26/06/2016

Caractéristiques littéraires de l’Évangile de Jean



Email: josleminhthong@gmail.com
Le 25 juin 2016.

Contenu

I. Le quatrième Évangile et les Synoptiques
    1. Quelques points communs
        1.1. Le genre littéraire de l’Évangile
        1.2. Les récits en parallèle
    2. Certains points différents 
        2.1. Les récits
        2.2. Le vocabulaire
        2.3. La topographie
        2.4. Le style grec
        2.5. Les thèmes johanniques
II. Les procédés littéraires de quatrième Évangile 
    1. Le malentendu
    2. L’ironie
    3. Le langage symbolique
III. Conclusion





Dans cette étude, nous présentons les caractéristiques du quatrième Évangile sur deux sujets : (I) quelques points communs et différents entre l’Évangile de Jean et les Évangiles synoptiques (Mt-Mc-Lc), (II) les trois procédés littéraires johanniques (le malentendu, l’ironie et le langage symbolique). L’analyse de ces sujets aidera le lecteur à découvrir les particularités et l’originalité du récit johannique.

I. Le quatrième Évangile et les Synoptiques

L’Évangile de Jean est l’un des quatre Évangiles canoniques (Mt-Mc-Lc-Jn), dans lequel il existe des similitudes avec les trois autres. Cependant le quatrième Évangile contient plus de particularités que de ressemblances par rapport aux Synoptiques (Mt-Mc-Lc). Nous présentons brièvement (1) quelques points communs et (2) certains points différents.
   
1. Quelques points communs

Notons qu’un thème commun des Évangiles peut contenir de différences profondes dans la manière que l’auteur construit son récit, à savoir, les divergences dans le détail et dans le contexte littéraire du récit. Dans cette perspective, nous abordons ci-dessous deux points communs importants entre le quatrième Évangile et les Synoptiques : (1.1) le genre littéraire de l’Évangile et (1.2) les récits en parallèle.

        1.1. Le genre littéraire de l’Évangile

Le genre littéraire de l’Évangile est commun aux quatre Évangiles, à savoir qu’il s’agit de raconter la vie d’un personnage : Jésus de Nazareth. Dans les quatre Évangiles, la vie publique de Jésus commence par l’activité de Jean Baptiste comme le précurseur. Les deux grandes parties de la mission de Jésus sont les récits concernant (1) ses enseignements et ses activités publiques, (2) sa mort et sa résurrection. Les quatre Évangiles sont écrits vers la fin du 1er siècle (entre les années 70-100 ap. J.C.), c’est-à-dire, la composition des Évangiles se fait bien après le ministère de Jésus des années 30 de notre ère. Les Évangiles sont adressés aux communautés respectives (la communauté matthéenne…, la communauté johannique) en vue de transmettre au lecteur le fondement de la foi et la vie des disciples. Nous bénéficions donc de quatre récits évangéliques, quatre témoignages vivants de l’enseignement de Jésus, quatre expériences de la foi en Jésus et quatre interprétations d’un seul événement : la vie et la mission, puis la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth.

        1.2. Les récits en parallèle

La comparaison de l’Évangile de Jean avec les Synoptiques fait apparaître certains récits en parallèles. À titre d’exemple, relevons quelques ressemblances entre l’Évangile de Jean et celui de Marc dont l’activité de Jean Baptiste qui précède le ministère de Jésus (Jn 1,19-36 // Mc 1,4-8) ; l’épisode de l’expulsion des vendeurs du Temple de Jérusalem (Jn 2,13-22 // Mc 11,15-17) ; la multiplication des pains et la marche sur les eaux (Jn 6,1-21 // Mc 6,34-52) ; l’entrée solennelle de Jésus à Jérusalem (Jn 12,12-15 // Mc 11,1-10), etc.

Dans le détail, il existe des parallèles au niveau d’expressions textuelles, de citations de l’AT, de certaines paroles de Jésus ou celles des autres personnages. En général, les quatre Évangiles suivent le même déroulement dans le récit de la Passion (l’arrestation de Jésus, la comparution devant l’autorité juive, puis devant l’autorité romaine, enfin la crucifixion, la mort et la mise au tombeau).

Les parallèles entre l’Évangile de Jean et les Synoptiques montrent qu’il existe une tradition commune aux quatre Évangiles. Cependant, la manière dont l’auteur du quatrième Évangile utilise la tradition commune pour construire le récit de Jésus de Nazareth est originale. Certains points différents ci-dessous témoignent de l’originalité de l’Évangile de Jean par rapport aux Synoptiques.

    2. Certains points différents 

Il existe plusieurs divergences entre l’Évangile de Jean et les Synoptiques. Sans entrer dans les détails, nous indiquons cinq particularités johanniques : (2.1) les récits, (2.2) le vocabulaire, (2.3) la topographie, (2.4) le style grec, et (2.5) les thèmes abordés.

        2.1. Les récits

- Les deux premiers disciples de  Jésus (un disciple anonyme et André) sont les disciples de Jean Baptiste (1,37). Le récit des cinq premiers disciples de Jésus selon l’Évangile de Jean en 1,35-51 (un disciple innommé, André, Simon-Pierre, Philippe, Nathanaël) diffère du récit des premiers disciples selon les Synoptiques.

- La péricope d’expulsion des vendeurs du Temple de Jérusalem (2,13-22) ouvre sur l’activité publique de Jésus, tandis que dans les Synoptiques, cet événement s’est produit à la fin de la vie publique de Jésus.

- Quatre signes propres à l’Évangile de Jean sont « l’eau devenue bon vin à Cana » (2,1-12), « la guérison du paralytique à la piscine de Béthesda » (5,1-9), « la guérison de l’aveugle-né » (9,1-7), « la mort et la vie de Lazare » (11,1-44). Certains signes sont suivis d’un long discours (5,10-47 ; 6,22-59) ou un large développement (9,8-41).

- Les autres récits propres au quatrième Évangile sont « l’entretien avec Nicodème » (3,1-21) ; « le voyage et les rencontres à Samarie » (4,1-42) ; « Jésus et ses frères » (7,1-10) ; « Jésus et les Grecs » (12,20-23), « le lavement des pieds » (13,4-11), « les discours d’adieu » (13,33–14,31 ; 15,1–16,33), et « la prière d’intervention de Jésus auprès de son Père » (Jn 17). Il existe des particularités indéniables dans les récits de la Passion (Jn 18–19) et les apparitions du Ressuscité (Jn 20–21).

- L’enseignement de Jésus est souvent présenté sous forme de monologues (3,13-21 ; 5,19-47), de discussions (8,12-59) ou de discours (14,1–16,33).

- Selon le quatrième Évangile, le ministère de Jésus se déroule en grande partie à Jérusalem plutôt qu’en Galilée selon les Synoptiques.

- L’indication de trois Pâque (2,13 ; 6,4 ; 11,55) dans l’Évangile de Jean permet de penser que la mission de Jésus a duré environ trois ans.

        2.2. Le vocabulaire

Le vocabulaire du quatrième Évangile est plus condensé que les Synoptiques. On y trouve 1011 mots dans l’Évangile de Jean, contre 1961 dans Matthieu, 1345 dans Marc, 2055 dans Luc (cf. É. Cothenet, « L’Évangile selon saint Jean », 30). L’Évangile de Jean est moins littéraire que celui de Luc, cependant le champ sémantique du quatrième Évangile est chargé de sens symbolique et théologique. Par exemple, l’usage johannique des verbes (croire, aimer, connaître, juger, témoigner, envoyer, garder, manifester, demeurer…) et des substantifs (la vie, la mort, la lumière, les ténèbres, la vérité…) sont utilisés pour exprimer la théologie. Ce champ sémantique sert à révéler l’identité de Jésus, les réalités du monde d’en haut ainsi que la situation de l’homme dans le monde d’en bas.
L’usage du double « amen, amen » qui apparaît 25 fois dans l’Évangile de Jean ne figure nulle part ailleurs dans le NT. Jésus emploie ce double « amen » pour s’adresser à ses interlocuteurs : « Amen, amen, (amèn, amèn) je vous le dis… » (cf. 1,51 ; 5,19…). La Bible de Jérusalem rend ce double « amen » par « En vérité, en vérité, je vous le dis… ». Il existe un certain nombre de termes araméens suivis souvent de la traduction grecque dans le texte : rabbi (8 f.), rabbouni (1 f., 20,16), Messias (2 f., 1,41 ; 4,25), Kèphas (1 f., 1,42), Silôam (2 f., 9,7.11), Béthesda (1 f., 5,2), Gabbatha (1 f., 19,13), Golgotha (1 f., 19,17). La plupart des personnages (le Père, Jésus, le Paraclet, les disciples, Nathanaël, Nicodème, le prince de ce monde, les Juifs, le monde, etc.) ont des caractéristiques propres dans l’Évangile de Jean.

        2.3. La topographie

La topographie de Jérusalem et de la Palestine est plus abondante dans le quatrième Évangile par rapport aux Synoptiques. À Jérusalem, l’Évangile de Jean mentionne la piscine de Béthesda qui a cinq portiques (5,2), la piscine de Siloé (9,7), le portique de Salomon au Temple (10,23), le jardin sur l’autre rive du Cédron (18,1), le Lithostrotos (Gabbatha) en 19,13, le Crâne (Golgotha) en 19,17, Béthanie (11,18). La topographie de la Palestine évoquée est Béthanie au-delà du Jourdain (1,28), Aenon près de Salim (3,23), Cana en Galilée (2,1.11 ; 4,46), Sychar en Samarie (4,4), le puits de Jacob (4,11), le village d’Éphraïm où Jésus s’est réfugié (11,54).
Il y a des indications géographiques communes aux autres évangiles, par exemple, Jérusalem (1,19), le Temple de Jérusalem (2,14), le sanctuaire (2,19), le lieu-dit du Trésor au Temple de Jérusalem (8,20), Judée (3,22), Samarie (4,4), Galilée (1,43), Capharnaüm (2,12), la mer de Tibériade (6,1), Bethsaïda (1,44), etc.

        2.4. Le style grec

Le style du quatrième Évangile est caractérisé par l’utilisation fréquente des termes grecs : kai, oun, hina, hoti. D’abord, la conjonction « kai » (et) utilisée comme parataxe pour lier les propositions, « kai » peut avoir le sens additif (1,10) ou le sens adversatif (1,11). Ensuite, la particule « oun » (alors, donc) exprime la conséquence. Parfois, « oun » est une simple copule de liaison sans signification particulière. Enfin, les conjonctions « hina » (afin que…, pour que…, à savoir que…) et « hoti » (que, parce que) introduisent souvent une proposition subordonnée. La particule « hina » peut avoir le sens final (cf. 15,11.17), le sens complétif (cf. 4,34), ou le sens déclaratif (épexégétique), cf. 6,40, 15,12. La conjonction « hoti » introduit souvent une parole indirecte (cf. 4,9), ou directe (cf. 1,20) ou encore une explication (cf. 15,25).

Quelques autres termes caractéristiques du quatrième Évangile sont (1) le pronom démonstratif « ekeinos » (celui-là), 44 fois ; (2) l’adjectif possessif « emos » (mon), 39 fois ; (3) les pronoms réflexifs (13 fois) : « aph’eautou » (lui-même), cf. 5,19, « ap’emautou » (moi-même), cf. 5,30 ; (4) la préposition « ek » (de).

Pour les temps du verbe conjugué, il n’y a de participe future, d’infinitif future et d’optatif dans le quatrième Évangile. Le narrateur fait alterner l’aoriste et le présent historique dans son récit. Le parfait est souvent utilisé pour marquer les effets permanents d’une action passée. Cf. le style grec dans É. Cothenet, « L’Évangile selon saint Jean », 30 ; Id., « Le quatrième évangile », 122-123 ; J. Zumstein*, I, 33.

        2.5. Les thèmes johanniques

Il existe plusieurs thèmes propres au quatrième Évangile, par exemple, Jésus conscient de sa divinité et de sa préexistence (8,58 ; 10, 30-38 ; 14, 9 ; 17,5.24) se présente comme l’envoyé du Père et est en communion permanente avec son Père. Les paroles et les œuvres de Jésus sont celles du Père. Les enseignements de Jésus dans le quatrième Évangile se concentrent, d’une part, sur son origine et sa mission, et, d’autre part, sur le fondement de la foi et la vie de la communauté des croyants dans un contexte de crise (cf. Jn 13–21). Plusieurs idées font allusion à la situation de la communauté johannique après Pâques, par exemple, la confession sur Logos-Jésus préexistante (1,1-5) ; l’eschatologie réalisée (11,25-26) ; l’exclusion de la synagogue (9,22) ; la persécution par le monde hostile (15,18) ; l’activité du Paraclet (14,15–16,15). Certains autres thèmes johanniques sont le dualisme, le procès, les signes, les déclarations « Je suis » (egô eimi), le Paraclet, etc. Le thème du « royaume de Dieu » qui tient une place importante dans les Synoptiques est peu développé dans l’Évangile de Jean (3,3.5).

II. Les procédés littéraires du quatrième Évangile

Le lecteur du quatrième Évangile peut repérer trois procédés littéraires : le malentendu, l’ironie et le langage symbolique. Ces procédés peuvent être liés entre eux, par exemple, en 4,5-15, le sens courant et le sens symbolique de « l’eau » provoquent le malentendu chez la femme samaritaine. Le malentendu contient des traits ironiques autour du thème de l’eau et dans les paroles de la femme. En tenant compte de ces procédés littéraires, le lecteur est guidé par le narrateur dans la compréhension du récit. Nous présentons ci-dessous quelques exemples sur les trois procédés littéraires johanniques.

    1. Le malentendu

Le malentendu se produit quand les interlocuteurs ont compris la parole de Jésus dans un sens qui n’est pas celui que Jésus veut exprimer. Ce procédé littéraire joue sur les termes à double sens, par exemple, « détruire et relever un sanctuaire de pierre » ou « détruire et relever un sanctuaire du corps » (2,19-20) ; « naître de nouveau » et « naître d’en haut » (3,3-7) ; « l’eau vive de la source » et « l’eau vive qu’offre Jésus » (4,10.13-14). Dans le récit, le sens véritable de la déclaration de Jésus échappe à la compréhension de l’interlocuteur. Ce dernier l’interprète selon l’expérience humaine tandis que Jésus vise le sens symbolique pour révéler les réalités du monde d’en haut. Les métaphores johanniques sont donc le langage de la révélation. Le procédé du malentendu joue un double rôle. D’abord, il permet à Jésus ou au narrateur de préciser le sens des mots utilisés. Ensuite, grâce au contexte ou à l’explication dans le récit, le lecteur parvient à saisir le véritable sens de la parole de Jésus. Le vrai sens à retenir est communiqué au lecteur soit par le narrateur (2,21), soit par Jésus lui-même (3,5), soit par le contenu du récit (4,10.13-14). Trois exemples ci-dessous (2,13-22 ; 3,3-7 ; 4,10-15) expliquent en détail le procédé littéraire du malentendu.

(1) Un malentendu venant des Juifs se produit dans la péricope 2,13-22. Quand Jésus a chassé de l’esplanade du Temple de Jérusalem les vendeurs des animaux et les changeurs de monnaie (2,14-15), les Juifs dit à Jésus : « Quel signe nous montres-tu pour agir ainsi ? » (2,18) Jésus leur répondit : « Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai » (2,19). Cette déclaration évoque un malentendu chez les Juifs. Ces derniers ont compris dans le sens de « détruire et relever » le sanctuaire de pierre qui est devant leurs yeux. Les Juifs interrogent Jésus sur un ton ironique : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèveras ? » Pour le lecteur, la deuxième partie de la parole de Jésus « en trois jours je le relèverai » (2,19) peut faire allusion à autre chose que la reconstruction du sanctuaire de pierre, mais le texte ne fournit pas encore des détails pour saisir le sens de la déclaration de Jésus. Dans le verset suivant (2,21), le narrateur montre au lecteur que la compréhension des Juifs n’est pas la bonne, puisque le narrateur s’adresse ainsi au lecteur et non aux Juifs : « Mais lui [Jésus] parlait du sanctuaire de son corps » (2,21).

Notons que dans le récit Jésus n’explique pas aux Juifs le véritable sens de sa parole. C’est le narrateur qui donne au lecteur la clé interprétative de la déclaration de Jésus. S’il s’agit du « sanctuaire de son corps » (2,21), le sens des verbes « détruire » et « relever » en 2,19 change complètement, à savoir, « être détruit » veut dire « être mis à mort » et « relever ce sanctuaire » veut dire « relever d’entre les morts » (cf. 2,22). Grâce à l’explication du narrateur le lecteur accède au véritable sens de la révélation de Jésus. Le récit vise donc le lecteur, le narrateur ne raconte pas la suite de l’échange entre Jésus et les Juifs. La question de ces derniers (2,20) reste en suspens. En tant que personnages du récit, les Juifs n’ont pas obtenu de réponse à leur question ni d’explication sur le sens de la parole de Jésus. Par contre, le lecteur a des éléments dans le récit pour accéder au véritable sens de la parole de Jésus.

(2) Le malentendu de Nicodème sur « la naissance de nouveau » en 3,4 permet à Jésus de préciser le sens de sa parole. Jésus dit à Nicodème en 3,3 : « En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître de nouveau (gennèthèi anôthen), nul ne peut voir le Royaume de Dieu. » Nicodème lui dit avec un ton sarcastique : « Comment un homme peut-il naître, étant vieux ? Peut-il une seconde fois entrer dans le sein de sa mère et naître ? » (3,4) Pour Nicodème, la réponse à cette question est évidemment négative. Jésus lui explique en 3,5 : « En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d’eau et d’Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu » (3,5) et lui dit encore en 3,7 : « Ne t’étonne pas, si je t’ai dit : Il vous faut naître d’en haut (gennèthènai anôthen). » Il est difficile voire impossible de traduire l’adverbe grec « anôthen » qui est à double sens : « de nouveau » et « d’en haut ». Nicodème a compris seulement le premier sens du terme « anôthen » : « de nouveau » selon la naissance physique. La précision de Jésus en 3,5 permet d’orienter l’expression de « gennaô anôthen » (naître de nouveau / naître d’en haut) vers le sens de « naître d’eau et d’Esprit ». Le malentendu de Nicodème dans le récit aide donc le lecteur dans sa recherche du véritable sens de la parole de Jésus. Notons que le jeu du mot grec « anôthen » dans le texte dévoile la limite de la traduction. Le même adverbe « anôthen » est rendu dans les versions : La Bible de Jérusalem, 2000 et La Bible, Traduction œcuménique, 2011 par deux termes différents : « de nouveau » en 3,3 et « d’en haut » en 3,7. En réalité, Jésus utilise un seul terme grec « anôthen » dans ces deux versets (3,3.7). La traduction du grec en français dans les versions citées (aussi dans d’autres langues) fait donc perdre la subtilité et l’ambiguïté dans le jeu de mot et le malentendu qui en découle.

(3) Le malentendu de la femme samaritaine en 4,5-15 a sa particularité. Jésus définit l’eau vive qu’il offre en 4,13-14, mais le malentendu chez la femme samaritaine persiste (4,15). Le dialogue sur le thème de l’eau prend fin en 4,15 quand la femme n’a pas encore compris ce que veut dire « l’eau vive » dont Jésus lui en parle. Dans le verset suivant (4,16), Jésus change de sujet en lui demandant : « Va, appelle ton mari et reviens ici. » Le narrateur laisse donc au lecteur de trouver la différence entre « l’eau vive d’une source » (l’eau courante) et « l’eau vive que Jésus offre ».

Le malentendu s’est produit quand Jésus en demandant à la femme à boire de l’eau qu’elle a (4,7) affirme qu’il peut lui donner « l’eau vive » (4,10b). La condition pour recevoir cette eau est la connaissance du « don de Dieu » et « celui qui a demandé à boire » (4,10a). La femme a compris que « l’eau vive » dont Jésus parle est l’eau du puits, elle lui demande donc avec un ton humoristique et ironique : « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond. D’où l’as-tu donc, l’eau vive ? » Cette question conduit Jésus à préciser la nature de « l’eau vive » en 4,13-14 : « 13 Quiconque boit de cette eau aura soif à nouveau ; 14 mais qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissant en vie éternelle. » C’est étonnant que la femme n’a pas compris cette parole, puisqu’elle dit à Jésus en 4,15 : « Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n’aie plus soif et ne vienne plus ici pour puiser. » Cependant, pour le lecteur, l’explication de Jésus en 4,13-14 est claire. Il est évident que « l’eau vive » que Jésus donne n’est pas « l’eau du puits » dans le sens courant du terme. Ainsi, le lecteur ne confond pas, comme le fait la samaritaine, entre « l’eau puisée du puits » (4,15), et « la source d’eau jaillissant en vie éternelle » (4,14). Le récit vise donc l’intelligence du lecteur, le contenu du texte a permis au lecteur d’accéder à une juste compréhension de la révélation de Jésus, tandis que le personnage dans le récit (la femme samaritaine) ne saisit pas encore le sens. L’incompréhension persistante de la samaritaine peut être perçue comme un procédé littéraire. Puisqu’elle n’a pas rien compris sur « l’eau vive », c’est le moment pour changer le sujet du dialogue. Jésus lui demande donc d’aller appeler son mari (4,16), mais elle ne part pas, la discussion continue jusqu’au verset 26 sur des sujets importants : le lieu d’adoration Dieu (4,20-24), le salut (4,23b) et les grandes figures de la tradition : les pères (4,20a), le prophète (4,19), le Messie (4,25-26).

En résumé, à travers le procédé littéraire du malentendu, le narrateur guide le lecteur dans l’interprétation des données du récit. Trois exemples plus haut montrent que, dès les premiers chapitres de l’Évangile, la révélation de Jésus s’oriente vers son l’Heure. L’Heure de sa mort sur la croix coïncide avec l’Heure de son élévation et sa glorification. Dès la réalisation de cette Heure (Jn 18–21), le corps de Jésus devient le sanctuaire (2,18-22) pour ses disciples. En croyant en Jésus, l’homme naît « de nouveau / d’en haut », c’est-à-dire, naît « d’eau et d’Esprit » (3,3-7) et reçoit le don de « l’eau vive » (4,10-14). Ainsi, le procédé du malentendu révèle au lecteur le sens symbolique des verbes : « détruire », « relever » et celui des expressions : naître « de nouveau / d’en haut » (anôthen), « l’eau vive ». Voir l’usage du procédé littéraire « le malentendu » dans les autres passages en 6,51-52 ; 7,33-36 ; 8,21-22.31-58.

    2. L’ironie

L’ironie découle d’une situation ou d’une parole dans le récit qui évoque l’humour, le sarcasme ou le paradoxe. L’ironie joue sur  un double niveau. D’une part, on peut noter les traits ironiques entre les personnages du récit, et d’autre part, il s’agit d’un mode de communication entre le narrateur et le lecteur, c’est-à-dire le narrateur communique au lecteur par le procédé d’ironie et ainsi lui indique le sens du récit. L’ironie johannique parcourt l’Évangile, en particulier, l’ironie dans les controverses entre Jésus et ses adversaires en Jn 8 et dans le récit de l’aveugle de naissance (Jn 9). À titre d’exemple, voici les traits ironiques chez quelques personnages : (1) Nicodème en 3,1-12, (2) Jésus et la femme samaritaine en 4,5-15, (3) les autorités juives, Pilate et Jésus dans la péricope 18,28–19,16a.

(1) L’ironie dans le dialogue entre Nicodème et Jésus en 3,1-12 se joue sur le thème de « savoir ». En effet, Nicodème montre sa connaissance en disant à Jésus en 3,2 : « Rabbi, nous le savons (oidamen), tu viens de la part de Dieu comme un Maître : personne ne peut faire les signes que tu fais, si Dieu n’est pas avec lui. » Cependant, à la fin du dialogue, Jésus lui dit en 3,10 : « Tu es Maître en Israël, et ces choses-là, tu ne les saisis pas (ou ginôskeis) ? » Le récit place Nicodème au côté du « non-savoir », et Jésus au côté du « savoir ». En effet, avant que Nicodème n’apparaisse dans le récit, le narrateur a noté en 2,25b que Jésus « connaissait (eginôsken) ce qu’il y avait dans l’homme ». Pour le lecteur, la prétention de connaître Jésus de la part de Nicodème est ironique. À travers cette ironie le narrateur invite son lecteur à découvrir en Jésus, le Révélateur et le Maître par excellence qui enseigne les choses de la terre (3,12a) et dévoile les choses du ciel (3,12b). Le lecteur est invité à ouvrir son esprit et son cœur pour entendre la parole de Jésus.

(2) Il existe un double trait ironique dans la rencontre de Jésus avec la femme samaritaine en 4,5-15. D’abord, l’ironie dans le fait que le narrateur réunit les deux figures opposées en un seul personnage : celui qui demande « l’eau à boire » est celui qui offre « l’eau vive ». Jésus dit à la femme : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : Donne-moi à boire, c’est toi qui l’aurais prié et il t’aurait donné de l’eau vive » (4,10). À travers ce contraste ironique, le lecteur saisit les deux sens de l’eau (physique et symbolique) et par ce procédé litteraire l’identité de Jésus commence à se dévoiler. Jésus est un vrai homme, il est fatigué par la marche jusqu’à midi (la sixième heure, cf. 4,6) et demande donc à la femme samaritaine à boire. En même temps, Jésus est l’envoyé de Dieu et il vient d’en haut, il peut offrir « une source d’eau jaillissant en vie éternelle » (4,14b). À travers l’image d’eau, le contraste entre l’humanité et la divinité de Jésus est mis en relief ; cette révélation est communiquée au lecteur par le procédé littéraire de l’ironie.

Le deuxième trait ironique se trouve dans la parole de la femme samaritaine. Elle pose à Jésus deux questions en 4,11-12. La première question est « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond. D’où l’as-tu donc, l’eau vive ? » (4,11), puis la seconde suit en 4,12 : « Serais-tu plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits et y a bu lui-même, ainsi que ses fils et ses bêtes ? » Pour elle, la réponse à ces deux questions est évidemment négative. Mais le lecteur sait qu’elle ne comprend pas la parole de Jésus en 4,10 et que c’est le contraire qu’il faut retenir, à savoir que l’eau vive que Jésus offre n’est pas l’eau du puits et Jésus est infiniment plus grand que le patriarche Jacob. C’est au lecteur de découvrir des traits ironiques dans le récit pour remarquer que la perception du personnage va dans la fausse direction, et c’est le sens contraire que le narrateur veut communiquer au lecteur.

(3) La péricope « Jésus devant Pilate » (18,28–19,16b) est saturée d’ironies et de contrastes. Les détails dans le récit contribuent à renverser la position et la déclaration des personnages. Les autorités juives, au matin (18,28b), manifestent leur respect de la Loi juive, elles n’entrent pas dans la résidence de Pilate « pour ne pas se souiller et pouvoir manger la Pâque » (18,28c), elles montrent donc leur fidélité au Seigneur, leur Dieu. Inversement, à midi (19,14), elles deviennent les fidèles de César en proclamant haut et fort : « Nous n’avons pas d’autre roi que César » (19,15). Les autorités juives ont donc quitté le monde juif pour se soumettre à la royauté de César, l’empereur romain. Quant à Pilate, en proclamant l’innocence de Jésus et en voulant le relâcher, c’est un païen qui se situe du côté de Jésus, de ce fait, il est placé dans le monde juif !

L’ironie johannique dans les dialogues entre Jésus et Pilate est bien construite. La relation entre Pilate et Jésus est celle entre le juge et l’accusé, entre celui qui a le pouvoir et celui qui est dépouillé, bafoué. La hiérarchie entre le juge (Pilate) et l’accusé (Jésus) est renversée au fur et à mesure dans le récit. Tout d’abord, Jésus se situe comme un interlocuteur au même niveau que Pilate. Jésus renvoie la responsabilité à Pilate sur sa parole en lui disant : « C’est toi qui dis que je suis roi » (18,37), et il ne répond pas à la question de Pilate en 19,9. Ainsi, au niveau du dialogue, Jésus n’est aucunement inférieur à Pilate. Ensuite, sur le plan psychique, il n’y a aucun signe de peur ou d’angoisse chez Jésus, l’accusé qui encourt la peine de mort. En revanche, Pilate, le juge dans cette affaire, est effrayé devant Jésus. En effet, quand les Juifs dit à Pilate : « Nous avons une Loi et d’après cette Loi il [Jésus] doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu » (19,7), le narrateur note : « Lorsque Pilate entendit cette parole, il fut encore plus effrayé » (19,8). Pilate a eu peur et maintenant, il est « plus effrayé » à cause de l’origine mystérieuse de Jésus. Pilate demande donc à Jésus : « D’où es-tu, toi ? » (19,9b) « Mais Jésus ne lui donna pas de réponse » (19,9c). Au fond, Pilate ne connaît pas qui est Jésus ; il a peur d’une disgrâce aux yeux de César. C’est pourquoi dans le récit Pilate ne juge pas Jésus ; il cède à la volonté des Juifs en livrant Jésus pour être crucifié (19,16a). Le rôle des personnages est totalement renversé, Jésus est présenté donc dans le récit comme le vrai juge.

En effet, de manière ironique, c’est l’accusé Jésus qui affiche au grand jour le péché de ses adversaires et celui du juge Pilate. Jésus dit à Pilate en 19,11 : « Celui qui m’a livré à toi porte un plus grand péché. » C’est-à-dire que tous les deux (les accusateurs et Pilate) ont péché, mais le péché des premiers est plus grand que celui du second. À travers ces traits ironiques, le texte aide le lecteur à discerner les réalités profondes des personnages dans le récit « Jésus devant Pilate » (18,28–19,16b) concernant le mensonge et la vérité, l’honnêteté et la malhonnêteté, le pouvoir et le non pouvoir. Dans la péricope 18,28–19,16b, le procédé littéraire d’ironie nuance le caractère dramatique de la mort de Jésus et à travers ce procédé, le narrateur communique au lecteur l’origine d’en haut de la royauté de Jésus : il manifeste l’autorité  d’un juge au moment où il n’a aucun pouvoir politique et religieux. En fait, c’est le moment le plus pertinent pour définir la royauté et le pouvoir de Jésus : son royaume n’est pas de ce monde (18,36a), mais il exerce son pouvoir de juge dans ce monde (19,11.13).

    3. Le langage symbolique

L’utilisation du langage symbolique est l’un des caractéristiques du quatrième Évangile. « Les réalités en haut » et « le don de la vie éternelle » sont présentés par des symboles et des métaphores bibliques. Le symbole se base sur le sens courant des réalités de ce monde pour exprimer des réalités du monde d’en haut. Avec des métaphores, Jésus enseigne et transmet aux interlocuteurs son message. Pour le narrateur, c’est à travers le langage symbolique dans le récit qu’il transmet à son lecteur le message de l’Évangile. Le narrateur invite le lecteur à dépasser le sens premier pour accéder à la révélation. La richesse de la symbolique johannique peut se regrouper en quatre points : (1) l’utilisation des images opposées, (2) les symboles dans l’expérience humaine, (3) Les images appliquées aux personnages, (4) les figures symboliques attribuées à Jésus.

(1) Le narrateur utilise souvent des images opposées, par exemple, « la lumière et les ténèbres » (1,4-5 ; 8,12) ; « le jour et la nuit » (9,5 ; 11,9-10) ; « la vie et la mort » (8,51 ; 11,26) ; « d’en haut et d’en bas » (8,23) ; « de ce monde et pas de ce monde » (8,23 ; 15,19 ; 17,14.16), cf. l’étude sur « le dualisme johannique ». Ces couples de termes contiennent des sens symboliques et théologiques.

(2) Les symboles s’enracinent dans l’expérience humaine, par exemple, les thèmes de l’eau (4,7-14 ; 7,37-39) et de la naissance (de nouveau, d’en haut, 3,5-12) ; les images du grain de blé jeté en terre (12,24), de l’apprentissage du fils dans l’atelier de son père (5,19-20a), de l’ami de l’époux (3,29), de la femme en couches (16,21), etc. Ces expériences humaines décrivent les réalités du monde d’en haut, la mission de Jésus et la situation des disciples.

(3) Les métaphores sont appliquées aux personnages dans le récit, par exemple, le Père de Jésus est le vigneron (15,1b). Les disciples de Jésus prennent la figure des sarments (15,2), des brebis (10,1-21) ; au moment du départ de Jésus, la détresse des disciples ressemble à la situation d’une femme en couches (16,21). Jean Baptiste définit sa relation avec Jésus par la métaphore « l’ami de l’époux » (3,29), etc.

(4) La plupart des figures symboliques est attribuée à Jésus, par exemple, pour Jean Baptiste, Jésus est l’époux (3,29). La mort de Jésus est renvoyée par l’image d’un grain de blé tombé en terre qui doit mourir pour porter beaucoup de fruit (12,24). En particulier, les six déclarations de Jésus en « Moi, je suis » (egô eimi) avec un attribut qui contient une dimension symbolique : « Moi, je suis » : « le pain de vie » (6,35.41.48.51), « la lumière du monde » (8,12, cf. 9,5; 12,46), « la résurrection et la vie » (11,25), « la porte des brebis » (10,7.9), « le bon pasteur » (10,11.14), « le Chemin, la Vérité et la Vie » (14,6), « la vigne véritable » (15,1.5). Ces symboles servent à dévoiler l’identité et la mission de Jésus, cf. l’étude sur « Je suis » dans l’Évangile de Jean.

Les symboles  johanniques sont le langage de la révélation. Ils suggèrent au lecteur d’aller plus loin dans leur compréhension. Au lieu de forcer ou d’imposer au lecteur par des formules d’abstraction théologique, les métaphores johanniques laissent au lecteur le travail de décoder les symboles grâce aux données dans le récit. Le procédé littéraire du symbolisme est donc un mode de communication silencieux entre le narrateur et lecteur. Nous présentons brièvement, à titre d’exemple, trois symboles johanniques : (1) la lumière, (2) l’eau et (3) le bon pasteur.

(1) Le symbole de la lumière (phôs) parcourt la première partie de l’Évangile (Jn 1–12). Le Logos dans le Prologue est identifié à la lumière : « Le Verbe était la lumière véritable, qui éclaire tout homme, venant dans le monde » (1,9). En 8,12, Jésus déclare : « Je suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie. » La vie est identifiée à la lumière dans le Prologue : « Ce qui fut en lui [Logos] était la vie, et la vie était la lumière des hommes » (1,4). Dans le sens métaphorique, le monde ne peut pas exister sans la lumière et la mission de Jésus est de donner aux hommes « la lumière de la vie » (8,12d). En croyant en lui, les hommes auront « la lumière » dans laquelle ils peuvent « vivre », « marcher », « travailler » selon le sens symbolique de ces verbes. Tout homme est invité à « marcher dans la lumière » qui est l’enseignement de Jésus (cf. 8,12) et à « ne pas demeurer dans les ténèbres » (12,46), c’est-à-dire de refuser de croire en Jésus.

(2) Le thème de l’eau (hudôr) apparaît pour la première fois dans la déclaration de Jean Baptiste : « Moi, je baptise dans l’eau » (1,26a) et pour la dernière fois sur la croix. Le narrateur relate en 19,34 : « L’un des soldats, de sa lance, lui [Jésus] perça le côté et il sortit aussitôt du sang et de l’eau. » Entre ces deux occurrences (1,26 ; 19,34) du terme hudôr (eau), il y a « l’eau devenue bon vin à Cana » (2,1-12), « la renaissance de l’eau et de l’esprit » (3,5), le don de « l’eau vive » (4,10 ; 7,37-38), « l’eau » des piscines Bethesda (5,1-9), Siloé (9,6-7), « l’eau » de purification dans le récit du lavement des pieds (13,1-15). Le symbole de l’eau dans le quatrième Évangile révèle l’identité de Jésus. En effet, ce dernier peut offrir « l’eau vive » au monde parce qu’il est « le sauveur du monde » (4,42). Jésus définit « l’eau vive » en disant à la femme samaritaine : « Qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissant en vie éternelle » (4,14). La mission de Jésus est d’offrir cette eau vive aux croyants. Le don de « l’eau vive » prend sa source dans le don de la vie de Jésus sur la croix (cf. 7,37-39 ; 19,34).

(3) La figure du bon Pasteur (ho poimèn ho kalos) n’apparaît  qu’en Jn 10, mais ce symbole est important dans la théologie johannique. Jésus est l’unique bon Pasteur parce qu’il a dit en 10,8 : « Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands. » L’identité du bon Pasteur se manifeste dans son pouvoir de « déposer sa vie pour ses brebis et la reprendre » (10,18). La mission du bon Pasteur est double : donner la vie en surabondance à ses brebis (10,10) et rassember d’autres brebis d’autres enclos pour les faire devenir « un seul troupeau, un seul pasteur » (10,16). Les brebis dans le récit symbolisent les disciples de Jésus. En suivant le bon Pasteur et en écoutant sa voix, les disciples sont protégés, guidés, nourris selon le sens symbolique, théologique et spirituel de ces termes.

La métaphore « des brebis » revient à la fin de l’Évangile quand Jésus confie à Simon-Pierre la mission de faire paître son troupeau (21,15-17). Le récit de 21,15-17 insiste sur le fait que Jésus est toujours l’unique bon Pasteur puisque le troupeau appartient à lui et non à Simon-Pierre. Jésus dit à Simon-Pierre à trois reprises : « sois le pasteur de mes brebis » (21,16c), « fais paître mes agneaux » (21,15c) et « fais paître mes brebis » (21,17d). Simon-Pierre est donc le pasteur qui fait paître les agneaux et les brebis de Jésus. Selon la théologie johannique, la crédibilité de la charge de pasteur de Simon-Pierre repose sur son amour pour Jésus qui est l’unique bon Pasteur du troupeau.

III. Conclusion

En comparant le texte de l’Évangile de Jean et celui des Synoptiques, nous avons présenté deux points communs : (1) le genre littéraire de l’Évangile et (2) certains récits en parallèle. Ces ressemblances montrent qu’il existe une tradition commune aux quatre Évangiles. Ensuite, nous avons indiqué cinq points différents concernant (1) les récits propres du quatrième Évangile, (2) le vocabulaire, (3) la topographie, (4) le style grec et (5) les thèmes traités dans l’Évangile. Ces particularités prouvent que la rédaction du quatrième Évangile s’appuie sur trois éléments principaux : la tradition commune aux quatre Évangiles, la tradition de la communauté johannique et la contribution de l’école johannique. Le narrateur offre donc au lecteur un récit original sur la vie de Jésus de Nazareth tant sur la forme que sur le fond. En limitant notre étude sur le texte du quatrième Évangile à son état final, nous n’entrons pas dans le débat sur la question de l’indépendance et de la dépendance entre l’Évangile de Jean et les Synoptiques. Ce sujet appartient à la recherche de la genèse du texte et non au sens du récit à l’état final.

Pour transmettre son message, le narrateur utilise souvent trois procédés littéraires (le malentendu, l’ironie et le langage symbolique) dans son Évangile. Nous trouvons ces procédés littéraires à travers des rencontres (avec Nicodème, la femme samaritaine), des discussions (avec les Juifs, les Pharisiens), des dialogues (avec les disciples, Pilate). Le narrateur élabore les procédés littéraires par la manière de raconter le récit et par l’utilisation des termes à double sens (le sens général et le sens symbolique). Ces procédés littéraires sont les techniques de communications entre le narrateur et le lecteur. C’est donc au lecteur de découvrir ces techniques littéraires pour saisir le message du texte. Par exemple, le malentendu de la femme samaritaine en 4,5-15 fait comprendre au lecteur la différence entre « l’eau de la source » et « l’eau vive » qu’offre Jésus. L’ironie sur la royauté de Jésus dans la péricope « Jésus devant Pilate » (18,28–19,16a) veut communiquer au lecteur que Jésus est le vrai roi et il exerce son rôle de juge. Le narrateur laisse au lecteur le soin d’interpréter d'une façon symbolique les besoins vitaux de ce monde, comme l’eau, le pain, la lumière, les ténèbres, etc. La clé interprétative du sens symbolique se trouve dans les détails du récit. Ainsi, par les procédés littéraires du malentendu, de l’ironie et du langage symbolique, le narrateur transmet au lecteur les révélations concernant la mission de Jésus en faveur de l’humanité./.

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