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Le 14 janvier 2018
Contenu
Introduction
1. Le texte de l’Évangile (9,22 ;
12,42 ; 16,2)
2. « Aposunagôgos »
et « Birkat ha-minim »
3. « Aposunagôgos » dans l’Évangile
4. Trois
niveaux d’interprétation d’« aposunagôgos »
Conclusion
Bibliographie
Le terme « aposunagôgos »
est un adjectif substantivé au pluriel désignant une personne : un exclu
de la synagogue. Ce vocable se forme du préfix « apo- » (exclure, mettre à part) et du nom « sunagôgè » (synagogue). Son usage est
propre au quatrième Évangile, il n’existe ni dans le reste du Nouveau
Testament, ni dans la littérature grecque de l’époque. « Il s’agit d’un hapax de toute la littérature grecque
connue, à l’exception des rares commentaires de Jean. » (L.
Devillers, La fête de l’Envoyé, 2002,
p. 151). Nous étudions le thème de l’« aposunagôgos »
en quatre parties : (1) le texte de l’Évangile (9,22 ; 12,42 ;
16,2) ; (2) « aposunagôgos »
et « Birkat ha-minim » (la douzième bénédiction) ; (3) « aposunagôgos » dans l’Évangile ;
(4) trois niveaux d’interprétation d’« aposunagôgos ».
Trois occurrences du terme « aposunagôgos »
dans l’Évangile se trouvent en 9,22 (nominatif, singulier) ; 12,42
(nominatif, pluriel) et 16,2 (accusatif, pluriel). Dans le ch. 9, le
narrateur relate le signe de l’aveugle de naissance. Jésus lui a rendu la vue le
jour du sabbat (9,14). Les autorités juives mènent une enquête sur l’opérateur
du signe en interrogeant l’ancien aveugle-né (9,13-17 ; 9,24-34) et ses
parents (9,18-23). La première occurrence (9,22) du terme « aposunagôgos » se trouve dans
l’unité littéraire 9,18-23, le narrateur relate :
« 9,18 Les Juifs ne crurent pas qu’il eût été aveugle tant qu’ils
n’eurent pas appelé les parents de celui qui avait recouvré la vue. 19 Ils leur
demandèrent : “Celui-ci est-il votre fils dont vous dites qu’il est né
aveugle ? Comment donc y voit-il à présent ?” 20 Ses parents
répondirent : “Nous savons que c’est notre fils et qu’il est né aveugle. 21
Mais comment il y voit maintenant, nous ne le savons pas ; ou bien qui lui
a ouvert les yeux, nous, nous ne le savons pas. Interrogez-le, il a l’âge ;
lui-même s’expliquera sur son propre compte.” 22 Ses parents dirent cela parce
qu’ils avaient peur des Juifs ; car déjà les Juifs étaient convenus que,
si quelqu’un reconnaissait Jésus pour le Christ, il serait exclu de la
synagogue (aposunagôgos). 23 C’est
pour cela que ses parents dirent : “Il a l’âge ; interrogez-le.” »
La deuxième occurrence d’« aposunagôgos »
apparaît dans la conclusion du narrateur (12,37-43), dans la première partie de
l’Évangile (Jn 1–12). Le narrateur résume la mission de Jésus par un contraste :
d’une part, les auditeurs ne croient pas en Jésus même s’il a fait beaucoup de
signes ; et d’autre part, beaucoup de notables ont cru en Jésus mais…
Voici ce que le narrateur rapporte en 12,37-43 :
« 12,37 Bien qu’il [Jésus] eût fait tant de signes devant
eux, ils [auditeurs] ne croyaient pas en lui, 38 afin que s’accomplît la
parole dite par Isaïe le prophète : Seigneur,
qui a cru à notre parole ? Et le bras du Seigneur, à qui a-t-il été révélé ?
39 Aussi bien ne pouvaient-ils croire, car Isaïe a dit encore : 40 Il a
aveuglé leurs yeux et il a endurci leur cœur, pour que leurs yeux ne voient
pas, que leur cœur ne comprenne pas, qu’ils ne se convertissent pas et que je
ne les guérisse pas. 41 Isaïe a dit cela, parce qu’il eut la vision de sa
gloire et qu’il parla de lui. 42 Toutefois, il est vrai, même parmi les
notables, un bon nombre crurent en lui, mais à cause des Pharisiens ils ne se
déclaraient pas, de peur d’être exclus de la synagogue (aposunagôgoi), 43 car ils aimèrent la gloire des hommes plus que la
gloire de Dieu. »
La troisième occurrence d’« aposunagôgos »
se rencontre dans la péricope 15,18–16,4a. La structure de cette péricope montre le parallèle entre (A)
15,18-20 et (A’) 16,1-2 sur la haine et de la persécution de la part du monde. L’unité
15,18-20 est une explication, tandis que l’unité 16,1-2 concrétise la haine et
la persécution. Jésus dit à ses disciples en 16,1-4a : « 16,1 Je
vous ai dit cela pour vous éviter le scandale. 2 On vous exclura des synagogues
(aposunagôgous). Bien plus, l’heure
vient où quiconque vous tuera pensera rendre un culte à Dieu. 3 Et cela, ils le
feront pour n’avoir reconnu ni le Père ni moi. 4a Mais je vous ai dit
cela, pour qu’une fois leur heure venue, vous vous rappeliez que je vous l’ai
dit. » La BiJér, 2000, traduit
en 16,2a : « On vous exclura des synagogues »,
littéralement : « Ils vous font des exclus de la synagogue (aposunagôgous poièsousin humas). »
2. « Aposunagôgos » et « Birkat ha-minim »
L’hapax johannique du terme grec « aposunagôgos » (exclu de la synagogue) a suscité des recherches
historiques relatives à l’expression en hébreu « Birkat ha-minim »
(la douzième bénédiction). Dans l’état actuel de la question, on ne trouve pas d’attestation
directe d’un lien entre « aposunagôgos »
et la situation historique de ce fait. Selon P. Grelot, Les Juifs, p. 95 : « Nous n’avons aucune attestation
directe de la décision prise par les autorités pour exclure les chrétiens de
leur communauté. Mais nous en avons un indice indirect par le texte fixé
finalement pour la prière récitée debout trois fois par jour (la ‘amidàh)
et dialoguée au début des réunions synagogales. » Cf. l’étude sur ce sujet
dans P. Grelot, Les Juifs, p.
92-96 ; S. C. Mimouni, Le judéo-christianisme, p. 161-188 ; L. Devillers, La fête de l’Envoyé, p. 135-160 ;
C.S. Keener, The Gospel, v. I, p. 207-214.
La douzième bénédiction (Birkat ha-minim) peut remonter à l’époque des Maccabées (vers IIè
siècle av. J.-C.) ; elle est réactualisée en permanence, selon les
circonstances. Nous ne nous engageons pas dans l’étude de cette
bénédiction qui est complexe. Par exemple, il y a plusieurs versions de cette
bénédiction. On ne sait pas trop ce qu’elle recouvre. La datation de « Birkat
ha-minim » n’est pas précise. L’historicité liée au nom de
Yavné et à sa tradition est discutable, (cf. L. Devillers, La fête de l’Envoyé, p.
140-141). Nous nous contentons de faire un rapprochement entre cette
bénédiction et l’« aposunagôgos »
du quatrième Évangile.
« Birkat ha-minim » de
la version palestinienne est retrouvée dans la Genizah du Caire. Le terme « genizah » désigne le lieu où on dépose les
manuscrits et les livres saints endommagés. De nombreuses synagogues disposent d’un
lieu ou d’une armoire servant de genizah. Le terme « Genizah »
(la première lettre en majuscule) désigne le grenier de l’ancienne synagogue
Ben Ezra de Fostat (Vieux Caire), en égypte,
(cf. art. « Genizah » dans Dictionnaire
Encyclopédique du Judaïsme, 1993. Nous citons ici la traduction de la
version palestinienne de « Birkat ha-minim »,
prise dans L. Devillers, La
fête de l’Envoyé, p. 140 :
« Pour les apostats qu’il n’y ait pas
d’espérance ;
et que le royaume de
l’arrogance soit vite déraciné de nos jours ;
et que les nosrim et les minim
en un instant périssent ;
qu’ils soient effacés du livre de la Vie,
et avec les Justes qu’ils ne soient pas
inscrits ;
béni sois-tu, Seigneur, qui soumet les arrogants ».
Le terme « nosrim » (nazôréen) dans cette bénédiction est un ajout à la fin du Ier s. ap. J.-C. Ce vocable est appliqué à Jésus (Mt 26,71 ; Ac 2,22) puis aux Chrétiens (Ac 24,5). En tous cas, l’étymologie de « nosrim » reste discutable. On ne sait pas si le « nosrim » désigne des « Chrétiens d’origine juive » ou il s’agit de tout courant sectaire par rapport au judaïsme pharisien, (cf. X. Léon-Dufour, Lecture de l’Évangile, t. III, n. 121, p. 204). L’appellation « les Chrétiens d’origine juive » est comprise au sens général du terme puisque la « Birkat ha-minim » et l’« aposunagôgos » relèvent de l’univers juif. Nous évitons d’utiliser d’autres termes techniques, par exemple : judéo-chrétien, nazaréen-chrétien, ébionite. Ces termes expriment des réalités historiques complexes et qui débordent le champ de notre étude, (cf. F. Blanchetière, Enquête sur les racines juives, p. 133-151).
Si l’ajout « nosrim » dans la « Birkat ha-minim » vise un groupe de disciples de Jésus, cette bénédiction ne concerne que les Chrétiens d’origine juive et non les Chrétiens en général. Ceux qui sont identifiés comme « nosrim » sont en rupture avec la communauté juive. À l’époque, le Judaïsme est une religion reconnue par l’empire romain. Quand les Chrétiens d’origine juive sont considérés comme hérétiques, ils perdent leur statut dans l’empire, de ce fait, ils sont marginalisés. L’impact de cette bénédiction dans les diverses communautés juives (en Palestine, en diaspora) reste incertain. Il est probable que dans certaines communautés juives, la cohabitation entre les Juifs et les Chrétiens d’origine juive demeure pacifique. Il vaut mieux ne pas généraliser le conflit et la rupture entre le Judaïsme et les disciples de Jésus.
La douzième bénédiction ne mentionne pas la mesure d’exclusion de la synagogue. Les Chrétiens d’origine juive sont visés dans la « Birkat ha-minim » par les autorités du judaïsme mais nous ne savons pas exactement par quel moyen. Cette mesure d’exclusion des Chrétiens de la synagogue dans l’Évangile pourrait avoir un lien avec la « Birkat ha-minim ». Il s’agit probablement du résultat de l’assemblée de Yavné (Jamnia) des années quatre-vingts de notre ère. Cette assemblée restructure le judaïsme autour de la Torah et l’interprète selon la tendance pharisienne. L’expulsion officielle des Chrétiens d’origine juive de la synagogue pourrait être appliquée après cette assemblée. Cependant, il faut voir cette exclusion comme locale. Elle ne concerne que la communauté des disciples racontée dans le quatrième Évangile.
Certains auteurs (S.J.D. Cohen ; R. Kimelman ; J. Lieu)
refusent tout lien entre l’« aposunagôgos »
johannique et la « Birkat ha-minim », parce que le terme « aposunagôgos »
n’apparaît que dans l’Évangile, on ne retrouve pas ce terme dans le reste de la
Bible ainsi que dans la tradition rabbinique, (cf. la référence des auteurs
dans L. Devillers, La fête de l’Envoyé, n.
102, p. 157). Avec la majorité d’auteurs, et à titre d’hypothèse, nous admettons
le lien entre « aposunagôgos »
et la « Birkat ha-minim » comme P. Grelot, Les Juifs, p. 96, souligne :
« L’exclusion de l’assemblée synagogale, et donc de la communauté, était
le résultat pratique qu’escomptait Rabban Gamaliel II, vers le tournant du Ier
au IIe siècle. » L’auteur précise : « L’exclusion de
la Synagogue ne vise pas les lieux appelés secondairement de ce nom, mais les
assemblées qui s’y tiennent et qui montrent le rassemblement de la communauté
d’Israël. » (P. Grelot, Les Juifs, p.
93).
Des témoignages écrits par des Pères peuvent renvoyer à la mesure de la
Birkat ha-minim. Par exemple, Justin de Naplouse (ou Justin de
Néapolis), milieu du IIè s., connu comme Justin Martyr écrit dans
son œuvre Dialogue avec le juif Tryphon, 16,4 :
« En élevant, dans vos synagogues, des imprécations sur ceux qui croient
au Christ. » (Traduction du grec par P. Bobichon, Justin martyr, vol. I, p. 225). Au IVè s., Épiphane de
Salamine rapporte : « Trois fois par jour, ils [les Juifs]
anathématisent en disant : Que Dieu maudisse les Nazoréens. » (Panarion, XXIX, 9,2). Cette citation est
prise dans A. Marchadour, « Les Juifs », p. 45.
En tenant compte de la complexité et de l’incertitude de la recherche historique
en ce qui concerne le renvoi historique du terme « aposunagôgos », nous pouvons conclure que la pratique
d’exclure de la synagogue, dans l’Évangile, reflète une situation concrète de
la communauté johannique, vers la fin du Ier siècle, au moment où le
Judaïsme tente de se réorganiser et de renforcer son identité après la
destruction du Temple de Jérusalem en l’an 70 ap. J.-C.
3. « Aposunagôgos »
dans l’Évangile
L’utilisation du terme « aposunagôgos » dans
l’Évangile a sa particularité. Trois occurrences de ce terme (9,22 ;
12,42 ; 16,2) décrit la mesure pénale prise par les autorités religieuses.
Nous observons (1) les auteurs de cette mesure (les Juifs, les Pharisiens, le
monde hostile) et (2) les destinataires (les parents de l’aveugle-né, les disciples,
les autorités juives).
(1) Les auteurs de cette mesure sont « les Juifs » (9,22),
« les Pharisiens » (12,42) et « ils » (16,2a), ces derniers
renvoient au monde hostile (15,18-19). Les auteurs en 9,22 et en 12,42 sont les
représentants de l’autorité religieuse (les Juifs et les Pharisiens). Dans le
ch. 9, il y a un lien étroit entre les Juifs et les Pharisiens. En effet,
l’entretien se fait d’abord, entre l’ancien aveugle-né et les Pharisiens (9,13-17),
ensuite entre les parents de l’aveugle et les Juifs (9,18-23), et enfin de
nouveau entre l’ancien aveugle-né et « ils » comme le narrateur
relate en 9,24a : « Ils appelèrent (Ephônèsan) donc une seconde fois l’homme qui avait été aveugle et
lui dirent… ». Le pronom « ils » renvoie donc, à la fois aux
Juifs (9,18.22), selon le déroulement du récit en 9,18-23 et aux
Pharisiens, puisque l’expression « une seconde fois » (9,24a) fait
allusion à l’entretien précédent avec les Pharisiens en 9,13-17. Dans le
contexte du ch. 9, l’identification entre ces personnages fait allusion à la
situation de la communauté johannique qui doit affronter l’hostilité des Juifs.
Ces derniers représentent le judaïsme de tendance pharisienne à la fin du Ier
siècle. L’attribution aux Juifs et aux
Pharisiens de la mesure d’« aposunagôgos »
(9,22 ; 12,42) est donc compréhensible.
Nous rejoignons les résultats de la recherche historique pour considérer qu’une
actualisation de la situation de la communauté en Jn 9 est vraisemblable.
Par contre, l’attribution au « monde » de la mesure de d’« aposunagôgos » (16,2a) est étrange puisque cette mesure appartient
strictement à l’univers culturel juif. Certes, le « ils » en
16,2a fait allusion aux adversaires de Jésus au cours de sa mission, mais « le
monde » (kosmos) dans les discours
d’adieux (Jn 13–17) possède un sens plus large que les adversaires de Jésus. Le
monde hostile (15,18-19) n’est pas identique aux Juifs et aux Pharisiens.
Selon P. Grelot, Jésus de Nazareth, t.
II, p. 251-252 : « La haine se manifestera par l’exclusion de la
Synagogue (16,1-4). Il est clair qu’en cet endroit la rédaction du texte de
Jean prend acte, par le mot aposynagôgous, de la décision prise vers la
fin du siècle par les autorités du Judaïsme rabbinique contre ceux qui
reconnaîtraient Jésus comme le Christ. » L’auteur identifie le
« ils » en 16,2 avec « les autorités du Judaïsme
rabbinique ». Cette identification laisse de côté « le monde » (kosmos) dont Jésus parle dans la
péricope 15,18–16,4a. P. Grelot n’explique pas pourquoi « le monde » est
le sujet de cette mesure disciplinaire.
Nous proposerons notre opinion dans le troisième niveau d’interprétation du
terme « aposynagôgous »
ci-dessous.
(2) Quant aux destinataires de la mesure d’aposunagôgos, ce sont
les parents de l’aveugle-né (9,22) qui n’osent pas confesser que Jésus est le
Christ par peur d’être exclus de la synagogue. En 16,2a, il s’agit des
disciples de Jésus qui subissent cette mesure disciplinaire. Le comportement
des parents de l’aveugle-né (9,22) et la situation des disciples (16,2a)
correspondent probablement à la situation de la communauté johannique, au
moment où les Chrétiens d’origine juive fréquentent encore les synagogues.
En particulier, les destinataires en 12,42 sont « parmi les notables »
qui croient en Jésus et ils ont peur de devenir des « aposunagôgoi ». Le narrateur relate en 12,42 : « Toutefois,
il est vrai, même parmi les notables (ek
tôn archontôn), un bon nombre crurent en lui (polloi episteusan eis auton), mais à cause des Pharisiens ils ne se
déclaraient pas, de peur d’être exclus de la synagogue (hina mè aposunagôgoi genôntai). »
Cette situation semble ne plus correspondre avec la « Birkat ha-minim »
laquelle vise les « nosrim » (nazôréen)
et non les notables, les autorités juives. Nous devons examiner (a) l’usage
du terme « ho archôn » (le
notable, le chef, l’autorité), (b) l’expression « pisteuô eis » (croire en) et (c) le thème de « schisma »
(scission, division) dans l’Évangile pour comprendre le contexte de
12,42.
(a) Le terme « ho archôn »
revient sept fois dans l’Évangile dont quatre fois au singulier (3,1 ;
12,31 ; 14,30 ; 16,11) et trois fois au pluriel (7,26.48 ;
12,42). Nicodème (3,1) est l’un des Pharisiens, un notable des Juifs (archôn tôn Ioudaiôn). Les trois autres
mentions au singulier (12,31 ; 14,30 ; 16,11) désignent « le
prince de ce monde » (ho archôn tou
kosmou toutou). Ce prince (ho archôn)
est foncièrement opposé à Jésus.
Le pluriel (hoi archontes) en
7,26 représente les autorités religieuses. Le narrateur rapporte en
7,25-26 : « 25 Certains, des gens de
Jérusalem, disaient : “N’est-ce pas lui qu’ils cherchent à tuer ? 26
Et le voilà qui parle ouvertement sans qu’ils lui disent rien ! Est-ce que
vraiment les autorités (hoi archontes) auraient reconnu qu’il est le
Christ ?” » En 7,48, les Pharisiens se
distinguent eux-mêmes des notables (archontes)
en disant aux gardes : « Est-il un des notables (ek tôn
archontôn) qui ait cru en lui [Jésus] ? ou un des
Pharisiens ? » Dans le contexte de Jn 7, les
Juifs cherchent Jésus (7,11), ainsi « hoi
archontes » (les autorités) dans la question de la foule (7,26) renvoient
aux Juifs. Quant aux Pharisiens, ils n’apparaissent qu’en 7,32 associés avec
les grands prêtres pour arrêter Jésus. Le pluriel « hoi archontes » s’applique donc aux autorités, aux dirigeants,
aux notables juifs.
(b) Le narrateur rapporte en 12,42a que beaucoup de notables (archontes) ont cru en Jésus. La foi de
ces dirigeants est présentée par la locution « pisteuô + eis » (croire + en). Cette locution apparaît en 36
occurrences dans l’Évangile (cf. le recensement dans P.-M. Jerumanis,
Réaliser la communion, n. 160, p. 78). La foi exprimée par la
construction « pisteuô + eis »
en 2,23 est insuffisante. Le narrateur rapporte en 2,23b : « Beaucoup
crurent en (episteusan eis) son
nom [de Jésus] » et en 2,24a « Mais Jésus, lui, ne se fiait pas à eux. »
Cependant, dans l’ensemble de l’Évangile, le syntagme « pisteuô + eis » est important. En
effet, P.-M. Jerumanis, Réaliser la
communion, p. 79-80, constate que quand « pisteuô + eis » a Jésus pour objet
(croire en Jésus), en tant que personne transcendante, cet usage prend toute
son importance : ces croyants deviennent enfants de Dieu (1,12) et fils de
la lumière (12,36). L’auteur conclut : « Pour
Jn, la construction pisteuô +
eis indique effectivement un
mouvement symbolique qui engage tout le croyant et qui doit “pénétrer”
en Jésus pour instaurer une relation intérieure et personnelle avec lui. »
(P.-M. Jerumanis, Réaliser la communion,
p. 85).
Avec l’utilisation « pisteuô
+ eis » (croire + en), la foi des notables en 12,42 est sérieuse, mais
ils ont besoin de surmonter la peur. Ainsi, la situation des notables (12,42)
et celle des parents de l’aveugle-né (9,22) sont les mêmes. Ils croient en
Jésus mais par peur d’être exclus de la synagogue ils n’osent pas déclarer leur
foi. Le parcours du notable Nicodème qui vient à Jésus de nuit (3,2), puis
intervient en sa faveur (7,50-51), et enfin manifeste son adhésion en participant à ensevelir Jésus
(19,39-40) devient un exemple à suivre pour les notables en 12,42. Il en est de
même pour les parents de l’aveugle-né, la courageuse proclamation de la foi de leur
fils (9,35-38) est un modèle pour eux et pour le lecteur. Si « beaucoup
des notables » (12,42a), en tant qu’autorités religieuses, croient en
Jésus et ont peur de devenir des exclus de la synagogue (aposunagôgoi), il y a donc une superposition de deux situations
historiques : l’une à l’époque de Jésus (la foi des notables), l’autre à
l’époque de la communauté johannique (les parents de l’aveugle-né).
(c) Le thème de « schisma » (scission, division) dans
l’Évangile montre la complexité de la situation. La
division (schisma) se produit dans la foule (7,43), parmi les
Pharisiens (9,16) et parmi les Juifs (10,19). Elle montre que l’hostilité des
autorités juives envers Jésus n’est pas unie. Dans cette perspective, l’Évangile
présente une catégorie de disciples de Jésus qui croient en lui « mais en secret par peur des Juifs » (19,38b). C’est le cas de Joseph d’Arimathie
(19,38), des notables (12,42) et des parents de l’aveugle-né (9,22).
4. Trois niveaux d’interprétation d’« aposunagôgos »
Les études sur le contexte historique et le contexte littéraire de
l’Évangile soulignent la complexité du sujet : l’Évangile (écrit à la fin
du Ier siècle ap. J.-C.) raconte la mission de Jésus des années 30
du Ier siècle de notre ère avec des allusions à la situation de la
communauté johannique, destinataire de l’Évangile. La richesse du texte permet
une lecture à trois niveaux du thème de
l’« aposunagôgos ».
(a) Au premier niveau, l’« aposunagôgos »
renvoie à la mission de Jésus. Les autorités juives ont décidé de sanctionner
ceux qui croient en Jésus. La mise à mort de Jésus par les autorités
religieuses implique une menace, une mesure contre les disciples de Jésus.
Cependant, comme nous l’avons noté, il y a une division parmi les autorités (cf.
9,16 ; 10,19), les unes sont contre Jésus et les autres reconnaissent que
Jésus vient de Dieu. Ainsi, parmi les notables, beaucoup croient en
Jésus mais n’osent pas le déclarer par peur de devenir des exclus de la
synagogue (12,42). En même temps, une allusion à la situation de la communauté
à la fin du Ier siècle reste ouverte. Il peut y avoir des notables
juifs qui rejoignent la communauté johannique en croyant en Jésus.
(b) Le deuxième niveau d’interprétation fait allusion à la situation de
la communauté. Il s’agit des Pharisiens qui ont relayé l’autorité sacerdotale
après la destruction du Temple (l’an 70 de notre ère). Les Chrétiens d’origine
juive sont menacés d’être exclus de la synagogue. C’est le cas des parents de
l’aveugle de naissance (9,18-23). R.E. Brown, La communauté, p. 45, remarque : « à dessein, Jean utilise le même terme
pour les autorités juives du temps de Jésus et pour les membres hostiles de la
synagogue de son propre temps. Du vivant de Jésus les chefs des prêtres et
quelques scribes du sanhédrin furent hostiles à Jésus et participèrent à sa
mort. » Les allusions à la situation de la communauté johannique à la fin
du Ier siècle dans l’Évangile permettent un rapprochement entre l’« aposunagôgos » (l’exclu de la
synagogue) et la « Birkat ha-minim » (la douzième bénédiction).
(c) Le troisième niveau est une interprétation symbolique du terme
« aposunagôgos » s’appuyant
sur la présence du monde hostile dans la péricope 15,18–16,4a. Certes, le
pronom « ils », auteur d’exclusion de la synagogue en 16,2, fait
allusion aux Juifs et aux Pharisiens hostiles à la communauté johannique, en
même temps, dans le contexte du récit, ce pronom désigne le monde hostile au
sens général du terme, c’est-à-dire, le monde (kosmos) dans la péricope 15,18–16,4a renvoie aussi au monde dans
son environnement et au monde païen vis-à-vis de la communauté croyante.
F. Vouga, Le cadre historique,
n. 13, p. 100, présente trois
grandes hypothèses sur ce sujet : « La haine du monde se recoupe avec
l’hostilité du Judaïsme et doit rester limitée à cela (Schlatter, Strathmann, Schulz,
Filson, Dodd, La tradition, p. 412) ; elle est relative à la persécution
romaine et le v. 21b [du ch. 15] fait allusion polémique au culte impérial (Büchsel) ;
il s’agit des deux à la fois (Loisy, partiellement Lagrange, Hunter, Braun, Riedl,
Brown), telles sont les grandes hypothèses en présence. » Nous nous
rallions à la troisième hypothèse avec une précision : l’hostilité du
judaïsme se manifeste de manière explicite ; tandis que celle du monde dans
son environnement n’apparaît qu’implicitement à travers l’utilisation du terme
« kosmos ».
Le fait que le monde hostile en 15,18–16,4a puisse couvrir un sens plus
large que les autorités juives, la mesure typiquement juive d’« aposunagôgos » peut être interprétée
au sens métaphorique. I. de La Potterie, La
vérité, t. I, p. 398, souligne la portée symbolique des termes « monde »
et « synagogue » dans l’Évangile : « Quand il [l’évangéliste]
parle des disciples de Jésus, Jean ne mentionne plus aucun pouvoir hostile
déterminé. Peu importe, pour lui, quelles sont, dans la réalité concrète de
l’histoire, les cours de justice qui condamneront les disciples : Jean les
englobe toutes sous une puissance unique et sans visage : “le monde” ;
il insiste sur la rupture totale des disciples avec la synagogue, symbole de la
haine du monde. »
En effet, la foi en Jésus marque une rupture avec tous les systèmes
religieux (juif ou païen). L’engagement de la foi en Jésus implique une rupture
avec son milieu et sa religion d’origine puisque en devenant son disciple, le
croyant demeure en Jésus (15,4), l’aime et garde ses commandements (14,15.21a).
De ce fait le disciple de Jésus pourrait subir la persécution, l’exclusion de
la communauté, la mise au ban de la société civile. L. Devillers, La fête de
l’Envoyé, p. 153, remarque :
« L’exclusion de la Synagogue est perçue comme une expérience concrète de
la haine du monde : d’où l’emploi symbolique et typologique de
terme Ioudaioi et monde. » Ainsi, la mesure
disciplinaire juive de l’« aposunagôgos »
possède une portée symbolique ; elle vaut pour les communautés des
disciples de Jésus partout dans le monde au cours des siècles.
Conclusion
Selon les recherches historiques, il ne faut pas généraliser la
persécution mentionnée en 16,2. Le rapprochement possible entre l’« aposunagôgos » johannique et la « Birkat
ha-minim » illustre la situation polémique entre le Judaïsme et les
disciples de Jésus à la fin du Ier siècle. Cependant, la
particularité de l’hapax johannique d’« aposunagôgos », dans le contexte de l’Évangile (9,22 ;
12,42 ; 16,2), nous a conduit à une interprétation à trois niveaux. La
mesure d’exclusion de la synagogue renvoie d’abord au conflit à l’époque de
Jésus, ensuite à la situation de la communauté johannique et enfin à la
vie des disciples de Jésus au cours des siècles. Devenir disciple de Jésus est
un engagement total qui implique une rupture avec les
autres religions. Désormais les Chrétiens vivent en communion avec Jésus et agissent
sous la lumière de son enseignement./.
Source : http://leminhthongtinmunggioan.blogspot.co.il/2018/01/jn-922-1242-162-exclu-de-la-synagogue.html
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