Article en vietnamien :
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Le 13 juin 2017
Contenu
I. Introduction
II. Le texte et la structure du Prologue
1. Le
texte de Jn 1,1-18
2.
La structure
III. Voir et entendre en 1,14.18
1. « Le
Verbe s’est fait chair » (1,14a)
2. « Nous
avons contemplé (etheasametha) sa gloire » (1,14c)
3. « Nul
n’a jamais vu (heôraken) Dieu »
(1,18a)
4. Le Fils
fait connaître le Père (1,18c)
IV. Conclusion
Bibliographie
I.
Introduction
Cet article commence une série d’études sur le thème de
« voir » et d’« entendre » dans le quatrième Évangile. Nous
avons observé l’utilisation des termes liés à ce sujet dans l’article :
« Les thèmes « voir »
et « entendre » dans l’Évangile selon Jean » dans lequel nous avons
classé en plusieurs groupes de sens les verbes : « theaomai » (voir, regarder, contempler, admirer), « theôreô » (voir,
contempler) ; « blepô »
(voir, regarder, apercevoir) ; « anablepô » (voir, recouvrir la vue) ; « emblepô » (regarder, fixer le regard sur) ;
« horaô » (voir, voici,
voilà, voyez) ; et « akouô »
(entendre, écouter, apprendre).
Dans cet article, nous traitons le thème « voir » et
« entendre » dans le Prologue de l’Évangile (1,1-18) dans lequel ce
sujet est présenté de manière explicite et implicite. Il est explicite dans
l’utilisation du verbe « theaomai »
(voir, contempler) en 1,14b et du verbe « horaô » (voir) en 1,18a. « Voir » est implicite dans
le fait que le Logos s’est fait chair
(1,14a), il devient l’objet de la vue. Les thèmes d’écoute et de perception apparaissent
évidents du fait que le Fils nous fait connaître le Père (1,18c) à travers sa
vie, sa parole, son enseignement et ses œuvres. Avant d’étudier ces sujets en
1,14.18, nous présentons d’abord le texte et la structure du Prologue.
II. Le
texte et la structure du Prologue
Les traducteurs de l’Évangile ont fait le choix des termes pour
traduire le texte original grec. Dans cette partie, nous exposons quelques
remarques sur la version utilisée avant de citer le texte du Prologue (1,1-18)
et d’observer sa structure.
1. Le texte de Jn 1,1-18
Le narrateur commence son Évangile par le Prologue qui présente à la
fois le projet de l’ensemble de l’Évangile et la confession de foi de la
communauté des disciples. Nous citons la traduction de la Bible de Jérusalem (BiJér), 2000, avec trois remarques : (1) La BiJér traduit le terme grec « Logos » qui signifie « la Parole » par « le
Verbe ». Dans le Prologue, le Logos
est personnalisé, incarné et désigne Jésus Christ. Nous utilisons le terme grec
Logos dans notre analyse puisque son
nuance du sens est plus riche que le mot « Verbe ». (2) Dans le texte
grec, le mot « Logos »
n’est pas employé au début du verset 1,9a : « Il était (hèn) la lumière véritable ». La BiJér a ajouté le terme « le
Verbe » en 1,9a : « Le Verbe était la lumière véritable »
en raison de la clarté de sens puisqu’en 1,6-8 le texte parle de Jean Baptiste
tandis qu’en 1,9, il s’agit du Logos (le
Verbe). Le terme « Logos » qui
apparaît en 3 occurrences en 1,1 (1,1a.1b.1c) ne revient qu’en 1,14a. (3) La BiJér traduit le verbe « exègeomai » en 1,18c par
« faire connaître » : « Le Fils Unique-Engendré, qui est
dans le sein du Père, lui, l’a fait connaître (exègèsato) ». Le verbe « exègeomai » qui a le sens de « faire exégèse de »
peut se traduire par « raconter », « expliquer »,
« interpréter », « dévoiler », « présenter » (cf.
ci-dessous). Voici la traduction du Prologue 1,1-18 de la BiJér :
« 1 Au commencement était le Verbe et le
Verbe était auprès de Dieu et le Verbe était Dieu. 2 Il était au commencement auprès
de Dieu. 3 Tout fut par lui, et sans lui rien ne fut. 4 Ce qui fut
en lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes, 5 et la lumière
luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas saisie.
6 Il y eut un homme envoyé de Dieu. Son nom
était Jean. 7 Il vint pour témoigner, pour rendre témoignage à la lumière, afin
que tous crussent par lui. 8 Celui-là n’était pas la lumière, mais il avait à
rendre témoignage à la lumière.
9 Le Verbe était la lumière véritable, qui éclaire tout homme, venant dans
le monde. 10 Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le monde ne l’a
pas reconnu. 11 Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas accueilli. 12 Mais
à tous ceux qui l’ont accueilli, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu,
à ceux qui croient en son nom, 13 eux qui ne furent engendrés ni du sang, ni d’un
vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu.
14 Et le Verbe s’est fait chair et il a campé parmi nous, et nous avons
contemplé sa gloire, gloire qu’il tient du Père comme Unique-Engendré, plein de
grâce et de vérité. »
15 Jean lui rend témoignage et s’écrie : “C’est de lui que j’ai dit :
Celui qui vient derrière moi, le voilà passé devant moi, parce qu’avant moi il
était.”
16 Oui, de sa plénitude nous avons tous reçu, et grâce pour grâce. 17 Car
la Loi fut donnée par l’entremise de Moïse ; la grâce et la vérité advinrent
par l’entremise de Jésus Christ. 18 Nul n’a jamais vu Dieu ; le Fils Unique-Engendré,
qui est dans le sein du Père, lui, l’a fait connaître. »
Le Prologue a un genre littéraire particulier. Le développement se
traduit par la reprise des mêmes termes comme des vagues à marée haute. En
général, le Prologue comporte deux parties : 1,1-13 et 1,14-18, qui se
distinguent par la reprise du terme Logos
en 1,14a. Ce terme, qui est personnalisé et désignant Jésus Christ, apparaît en
4 occurrences dans l’Évangile et ne se trouve que dans le Prologue : 3 fois
au premier verset (1,1a.1b.1c) et 1 fois en 1,14a. La reprise du mot Logos en 1,14a introduit un nouveau
développement du Prologue dans la deuxième partie : 1,14-18.
Dans la première partie (1,1-13), il y a des indices de la présence du Logos dans le monde. Par exemple (a) le
témoignage de Jean Baptiste en 1,6-8 ; (b) le Logos qui illumine tout homme (1,9) renvoie à l’enseignement et
les œuvres de Jésus ; (c) l’expression « tous ceux qui l’ont
accueilli » (1,12a) désigne tous ceux qui croient en Jésus ; (d) le
refus des siens en 1,11b annonce le conflit et le refus de croire en Jésus de
la part des autorités religieuses, tout au long de l’Évangile. En tout cas, la présence du Logos dans le monde en 1,6-13 ne s’oppose pas à l’incarnation du Logos en 1,14a : « le Verbe
s’est fait chair » puisque le narrateur vise dans chaque partie (1,1-13 et
1,14-18) les différents aspects de l’identité de Jésus et sa mission.
La première partie (1,1-13) est une présentation de la foi chrétienne
dans l’histoire du salut, du commencement à la fin des temps. Elle est une
confession de foi en Jésus Christ, le Logos
préexistant, venu dans le monde. Face à Jésus, l’humanité se divise selon deux
attitudes : l’acceptation ou le refus (1,10-13). La deuxième partie
(1,14-18) décrit le Logos dans
l’histoire concrète qui se déploie dans la suite de l’Évangile. La première
partie (1,1-13) est en quelque sorte une introduction générale, tandis que la
deuxième (1,14-18) est une introduction particulière au récit évangélique. Le Logos qui s’est fait chair (1,14a) nous
raconte Dieu (1,18c). Le dernier verset du Prologue (1,18) s’ouvre à la mission
de Jésus racontée dans la suite du récit. Ces deux parties (1,1-13 ;
1,14-18) sont liées entre elles et forment une structure en chiasme comme
suit :
Dans une structure chiastique, l’idée dominante se trouve dans la dyade
la plus extérieure (A//A’), et l’idée sous-dominante à la pointe dédoublée (F//F’)
(cf. M. Girard, Évangile selon Jean
1-9, 2017, p. 42). Ainsi, les unités
A, A’ affirment que Jésus est le Logos
préexistant (1,1a), il était auprès de Dieu (1,1b) et était Dieu (1,1c). Il est
le Fils Unique-Engendré qui est dans le sein du Père (1,18b), c’est lui qui fait
connaître le Père au lecteur dans le récit de l’Évangile (1,18c). La pointe
dédoublée (F, F’) présente la décision de l’homme face à la venue du Logos : « ne pas
l’accueillir » (1,11b) ou « l’accueillir » (1,12a) pour devenir enfant
de Dieu (1,12b). L’option de venir à Jésus ou de le rejeter ; de croire en
lui ou de s’opposer à lui, est présente tout au long de l’Évangile. La
structure en chiasme du Prologue prépare donc le lecteur à la lecture de
l’Évangile sur deux points essentiels : (1) reconnaître l’identité divine
de Jésus et l’autorité de sa mission ; (2) croire en son
nom (1,12c), c’est-à-dire croire en Jésus et à sa parole pour avoir la vie
éternelle.
Le titre Logos s’appliquant à
Jésus de manière absolue (sans qualificatif) n’existe que dans le Prologue de l’Évangile
(1.1a.1b.1c.14). Le terme « logos »
dans le livre de l’Apocalypse en Ap 19,13 : « Le manteau
qui l’enveloppe est trempé de sang ; et son nom ? Le Verbe de Dieu (ho logos tou theou) » ;
et celui dans la première Épître de Jean en 1 Jn
1,1 : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu,
ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains
ont touché du Verbe de vie… (tou logou
tès zôès) » sont qualifiés par un génitif. Ces deux occurrences (Ap
19,13 ; 1 Jn 1,1) renvoient au Logos-Jésus
dans le Prologue de l’Évangile, mais celui-ci n’est pas employé de manière
absolue : le Logos non suivi par
un génitif.
Dans l’ensemble, le Prologue relate le parcours du Logos-Jésus. La notion de « logos » existe dans la philosophie grecque, mais dans le
Prologue le sens du terme est fondé, d’une part, sur la littérature sapientiale
de la Bible, et d’autre part, sur la réflexion de la communauté chrétienne
primitive sur l’origine de Jésus, son identité et sa mission. Le Logos johannique signifie la Parole de
Dieu personnalisée et incarnée en Jésus Christ. Probablement, le noyau du
Prologue est un hymne chrétien que l’évangéliste a repris et retravaillé pour
introduire son Évangile. Le mot Logos
ou le Verbe est écrit en majuscule pour mettre en valeur son caractère divin,
personnalisé, incarné dans la théologie johannique. L’incarnation du Logos ouvre un nouveau mode de
révélation. Le Logos-Jésus se fait voir et entendre.
III.
Voir et entendre en 1,14.18
Le thème de « voir »
et d’« entendre » en 1,14.18 est traité en quatre points : (1) « le
Verbe s’est fait chair » (1,14a) ; (2) « nous avons contemplé (etheasametha) sa gloire » (1,14c) ;
(3) « nul n’a jamais vu (heôraken)
Dieu » (1,18a) ; (4) le Fils fait connaître le Père (1,18c).
1. « Le
Verbe s’est fait chair » (1,14a)
Le narrateur affirme que le Logos
préexiste (1,1) et s’incarne dans l’histoire : « Et le Verbe s’est
fait (egeneto) chair (sarx) et il a campé (eskènôsen) parmi nous » (1,14a.14b).
Le verbe grec « ginomai »
(devenir) en 1,14a, conjugué à l’aoriste « egeneto », exprime un nouveau mode de présence du Logos : il devient « sarx » (la chair), c’est-à-dire une
personne en chair et en os. L’habitation du Logos
dans le monde réalise donc la promesse vétérotestamentaire en Is 7,14c :
« Emmanuel (Dieu avec nous). » En même temps, la manière de percevoir
la présence de Dieu dans l’histoire change radicalement avec l’incarnation du Logos. Désormais le Logos qui s’est fait chair manifeste la présence même de Dieu
puisque le Logos était Dieu (cf.
1,1c) et il a campé (eskènôsen) sa
tente parmi nous (cf. 1,14b). La venue du Logos
renvoie ainsi à « la Tente du Rendez-vous », dans l’Exode, laquelle remplie
de la gloire du Seigneur en Ex 40,34 : « La
nuée couvrit la Tente du Rendez-vous (tèn
skènèn tou marturiou), et la gloire de Yahvé (doxès kuriou) emplit la Demeure. » Il existe
une double allusion entre Jn 1,14 et Ex 40,34 : d’abord le verbe « skènoô » (camper) en Jn 1,14b
renvoie au substantif « skènè »
(la tente) lequel possède la même racine en Ex 40,34a ; (2) ensuite, la
gloire (doxa) du Logos incarné renvoie à la gloire
de Yahvé en Ex 40,34b comme le narrateur le déclare en Jn
1,14c.14d : « Et nous avons contemplé sa gloire (tèn doxan autou), gloire (doxan)
qu’il tient du Père comme Unique-Engendré, plein de grâce et de vérité. »
L’affirmation « le Logos
s’est fait chair » (1,14a) commence la deuxième partie du Prologue marquée
par la reprise du terme « Logos ».
C’est une idée étrangère à l’esprit humain. Pour les Juifs, il est inconcevable
que le Dieu d’Israël soit présent à l’humanité sous forme humaine (cf. 10,33b).
La pleine humanité du Logos qui s’est
montrée dans sa fragilité, dans son devenir, dans sa limite physique et dans
son lien avec les autres créatures, est difficile à accepter pour l’esprit
humain. On aperçoit en arrière-fond le caractère polémique de l’affirmation de
la foi chrétienne vis-à-vis du Judaïsme. En fait, l’incarnation du Logos-Jésus est un des points essentiels
de la foi chrétienne.
L’incarnation du Logos en
1,14a est une déclaration importante de la théologie johannique. Ce verset commence
le nouveau développement du Prologue (deuxième partie 1,14-18) concernant
l’identité de Jésus et sa mission. C’est une étape décisive dans l’histoire du
salut. Le Logos personnalisé devient
l’objet de la vue. Sa présence est visible et sa parole est audible à ses
contemporains. Cependant, pour le lecteur au cours des siècles, ce n’est pas
évident de parvenir à un « voir authentique » du Logos incarné. Il est invité à faire confiance aux témoins oculaires.
2. « Nous avons contemplé (etheasametha)
sa gloire » (1,14c)
Le narrateur est un parmi des témoins oculaires. Deux fois le pronom
« nous » en 1,14b : « Il a campé parmi nous (en hèmin) » et en 1,14c :
« et nous avons contemplé (etheasametha)
sa gloire » donnent le ton solennel du témoignage de la venue du Logos-Jésus dans le monde. L’importance du
témoignage est exprimée par le verbe « theaomai »
(voir, contempler) avec deux éléments : d’abord, ce verbe en 1,14c ne
renvoie seulement qu’à une pure contemplation des réalités invisibles puisque
la visibilité physique du Logos
incarné est juste mentionnée en 1,14b. Ensuite, l’aoriste « etheasametha » du verbe « theaomai » montre que le Logos a habité parmi les hommes à un
moment précis. Ces deux indications se réfèrent à un « voir » avec
les yeux de chair dans l’affirmation : « nous avons contemplé [vu] sa
gloire » (1,14c). Autrement dit, la gloire du Logos incarné se fait voir dans l’histoire. Ce « voir » est
basé sur la vue physique de l’homme Jésus. C’est l’acte de « voir » (theaomai) lié à la chair (sarx). Cette vue physique permet à « nous »
de devenir des témoins oculaires d’autorité puisque la foi du lecteur au cours
des siècles repose sur le témoignage des disciples de la première génération. Pour
marquer l’importance du mystère de l’incarnation du Logos, le récit accorde aux verbes de vision un caractère concret,
physique et même objectif. C’est pour cela qu’il ne faut pas dissocier « la
vue spirituelle » de « la vue physique » ou encore privilégier
l’une au détriment de l’autre.
Cependant, pour être témoin, la vue physique seule est insuffisante. Chez
les disciples de Jésus, l’acte de « voir » est différent de ceux qui
ne croient pas en Jésus. En fait, la vision johannique se situe
simultanément sur le plan d’expérience sensible et sur celui des réalités
spirituelles. Le « voir » authentique et plénier comporte une
perception matérielle et une vision transcendante, qui n’est possible qu’avec
la foi. Le « voir » physique devient donc un « signe » pour
reconnaître l’identité divine de Jésus. En voyant l’homme Jésus et en croyant
en lui, les disciples découvrent progressivement sa gloire « qu’il tient du
Père comme Unique-Engendré, plein de grâce et de vérité » (1,14d).
Le verbe « voir » (theaomai)
en 1,14c s’accompagne d’un complément mystérieux : « la gloire »
(doxa). Dans la tradition biblique,
la gloire décrit la manifestation de Dieu dans une théophanie spectaculaire et
salvifique. L’Évangile parle de la gloire de Jésus dès le premier signe de
Cana ; le narrateur conclut ce signe en 2,11 : « Cela, Jésus en
fit le commencement des signes à Cana de Galilée et il manifesta (ephanerôsen) sa gloire (tèn doxan autou) et ses disciples crurent
en lui. » La manifestation de la gloire conduit les disciples à la foi en Jésus.
Ce dernier manifeste sa gloire par le signe de changement de l’eau en bon vin
(2,1-11). En même temps, les signes que Jésus a faits manifestent aussi la
gloire de Dieu. Par exemple, il dit à Marthe avant d’appeler Lazare à sortir du
tombeau en 11,40 : « Ne t’ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la
gloire de Dieu ? » Jésus parle de sa gloire aux Juifs en 8,54 :
« Si je me glorifiais moi-même, ma gloire ne signifierait rien. C’est mon
Père qui me glorifie. » Ainsi la gloire de Jésus et celle du Père sont
inséparables puisque la gloire de Jésus est celle qu’il tient de son Père
(1,14c.14d).
La manifestation de la gloire de Dieu se révèle plus profonde dans
l’Évangile. Ce ne sont plus les éléments extraordinaires et spectaculaires qui
sont importants. Les signes johanniques, qui manifestent la gloire de manière
visible, sont dépouillés d’aspects miraculeux. Dans les signes, ce qui importe,
ce sont les auditeurs qui parviennent à reconnaître l’identité de Jésus et à croire
en lui. De plus, le texte johannique va plus loin dans la conception de la
gloire : Jésus manifeste sa gloire par sa mort sur la croix. Sa passion est
présentée comme un moment de sa glorification. La croix est un lieu de son élévation
(cf. 3,14-15). Avant d’entrer dans sa passion, Jésus s’adresse à son Père en
17,5 : « Et maintenant, Père, glorifie-moi auprès de toi de cette
gloire que j’avais auprès de toi avant que fût le monde. » Sur la croix,
la gloire de Jésus se manifeste dans son amour jusqu’à l’extrême :
« déposer sa vie pour ses amis » (15,13b) et dans la marque de son triomphe,
car c’est le moment où il a vaincu le monde (16,33c). C’est par le don de sa vie
que Jésus donne la vie éternelle aux croyants.
L’expression « nous avons contemplé sa gloire » (1,14c) veut
dire que nous avons vu la manifestation de la gloire, celle de Dieu et celle de
Jésus, l’envoyé de Dieu, à travers ses œuvres et sa parole ; que nous, les
croyants, avons contemplé son amour extrême à travers le don de sa vie comme il
le révèle en 10,11 : « Moi, je suis le bon pasteur ; le
bon pasteur dépose sa vie pour ses brebis. » La gloire de Jésus se déploie
dans son identité divine et dans son pouvoir sur la vie et la mort comme il le dit
aux Juifs en 10,18 : « Personne ne me l’enlève ; mais je la dépose
de moi-même. J’ai pouvoir de la déposer et j’ai pouvoir de la reprendre ;
tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père. » Ainsi, il peut offrir
la vie éternelle aux hommes qui parviennent à le « voir » réellement
comme il l’affirme à la foule en 6,40b : « Quiconque voit le Fils et
croit en lui ait la vie éternelle. »
La gloire de Jésus et celle du Père se manifestent aussi à travers les
disciples. Jésus leur communique sa gloire quand il dit à son Père en
17,22 : « Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils
soient un comme nous sommes un. » Les disciples reçoivent donc la gloire
de Jésus et entrent dans la communion avec lui et avec le Père. Ainsi, les
disciples glorifient Jésus. Ce dernier s’adresse à son Père en 17,10c :
« Je suis glorifié en eux ». Dans les discours d’adieux (Jn 13–17),
Jésus dit aux disciples à la fin de la parabole du vigneron, de la vigne et du
sarment (15,1-7) en 15,8 : « C’est la gloire de mon Père que vous
portiez beaucoup de fruit et deveniez mes disciples. » Le fait de mener
une vie de disciple en gardant sa parole et portant du fruit est la plus belle manière
de glorifier le Père et Jésus. Dans cette perspective, la déclaration du
narrateur : « nous avons vu sa gloire » (1,14c) renvoie au témoignage
du disciple que Jésus aimait en 19,35 et 21,24.
Cependant, la gloire du Logos
incarné n’est pas évidente à « voir » et à « contempler ». Le
récit de l’Évangile va montrer que cette gloire s’est manifestée au monde mais elle
est en quelque sorte cachée. La manifestation de la gloire de Jésus et celle du
Père ont besoin d’être comprises, dévoilées et enseignées. C’est pourquoi, les
témoins « nous » en 1,14c jouent un rôle décisif dans la transmission
du message évangélique. Ils sont les témoins oculaires de la gloire du Fils Unique-Engendré
qui nous révèle le Père puisque « nul n’a jamais vu (heôraken) Dieu » (1,18a).
3. « Nul n’a jamais vu (heôraken) Dieu » (1,18a)
Le verset 18 du Prologue met en parallèle entre l’impossibilité de voir
(horaô) Dieu (1,18a) et faire
connaître (exègeomai) Dieu, le Père (1,18c).
Ce dernier verset du Prologue nous présente donc quelques aspects importants de
« voir » et d’« entendre ». Dans la tradition biblique, il existe
deux explications sur l’impossibilité de voir Dieu. La première vient du
caractère pécheur de l’homme (Is 6,5 ; Ex 33,20…). La deuxième vient de la
transcendance absolue de Dieu (Ex 33,22). Cependant, la Bible raconte
l’apparition de Yahvé à Abraham (Gn 18) et à Moïse (Ex 24). En fait, il ne
s’agit pas tant de montrer que les hommes voient Dieu que de souligner que c’est
Lui qui se fait voir d’Abraham et de Moïse.
En 1,18a, l’impossibilité de voir Dieu n’est pas liée à la situation
pécheresse de l’homme, mais à sa condition de créature limitée dans l’espace et
le temps. Le narrateur affirme ainsi la transcendance absolue de Dieu. Toute
tentation de chercher à « voir Dieu » est exclue. Et pourtant,
Dieu n’est pas inaccessible. C’est « le Fils Unique-Engendré »
(1,18b), Jésus Christ (cf. 1,17), qui nous fait connaître le Père.
4. Le Fils fait connaître le Père (1,18c)
Il y a un lien entre l’impossibilité de voir Dieu et faire connaître le
Père par le Fils en 1,18 : « Nul n’a jamais vu Dieu ; le Fils Unique-Engendré,
qui est dans le sein du Père, lui, l’a fait connaître (exègèsato). » Comme nous l’avons dit, la traduction de
l’aoriste au mode moyen grec « exègèsato »
(1,18c) du verbe « exègeomai »
est variée. En fait, les deux mots grecques en 1,18c : « ekeinos exègèsato », littéralement : « celui-là a fait
exégèse [a expliqué] » peut être rendu de plusieurs manières. Par exemple,
« lui, l’a fait connaître » (BiJér,
2000, cf. Osty, 1973) ;
« nous l’a dévoilé » (TOB, 12e éd.) ; « celui-là
a présenté » (Carrez, Nouveau
Testament, interlinéaire, 1993) ; « lui, s’en est fait
l’interprète » (Jean d’Arc, 1990) ; « lui, il expliqua » (Delebecque,
1987), etc. (Voir les références dans la bibliographie).
Le verbe « exègeomai »
a le sens de conduire pas à pas jusqu’au terme d’une transmission de
connaissance, c’est-à-dire d’exposer en détail, d’expliquer, d’interpréter, de
commenter, de présenter, de faire l’exégèse de. Nous pouvons distinguer le
verbe « exègeomai » des
verbes liés à la vision : « apokaluptô »
(dévoiler, révéler) en Jn 12,38 (cité Is 53,1) ; et le verbe « deiknumi » (montrer) en Jn
2,18 ; 5,20a.20b, etc. Selon le genre littéraire apocalyptique, ces deux derniers
verbes se rattachent à une idée de voir. Tandis que, dans le contexte de
1,18, le verbe « exègeomai »
exprime l’audition plutôt que la vision puisque « voir Dieu » est
impossible (1,18a). La traduction du verbe « exègeomai » par « faire connaître » souligne une
transmission par la parole et l’enseignement. Jésus se présente comme un
révélateur par excellence.
Cependant, dans Prologue, un autre « voir » physique et
théologique est mis en relief : « voir la gloire du Logos incarné en 1,14c (cf. étude plus
haut). Ainsi, dans l’ensemble de l’Évangile, « faire connaître (exègeomai) le Père » déborde le
domaine de l’audition et s’étend à la vision et à la lecture (lire ou écouter).
En effet, l’expression « lui, l’a fait connaître » (1,18c) renvoie à
un double niveau : au niveau de la rédaction de l’Évangile d’abord, « faire
connaître le Père » ouvre le récit de l’Évangile. L’auteur situe son œuvre
tout entier dans le but de faire connaître le Père aux hommes par le Fils. Au
niveau du récit évangélique ensuite, « faire connaître le Père » c’est
transmettre la totalité de la vie et de la mission de Jésus : son enseignement,
ses œuvres, et surtout le don de sa vie sur la croix exprimant ainsi son amour
jusqu’au bout (cf. 13,1c), son amour le plus grand pour ses amis (cf. 15,13).
Dans cette perspective, « faire connaître le Père » recouvre à la
fois « entendre » la parole de Jésus et « voir » ce qu’il a
fait. Par l’incarnation du Logos,
désormais « connaître Dieu » est communiqué à travers « voir »
et « entendre » Jésus. Devant l’impossibilité de voir Dieu (1,18a),
le statut du Fils Unique-Engendré est central dans le Prologue sur deux
points :
(1) Premièrement, la révélation sur l’identité du Logos-Jésus. Le narrateur utilise plusieurs termes pour désigner le
protagoniste du récit : « Le Logos
était Dieu » (1,1c) ; « Le Logos
s’est fait chair » (1,14a) ; l’Unique-Engendré (monogenès) » (1,14d.18b) ;
« Jésus Christ (Ièsous Christos) »
(1,17b). Ces nominations affirment que le Fils Unique-Engendré (1,18b) est
lui-même Dieu (1,1c). La proclamation solennelle de Jésus devant les Juifs en
8,24 : « Moi, Je Suis (egô eimi) »
et la confession de Thomas devant Jésus Ressuscité en 20,28 : « Mon
Seigneur (ho kurios mou) et mon Dieu
(kai ho theos mou) » rejoignent l’affirmation
du narrateur sur l’identité divine de Jésus dans le Prologue.
(2) Deuxièmement, la relation interpersonnelle et filiale entre le Logos-Jésus, le Fils Unique-Engendré et
Dieu, le Père. Cette relation d’appartenance est exprimée par les prépositions
grecques (pros, para, eis, cf. le
sens ci-dessous) et le verbe « eimi »
(être). (a) Pour les prépositions, deux fois, le texte utilise l’expression « auprès
de Dieu (pros ton theon) » en 1,1b.2.
En 1,14d, c’est le Fils qui « tient sa gloire du Père (para patros) » ; et en 1,18b,
le Fils est « dans le sein du Père (eis
ton kolpon tou patros) ». La préposition grecque « pros » avec l’accusatif veut dire
« auprès de », « vers », « à », « avec »,
tandis que la préposition « eis »
avec l’accusatif exprime une direction précise : « à », « dans »,
« sur ». La préposition « para »
avec le génitif a le sens d’origine ou d’auteur : « d’après », « de
chez », « de la part de ». Ces trois prépositions expriment la
relation intime entre le Père et le Fils. Elles sont employées au début (1,1),
au milieu (1,14) et à la fin (1,18) du Prologue pour montrer que l’incarnation
du Logos ne modifie en rien la
relation entre le Père et le Fils. (b) Quant à l’utilisation du verbe « eimi » (être), celui-ci apparaît en
3 occurrences au premier verset du Prologue (1,1a.1b.1c) lesquelles sont à l’imparfait :
« ên » (était) qui insiste
sur l’idée de durée. En 1,18b, le verbe « eimi » est conjugué au participe présent : « ho ôn » (qui est) : « le
Fils Unique-Engendré, qui est (ho ôn)
dans le sein du Père ». Le Prologue ne fait pas de différence entre la
relation Père–Fils, avant et après l’incarnation du Logos. Le participe présent « ho ôn » (qui est)
en 1,18b porte une valeur permanente. La relation et la communion entre le Père
et le Fils n’ont pas été interrompues par l’incarnation. Cette relation
face-à-face entre Jésus et son Père est rappelée tout au long de l’Évangile
(10,30 ; 11,41-42 ; 16,32c ; 17,22b ; etc.).
IV. Conclusion
Le Prologue du quatrième Évangile (1,1-18) est une déclaration importante
du narrateur laquelle résume et introduit à la lecture du récit évangélique. La
visée du Prologue est double : d’une part, c’est une proclamation de foi de
l’auteur – et derrière lui, sa communauté – sur l’identité de Jésus, son
origine et sa mission, et d’autre part, le Prologue est un éclairage pour la lecture
de l’ensemble de l’Évangile.
Le Prologue et la première conclusion de l’Évangile (20,30-31) permettent
de résumer le but de l’auteur de l’Évangile en trois points : (1) la
révélation sur l’identité de Jésus : Qui est-il ? D’où vient-il ?
(2) la mission de Jésus : Qu’est-ce qu’il a dit ? Qu’est-ce qu’il a
fait ? (3) une invitation offerte au lecteur : croire en Jésus pour
avoir la vie en son nom (cf. 20,31). En tenant compte du projet du narrateur
exprimé dans le Prologue (1,1-18) et la première conclusion (20,30-31), le
lecteur fera une lecture plus approfondie du récit de la vie de Jésus.
L’authenticité et la crédibilité de l’Évangile sont assurées par la
qualité du témoignage de « nous » : « Nous avons contemplé
sa gloire [du Logos incarné] »
(1,14b). Cette gloire est décrite, entre autres, à travers les thèmes de
« voir » et d’« entendre » sur trois affirmations :
(1) « Le Verbe s’est fait chair et il a campé parmi nous » (1,14a).
Le Logos incarné devient l’objet de
« voir » et d’« entendre ». (2) La transcendance de
Dieu : « Nul n’a jamais vu Dieu » (1,18a) d’où (3) la nécessité
de la mission de Jésus : « le Fils Unique-Engendré, qui est dans le
sein du Père, lui, l’a fait connaître » (1,18b.18c). Ouvrons nos cœurs à
l’écoute et à la lecture attentive de l’Évangile pour connaître de mieux en
mieux le Père. C’est lui qui nous donne son Fils pour nous offrir la vraie vie,
la joie complète et la paix profonde face aux défis de notre existence.
Le Fils Unique-Engendré face au Père dans une communion parfaite nous révèle
une parole énigmatique en 14,9b : « Qui m’a vu (ho herôrakôs eme) a vu (heôraken)
le Père », dit Jésus à Philippe. C’est-à-dire grâce à la présence du Logos incarné, désormais « voir le
Père » est possible. Nous consacrerons un autre article pour étudier cette
parole en lien avec l’impossibilité de voir le Père en 1,18a et en 6,46 où
Jésus dit aux Juifs : « Non que personne ait vu (heôraken) le Père, sinon celui qui vient d’auprès de Dieu :
celui-là a vu (heôraken) le Père »./.
Source: http://leminhthongtinmunggioan.blogspot.co.il/2017/06/jn-11-18-voir-et-entendre-le-logos-sest.html
Bibliographie
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interlinéaire Grec/Français, Composition
réalisée par The British and Foreign Bible Society, Swindon, Angleterre, 1993.
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GIRARD, Marc, Évangile selon
Jean : structures et symboles Jean 1-9,
(vol. 1), Montréal – Paris, Médiaspaul, 2017. 316 p.
JEANNE D’ARC, Évangile
selon Jean, Présentation du texte grec, traduction et notes,
(Les évangiles), Paris, Les Belles Lettres - DDB, 1990.
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éd.), Paris – Villiers-le-Bel, Le Cerf - Société Biblique Française, 2011.
OSTY E.,
TRINQUET J., La Bible (Osty), Paris, Le Seuil, 1973.
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