27/05/2017

Les thèmes « voir » et « entendre » dans l’Évangile selon Jean



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Le 27 mai 2017.

Contenu

I. Introduction
II. Les verbes « voir » et « entendre » dans l’Évangile
     1. Le thème « voir »
          a) Le verbe theaomai (6 f.)
          b) Le verbe theôreô (24 f.)
          c) Les verbes blepô (17 f.), emblepô (2 f.), anablepô (4 f.)
          d) Le verbe horaô (86 f.)
     2. Le thème « entendre » (akouô)
III. Conclusion



 I. Introduction

Bien qu’il y ait eu plusieurs travaux exégétiques sur le « voir » johannique, ce thème dans l’Évangile de Jean reste énigmatique. En effet, d’une part, Jésus affirme devant la foule en 6,46 : « Non que personne ait vu le Père, sinon celui qui vient d’auprès de Dieu : celui-là a vu le Père », (les citations sont tirées de la Bible de Jérusalem, 2000), et d’autre part, il dit aux disciples en 14,9b : « Qui m’a vu a vu le Père. » Y a-t-il cohérence, continuité ou contradiction entre ces affirmations ? En particulier, Jésus annonce un renversement opéré par lui-même entre « la vue » et « l’aveuglement » quand il déclare en 9,39 : « C’est pour un discernement que je suis venu en ce monde : pour que ceux qui ne voient pas voient et que ceux qui voient deviennent aveugles. » Il ne s’agit plus du « voir » physique.

Le narrateur souligne l’importance des thèmes de « voir » et d’« entendre » dès le début de l’Évangile. Il affirme dans le Prologue : « Et le Verbe s’est fait chair et il a campé parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire » (1,14a). Jean Baptiste parle de Jésus en 3,31c-32a : « 31c Celui qui vient du ciel 32a témoigne de ce qu’il a vu et de ce qu’il a entendu. » Jésus est donc un témoin oculaire et auriculaire. Les signes (l’objet du « voir ») que ce dernier a faits prennent toute leur importance dans la conclusion de l’évangile (cf. 20,30-31).

En même temps, l’insuffisance et l’inefficacité de « voir » et d’« entendre » des auditeurs apparaissent dès le début de la mission de Jésus. Le narrateur remarque en 2,23-24 : « 23 Comme il était à Jérusalem durant la fête de la Pâque, beaucoup crurent en son nom, à la vue des signes qu’il faisait. 24 Mais Jésus, lui, ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous. » Au ch. 6, après le signe de la multiplication des pains et des poissons, Jésus dit à la foule en 6,36 : « Vous me voyez et vous ne croyez pas. » À la fin de la mission de Jésus, il semble que les signes qu’il opère servent à peu de choses, puisque le narrateur raconte en 12,37 : « Bien qu’il eût fait tant de signes devant eux, ils ne croyaient pas en lui. »

Il existe une incapacité de « voir » et d’« entendre » dans l’Évangile. Jésus accuse les Juifs qui cherchent à le faire périr (cf. 5,18) en 5,37-38 : « 37 Et le Père qui m’a envoyé, lui, m’a rendu témoignage. Vous n’avez jamais entendu sa voix, vous n’avez jamais vu sa face, 38 et sa parole, vous ne l’avez pas à demeure en vous, puisque vous ne croyez pas celui qu’il a envoyé. » En 8,43, Jésus leur dit : « Pourquoi ne reconnaissez-vous pas mon langage ? C’est que vous ne pouvez pas entendre ma parole. » Quant aux Pharisiens, ils sont incapables de « voir », alors même qu’ils affirment qu’ils voient ! Jésus leur dit en 9,41 : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais vous dites : Nous voyons ! Votre péché demeure. »

Il existe donc plusieurs nuances de sens des thèmes « voir » et « entendre ». Dans cet article, nous observons l’utilisation des termes liés aux thèmes « voir » et « entendre » dans le quatrième Évangile.

II. Les verbes « voir » et « entendre » dans l’Évangile

Nous regardons d’abord (1) les verbes de vision dans l’Évangile, et ensuite (2) le thème « entendre ».

     1. Le thème « voir »

Le narrateur utilise quatre verbes grecs pour exprimer la vue (pas de substantif) : (a) theaomai (6 f.), (b) theôreô (24 f.), (c) blepô (17 f.) avec les deux verbes de même racine : emblepô (2 f.) et anablepô (4 f.), (d) horaô (86 f.).

          a) Le verbe theaomai (6 f.)

Le verbe theaomai (voir, regarder, contempler, admirer) apparaît en 6 occurrences en 1,14.32.38 ; 4,35 ; 6,5 ; 11,45. Ce verbe a une portée à la fois théologique (1,14.32), symbolique (4,35) et physique (1,38 ; 6,5). En effet, pour le sens théologique, le narrateur affirme dans le Prologue de son Évangile en 1,14a : « Et le Verbe s’est fait chair et il a campé parmi nous, et nous avons contemplé (ethasametha) sa gloire. » En 1,32, le verbe décrit la vision de Jean Baptiste. Le narrateur rapporte le témoignage de Jean ainsi : « Et Jean rendit témoignage en disant : « J’ai vu (tetheamai) l’Esprit descendre, tel une colombe venant du ciel, et demeurer sur lui. » (1,32). Jésus utilise le verbe theaomai au sens symbolique quand il dit aux disciples en 4,35 : « Ne dites-vous pas : Encore quatre mois et vient la moisson ? Eh bien ! je vous dis : Levez les yeux et regardez (theasasthe) les champs, ils sont blancs pour la moisson. » Il ne s’agit pas de regarder les champs au sens matériel du terme mais d’orienter le regard vers les Samaritains de la ville de Sychar qui sont en train de venir vers Jésus (cf. 4,30). Leur foi (4,39-42a) et leur reconnaissance que Jésus est le sauveur du monde (4,42b) expriment une moisson symbolique.

Deux fois le verbe theaomai décrit la vue physique de Jésus. En 1,38, Jésus voit que les deux disciples de Jean le suivent. Le narrateur rapporte la rencontre entre Jésus et les deux disciples de Jean en 1,38a : « Jésus se retourna et, voyant (theasamenos) qu’ils le suivaient, leur dit : “Que cherchez-vous ?” ». Après cette rencontre, ils deviennent les deux premiers disciples de Jésus (cf. 1,40-41). En 6,5, Jésus voit qu’une grande foule vient à lui. Le narrateur relate en 6,5 : « Levant alors les yeux et voyant (theasamenos) qu’une grande foule venait à lui, Jésus dit à Philippe : “D’où procurerons-nous des pains pour que mangent ces gens ?” » La vue physique de Jésus en 1,38a et 6,5a, dans son contexte, manifeste son autorité et son identité : il est le Messie (cf. 1,41b) et il a le pouvoir de nourrir environ cinq mille hommes à partir de cinq pains d’orge et deux poissons (cf. 6,9-11). En 11,45, le verbe theaomai exprime la vue physique qui conduit à la foi. En effet, après que Jésus a rendu la vie à Lazare (11,43-44), le narrateur raconte en 11,45 : « Beaucoup d’entre les Juifs qui étaient venus auprès de Marie et avaient vu (theasamenoi) ce qu’il [Jésus] avait fait, crurent en lui. »

En résumé, selon le contexte, le verbe theaomai peut avoir  le sens physique, symbolique ou théologique. Toutes ces nuances de sens servent à transmettre le message de l’Évangile.

          b) Le verbe theôreô (24 f.)

Le verbe theôreô (voir, contempler) apparaît en 24 occurrences en 2,23 ; 4,19 ; 6,2.19.40.62 ; 7,3 ; 8,51 ; 9,8 ; 10,12 ; 12,19.45a.45b ; 14,17.19a.19b ; 16,10.16.17.19 ; 17,24 ; 20,6.12.14. Le sens de ce verbe, dans son contexte, peut être classé en quatre catégories : (1) la vue insuffisante, 1 f. : 2,23 ; (2) la perception : « vous voyez que… », 1 f. : 12,19 ; (3) la vue physique, 14 f. : 6,2 ; 6,19 ; 7,3 ; 9,8 ; 10,12 ; 14,19a.19b ; 16,10.16.17.19 ; 20,6.12.14 ; (4) la vue théologique, 8 f. : 4,19 ; 6,40 ; 6,62 ; 8,51 ; 12,45a.45b ; 14,17 ; 17,24.

(1) La première occurrence du verbe theôreô en 2,23 décrit une vue insuffisante. Le narrateur raconte en 2,23-24 : « 23 Comme il [Jésus] était à Jérusalem durant la fête de la Pâque, beaucoup crurent en son nom, à la vue (theôrountes) des signes qu’il faisait. 24 Mais Jésus, lui, ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous. » Cette manière de voir (theôreô) les signes est imparfaite, elle a besoin d’être approfondie.

(2) Une occurrence du verbe theôreô exprime la perception en 12,19. À la fin de la mission de Jésus, le narrateur rapporte une parole des Pharisiens confirmant la réussite de Jésus en 12,19 : « Alors les Pharisiens se dirent entre eux : “Vous voyez (theôrete) que vous ne gagnez rien ; voilà le monde parti après lui !” » Le verbe theôreô a le sens de la perception.

(3) Le verbe theôreô décrivant la vue physique (14 f.) est employé soit par le narrateur quand il raconte en 6,2 : « Une grande foule le suivait, à la vue (etheôroun) des signes qu’il [Jésus] opérait sur les malades » (voir aussi 6,19 ; 9,8 ; 20,6.12.14) ; soit par les frères de Jésus quand ils lui dit en 7,3 : « Passe d’ici en Judée, que tes disciples aussi voient (theôrèsousin) les œuvres que tu fais » ; soit par Jésus dans sa parole adressée aux Pharisiens en 10,12 : « Le mercenaire, qui n’est pas le pasteur et à qui n’appartiennent pas les brebis, voit-il (theôrei) venir le loup, il laisse les brebis et s’enfuit, et le loup s’en empare et les disperse. » (Voir les paroles de Jésus 16,10.16.17.19). La deuxième fois du verbe theôreô en 14,19 renvoie à la fois à la vue physique et la vue théologique, puisque que la vue des disciples est liée à la vie de Jésus ressuscité. Jésus leur dit : « Encore un peu de temps et le monde ne me verra (theôrei) plus. Mais vous, vous verrez (theôreite) que je vis et vous aussi, vous vivrez. »

(4) Il y a 8 occurrences (ci-dessus) du verbe theôreô lequel exprime la vue théologique ou la perception spirituelle. Par exemple, après un bref échange entre Jésus et la femme samaritaine sur le thème du mari de cette dernière, elle exprime sa découverte sur l’identité de Jésus et s’engage dans une discussion théologique. Elle lui dit en 4,19-20 : « 19 Seigneur, je vois (theôrô) que tu es un prophète… 20 Nos pères ont adoré sur cette montagne et vous, vous dites : C’est à Jérusalem qu’est le lieu où il faut adorer. » Le verbe theôreô a le sens théologique, quand Jésus révèle à la foule en 6,40 : « Oui, telle est la volonté de mon Père, que quiconque voit (ho theôrôn) le Fils et croit en lui ait la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour. » Il s’agit d’un voir authentique et parfait lié à « croire » et à « avoir la vie éternelle ». En 8,51, Jésus révèle aux Juifs : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si quelqu’un garde ma parole, il ne verra (ou mè theôrèsèi) jamais la mort. » Jésus déclare en 12,45 : « Qui me voit (theôrôn) voit (theôrei) celui qui m’a envoyé. » Ces deux fois le verbe theôreô (12,45a.45b) revêt un sens théologique profond. En 17,24, le verbe theôreô a le sens de « contempler ». Jésus dit à son Père en présence de ses disciples en 17,24 : « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, afin qu’ils contemplent (theôrôsin) ma gloire, que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde. »

En résumé, l’utilisation du verbe theôreô montre la diversité du sens de ce verbe dans son contexte. Il est donc nécessaire de placer chaque occurrence dans son contexte pour saisir son sens.

          c) Les verbes blepô (17 f.), emblepô (2 f.), anablepô (4 f.)

Le verbe blepô (voir, regarder, apercevoir) apparaît en 17 occurrences en 1,29 ; 5,19 ; 9,7.15.19.21.25.39a.39b.39c.41 ; 11,9 ; 13,22 ; 20,1.5 ; 21,9.20 ; le verbe emblepô (regarder, fixer le regard sur), 2 fois dans la péricope 1,35-51 (1,36.42) ; et le verbe anablepô (recouvrir la vue) 4 fois dans le ch. 9 (9,11.15.18a.18b).

Dans les 17 occurrences, 11 fois le verbe blepô décrit le plus souvent une vue physique : 1,29 ; 9,7.15.19.21.25 ; 13,22 ; 20,1.5 ; 21,9.20. Les quatres occurrences de blepô dans la conclusion du signe de rendre la vue à l’aveugle-né (9,1-41) en 9,39a.39b.39c.41 ont le sens théologique. Le même verbe en 5,19 exprime la réalité divine, et en 11,9 il a le sens symbolique.

Nous présentons l’utilisation du verbe blepô dans l’Évangile en trois points : (1) blepô dans le ch. 9 en lien avec le verbe anablepô ; (2) blepô en 5,19 et 11,9 ; et (3) le verbe emblepô en 1,36.42.

(1) Dans le ch. 9, le verbe blepô employé a d’abord le sens physique (9,7.15.19.21.25) et ensuite le sens théologique dans la conclusion du ch. 9 (9,39a.39b.39c.41). Le narrateur raconte la guérison de l’aveugle-né en 9,6-7 : « 6 Ayant dit cela, il [Jésus] cracha à terre, fit de la boue avec sa salive, enduisit avec cette boue les yeux de l’aveugle 7 et lui dit : “Va te laver à la piscine de Siloé” – ce qui veut dire : Envoyé. L’aveugle s’en alla donc, il se lava et revint en voyant clair (blepôn). » En 9,15b, le narrateur rapporte : « À leur tour les Pharisiens lui demandèrent comment il avait recouvré la vue (aneblepsen). Il leur dit : “Il m’a appliqué de la boue sur les yeux, je me suis lavé et je vois (blepô).” Dans ce verset le verbe anablepô  est employé dans le sens de « recouvrir la vue » physique. L’ancien aveugle-né emploie le verbe anablepô pour décrire sa guérison à ses voisins en 9,11 : « L’homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue, il m’en a enduit les yeux et m’a dit : Va-t’en à Siloé et lave-toi. Alors je suis parti, je me suis lavé et j’ai recouvré la vue (aneblepsa). » Les quatre occurrences du verbe anablepô en 9,11.15.18a.18b ont l’ancien aveugle-né pour sujet.

Trois occurrences du verbe blepô en 9,39a.39b.39c ont le sens théologique. Jésus déclare devant l’ancien aveugle-né qui vient de proclamer sa foi en lui (cf. 9,38) et les Pharisiens qui ne croient pas en lui en 9,39 : « C’est pour un discernement que je suis venu en ce monde : pour que ceux qui ne voient pas (hoi mè blepontes) voient (blepôsin) et que ceux qui voient (hoi blepontes) deviennent aveugles. » En particulier, le verbe blepô  dans la réponse de Jésus aux Pharisiens en 4,41 a le sens spirituel puisque la vue est liée au péché. Jésus leur dit : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais vous dites : Nous voyons (blepomen) ! Votre péché demeure. » (4,41)

(2) Le verbe blepô en en 5,19 et 11,9 possède le sens théologique. Jésus parle aux Juifs de son autorité, de ses actes et de son enseignement en 5,19 : « En vérité, en vérité, je vous le dis, le Fils ne peut rien faire de lui-même, qu’il ne le voie (blepèi) faire au Père ; ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement. » Jésus exprime donc la réalité divine et l’unité d’action entre lui et son Père en employant le verbe blepô.

Le sens symbolique de blepô se trouve dans la déclaration de Jésus adressée aux disciples en 11,9 : « N’y a-t-il pas douze heures de jour ? Si quelqu’un marche le jour, il ne bute pas, parce qu’il voit (blepei) la lumière de ce monde. » Le verbe blepô dans cette phrase a le sens symbolique et christologique. Au sens physique du terme, l’œil humain ne voit pas la lumière elle-même, mais ne voit que les objets éclairés par la lumière. Cependant, selon la théologie johannique, Jésus est la lumière du monde (cf. 8,12 ; 9,5 ; 12,46), « voir Jésus » est donc « voir la lumière ». Cette manière de voir est indissociable de la reconnaissance que Jésus est la lumière du monde et de la profession de foi en lui. Autrement dit, les auditeurs de Jésus qui ne croient pas en lui ne voient pas la lumière.

(3) Le verbe emblepô n’apparaît qu’en 2 occurrences (1,36.42), dans la péricope 1,35-51 (les premiers disciples de Jésus). Ce verbe exprime un regard attentif sur un sujet. Dans l’Évangile de Jean, ce verbe décrit une vision théologique. Ainsi le regard attentif de Jean Baptiste sur Jésus est suivi par une déclaration christologique. Le narrateur relate en 1,35-36 : « 35 Le lendemain, Jean se tenait là, de nouveau, avec deux de ses disciples. 36 Regardant (emblepsas) Jésus qui passait, il dit : “Voici l’agneau de Dieu.” » Un peu plus loin, en 1,42, Jésus fixe son regard sur Simon et lui donne un nouveau nom. En effet, quand André amène son frère Simon à Jésus, ce dernier « le regarda (emblepsas) et dit : “Tu es Simon, le fils de Jean ; tu t’appelleras Céphas” – ce qui veut dire Pierre. »

En résumé, les trois verbes : blepô (17 f.), emblepô (2 f.), anablepô (4 f.) décrivent souvent la vue physique. Dans certaines occurrences, le verbe blepô exprime la vue spirituelle (9,41), la vue avec la foi (11,9) ou la réalité divine (5,19).

          d) Le verbe horaô (86 f.)

Le verbe « horaô » (voir), 86 fois dans l’Évangile, est beaucoup plus employé par rapport aux autres verbes de vision : theôreô (24 f.), blepô (17 f.), theaomai (6 f.), anablepô (4 f.), emblepô (2 f.). Les 86 occurrences du verbe horaô sont distribuées comme suit :

-  Ch. 1–4 (23 f.) : 1,18.29.33.34.36.39a.39b.46.47a.47b.48.50a.50b.51 ; 3,3.11.26.32.36 ; 4,29.35.45.48.
-  Ch. 5–8 (17 f.) : 5,6.14.37 ; 6,14.22.24.26.30.36.46a.46b ; 7,26.52 ; 8,38.56a.56b.57.
-  Ch. 9–12 (15 f.) : 9,1.37 ; 11,3.31.32.33.34.36.40 ;  12,9.15.19.21.40.41.
-  Ch. 13–17 (10 f.) : 14,7.9a.9b ; 15,24 ; 16,16.17.19.22.29.32.
-  Ch. 18–21 (21 f.) : 18,21.26 ; 19,4.5.6.14.26a.26b.27.33.35.37 ;  20,8.18.20.25a.25b.27.29a.29b ; 21,21.

Le verbe horaô n’est pas employé dans les chapitres : 2 ; 10 ; 13 ; 17. Ce même verbe apparaît dans une seule occurrence, dans les chapitres : 15 ; 21 ; et deux occurrences dans les chapitres : 7 ; 9 ; 18. Le plus grand nombre d’occurrences sont dans les chapitres : ch. 1 (14 f.) ; ch. 19 (10 f.) ; ch. 6 (8 f.) ; ch. 20 (8 f.). Le sens du verbe dans les 86 occurrences peut être classé dans l’une des six catégories :

(1) L’interjection « ide » et « idou » (voici, voilà, voyez), 19 f. Le verbe horaô conjugué à l’impératif aoriste, à la deuxième personne du singulier, au mode actif : « ide » ou au mode moyen « idou », peut être utilisé comme interjection. Les 15 occurrences d’« ide » sont traduites selon le contexte comme suit : « voici » (ide), 6 f. : 1,29.36.47b ; 19,14.26b.27 ; « voilà » (ide), 6 f. : 3,26 ; 5,14 ; 7,26 ; 12,19 ; 16,29 ; 18,21 ; « voyez » (ide), 2 f. : 11,36 ; 19,4. En 11,3, « ide » est sous-entendu : « Les deux sœurs envoyèrent donc dire à Jésus : “Seigneur, celui que tu aimes (ide hon phileis) est malade.” » Les 4 occurrences  de l’interjection « idou » se trouvent en 4,35 (« Eh bien ! ») ; 12,15; 16,32 ; 19,5 (« voici »).

(2) La vue physique, 27 f. : 4,48 ; 5,6 ; 6,14.22.24.30 ; 8,57 ; 9,1 ; 11,31.32.33.34 ; 12,9 ; 15,24 ; 16,16.17.19.22 ; 18,26 ; 19,6.26a.33 ; 20,25b.27.29a.29b ; 21,21.

(3) La vue théologique, 22 f. : 1,18 ; 1,33.34 ; 1,48.50a.50b.51 ; 3,3.11.32 ; 5,37 ; 6,26.46a.46b ; 8,38.56a.56b ; 12,40.41 ; 14,7.9a.9b.

(4) La vue physique renvoie à la vue spirituelle, 14 f. : 1,39a.39b.46.47a ; 4,29.45 ; 6,36 ; 9,37 ; 12,21 ; 19,35.37 ; 20,18.20.25a.

(5) La vue avec la foi, 3 f. : 3,36 ; 11,40 ; 20,8.

(6) La vue perceptive, 1 f. : 7,52.

Le classement ci-dessus n’est qu’approximatif puisque dans certaines occurrences, le sens du verbe déborde son classement. Il est donc indispensable de tenir compte des aspects suivants : (a) pour les hommes, la vue théologique implique aussi la vue de la foi (cf. 6,26). (b) Il peut avoir une sous-catégorie de la vue théologique, par exemple « la vue mystérieuse de Jésus » en 1,48.50a (Jésus a vu Nathanaël sous le figuier). (c) Jésus parle du « voir » (horaô) au sens théologique (8,56a.56b) mais les Juifs l’ont compris au sens de la vue physique (8,57).

La plupart de 86 occurrences du verbe « horaô » décrit une vision plus profonde que la vue physique. Nous pouvons regrouper dans ce groupe : « la vue théologique » (22 f.) ; « la vue physique renvoie à la vue spirituelle » (14 f.) ; « la vue avec la foi » (3 f.) ; au total 39 occurrences. Voici quelques illustrations de ces trois catégories : (1) D’abord, l’importance des 22 occurrences du verbe horaô utilisé pour exprimer la vue théologique, représente des révélations importantes. Par exemple, Jésus révèle à la foule en 6,46 : « Non que personne ait vu (eôraken) le Père, sinon celui qui vient d’auprès de Dieu : celui-là a vu (eôraken) le Père. » Cependant les croyants peuvent voir le Père en Jésus, comme ce dernier le dit à ses disciples en 14,9b : « Qui m’a vu (ho heôrakôs) a vu (eôraken) le Père ». Le verbe « horaô » décrit le monde de Dieu quand Jésus dit à Nicodème en 3,31c-32a : « 31c Celui qui vient du ciel 32a témoigne de ce qu’il a vu (ho heôraken) et entendu. » (2) Ensuite, le sens physique renvoie à la vue spirituel en 4,29 : « Venez voir (idete) un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ ? », dit la femme samaritaine aux gens de la ville de Sychar. C’est une invitation à venir voir Jésus physiquement et aussi à découvrir son identité divine, c'est un « voir » qui les conduit au « croire en Jésus » (cf. 4,39-42). (3) Enfin, la vue avec la foi se trouve dans la parole de Jésus adressée à Marthe en 11,40 : « Ne t’ai-je pas dit que si tu crois, tu verras (opsèi) la gloire de Dieu ? » Ou encore, le narrateur décrit la vision et la foi du disciple que Jésus aimait devant le tombeau vide en 20,8b : « Il vit (eiden) et il crut. »

Dans le classement en six catégories plus haut, 27 occurrences du verbe horaô expriment la vue physique. Le narrateur rapporte ce qui se passe chez Marthe et Marie après la mort de leur frère Lazare en 11,31 : « Quand les Juifs qui étaient avec Marie dans la maison et la consolaient la virent (idontes) se lever bien vite et sortir, ils la suivirent, pensant qu’elle allait au tombeau pour y pleurer. » Et après la sortie de  Lazare du tombeau (cf. 11,43-44), la foule voudrait le voir, comme raconte le narrateur en 12,9 : « La grande foule des Juifs apprit qu’il était là et ils vinrent, pas seulement pour Jésus, mais aussi pour voir (idôsin) Lazare, qu’il avait ressuscité d’entre les morts. »

Dans certain contexte, le verbe « horaô » désigne un « voir » imparfait. Par exemple, la réaction myopique de la foule en 6,14 après avoir vu le signe de la multiplication des pains ; le narrateur relate ainsi en 6,14-15 : « 14 À la vue (idontes) du signe qu’il [Jésus] venait de faire, les gens disaient : “C’est vraiment lui le prophète qui doit venir dans le monde.” 15 Alors Jésus, sachant qu’ils allaient venir s’emparer de lui pour le faire roi, s’enfuit à nouveau dans la montagne, tout seul. » Plus tard, Jésus dévoile l’intention de la foule en 6,26 : « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous me cherchez, non pas parce que vous avez vu (eidete) des signes, mais parce que vous avez mangé du pain et avez été rassasiés. »

En résumé, comme les autres verbes de vision dans l’Évangile, c’est le contexte qui détermine le sens du verbe horaô. En tous cas, la richesse du sens et le grand nombre d’occurrences de ce verbe (86 f.) montrent que horaô est l’un des termes clés de la théologie johannique.

     2. Le thème « entendre » (akouô)

Le verbe « akouô » (entendre, écouter, apprendre) est le seul verbe employé dans l’Évangile pour le thème « entendre », tandis que six verbes sont utilisés pour le thème « voir » (cf. ci-dessus). Le verbe akouô apparaît en 59 occurrences et se concentre dans les chapitres 1–12 (50 f.). Ces 59 occurrences sont distribuées comme suit :

Ch. 1–4 (8 f.) : 1,37.40 ; 3,8.29.32 ; 4,1.42.47.
- Ch. 5–8 (19 f.) : 5,24.25a.25b.28.30.37 ; 6,45.60a.60b ; 7,32.40.51 ; 8,9.26.38.40.43.47a.47b.
- Ch. 9–12 (23 f.) : 9,27a.27b.31a.31b.32.35.40 ; 10,3.8.16.20.27 ; 11,4.6.20.29.41.42 ; 12,12.18.29.34.47.
- Ch. 13–17 (4 f.) : 14,24.28 ; 15,15 ; 16,13.
- Ch. 18–21 (5 f.) : 18,21.37 ; 19,8.13 ; 21,7.

Dans la langue française, il y a une nuance entre « entendre » et « écouter ». « Entendre » signifie percevoir par le sens de l’ouïe, tandis qu’« écouter » signifie diriger son attention vers, accueillir avec faveur (ce que dit quelqu’un), jusqu’à donner son adhésion, sa confiance. Dans l’Évangile de Jean, un seul verbe akouô décrit l’action d’« entendre », d’« écouter » ou d’« apprendre une nouvelle » selon le contexte. La traduction en français de la Bible de Jérusalem emploie le terme le plus adapté au contexte (cf. les citations ci-dessous). Selon le sens théologique de l’Évangile, « entendre » implique une écoute attentive pour comprendre correctement la parole de Jésus ou le message du récit.

Le verbe akouô (59 f.) peut être classé en trois groupes ci-dessous. La référence suivie par le signe (-) indique son sens négatif (ne pas, ou ne pas pouvoir écouter).

(1) Entendre (akouô) signifie apprendre une nouvelle, 14 f. :
4,1.47 ; 9,35 ; 7,32 ; 11,4.6.20.29 ; 12,12.18.34 ; 19,8.13 ; 21,7.

(2) Entendre (akouô) pour les hommes, 35 f., avec cinq sous-catégories :
a) Les hommes entendent Jésus, le Fils, l’époux, le portier, le pasteur (sa parole, sa voix), 22 f. : 3,29 ; 4,42 ; 5,24.25a.25b.28 ; 6,60a ; 6,60b (-) ; 7,40 ; 8,9 ; 8,43 (-) ; 9,40 ; 10,3 ; 10,8 (-) ; 10,16 ; 10,20 (-) ; 10,27 ; 12,47 ; 14,24.28 ; 18,21.37.
b) Les hommes entendent Dieu, le Père (sa parole, sa voix), 5 f. : 5,37 (-) ; 6,45 ; 8,47a.47b ; 12,29.
c) Les hommes s’entendent, 6 f. : 1,37.40 ; 7,51 ; 9,27a.27b.32.
d) Entendre la voix du vent, 1 f. : 3,8.
e) Entendre votre père, le diable, 1 f. : 8,38.

(3) Entendre (akouô) pour Dieu, pour Jésus et pour le Paraclet, 10 f., avec quatre sous-catégories :
a) Dieu écoute les hommes, 2 f. : 9,31a (-) ; 9,31b.
b) Le Père écoute Jésus, 2 f. : 11,41.42.
c) Jésus entend Dieu, le Père, 5 f. : 3,32 ; 5,30 ; 8,26.40 ; 15,15.
d) Le Paraclet, l’Esprit de Vérité, entend, 1 f. : 16,13.

Voici quelques illustrations pour chaque groupe :

(1) Pour le premier groupe, plusieurs traductions de ce verbe sont possibles. La Bible de Jérusalem (BiJér), 2000, traduit souvent le verbe akouô par « apprendre ». Par exemple, le narrateur raconte en 4,47 : « Apprenant (akousas) que Jésus était arrivé de Judée en Galilée, il [le fonctionnaire royal] s’en vint le trouver et il le priait de descendre guérir son fils, car il allait mourir. » La BiJér paraphrase en 7,32a : « Ces rumeurs de la foule à son sujet parvinrent aux oreilles des Pharisiens. » Littéralement : « Les Pharisiens apprirent (èkousan) que la foule murmurait à son sujet [de Jésus]. » En 11,4, la BiJér traduit : « À cette nouvelle (akousas), Jésus dit : “Cette maladie ne mène pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu : afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle.” »

(2) Le deuxième groupe (le plus nombreux : 35 f.) concerne l’écoute de la part des hommes. Ce groupe peut être classé en cinq sous-catégories (a, b, c, d, e) : (a) les hommes entendent Jésus, sa parole ou sa voix (22 f.). Par exemple, le narrateur raconte en 6,60 : « Après l’avoir entendu (akousantes), beaucoup de ses disciples dirent : “Elle est dure, cette parole ! Qui peut l’écouter (akouein) ?” » Jésus révèle aux disciples en 14,24 : « Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles ; et la parole que vous entendez (akouete) n’est pas de moi, mais du Père qui m’a envoyé. » (b) Les hommes entendent Dieu, le Père, entendent sa voix, sa parole (5 f.). Jésus dit à la foule en 6,45b : « Quiconque s’est mis à l’écoute (akousas) du Père et à son école vient à moi. » (c) Les hommes s’entendent (6 f.). C’est le cas des deux disciples de Jean Baptiste en 1,35-37 : « 35 Le lendemain, Jean se tenait là, de nouveau, avec deux de ses disciples. 36 Regardant Jésus qui passait, il dit : “Voici l’agneau de Dieu.” 37 Les deux disciples entendirent (èkousan) ses paroles et suivirent Jésus. » (d) Jésus parle à Nicodème d’entendre la voix du vent en 3,8 : « Le vent souffle où il veut et tu entends (akoueis) sa voix, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. » (e) Dans cette dernière sous-catégorie, Jésus dit aux Juifs en 8,38 : « Je dis ce que j’ai vu chez mon Père ; et vous, vous faites ce que vous avez entendu (èkousate) auprès de votre père. » Le père des Juifs ici est le diable comme Jésus le dévoile en 8,44a : « Vous êtes du diable, votre père, et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. » Jésus parle ici de l’intention des Juifs de chercher à le tuer (cf. 8,37b.40a).

(3) Dans ce troisième groupe (10 f.), le verbe akouô décrit l’action de Dieu, de Jésus et du Paraclet. Ce verbe peut être classé en quatre sous-catégories : (a) Dieu écoute les hommes (2 f.). L’ancien aveugle-né dit aux Pharisiens en 9,31 : « Nous savons que Dieu n’écoute pas (ouk akouei) les pécheurs, mais si quelqu’un est religieux et fait sa volonté, celui-là il l’écoute (akouei). (b) Le père écoute Jésus (2 f.) comme ce dernier dit à son Père avant d’appeler Lazare à sortir du tombeau en 11,41b-42 : « Père, je te rends grâces de m’avoir écouté (èkousas). 42 Je savais que tu m’écoutes (akoueis) toujours ; mais c’est à cause de la foule qui m’entoure que j’ai parlé, afin qu’ils croient que tu m’as envoyé. » (c) Du côté de Jésus, sa mission dans le monde est la transmission aux hommes de tout ce qu’il a entendu auprès de son Père, comme il le révèle aux disciples en 15,15 : « Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; mais je vous appelle amis, parce que tout ce que j’ai entendu (èkousa) de mon Père, je vous l’ai fait connaître. » (d) Jésus parle aux disciples de l’activité du Paraclet, l’Esprit de vérité, en 16,12-13 : « 12 J’ai encore beaucoup à vous dire, mais vous ne pouvez pas le porter à présent. 13 Mais quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous guidera dans la vérité tout entière ; car il ne parlera pas de lui-même, mais ce qu’il entendra (akousei), il le dira et il vous expliquera les choses à venir. »

En résumé, l’utilisation du verbe akouô avec ses nuances de sens est une particularité de la théologie johannique. Ce verbe exprime la communication entre les hommes, entre ces derniers avec le monde d’en haut. Ce verbe décrit le dessein de Dieu, la mission de Jésus et celle du Paraclet. Dans une autre analyse, nous étudierons le thème « entendre » dans l’Évangile en lien avec le thème « voir ».

III. Conclusion

Nous avons observé l’utilisation des verbes liés aux thèmes « voir » et « entendre » dans l’Évangile de Jean. En particulier, nous avons noté la richesse et la diversité du sens théologique de ces verbes de vision et d’audition.

La vue théologique est exprimée par plusieurs verbes. Le verbe theaomai (voir, contempler) exprime la contemplation du Logos incarné (1,14a). Le verbe horaô décrit la vue mystérieuse d’Isaïe (12,41). Jésus emploie le verbe theôreô (voir contempler) quand il s’adresse à son Père en présence de ses disciples (17,24). Nous ne pouvons pas hiérarchiser les verbes de vision dans l’Évangile pour considérer que le verbe horaô est plus théologique que les autres verbes. Il vaut mieux étudier cas par cas dans son contexte. Quant au thème « entendre » un seul verbe akouô est employé pour exprimer deux points théologiques importants : (1) L’écoute de la voix du bon pasteur est le chemin d’accès à la vie éternelle (cf. 10,27-28). (2) Entendre le Père et transmettre cette écoute aux hommes résument la mission de Jésus dans le monde (8,26).

Dans les articles suivants nous choisirons certaines péricopes pour étudier les thèmes « voir » et « entendre » dans l’Évangile ainsi que les liens possibles entre ces sujets. Par exemple, « voir » et « entendre » dans le Prologue de l’Évangile (1,1-18) ; « celui qui m’a vu a vu le Père », dit Jésus aux disciples en 14,9b ; le thème de témoignage en lien avec les verbes : « voir » et « entendre » ; l’incapacité et l’ambiguïté de « voir » et d’« entendre » de la part des interlocuteurs de Jésus ; les conditions et le cheminement pour parvenir à un « voir » et à un « entendre » authentiques et théologiques. Tous les sujets ont des liens entre eux, puisqu’ils appartiennent au langage de la révélation et qu’ils servent à élaborer la théologie de l’ensemble de l’Évangile./.



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