), à savoir (1) Le monde-univers, (2) Le monde-planète, (3) Le monde-humanité, (4) Le monde des non-croyants et (5) Le monde hostile. Le monde hostile désigne des personnes dont on suppose qu’elles ont eu un contact avec la parole de Jésus et qu’il y a eu une manifestation de refus de leur part (Jn 15,18-24). Ainsi, le monde hostile ne désigne ni le monde de l’humanité, ni le monde des non-croyants. Le monde hostile appartient au monde des non-croyants avec ces traits: il est opposé à Jésus, à ses disciples et les persécute. Selon la théologie de l’Évangile de Jean, le monde hostile n’est pas péjoratif, au contraire il est l’objet de la mission de Jésus et des disciples (17,18-23).

Dans cet article, nous cherchons les caractéristiques du monde hostile et des adversaires de Jésus dans l’Évangile de Jean. Pour cette entreprise, nous présenterons le lien entre “le monde hostile” et “les adversaires de Jésus” avant d’aborder six caractérisques de ceux qui sont opposés à Jésus et à ses disciples.

II. Le monde hostile et les adversaires de Jésus

La présence du monde hostile dans l’Évangile de Jean pose une question: Qui le monde hostile désigne-t-il? Il y a deux voies pour chercher l’identité de ce monde. Si l’on prend le monde hostile dans l’Évangile de Jean comme point de départ (Jn 14–17), ce monde peut faire allusion en amont, aux adversaires de Jésus en Jn 1–12; en aval, aux adversaires de la communauté johannique à la fin du premier siècle de notre ère. Cette communauté johannique devait affronter l’hostilité d’un monde plus large que le monde juif. Cependant, l’Évangile de Jean nous donne peu d’éléments pour parler de la situation de cette communauté. Pour cette raison, nous choisissons de chercher l’identité du monde hostile en amont (les adversaires de Jésus), en tenant compte des allusions à la situation de la communauté et du lecteur.

Pour chercher le lien entre “le monde hostile” et “les adversaires de Jésus”, nous présenterons trois points: (1) Le glissement du “monde hostile” (singulier) au pronom personnel “ils” (pluriel) en Jn 15–16. (2) “Les Juifs” (Ioudaioi) dans l’Évangile de Jean. (3) “Le monde hostile” et “les Juifs” dans l’unité Jn 7,1-10.

     1. “Le monde hostile” (singulier) et “ils” (pluriel)

Le monde hostile en Jn 17 est toujours un sujet singulier, par exemple, Jésus dit à son Père en 17,14: “Je leur [les disciples] ai donné ta parole et le monde [singulier] les a haïs, parce qu’ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde.” (Les citations sont prises dans la Bible de Jérusalem). Cependant, en Jn 15–16, le sujet passe du singulier (monde) au pronom pluriel (ils). Le monde est au singulier en 15,18.19; 16,8, mais, il s’agit d’un pronom pluriel “ils” en 15,20-25; 16,9. Le parallèle entre 15,18 et 15,20b ci-dessous fait apparaître le glissement du sujet.

Jésus dit à ses disciples en 15,18.20b:
18:   “Si le monde [singulier] vous hait,
        sachez que moi, il m’a pris en haine avant vous.”
20b: “S’ils [pluriel] m’ont persécuté, 
         vous aussi ils vous persécuteront;
        s’ils ont gardé ma parole, la vôtre aussi ils la garderont.”

Le changement du sujet s’opère en ce qui concerne la haine et la persécution. Ces deux réalités vont ensemble, le “monde” et “ils” en 15,20-25 se placent du même côté. Qui a persécuté Jésus dans l’Évangile de Jean? Les discussions, les controverses entre Jésus et ses auditeurs au cours de sa mission publique nous aident à identifier le pronom “ils” en 15,20-25. Xavier Léon-Dufour écrit à propos de ce pronom en 15,20: “Un ILS non identifié relaye dès le v. 20 le terme ‘monde’. Dans le passage suivant (15,22-25), ce ILS se réfère implicitement aux contemporains de Jésus de Nazareth. On s’aperçoit, indirectement, que l’appellation ‘les Juifs’ dans la première partie de l’évangile correspond, lorsqu’elle est négative, au sens de ‘monde’ dans les Adieux: elle connote le refus archétypal de la révélation du Fils.” (X. LéON-DUFOUR, Lecture de l’Évangile selon Jean, t. III, [Parole de Dieu], Paris, Le Seuil, 1993, p. 193). Cette interprétation est intéressante parce qu’elle permet de lier  les deux parties de l’Évangile (Jn 1–12 et Jn 13–17) en ce qui concerne le conflit et la persécution.

Nous ajoutons au propos de Xavier Léon-Dufour que ce pronom “ils” ne renvoie pas seulement “aux Juifs” mais encore au pôle opposé à Jésus. Il s’agit de ses adversaires dans l’Évangile de Jean, à savoir les Juifs, les Pharisiens et les grands prêtres et la foule en 7,20. En plus, l’usage du pronom personnel “ils” en 15,20-25; 16,9 permet une l’interprétation en aval, qui fait allusion à la situation de la communauté. Ce “ils” renvoie à tous ceux qui refusent de croire en Jésus après avoir écouté l’enseignement de Jésus. Au sens symbolique, le narrateur laisse à son lecteur le soin d’identifier ce “ils” selon ses caractéristiques présentées dans l’Évangile de Jean.

     2. “Les Juifs” dans l’Évangile de Jean

Nous rencontrons souvent l’appellation “les Juifs” (hoi Ioudaioi)  dans l’Évangile de Jean. La question de l’identité de ces Juifs est complexe. Leur présence dans l’Évangile est inhabituelle. Il est difficile de constituer un groupe de personnes sous l’appellation “Juifs”, distinct des Pharisiens ou des grands prêtres.

Gérald Caron conclut ainsi son étude sur les Juifs dans l’Évangile de Jean: “Sans s’identifier à aucun de ces groupes en particulier [les pharisiens, les grands prêtres, les grands prêtres et pharisiens ensemble, la foule], les ‘Juifs’ sont néanmoins présentés en chacun d’eux à un moment ou à un autre du parcours narratif. Ils y sont pour ainsi dire à l’œuvre: comme une attitude, un esprit, une religion, disons-le, un type de Judaïsme, que l’on trouve un peu partout, mais qui émerge surtout chez les pharisiens et les grands prêtres du récit.” (G. CARON, Qui sont les Juifs dans l’évangile de Jean?, Québec, Bellarmin, 1997, p. 263-264).

L’Évangile de Jean présente un contraste entre “les disciples” et “les Juifs” à propos de la décision de “croire” ou de “ne pas croire” en Jésus. En effet, Jésus et les disciples sont juifs d’origine, cependant l’Évangile prend de la distance avec “les Juifs” en désignant: “La Pâque des Juifs” (2,13; 11,55), “la fête des Juifs” (5,1; 7,2). Ces désignations laissent entendre qu’elles ne sont pas les fêtes des chrétiens. Celui qui croit en Jésus se distingue donc des Juifs. Les disciples de Jésus, eux-mêmes Juifs, ont peur des Juifs (20,19). De ce fait, nous pouvons retenir deux considérations à propos des Juifs johanniques:

(1)  L’appellation “les Juifs” dans l’Évangile de Jean garde le sens premier: le peuple juif, les Judéens. L’échange entre Jésus et la femme samaritaine se situe dans cette perspective, elle dit à Jésus: “Comment? Toi, un Juif (Ioudaios), tu me demandes à boire à moi, une femme samaritaine” (4,9a). Le narrateur explique en 4,9b: “Les Juifs (Ioudaioi), en effet, ne veulent rien avoir de commun avec les Samaritains.” Jésus est un Juif, les disciples le sont aussi. Jésus dit à la femme samaritaine en 4,22: “Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs (Ioudaiôn).” Pourtant, parmi le peuple juif, certains croient en Jésus et d’autres refusent de le croire. Concrètement, il existe dans l’Évangile de Jean un groupe de “Juifs” qui est hostile à Jésus et qui cherche à le faire mourir.

(2) En raison de la présence inhabituelle de ce groupe dans l’Évangile de Jean, l’appellation “les Juifs” peut renvoyer au conflit entre le Judaïsme et la communauté johannique à la fin du premier siècle de notre ère. “Les Juifs” deviennent donc la figure de la haine envers Jésus et la communauté croyante. La persécution est la manifestation de l’hostilité, du rejet, du refus. “Les Juifs” dans la perspective johannique incarnent donc l’hostilité du monde (kosmos). L’appellation “les Juifs” a une portée symbolique: Les persécuteurs de tout temps prennent le relais des Juifs de l’Évangile de Jean en manifestant de l’hostilité et en persécutant les disciples de Jésus.

Voir les études récentes sur “les Juifs” johanniques: P. GRELOT, Les Juifs dans l’évangile selon Jean, enquête historique et réflexion théologique, (CRB 34), Paris, Gabalda, 1995; U. C. VON WAHLDE, “‘The Jews’ in the Gospel of John. Fifteen Years of Research (1983-1998)”, ETL 76/1 (2000) 30-55; R. BIERINGER, (et al.), (éd.), Anti-Judaism and the Fourth Gospel. Papers of the Leuven Colloquium 2000, Assen, Royal van Gorcum, 2001; L. DEVILLERS, “Jean et les Ioudaioi”, dans Id., La fête de l’Envoyé. La section johannique de la fête des Tentes (Jean 7,1–10,21) et la christologie, (EtB.NS 49), Paris, Gabalda, 2002, p. 115-268; F. J. MOLONEY, “‘The Jews’ in the Fourth Gospel: Another Perspective”, in Id., The Gospel of John, Text and Context, (BIS 72), Boston – Leiden, Brill Academic Publishers, 2005, p. 20-44, etc…

     3. “Le monde hostile” en Jn 7,1-10

La péricope Jn 7,1-10 permet de faire un rapprochement entre “les Juifs” et “le monde hostile.” Dans l’Évangile de Jean, le personnage “les juifs” symbolise le refus et l’opposition à Jésus et à ses disciples. Nous incluons donc dans le personnage “les Juifs” les adversaires de Jésus, à savoir les Pharisiens, les Grands prêtres, la foule en 7,20. Le passage 7,1-10 se caractérise par une  introduction (7,1), suivie des échanges entre Jésus et ses frères (7,2-8) et d’une décision finale de Jésus (7,9-10). Lisons le texte de Jn 7,1-10.

Jn 7,1-10: “1 Après cela, Jésus parcourait la Galilée; il n’avait pas pouvoir de circuler en Judée, parce que les Juifs cherchaient à le tuer. 2 Or la fête juive des Tentes était proche. 3 Ses frères lui dirent donc: ‘Passe d’ici en Judée, que tes disciples aussi voient les œuvres que tu fais: 4 on n’agit pas en secret, quand on veut être en vue. Puisque tu fais ces choses-là, manifeste-toi au monde.’ 5 Pas même ses frères en effet ne croyaient en lui. 6 Jésus leur dit alors: ‘Mon temps n’est pas encore venu, tandis que le vôtre est toujours prêt. 7 Le monde ne peut pas vous haïr; mais moi, il me hait, parce que je témoigne que ses œuvres sont mauvaises. 8 Vous, montez à la fête; moi, je ne monte pas à cette fête, parce que mon temps n’est pas encore accompli.’ 9  Cela dit, il resta en Galilée. 10 Mais quand ses frères furent montés à la fête, alors il monta lui aussi, pas au grand jour, mais en secret.”

Dans la péricope 7,1-10, le narrateur raconte l’activité restreinte de Jésus en Galilée (7,1), ensuite sa réponse (7,6-8) à une proposition inappropriée de ses frères (7,3-4) et enfin sa décision finale de monter à Jérusalem en secret pour la fête des Tentes (7,9-10). En dehors de Jn 15–17, l’hostilité du monde n’est mentionnée qu’en 7,7 dans un contexte particulier: Jésus évite de parcourir la Judée “parce que les Juifs cherchaient à le tuer” (7,1b). À l’occasion de la fête des Tentes, les frères de Jésus lui proposent de “se manifester au monde” (7,4b). Jésus dévoile la haine du monde dans sa réponse à ses frères: “Le monde ne peut pas vous haïr; mais moi, il me hait, parce que je témoigne que ses œuvres sont mauvaises” (7,7).

Selon les frères de Jésus, “se manifester au monde” (7,4b) est en contraste avec “agir en secret” (7,4a). Pour Jésus, il ne peut pas se manifester dans la région de Judée, à cause de l’intention criminelle des Juifs (7,1b). Le contexte de la péricope 7,1-10 permet de comprendre que la haine du monde (7,7) se manifeste donc de la part des Juifs dans la volonté de tuer Jésus (7,1b). Ainsi, l’hostilité du monde en 7,7 est belle et bien l’hostilité des Juifs en 7,1. Dans son contexte, l’expression “se manifester au monde” (7,4b) équivaut à “se manifester aux autorités juives” (7,1b), à sortir de sa cachette et s’exposer aux menaces et au danger de mort. Ainsi, la haine du monde se concrétise donc par l’intention meurtrière des Juifs. Les deux fois (7,4.7) du terme “monde” (kosmos) dans la péricope 7,1-10 doivent être comprises dans le sens “le monde hostile.” Voir la définition et la délimitation de ce monde dans l’article “Le monde (kosmos) dans l’Évangile de Jean.”

Selon Raymond E. Brown, il y a une similitude entre “les Juifs” et “le monde” dans l’Évangile de Jean. L’auteur écrit: “Il y a chez Jean, identité pratique entre le monde et les Juifs. Souvent Jésus a la même attitude envers l’un et les autres: par exemple, si Satan est le prince de ce monde, le Père des Juifs est le diable (8,44); si le monde hait Jésus, les Juifs cherchent à le tuer. Néanmoins le monde est un concept plus large car il inclut Juifs et gentils sans distinction.” (R. E. BROWN, La communauté du disciple bien aimé, (Lectio Divina 115), Paris, Le Cerf, 1994, p. 69, (orig. The Community of the Beloved Disciple, New York, 1979).

La remarque de R. E. Brown sur le lien entre “le monde hostile” (les adversaires de Jésus) et “les Juifs” est juste. La ressemblance de ces pouvoirs opposés sera renforcée par les caractéristiques communes présentées ci-dessous.

III. Six caractéristiques du pôle opposé à Jésus

Dans l’Évangile de Jean, le monde hostile et les adversaires de Jésus ont les mêmes caractéristiques, à savoir (1) Haïr Jésus, ses disciples et le Père, (2) Appartenir au Prince de ce monde et au diable, (3) Ne pas connaître Jésus et son Père, (4) Ne pas croire en Jésus, (5) Avoir le péché et (6) Être invités à croire et à connaître Jésus.

     1. Haïr Jésus, ses disciples et le Père

Jésus dévoile que le monde le hait (15,18), le Père (15,23-24) et les disciples (15,18-19; 17,14). Jésus dit à ses disciples en 15,18-19: “18 Si le monde vous hait, sachez que moi, il m’a pris en haine avant vous. 19 Si vous étiez du monde, le monde aimerait son bien; mais parce que vous n’êtes pas du monde, puisque mon choix vous a tiré du monde, pour cette raison, le monde vous hait.” Auparavant, le monde a haï Jésus au cours de sa mission publique en 7,7 (voir ci-dessus). En haïssant Jésus, le monde hait aussi le Père de Jésus. Jésus dit aux disciples en 15,23-24: “23 Qui me hait, hait aussi mon Père. 24 Si je n’avais pas fait parmi eux les œuvres que nul autre n’a faites, ils n’auraient pas de péché; mais maintenant ils ont vu et ils nous haïssent, et moi et mon Père.” La haine s’est traduite concrètement par la persécution, Jésus dit aux disciples en 15,20b: “S’ils m’ont persécuté, vous aussi ils vous persécuteront; s’ils ont gardé ma parole, la vôtre aussi ils la garderont.” 

Quant aux adversaires de Jésus durant son ministère publique (Jn 1–12), ils ne sont pas le sujet du verbe “haïr” mais la haine se manifeste dans leur agissement: Ils cherchent à tuer Jésus. En effet, tout au long des ch. 1–12, les adversaires de Jésus entrent dans la controverse avec lui. Ils l’accusent de violer le Sabbat (5,18; 7,23; 9,16) et de blasphémer (10,33). Les Juifs disent à Jésus en 10,33: “Ce n’est pas pour une bonne œuvre que nous te lapidons, mais pour un blasphème et parce que toi, n’étant qu’un homme, tu te fais Dieu.” Les opposants diffament Jésus, l’accusant d’être possédé par le démon (7,20; 8,48.52; 10,20.21) et d’être un Samaritain (8,48). De ce fait, ils cherchent sans relâche à “arrêter” Jésus (7,30; 10,39), à le “lapider” (8,59; 10,31.32.33) et à le “tuer” (5,18; 7,1; 8,37.40).

En Jn 1–12, le groupe des grands prêtres n’affronte pas directement Jésus, c’est pourtant eux et les Pharisiens qui décident officiellement de le faire périr (11,53). Le cri des Juifs et des grands prêtres devant Pilate: “À mort! À mort! Crucifie-le!” (19,6.15) est la manifestation de la haine et l’aboutissement des œuvres mauvaises (3,19; 7,7) selon la théologie de l’Évangile de Jean. Visiblement, le monde hostile et les adversaires de Jésus ont la même caractéristique en ce qui concerne la persécution et la haine.

     2. Appartenir au Prince de ce monde et au diable

Dans le contexte d’un procès, le thème d’appartenance est fondamental. Dans l’Évangile de Jean, le fait de choisir d’appartenir au diable et au Prince de ce monde conduit à la mort et à la perte. Cet Évangile accorde au thème “appartenance” une place particulière et devient ainsi l’une des caractéristiques des opposants. Du fait que le monde hostile forme un monde particulier, un groupe opposé à Jésus et ses disciples, la question de l’appartenance se pose. Il s’agit de savoir si l’on est “du monde” ou “pas du monde”. Jésus dit aux disciples en 15,19: “Si vous étiez du monde, le monde aimerait son bien; mais parce que vous n’êtes pas du monde, puisque mon choix vous a tirés du monde, pour cette raison, le monde vous hait.” Jésus s’adresse à son Père en 17,16: “Ils [les disciples] ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde.” Ce monde hostile a un chef, nommé “le Prince de ce monde.” Ce dernier apparaît trois fois dans l’Évangile de Jean en 12,31b; 14,30; 16,11 et est en lien avec le monde hostile (12,31a; 14,31; 16,8):

(1) La première fois, le Prince de ce monde apparaît en 12,31-32, Jésus dit à la foule: “31 C’est maintenant le jugement de ce monde; maintenant le Prince de ce monde va être jeté dehors; 32 et moi, une fois élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi.” Le narrateur note dans le verset suivant: “Il [Jésus] signifiait par là de quelle mort il allait mourir” (12,33). Ainsi, l’heure de la mort de Jésus est l’heure du jugement de ce monde et l’heure de la défaite du Prince de ce monde, “il va être jeté dehors” (12,31b).

(2) La deuxième apparition du Prince de ce monde se trouve en 14,30-31a, Jésus dit à ses disciples: “30 Je ne m’entretiendrai plus beaucoup avec vous, car il vient, le Prince de ce monde; sur moi il n’a aucun pouvoir, 31a mais il faut que le monde reconnaisse que j’aime le Père et que je fais comme le Père m’a commandé.” L’arrivée du Prince de ce monde coïncide avec l’heure de Jésus. C’est le moment où le monde hostile pourrait reconnaître que Jésus aime le Père et qu’il fait la volonté du Père.

(3) La dernière apparition du Prince de ce monde est en 16,8-11. Dans ce passage, le Paraclet déterminera le péché du monde hostile et le jugement définitif du Prince de ce monde. Jésus parle aux disciples de l’activité du Paraclet en 16,8-11: “8 Et lui [le Paraclet], une fois venu, il établira la culpabilité du monde en fait de péché, en fait de justice et en fait de jugement: 9 de péché, parce qu’ils ne croient pas en moi; 10 de justice, parce que je vais vers le Père et que vous ne me verrez plus; 11 de jugement, parce que le Prince de ce monde est jugé.” L’ironie est que ce Prince “arrive” (14,30) pour “être jugé” (16,11), pour “être jeté dehors” (12,31). Ainsi le monde hostile appartient au Prince de ce monde et tous les deux sont voués à l’échec.

Si “le Prince de ce monde” (12,31; 14,30; 16,11) est le chef du monde hostile, le diable est le père des Juifs (8,44). Jésus dit aux Juifs en 8,44: “Vous êtes du diable, votre père, et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. Il était homicide dès le commencement et n’était pas établi dans la vérité, parce qu’il n’y a pas de vérité en lui: quand il profère le mensonge, il parle de son propre fonds, parce qu’il est menteur et père du mensonge.” La raison pour laquelle les Juifs ont le diable pour père est qu’ils cherchent à tuer Jésus (8,37.40). Jésus qualifie cette entreprise comme “œuvres du diable.” Jésus dit aux Juifs à propos de leur action: “Vous faites les œuvres de votre père” (8,41a); “Ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir” (8,44b). Le choix d’appartenir au diable et de faire les œuvres du diable conduit à une conséquence grave: Les Juifs dans le passage 8,31-44 n’ont ni Abraham (8,39) ni Dieu (8,14-12) pour Père comme ils le revendiquent (8,33.41). Le thème de l’appartenance est sans ambiguïté en 8,47. Jésus déclare aux Juifs: “Qui est de Dieu entend les paroles de Dieu; si vous n’entendez pas, c’est que vous n’êtes pas de Dieu” (8,47). La non-appartenance à Dieu fait que les Juifs sont incapables d’écouter et de comprendre la parole de Jésus (8,43).

Le monde hostile et les opposants sont représentés dans l’Évangile de Jean par des êtres humains avec leur choix et leur responsabilité, mais selon la théologie de cet Évangile, cette hostilité s’enracine chez le diable (8,44), le Prince de ce monde (12,31; 14,30; 16,11), Satan (13,27) et le Mauvais (17,15). En résumé, le monde hostile appartient au Prince de ce monde et les adversaires de Jésus font les œuvres de leur père, le diable (8,41.44).

     3. Ne pas connaître Jésus et son Père

Le monde hostile persécute les disciples parce qu’il ne connaît ni le Père ni Jésus. Jésus dit à ses disciples en 15,20-21: “20 Rappelez-vous la parole que je vous ai dite: Le serviteur n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, vous aussi ils vous persécuteront; s’ils ont gardé ma parole, la vôtre aussi ils la garderont. 21 Mais tout cela, ils le feront contre vous à cause de mon nom, parce qu’ils ne connaissent pas celui qui m’a envoyé.” En 16,21b, les persécuteurs ne connaissent pas celui qui a envoyé Jésus, à savoir Dieu, le Père de Jésus. C’est la raison pour laquelle ils agissent contre Jésus et ses disciples. Jésus dévoile aux disciples en 16,2-3: “2 On [le monde] vous exclura des synagogues. Bien plus, l’heure vient où quiconque vous tuera pensera rendre un culte à Dieu. 3 Et cela, ils le feront pour n’avoir reconnu ni le Père ni moi.” Les opposants dans ces versets renvoient au monde hostile en 15,18-19. (Voir l’analyse sur “le monde” et “ils” ci-dessus). En 17,25, Jésus s’adresse à son Père au sujet de la méconnaissance du monde: “Père juste, le monde ne t’a pas connu, mais moi je t’ai connu et ceux-ci [les disciples] ont reconnu que tu m’as envoyé” (17,25). Manifestement, la méconnaissance de Jésus et de son Père (15,21; 16,3; 17,25) est l’une des caractéristiques du monde hostile dans l’Évangile de Jean.

Il en va de même chez les adversaires de Jésus dans les ch. 1–12. En 7,25-27, les gens de Jérusalem s’interrogent sur l’identification entre Jésus et le Christ. Ils disent: “Lui [Jésus], nous savons d’où il est, tandis que le Christ, à sa venue, personne ne saura d’où il est” (7,27). Le narrateur continue en 7,28-29: “28 Alors Jésus, enseignant dans le Temple, s’écria: ‘Vous me connaissez et vous savez d’où je suis; et pourtant ce n’est pas de moi-même que je suis venu, mais il m’envoie vraiment, celui qui m’a envoyé. Vous, vous ne le connaissez pas. 29 Moi, je le connais, parce que je viens d’auprès de lui et c’est lui qui m’a envoyé.’” Ici, Jésus enseigne dans le Temple de Jérusalem, dans le contexte de conflit et de controverse avec les Juifs, la foule et les Pharisiens. Jésus dit aux auditeurs que celui qui l’a envoyé, ils ne le connaissaient pas (7,28c). En 8,19, les Pharisiens questionnent Jésus: “Où est ton Père?” (8,19a), il leur répond: “Vous ne connaissez ni moi ni mon Père; si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père” (8,19b). Ainsi, pour Jésus, ses adversaires et le monde hostile ne connaissent ni lui ni son Père.

     4. Ne pas croire en Jésus

En 15,22-24, Jésus révèle aux disciples que le monde hostile n’accueille pas l’enseignement de Jésus et ne le reconnaît pas à travers les signes qu’il a faits. Cela est la preuve que ce monde ne croit pas en lui. En 16,8-9, Jésus dit aux disciples: “8 Et lui [le Paraclet], une fois venu, il établira la culpabilité du monde en fait de péché, en fait de justice et en fait de jugement: 9 de péché, parce qu’ils ne croient pas en moi…” Le fait de ne pas croire en Jésus constitue un péché mortel, car le refus de croire en lui équivaut à ne pas avoir la vie éternelle.

Le thème  de l’incroyance est dominant en parlant des adversaires Jésus en Jn 1–12. En effet, du ch. 5 au ch. 10, le constat de Jésus est le même: ses adversaires ne croient pas en lui. En 5,37-38, Jésus accuse les Juifs: “37 Le Père qui m’a envoyé, lui, me rend témoignage. Vous n’avez jamais entendu sa voix, vous n’avez jamais vu sa face, 38  et sa parole, vous ne l’avez pas à demeure en vous, puisque vous ne croyez pas celui qu’il a envoyé.” Il en va de même au moment du dernier affrontement en 10,24-26, le narrateur raconte: “24 Les Juifs firent cercle autour de lui [Jésus] et lui dirent: ‘Jusqu’à quand vas-tu nous tenir en haleine? Si tu es le Christ, dis-le-nous ouvertement.’ 25 Jésus leur répondit: ‘Je vous l’ai dit, et vous ne croyez pas. Les œuvres que je fais au nom de mon Père témoignent de moi; 26 mais vous ne croyez pas, parce que vous n’êtes pas de mes brebis.’” L’affirmation “vous ne croyez pas” apparaît deux fois (10,25b.26a) en deux versets. À la fin de la mission de Jésus, le narrateur remarque en 12,37: “Bien qu’il [Jésus] eût fait tant de signes devant eux, ils ne croyaient pas en lui.” Le pronom “ils” dans ce verset désigne tous ceux qui ne croient pas en Jésus au cours de sa mission, en particulier ses adversaires. En bref, le pôle opposé à Jésus et ses disciples, à savoir le monde hostile et les adversaires ne croient pas en Jésus.

     5. Avoir le péché

Selon l’Évangile de Jean, le refus de croire en Jésus est un péché inexcusable. En effet, Jésus le fait savoir aux disciples en 15,22-24: “22 Si je n’étais pas venu et ne leur avais pas parlé, ils [le monde] n’auraient pas de péché; mais maintenant ils n’ont pas d’excuse à leur péché. 23 Qui me hait, hait aussi mon Père. 24 Si je n’avais pas fait parmi eux les œuvres que nul autre n’a faites, ils n’auraient pas de péché; mais maintenant ils ont vu et ils nous haïssent, et moi et mon Père.” Quant au rôle du Paraclet, Jésus dit aux disciples en 16,8-9: “8 Et lui, une fois venu, il établira la culpabilité du monde en fait de péché, en fait de justice et en fait de jugement: 9 de péché, parce qu’ils ne croient pas en moi...” Le péché du monde hostile est le refus de croire en Jésus.

Les opposants à Jésus durant son ministère publique (Jn 1-12) sont aussi dans le péché comme il est indiqué en 8,23-24: “23 Vous, vous êtes d’en bas; moi, je suis d’en haut. Vous, vous êtes de ce monde; moi, je ne suis pas de ce monde. 24 Je vous ai donc dit que vous mourrez dans vos péchés. Car si vous ne croyez pas que Je Suis, vous mourrez dans vos péchés.” La situation de l’homme est “d’être d’en bas” (8,23a), s’il ne décide pas de “naître d’en haut” (3,3.7) de “naître d’eau et d’Esprit” (3,5), il mourra dans ses péchés. À la fin du récit de l’aveugle-né (Jn 9), Jésus dit aux Pharisiens en 9,41: “Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché; mais vous dites: Nous voyons! Votre péché demeure.” Les Pharisiens voient Jésus mais ils ne le croient pas, de ce fait leur péché demeure. Selon l’Évangile de Jean, les adversaires de Jésus, ainsi que le monde hostile commettent le péché de ne pas croire en Jésus.

     6. Être invités à croire et à connaître Jésus

Après les cinq caractéristiques négatives, la sixième est positive. Le  monde hostile et les adversaires de Jésus sont invités à croire en Jésus et à le reconnaître. Jésus dit à son Père en 17,20-23: “20 Je ne prie pas pour eux [les disciples] seulement, mais aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi, 21 afin que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé. 22 Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un: 23  moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient parfaits dans l’unité, et que le monde reconnaisse que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé.

En 17,20, Jésus prie pour les disciples à venir: ce sont ceux qui croiront en Jésus grâce à la parole des disciples. En ce qui concerne le monde en 17,21b et 17,23b, il semble que ce monde ne croie pas en la prédication des disciples, cependant il peut encore croire grâce à l’unité entre les disciples (“que tous soient un”, 17,21a) et l’unité entre les disciples avec Jésus et son Père (“qu’eux aussi soient en nous”, 17,21c). Cette unité parfaite (17,23b) peut conduire le monde à “croire” (17,21d) et à “connaître” (17,23c) que le Père a envoyé Jésus et que le Père aime les disciples comme il aime Jésus (17,23d). Selon l’Évangile de Jean, l’heure de la mort de Jésus est l’heure où il manifeste son amour pour les siens (13,1) et pour son Père (14,31). Jésus souhaite que le monde hostile découvre la signification de son heure. Il dit à ses disciples en 14,30-31a: “30 Je ne m’entretiendrai plus beaucoup avec vous, car il vient, le Prince de ce monde; sur moi il n’a aucun pouvoir, 31 mais il faut que le monde reconnaisse que j’aime le Père et que je fais comme le Père m’a commandé.” 

En Jn 1-12, les opposants à Jésus sont aussi invités à le croire. Jésus déclare aux Juifs en 8,28: “Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous saurez que Je Suis et que je ne fais rien de moi-même, mais je dis ce que le Père m’a enseigné.” Quand Jésus sera élévé sur la croix, les adversaires pourront reconnaître l’identité de Jésus (“Je Suis”) et la source de sa misision (“dire ce que le Père a enseigné”). En 8,31a-32, Jésus invite les Juifs à devenir ses vrais disciples: “31a Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples 32 et vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libérera.” Au cours d’une vive controverse avec les Juifs (8,31-59), Jésus leur propose en 8,51: “En vérité, en vérité, je vous le dis, si quelqu’un garde ma parole, il ne verra jamais la mort.”

En résumé, Jésus porte intérêt au monde hostile et à ses adversaires; il les invite à découvrir la vérité de sa révélation, ainsi, ils peuvent croire en lui et recevoir la vie éternelle qu’il leur offre.

IV. Conclusion

Les personnages: “le monde hostile” et “les adversaires de Jésus” peuvent avoir à la fois une visée historique et une portée symbolique. La visée historique concerne les adversaires de Jésus, ceux du groupe des disciples avant la mort et la résurrection de Jésus, et ceux de la communauté johannique vers la fin du premier siècle de notre ère. Dans l’Évangile de Jean, le monde hostile en Jn 14–17 représente les antagonistes de Jésus en Jn 1–12. Il s’agit du monde juif, en Palestine. Ce monde a entendu la parole de Jésus, il a vu ses signes, mais il a manifesté son refus. Ainsi, la tension, la polémique et l’hostilité du monde viennent d’un groupe précis dans l’Évangile (les adversaires de Jésus et de ses disciples). Cependant, l’usage du terme “monde” pour désigner l’hostilité procède d’une visée plus large que les Juifs qui s’opposent en direct à Jésus en Jn 1–12. Le glissement des “adversaires” (Jn 1–12) au “monde hostile” (Jn 14–17) laisse voir une double situation conflictuelle entre la communauté et les Pharisiens (judaïsme) d’une part, et entre la communauté et le monde païen d’autre part.

La portée symbolique renvoie à tous ceux qui refusent de croire en Jésus et haïssent ses disciples tout au long de l’histoire. Chaque communauté chrétienne peut actualiser dans sa vie la forme que prend le monde hostile. Ce monde désigne tous ceux qui ont connu l’enseignement de Jésus, mais qui refusent de croire en lui et persécutent ses disciples (15,18–16,4a). Cependant, les disciples ne désespèrent pas de ce monde, car les six caractéristiques du monde hostile et les adversaires de Jésus dans l’Évangile de Jean portent leur propre signification.

Nous avons montré que “le monde hostile” et “les adversaires de Jésus” se ressemblent à travers six caractéristiques: (1) Haïr Jésus, ses disciples et le Père, (2) Appartenir au Prince de ce monde et au diable, (3) Ne pas connaître Jésus et son Père, (4) Ne pas croire en Jésus, (5) Avoir le péché et (6) Être invités à croire et à connaître Jésus. Bien que les cinq premières soient apparemment négatives, elles ont une portée pédagogique. Sur le plan de la révélation, Jésus n’accuse pas le monde hostile et ses adversaires. Les révélations de Jésus dans ces caractéristiques ont pour but une prise de conscience de la gravité du refus de croire en lui. C’est pour cela que la dernière caractéristique est positive et importante. Jésus les invite toujours à croire en lui. Cette invitation est toujours valable, elle est une ouverture pour le monde hostile et pour les opposants de Jésus et des disciples. Pour ces derniers, la persévérance dans la mission confiée, l’unité et la communion avec Jésus et le Père sont les éléments qui manifestent que l’amour est plus fort que la haine. Grâce à ce témoignage des disciples, le monde hostile peut répondre favorablement à l’invitation de Jésus dans la sixième caractéristique./.



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