07/12/2015

Le disciple que Jésus aimait dans le quatrième Évangile



Email: josleminhthong@gmail.com
Le 7 décembre 2015.

Contenu

I. Introduction
II. L’appellation du disciple que Jésus aimait
     1. « Le disciple » dans le quatrième Évangile
     2. « Le disciple que Jésus aimait » ou « le disciple bien-aimé » ?
III. La figure du disciple que Jésus aimait
     1. Au repas d’adieu (13,21-26)
a) Il « était installé tout contre Jésus » (13,23)
b) Un dialogue dans la compréhension
     2. Au pied de la croix (19,25-27)
a) « Voici ton fils », « voici ta mère » (19,26-27)
b) Le disciple accueille la mère chez lui (19,27b)
     3. Il témoigne de la mort de Jésus (19,35)
a) Qui témoigne en 19,35 ? Et pour qui ?
b) Le contenu du témoignage
     4. Devant le tombeau vide (20,2-8)
a) Simon-Pierre et l’autre disciple
b) « Il vit et il crut » (20,8b)
     5. Après la pêche abondante (21,­1-7)
a) La reconnaissance du disciple que Jésus aimait
b) Simon-Pierre et le disciple que Jésus aimait
     6. Son destin et sa présence (21,18-23)
a) La mort du disciple que Jésus aimait
b) Ce disciple demeure jusqu’au retour de Jésus
     7. Son vrai témoignage et son écriture (21,24)
a) Le témoignage et l’écriture du disciple
b) Le disciple que Jésus aimait et le rédacteur
IV. Conclusion
     Bibliographie



I. Introduction

Dans les articles précédents, nous avons présenté « “Le disciple que Jésus aimait”, “Jean l’apôtre” et “Jean l’évangéliste” dans les traditions des IIè-IVè siècles » du 23 octobre 2015 ;  « “Les fils de Zébédée” et “les disciples anonymes” dans le quatrième Évangile » du 9 novembre 2015 ; et les propositions d’« Identification du disciple que Jésus aimait » du 23 novembre 2015. Les tentatives d’identifier le disciple que Jésus aimait n’ont pas abouti au consensus. Nous avons donc proposé de garder l’anonymat du disciple que Jésus aimait et nous allons étudier ce personnage dans le quatrième Évangile. D’abord, nous traiterons l’appellation de ce disciple et ensuite nous étudierons les textes concernant le disciple que Jésus aimait dans le quatrième Évangile.

Dans cet article, les références aux auteurs sont abrégées. Le nom de l’auteur suivi d’un astérisque (*) renvoie à son commentaire de l’évangile de Jean. Pour un ouvrage ou un article nous ajoutons quelques mots du titre, en italique s’il s’agit d’un livre, entre guillemets s’il s’agit d’un article ou d’un extrait d’un ouvrage. La référence complète se trouve dans la bibliographie à la fin de l’article. Pour les citations de la Bible, nous utilisons la Bible de Jérusalem sauf Jn 1–2 qui est de notre traduction.

II. L’appellation du disciple que Jésus aimait

Nous présentons dans cette partie (1) l’usage du terme « disciple » (mathètès) dans le quatrième Évangile et (2) nous proposons d’utiliser l’appellation de l’Évangile : « le disciple que Jésus aimait » au lieu de l’appellation brève : « le disciple bien-aimé ».

     1. « Le disciple » dans le quatrième Évangile

Le quatrième Évangile n’emploie pas le terme « apôtre (apostolos) » pour désigner « les Douze (dôdeka) » (Jn 6,67.70.71 ; 20,24) comme les Évangiles synoptiques (Mt 10,2-4 // Lc 6,13-16). Le quatrième Évangile n’utilise que les termes « disciple (mathètès) » (78 fois) et « condisciple (summathètès) » (1 fois : 11,16) pour désigner les Douze ainsi que les autres disciples. Ces termes désignent « les disciples de Jean Baptiste » (3 fois : 1,35.37 ; 3,25), « les disciples de Moïse » (1 fois : 9,28b) et « les disciples de Jésus » (75 fois). De ces 75 occurrences, il existe

+ 59 fois au pluriel qui désignent les disciples de Jésus dans le sens général : 2,2.11.12.17.22 ; 3,22 ; 4,1.2.8.27.31.33 ; 6,3.8.12.16.22a.22b.24.60.61.66 ; 7,3 ; 8,31 ; 9,2.27 ; 11,7.8.12.54 ; [11,16: summathètès] ; 12,4.16 ; 13,5.22.23.35 ; 15,8 ; 16,17.29 ; 18,1a.1b.2.17.19.25 ; 20,10.18.19.20.25.26.30 ; 21,1.2.4.8.12.14.

+ 16 fois au singulier qui désignent « l’aveugle-né » (1 fois : 9,28a) ; « un autre disciple » était connu du grand prêtre (3 fois : 18,15a.15b ; 18,16) ; « le disciple que Jésus aimait » (11 fois 19,26.27a.27b ; 20,2.3.4.8 ; 21,7.20.23.24 ; et « Joseph d’Arimathie » (1 fois : 19,38).

Le terme « disciple (mathètès) » est absent dans les cinq chapitres (ch. 5 ; 10 ; 14 ; 17 ; 19). Avec un nombre dominant de l’usage du terme « mathètès (disciple) » au singulier (11 fois) pour désigner « le disciple que Jésus aimait », ce disciple pourrait être une figure exceptionnelle du statut de « disciple ». Selon la théologie johannique, devenir disciple de Jésus implique trois démarches : (1) croire en lui en demeurant dans sa parole (8,31), (2) s’aimer les uns les autres (13,35) et (3) glorifier le Père (15,8). Ainsi, le disciple de Jésus vit trois relations, celles avec Jésus (8,31), avec les autres (13,35) et avec le Père (15,8).

Le terme « les siens (idous) » en 13,1 désigne tous ceux qui croient en Jésus dans le quatrième évangile. Ainsi, les siens de Jésus sont donc les disciples (2,11.22), les Samaritains (4,39-42), la famille du fonctionnaire royal (4,46-53), l’aveugle-né (9,1-41), la famille de Béthanie (11,1-44), les gens parmi la foule en 10,42 et les Juifs en 11,45. La révélation de Jésus concernant « les siens (idous) » dans l’Évangile s’adresse donc à tous les disciples (tous les croyants) de la première génération ainsi qu’aux disciples des générations suivantes. Pour ces dernières, le Jésus johannique les a mentionnées dans ses deux paroles importantes : (1) Jésus dit à son Père en 17,20 : « Je ne prie pas pour eux seulement [les croyants de la première génération], mais aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi. » (2) Après sa résurrection, Jésus ressuscité dit à Thomas en 20,29 : « Parce que tu me vois, tu crois. Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru. »

Ainsi, selon la théologie johannique, il n’y a pas de différence entre les apôtres, les disciples, les croyants de la première génération et les générations à venir. Les croyants de tous les temps sont les disciples authentiques de Jésus.

     2. « Le disciple que Jésus aimait » ou « le disciple bien-aimé » ?

On appelle souvent « le disciple que Jésus aimait » par « le disciple bien-aimé » (the Beloved Disciple), cependant cette appellation brève risque d’occulter l’identité de ce personnage dans l’Évangile pour quatre raisons :

1) Dans le texte de l’Évangile, le nom de Jésus apparaît dans l’appellation de ce disciple : « le disciple que Jésus aimait ». C’est l’amour de Jésus pour ce disciple qui devient son nom, son identité. Jésus est le sujet du verbe « aimer » dans la désignation : « le disciple que Jésus aimait ». Tandis que dans l’appellation « le disciple bien-aimé », nous ne savons pas d’où vient l’amour pour ce disciple. De plus l’expression « bien-aimé » attribuée à ce disciple n’existe pas dans le texte.

2) L’amour de Jésus pour ce disciple est exprimé par les deux verbes : « agapaô (aimer) » (4 fois : 13,23 ; 19,26 ; 21,7.20) et « phileô (aimer d’amitié) » (1 fois : 20,2). Ces deux verbes expriment l’amour et l’amitié de Jésus pour ce disciple. Nous pouvons dire que ce disciple existe grâce à l’amour et l’amitié de Jésus.

3) Cet amour et cette amitié de Jésus sont offerts aussi à tous les disciples puisque Jésus aime les siens jusqu’à la fin (13,1b) et il les appelle amis (15,15b). Ainsi, le disciple que Jésus aimait est une figure idéale pour tous les disciples. Autrement dit, l’amour et l’amitié de Jésus pour ce disciple concrétisent l’amour et l’amitié de Jésus pour tous les croyants.

4) L’appellation « le disciple bien-aimé » porte sur le disciple, tandis que l’appellation du texte « le disciple que Jésus aimait » se focalise sur l’amour de Jésus. À travers le caractère symbolique de ce disciple, le lecteur est invité à accueillir et à vivre pleinement l’amour de Jésus pour lui.

Nous respectons les données du texte en utilisant l’appellation « le disciple que Jésus aimait » en sachant que les 5 occurrences de l’appellation de ce disciple dans l’Évangile (13,23 ; 19,26b ; 20,2 ; 21,7.20b) ne sont pas identiques. Nous trouvons en 13,23a : « Un de ses disciples (heis ek tôn mathètôn)… celui que Jésus aimait (hon ègapa ho Ièsous) » ; en 19,26b : « le disciple qu’il [Jésus] aimait (ton mathètèn hon ègapa) » (19,26b) ; en 20,2b : « l’autre disciple, celui que Jésus aimait (ton allon  mathètèn ekeinos hon ephilei ho Ièsous) » ; en 12,7a : « Le disciple celui que Jésus aimait (ho mathètès ekeinos hon ègapa ho Ièsous) » (21,7) ; et en 21,20b « le disciple que Jésus aimait (ton mathètèn hon ègapa ho Ièsous) ». En tout cas, dans ces appellations, Jésus est toujours le sujet du verbe : « agapaô » (aimer) ou « phileô » (aimer d’amitié).

Dans les contextes des récits concernant le disciple que Jésus aimait, il est mentionné simplement comme « le disciple (ho mathètès) » en 19,27 ; 21,23.24, soit « l’autre disciple (ho allos mathètès) » en 20,2.3.4.8 par rapport à Simon-Pierre. Dans quatre circonstances (13,21-26 ; 20,2-8 ; 21,1-14 ; 21,18-24), ce disciple est présent avec Simon-Pierre. Le disciple que Jésus aimait est le seul disciple masculin mentionné au pied de la croix, il est présent à côté de la mère de Jésus et de quelques autres femmes (cf. 19,26).

III. La figure du disciple que Jésus aimait

Le disciple que Jésus aimait apparaît dans l’Évangile à partir du ch. 13 dans les sept circonstances suivantes : (1) Au repas d’adieu (13,21-26) ; (2) Au pied de la croix (19,25-27) ; (3) Il témoigne de la mort de Jésus (19,31-37), voir l’article : « Jn 19,35; 21,24. Le témoignage du disciple que Jésus aimait dans l’Évangile de Jean » du 7 juillet 2014 ; (4) Devant le tombeau vide (20,2-8) ; (5) Après la pêche abondante dans la mer de Tibériade (21,6-7) ; (6) Son destin et sa présence  (21,18-24), voir l’article : « Jn 21,20-25. Le destin, les écrits et le témoignage du disciple que Jésus aimait » du 30 juin 2014 ; (7) Son vrai témoignage et son écriture (21,24). Nous allons montrer les qualités exceptionnelles de ce disciple sur plusieurs sujets : la fidélité et l’intimité avec Jésus, la foi et la reconnaissance du maître. Le vrai témoignage de ce disciple et son écriture assurent l’autorité et l’authenticité du contenu de l’ensemble de l’Évangile.

     1. Au repas d’adieu (13,21-26)

Le disciple que Jésus aimait apparaît pour la première fois dans le quatrième Évangile au repas d’adieu en Jn 13,21-26 (voir l’article sur les quatre disciples anonymes). Le narrateur ne précise pas qu’il y a seulement les Douze à ce repas. Le groupe de personnages « les disciples » dans le récit doit être compris dans le sens général, il désigne un cercle de disciples plus large que les Douze.

Le disciple que Jésus aimait intervient dans la péricope 13,1-32 qui est introduite par « l’heure est venue » (13,1) et se termine par « l’heure de la glorification » (13,31-32). Le contenu de cette péricope contient deux sujets : (1) Le lavement des pieds et l’incompréhension de Simon-Pierre (13,2-17) ; (2) L’annonce par Jésus de celui qui va le livrer et l’action de Judas Iscariote (13,18-30). Dans cette péricope le groupe de personnages « les disciples » est mentionné 3 fois (13,5.22.23). Trois disciples de ce groupe sont nommés : Judas Iscariote (13,2.26.29), Simon-Pierre (13,6.8.9.24) et le disciple que Jésus aimait (13,23). Ce dernier n’apparaît que dans trois versets (13,23-25) de l’unité littéraire 13,18-30.

Le narrateur relate l’intervention du disciple que Jésus aimait en 13,21-26 : « 21 Ayant dit cela, Jésus fut troublé en son esprit et il attesta : “En vérité, en vérité, je vous le dis, l’un de vous me livrera.” 22 Les disciples se regardaient les uns les autres, ne sachant de qui il parlait. 23 Un de ses disciples était installé tout contre Jésus : celui que Jésus aimait. 24 Simon-Pierre lui fait signe et lui dit : “Demande quel est celui dont il parle.” 25 Celui-ci, se penchant alors vers la poitrine de Jésus, lui dit : “Seigneur, qui est-ce ?” 26 Jésus répond : “C’est celui à qui je donnerai la bouchée que je vais tremper.” Trempant alors la bouchée, il la prend et la donne à Judas, fils de Simon Iscariote. »

a) Il « était installé tout contre Jésus » (13,23)

La place du disciple que Jésus aimait au repas est traduite par la BiJer : « Un de ses disciples était installé tout contre Jésus : celui que Jésus aimait » (13,23). Selon la coutume de l’époque, les convives s’allongent autour d’une table et la place à côté du maître est la place d’honneur. L’expression « tout contre Jésus » (13,23b) littéralement est « dans le sein (en tôi kolpôi) de Jésus ». L’emploi du terme « kolpos » (sein, poitrine) ici renvoie à la relation entre Jésus et son Père en 1,18b : « Fils-unique Dieu qui est dans le sein (eis ton kolpon) du Père, celui-là a raconté. » Comme le Père aime le Fils (3,35 ; 5,20) et le Fils est dans le sein du Père, Jésus aime ce disciple et il est dans le sein de Jésus. Ce parallèle indique une relation intime entre Jésus et ce disciple.

Culpepper, John, 60, remarque : « Le disciple bien-aimé était “dans le sein” de Jésus, une position qui signale une relation privilégiée. En outre, parce que le prologue de l'Évangile rapporte que le Fils était “dans le sein” du Père (1,18), la répétition de cette description implique que la relation de Jésus avec le Père était un modèle pour la relation du disciple bien-aimé avec Jésus. » (“The Beloved Disciple was ‘in the bosom’ of Jesus, a position that signals a privileged relationship. Moreover, because the prologue of the Gospel reported that the son was ‘in the bosom’ of the Father (1:18), the repetition of this description implies that Jesus’ relationship to the Father was a model for the Beloved Disciple’s relationship to Jesus”).

b) Un dialogue dans la compréhension

En 13,24, Simon-Pierre ne questionne pas directement Jésus mais il demande au disciple que Jésus aimait de le faire. Selon la suggestion de Simon-Pierre, ce disciple dit à Jésus : « Seigneur, qui est-ce ? » (13,25b). Jésus répond : « C’est celui à qui je donnerai la bouchée que je vais tremper » (13,26a). Ce dialogue est en contraste avec celui de Simon-Pierre, ce dernier ne comprend pas ce que Jésus dit en 13,6-10. Ainsi, le disciple que Jésus aimait apparaît et intervient dans le récit comme celui qui est capable d’entrer en dialogue avec Jésus pour avoir l’information concernant celui qui va livrer Jésus.

étrangement la désignation de celui qui va livrer le maître (13,26) n’a aucun effet sur les disciples dans le récit. Aucune réaction des disciples n’est communiquée après la désignation sans ambiguïté par une parole et un geste de Jésus. Celui-ci dit en 13,26a : « C’est celui à qui je donnerai la bouchée que je vais tremper », puis la réalisation en 13,26b : « Trempant alors la bouchée, il la prend et la donne à Judas, fils de Simon Iscariote. » Les disciples tombent dans une autre ignorance, celle de la parole de Jésus adressée à Judas en 13,27b. Le narrateur le rapporte en 13,27-29 : « 27 Après la bouchée, alors Satan entra en lui [Judas Iscariote]. Jésus lui dit donc : “Ce que tu fais, fais-le vite.” 28 Mais cela, aucun parmi les convives ne comprit pourquoi il le lui disait. 29 Comme Judas tenait la bourse, certains pensaient que Jésus voulait lui dire : “Achète ce dont nous avons besoin pour la fête”, ou qu’il donnât quelque chose aux pauvres. »

à la veille de la passion de Jésus, le récit semble insister sur l’ignorance des disciples sur ce qui est en train de se passer. D’abord Pierre ne comprend pas le geste du lavement des pieds (13,6-10). Ensuite les disciples ne savent pas qui va livrer Jésus (13,22). Enfin ils ne savent pas non plus la réaction de Judas (13,28-29). En contraste avec les autres disciples, le disciple que Jésus aimait est présenté comme un personnage énigmatique, il est apparu dans le récit pour faire ce que Simon-Pierre lui a demandé puis disparaît de la scène. Aucune trace de sa réaction ou de son émotion n’est signalée. Cependant, ce disciple est l’« un de ses disciples » (13,23a) et non comme une catégorie de disciple à part. Quant à Pierre, en recourant à ce disciple pour avoir l’information, il reconnaît le rôle de ce disciple, ce dernier est avantagé par rapport à Pierre sur deux points : la place privilégiée à côté de Jésus et la qualité du dialogue avec le maître. En tout cas, il n’y a pas de concurrence entre eux. Pierre assume son rôle de chef en prenant l’initiative et le disciple que Jésus aimait ne fait que ce que Pierre demande.

     2. Au pied de la croix (19,25-27)

Après que Jésus ait été crucifié au Golgotha (19,16b-24), les soldats ont pris les vêtements de Jésus et les ont tirés au sort (19,23-24). Le narrateur continue son récit en rapportant une scène unique des quatre Évangiles : Jésus s’adressa à sa mère et au disciple qu’il aimait en 19,25-27 : « 25 Or près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie de Magdala. 26 Jésus donc voyant sa mère et, se tenant près d’elle, le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : “Femme, voici ton fils.” 27 Puis il dit au disciple : “Voici ta mère.” Dès cette heure-là, le disciple l’accueillit chez lui. »

Notons que l’annonce de Jésus aux disciples en 16,32 : « Voici venir l’heure – et elle est venue – où vous serez dispersés chacun de votre côté et me laisserez seul. Mais je ne suis pas seul : le Père est avec moi » ne concerne pas le disciple que Jésus aimait, puisqu’avec la mère de Jésus et les autres femmes, ce disciple est présent au pied de la croix avec Jésus, il ne laisse pas Jésus seul.

a) « Voici ton fils », « voici ta mère » (19,26-27)

Il n’y a pas de dialogue entre Jésus avec sa mère et avec le disciple qu’il aimait, la scène se concentre sur deux paroles de Jésus, l’une est adressée à sa mère en présence du disciple que Jésus aimait : « Femme, voici ton fils » (19,26b), et l’autre est adressée au disciple : « Voici ta mère » (19,37a). Constatons que le nom « Marie » n’est pas mentionné dans le quatrième Évangile. Elle est toujours appelée « la mère (hè mètèr) de Jésus » (2,1.3b ; 6,42), « sa mère » (2,5.12 ; 19,25a.25b.26a.26b) et « la mère du disciple que Jésus aimait » (19,27). Elle existe dans l’Évangile en tant que « mère » en relation avec son fils Jésus et avec le disciple que Jésus aimait.

La mère de Jésus apparaît deux fois dans l’Évangile : au début de la mission de Jésus, à la noce de Cana (2,1-12) et à la fin de sa vie publique, au pied de la croix (19,25-27), cf. l’article : « Jn 2,1-12 : Le signe de l’eau devenue bon vin à la noce de Cana » du 14 septembre 2015. Ces deux circonstances ont des points parallèles. À la noce de Cana, Jésus répond à sa mère en 2,4 : « Qu’y a-t-il pour moi et pour toi, femme (gunai) ? Mon heure n’est pas encore venue. » Au pied de la croix, Jésus utilise de nouveau le terme « femme (gunè) » (19,26b) pour s’adresser à sa mère. Nous avons montré dans l’article de Jn 2,1-12 que l’appellation « femme » est utilisée dans le contexte de la révélation. Jésus s’adressant à sa mère « femme » n’a rien d’irrespectueux, au contraire c’est une appellation solennelle où Jésus révèle sa mission à sa mère (2,4.11) ou bien lui confie une mission importante : devenir la mère du disciple (19,26).

En 19,26-27, Jésus utilise deux fois le terme « voici (ide) » pour désigner le disciple que Jésus aimait et sa mère. La particule « ide » est la forme de la voix active, à l’impératif aoriste 2, la 2e personne du verbe « horaô » (voir), c’est un présentatif qui désigne quelqu’un ou quelque chose. L’usage de la particule « ide » renvoie souvent à une révélation. Dans la Bible, le schéma de la révélation se présente en trois temps : (1) un envoyé de Dieu voit quelqu’un, (2) il s’adresse à lui (3) en disant « voici (ide)… ». Nous trouvons ce schéma en quatre endroits dans le quatrième Évangile :


Le tableau plus haut montre qu’un récit construit avec une série de verbes : « voir » (blepô, emblepô, horaô), « dire » (legô) et « voici » (ide), l’impératif aoriste 2 de « voir » (horaô), communique une révélation importante. Voir la désignation : « Voici l’agneau de Dieu » (1,29.36b) dans l’article : « Jn 1,35-51: Les premiers disciples de Jésus » du 21 août 2015. Dans cette perspective, Serra, Marie à Cana, 112, écrit : « Jésus révèle un aspect de chacun : il révèle à sa Mère sa mission d’être aussi mère du disciple et, au disciple, il annonce sa situation de fils par rapport à la Vierge. »

À la fin de la mission de Jésus, la filiation biologique s’élargit à la filiation par la foi. En tant que disciple que Jésus aimait, il devient le fils de la mère de Jésus. Ce disciple est le représentant de tous les disciples, cette filiation par la foi est donc offerte à tous ceux qui croient en Jésus. Désormais, comme le disciple que Jésus aimait, les disciples (les croyants) de tous les temps ont Jésus pour frère (adelphos) comme il le dit à Marie de Magdala au matin de Pâques : « Va trouver mes frères et dis-leur : je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (20,17b). Son heure accomplie, Jésus fait entrer tous les disciples dans une relation nouvelle avec lui et avec Dieu tout en gardant la différence entre lui et ses disciples par les expressions : « mon Père et votre Père », « mon Dieu et votre Dieu » (20,17b).

Au début de l’Évangile, la mère de Jésus avait recours à son fils quand le vin de la noce venait à manquer (2,3), à la fin de l’Évangile son fils lui offrit un autre fils : le disciple que Jésus aimait (19,26c). Jésus constitue alors une nouvelle famille qui est le fruit de son amour pour les siens jusqu’à donner sa vie sur la croix. Désormais, les siens (les croyants) sont les frères de Jésus et les fils de sa mère.

b) Le disciple accueille la mère chez lui (19,27b)

Le fait que ce ne soit pas la mère qui accueille chez elle le disciple que Jésus aimait, mais c’est ce dernier qui « l’accueille chez lui » (19,27b) est significatif. L’expression « chez lui (eis ta idia) » est composée de la préposition « eis » + l’adjectif idios substantivé au pluriel : « ta idia » (accusatif, neutre). Le terme « ta idia » désigne ici une appartenance et il diffère de la « maison (oikia) ». Culpepper, John, 65, remarque : « Le terme grec ta idia en Jn 19,27 n’est pas le mot maison (oikos), mais un terme plus large qui signifie son “propre”, son bien et sa possession. La fonction principale de ce verset peut être d’attribuer au disciple bien-aimé et à la communauté johannique l’autorité de la mère de Jésus. » (“The Greek term ta idia in John 19:27 is not the word house (oikos) but a broader term that mean one’s ‘own’, one’s good and possession. The primary function of this verse may be to attribute to the Beloved Disciple and the Johannine community the authority of Jesus’ mother”).

Serra considère que la mère de Jésus en 19,26-27 représente la Mère de l’Église ou l’Église-Mère. Cette interprétation n’est pas dite dans le texte. Serra, Marie à Cana, 141, écrit : « Jésus, “révélateur” du Père, propose au disciple d’entrer dans la Nouvelle Alliance. Marie est, en effet, l’image de l’Église-Mère, la nouvelle Sion, où aboutissent les enfants de la Nouvelle Alliance. Ceci est la volonté du Père, manifestée par le Christ, prophète-médiateur, au sujet de la communauté de la Nouvelle Israël qu’est l’Église. En accueillant Marie, le disciple dit “oui” à la volonté de Jésus. »

Nous pensons que l’interprétation de Serra ici atténue la portée théologique attribuée au disciple que Jésus aimait. En effet c’est ce disciple qui prend soin de la mère de Jésus et non pas l’inverse. Pour nous, les paroles de Jésus adressées à sa mère et au disciple mettent en valeur la communauté des croyants dont le disciple que Jésus aimait est le représentant. Par la croix, Jésus a constitué une nouvelle communauté et une nouvelle filiation. Le fait que la mère de Jésus soit accueillie dans la communauté du disciple que Jésus aimait peut être lu comme un signe de continuité et d’unité entre le peuple d’Israël et la communauté des  disciples de Jésus.

Le thème de la continuité et de l’unité entre l’AT et le NT figure dans le fait que les soldats ne déchirent pas le vêtement de Jésus en 19,24. Le lien entre les deux scènes : « le partage des vêtements » (19,23-24) et « Jésus, sa mère et le disciple que Jésus aimait » (19,25-27) peut être justifié par la construction de la phrase grecque : « men (voilà)… » à la fin du v. 24 et « de » (Or)… » au début du v. 25. Les idées s’enchaînent entre ces deux scènes comme suit : « 24c Voilà (men) ce que firent les soldats. 25a Or (de) près de la croix de Jésus se tenaient sa mère… » (19,24c-25a). La construction « men… de… » (Voilà… Or…) permet de faire le lien entre les deux événements : (1) ne pas déchirer le vêtement de Jésus et (2) le disciple reçoit la mère de Jésus comme signe de continuité et d’unité entre le peuple de Dieu et la communauté des disciples.

Si la mère de Jésus renvoie à la promesse en Gn 3,15 et représente le peuple d’Israël, les promesses de l’AT se réalisent dans le fait que la mère de Jésus rejoint la communauté de ce disciple, exprimé par la phrase : « Dès cette heure-là, le disciple l’accueillit (elaben) chez lui (eis ta idia) » (19,27b). Dans ce verset, le verbe « lambanô » a le sens d’accueillir mais aussi le sens de prendre, de recevoir. Selon la théologie johannique, la mère de Jésus appartient maintenant à la communauté croyante. L’adjectif substantivé « idios » dans l’expression  « chez lui (eis ta idia) » (19,27b) est utilisé en 13,1 pour désigner la communauté des disciples. En effet, le narrateur fait ainsi l’introduction aux discours d’adieu en 13,1 : « Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde vers le Père, ayant aimé les siens (tous idious) qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin. » Désormais, avec le disciple que Jésus aimait, tous les croyants ont la mère de Jésus pour mère.

     3. Il témoigne de la mort de Jésus (19,35)

Nous avons présenté le témoignage du disciple que Jésus aimait au pied de la croix (19,25) et à la fin de l’Évangile (21,24) dans l’article : « Jn 19,35; 21,24. Le témoignage du disciple que Jésus aimait dans l’Évangile de Jean » du 7 Juillet 2014. Dans le présent article nous abordons brièvement le témoignage de ce disciple au moment de la mort de Jésus et nous analysons le témoignage et l’écriture de ce disciple en 21,24 à la fin de cet article, selon le déroulement du récit de l’Évangile. La présence du disciple que Jésus aimait au pied de la croix est suivie par son témoignage dans l’unité littéraire 19,31-37 :

« 19,31 Comme c’était la Préparation, les Juifs, pour éviter que les corps restent sur la croix durant le sabbat – car ce sabbat était un grand jour –, demandèrent à Pilate qu’on leur brisât les jambes et qu’on les enlevât. 32 Les soldats vinrent donc et brisèrent les jambes du premier, puis de l’autre qui avait été crucifié avec lui. 33 Venus à Jésus, quand ils virent qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, 34 mais l’un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et il sortit aussitôt du sang et de l’eau. 35 Celui qui a vu rend témoignage – son témoignage est véritable, et celui-là sait qu’il dit vrai – pour que vous aussi vous croyiez. 36 Car cela est arrivé afin que l’Écriture fût accomplie : Pas un os ne lui sera brisé. 37 Et une autre Écriture dit encore : Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé. »

a) Qui témoigne en 19,35 ? Et pour qui ?

L’identité du témoin n’est pas précisée en 19,35a : « Celui qui a vu (ho eôrakôs) rend témoignage… ». Le narrateur utilise un participe du verbe « horaô » (voir) au nominatif : « ho eôrakôs » qui signifie « celui-qui-a-vu ». Dans le contexte de 19,23-37, celui qui témoigne en 19,35a est bien le disciple que Jésus aimait, mentionné en 19,25-26, et non quelqu’un d’autre. Le terme « celui-là » dans la phrase : « celui-là (ekeinos) sait qu’il dit vrai » (19,35c) désigne le disciple que Jésus aimait et non pas « Dieu » ou « Jésus » comme le font certains.

La perception de ce disciple en 19,35a exprimée par le verbe « horaô » (voir) est inséparable du verbe « pisteuô » (croire) en 19,35d. Le fait brut est interprété par la foi. En 19,31-37 le « voir » de ce disciple et celui des soldats sont identiques mais le disciple seul peut témoigner. En fait, le disciple que Jésus aimait témoigne d’une réalité invisible : à travers ce qui s’est passé au moment de la mort de Jésus vient accomplir les paroles de l’Écriture. La mort de Jésus devient donc une source de vie pour tous les croyants. Ainsi l’objet du « voir » physique est différent de l’objet du témoignage. Seuls les disciples qui croient en Jésus peuvent devenir des témoins comme le remarque La Potterie, La vérité, I, 82 : « Pour saint Jean le témoin n’est pas tant un témoin des faits, il est un témoin de sa foi. » Ainsi le verbe « horaô » (voir) en 19,35 exprime une pénétration du mystère de celui qui voit (cf. 1,34 ; 20,8.18.25.29…). C’est grâce aux affirmations de ce témoin oculaire que les disciples des générations suivantes peuvent croire sans avoir vu Jésus comme ce dernier le révèle en 20,29b : « Heureux ceux qui n’ont pas vu (hoi mè idontes) et qui ont cru (pisteusantes). »

Le texte souligne la qualité du témoignage de ce disciple par les affirmations : « son témoignage est véritable (alèthinos), et celui-là sait qu’il dit vrai (alèthès) » (19,35b). Deux adjectifs (alèthinos, alèthinos) sont utilisés pour confirmer l’authenticité et la vérité du témoignage de ce disciple. Ce témoignage est mis en relief par trois éléments : il est conforme à l’Écriture (19,36-37), à la vérité et à la conscience du témoin : « celui-là sait qu’il dit ce qui est vrai » (19,35b).

Ce témoignage est adressé au lecteur, figuré par le pronom personnel « vous » (humeis). Ce pronom est une forme emphatique du sujet qui précède le verbe « croire » qui est conjugué déjà à la deuxième personne du pluriel : « pisteusète » (vous croyiez). La proposition : « pour que vous aussi vous croyiez » (19,35c) est une invitation adressée au lecteur à « croire » grâce à la qualité et la vérité du témoignage du disciple que Jésus aimait.

b) Le contenu du témoignage

Le contenu du témoignage porte sur trois éléments : les deux actions des soldats (19,33b-34) qui accomplissent deux paroles de l’Écriture (19,36-37) et du sang et de l’eau ont coulé du côté transpercé de Jésus (19,34b).

D’abord le fait que les soldats « ne lui [Jésus] brisèrent pas les jambes » (19,33b) accomplit cette parole de l’Écriture : « Pas un os ne lui sera brisé » (19,36b). Cette citation renvoie à l’instruction de Yahvé à Moïse concernant le repas de Pâque en Ex 12,46 : « On la [la Pâque] mangera dans une seule maison et vous ne ferez sortir de cette maison aucun morceau de viande. Vous n’en briserez aucun os. » Jésus est donc identifié à l’agneau pascal, puisqu’il est mort le jour de la préparation de la Pâque (cf. Jn 18,28 ; 19,14.31). La citation en Jn 19,36b fait aussi allusion au Ps 34,20-21 : « 20 Malheur sur malheur pour le juste, mais de tous Yahvé le délivre ; 21 Yahvé garde tous ses os, pas un ne sera brisé. » Ce texte parle du Juste qui est persécuté, mais Dieu le protège et le garde. Ainsi la vie de Jésus est la figure du Juste persécuté en Ps 34.

Ensuite le fait que « l’un des soldats, de sa lance, lui perça le côté » (Jn 19,34a) accomplit une autre parole de l’Écriture : « Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé » (Jn 19,37b). Cette citation renvoie à Za 12,9-10 : « 9 Il arrivera en ce jour-là que je [Yahvé] chercherai à détruire toutes les nations qui viendront contre Jérusalem. 10 Mais je répandrai sur la maison de David et sur l’habitant de Jérusalem un esprit de grâce et de supplication, et ils regarderont vers moi au sujet de celui qu’ils ont transpercé, ils se lamenteront sur lui comme on se lamente sur un fils unique ; ils le pleureront comme on pleure un premier-né. » Ces paroles appartiennent à l’Oracle de Yahvé sur Israël (Za 12–14) qui porte une dimension salvatrice au temps messianique.

Le mystérieux personnage en Za 12,10b : « Celui qu’ils ont transpercé » est identifié à Jésus. C’est lui, le Transpercé, le Messie de Dieu, venu dans le monde pour sauver le monde. L’image du côté transpercé de Jésus apparaît en contraste avec sa gloire en Ap 1,7 : « Voici, il [Jésus Christ] vient avec les nuées ; chacun le verra, même ceux qui l’ont transpercé, et sur lui se lamenteront toutes les races de la terre. Oui, Amen ! » Le côté transpercé devient donc une marque de son triomphe sur la mort. Notons que le verbe « horaô » (voir, regarder) en Jn 19,37b est au futur : « Ils regarderont (opsontai)… », il s’agit d’un regard tourné vers l’avenir, le Transpercé, figure de contemplation.

Enfin l’image du sang et de l’eau ont coulé du côté transpercé (19,34b) vient accomplir la promesse de Jésus au cours de sa mission publique. Le narrateur relate en 7,37-38 : « 37  Le dernier jour de la fête [des Tentes], le grand jour, Jésus, debout, s’écria : “Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et il boira, 38  celui qui croit en moi !” selon le mot de l’Écriture : De son sein couleront des fleuves d’eau vive. » Le narrateur explique dans le verset suivant en 7,39 : « Il [Jésus] parlait de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui avaient cru en lui ; car il n’y avait pas encore d’Esprit, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié. » L’heure de la mort de Jésus est l’heure de sa glorification comme il le dit aux disciples à la fin de sa mission en 12,23 : « Voici venue l’heure où doit être glorifié le Fils de l’homme ». Ce qui n’a pas encore eu lieu en 7,39 est donc réalisé après sa mort (19,34).

Dans l’AT, l’image de la source d’eau peut s’appliquer à plusieurs réalités. Elle renvoie à Dieu comme la source du salut (Is 12,3), à Jérusalem, le lieu où toutes les nations convergent (Za 14,8), à ceux qui pratiquent la justice de Dieu, ils deviennent une source d’eau sans aridité (Is 58,11). Dans le quatrième Évangile, la source d’eau vive en Jn 4,14 ; 7,38 que Jésus donne à ceux qui croient en lui vient accomplir la promesse de la source d’eau vive dans l’AT. Ainsi selon la théologie johannique, le sang et l’eau sortis du côté transpercé de Jésus symbolisent la source de l’amour et celle de la vie inépuisables pour les croyants.

     4. Devant le tombeau vide (20,2-8)

Après que Joseph d’Arimathie et Nicodème ont enseveli Jésus dans un tombeau neuf (19,38-42), le récit de la résurrection de Jésus commence en 20,1-10 : « 1 Le premier jour de la semaine, Marie de Magdala vient de bonne heure au tombeau, comme il faisait encore sombre, et elle aperçoit la pierre enlevée du tombeau. 2 Elle court alors et vient trouver Simon-Pierre, ainsi que l’autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit : “On a enlevé le Seigneur du tombeau et nous ne savons pas où on l’a mis.” 3 Pierre sortit donc, ainsi que l’autre disciple, et ils se rendirent au tombeau. 4 Ils couraient tous les deux ensemble. L’autre disciple, plus rapide que Pierre, le devança à la course et arriva le premier au tombeau. 5 Se penchant, il aperçoit les linges, gisant à terre ; pourtant il n’entra pas. 6 Alors arrive aussi Simon-Pierre, qui le suivait ; il entra dans le tombeau ; et il voit les linges, gisant à terre, 7 ainsi que le suaire qui avait recouvert sa tête ; non pas avec les linges, mais roulé à part dans un endroit. 8 Alors entra aussi l’autre disciple, arrivé le premier au tombeau. Il vit et il crut. 9 En effet, ils ne savaient pas encore que, d’après l’Écriture, il devait ressusciter d’entre les morts. 10 Les disciples s’en retournèrent alors chez eux. »

a) Simon-Pierre et l’autre disciple

Dans le récit de 20,1-10, Simon-Pierre et le disciple que Jésus aimait sont ensemble. En effet, Marie de Magdala « vient trouver Simon-Pierre, ainsi que l’autre disciple, celui que Jésus aimait » (20,2a). En 20,3, le narrateur raconte : « Pierre sortit donc, ainsi que l’autre disciple, et ils se rendirent au tombeau ». Simon-Pierre est présenté comme le chef du groupe des disciples. Quel est le rôle du disciple que Jésus aimait dans ce récit ? Notons que les autres disciples ne sont pas mentionnés, nous pouvons dire que Simon-Pierre et ce disciple sont les deux figures importantes de la communauté des disciples. Il est probable que ce disciple n’entre pas dans le tombeau avant Simon-Pierre (20,5b) parce que ce dernier est le chef des Douze. Cependant, le disciple que Jésus aimait a une place prépondérante par rapport à Simon-Pierre sur trois points. D’abord il devance Simon-Pierre dans l’espace, il est dit dans le texte que Simon-Pierre suivait le disciple que Jésus aimait (20,6a), le fait que ce disciple arrive le premier au tombeau est mentionné deux fois (20,4.8), cela est un signe de l’attachement de ce disciple à Jésus. Ensuite, ce disciple est le premier qui voit (blepô) « les linges, gisant à terre » (20,5a), il est donc le premier témoin du tombeau vide et constate l’état du lieu. Enfin, à partir de la vision physique exprimée par le verbe « blepô » (voir), il aboutit à la vue théologique exprimée par le verbe « horaô » (voir), ce « voir (horaô) » le conduit au « croire (pisteuô) » (20,8b). Il est donc le premier qui croit après la mort de Jésus. Le commentaire explicite du narrateur en 20,9 : « Ils n’avaient pas encore compris l’Écriture » ne concerne que Simon-Pierre, les autres disciples et non le disciple que Jésus aimait puisqu’« il vit et il crut » (20,8b).

b) « Il vit et il crut » (20,8b)

Les deux verbes « voir » et « croire » dans l’expression « il vit et il crut » en 20,8b n’ont pas de complément d’objet. Ces verbes peuvent être interprétés dans un sens large. Ce que ce disciple voit n’est pas seulement « les linges » et « le suaire » décrits minutieusement en 20,5-7 mais aussi le tombeau vide, il voit que Jésus n’est plus là. Le « voir » sans complément fait allusion aussi à ce que ce disciple a vu au pied de la croix. Tous ces aspects du « voir » le conduisent au « croire ». Ce « croire » à l’absolu, sans complément d’objet désigne la foi dans tous les sens du terme. On peut dire que ce disciple croit que Jésus est ressuscité, croit en Jésus et croit à ce que Jésus a dit. Cette foi absolue montre que ce disciple a compris l’événement. Par sa foi sans faille, ce disciple devient le témoin d’autorité. Le narrateur emploie les expressions : « croire en… » ou « croire que… » pour exprimer le contenu de la foi, mais le verbe « croire » sans complément possède un sens fort, voir ces usages de ce verbe dans l’article : « Croire (pisteuô) dans l’Évangile de Jean » du 19 mai 2014.

     5. Après la pêche abondante (21,­1-7)

Après la première conclusion de l’Évangile (20,30-31), le ch. 21 présente les deux figures de proue de la communauté : Simon-Pierre et le disciple que Jésus aimait. Le ch. 21 commence par le signe de la pêche abondante (21,1-14). Le disciple que Jésus aimait agit en 21,7, il dit seulement une parole, puis il n’est plus mentionné jusqu’à la fin de la péricope 21,1-14. Le déroulement de la première unité du récit de la pêche abondante est relaté en 21,1-8 :

« 21,1 Après cela, Jésus se manifesta de nouveau aux disciples sur le bord de la mer de Tibériade. Il se manifesta ainsi. 2 Simon-Pierre, Thomas, appelé Didyme, Nathanaël, de Cana en Galilée, les fils de Zébédée et deux autres de ses disciples se trouvaient ensemble. 3 Simon-Pierre leur dit : “Je m’en vais pêcher.” Ils lui dirent : “Nous venons nous aussi avec toi.” Ils sortirent, montèrent dans le bateau et, cette nuit-là, ils ne prirent rien. 4 Or, le matin déjà venu, Jésus se tint sur le rivage ; pourtant les disciples ne savaient pas que c’était Jésus. 5 Jésus leur dit : “Mes enfants, n’auriez vous rien à manger ?” Ils lui répondirent : “Non !” 6  Il leur dit : “Jetez le filet à droite du bateau et vous trouverez.” Ils le jetèrent donc et ils n’avaient plus la force de le tirer, tant il était plein de poissons. 7 Le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre : “C’est le Seigneur !” À ces mots : “C’est le Seigneur !” Simon-Pierre mit son vêtement – car il était nu – et il se jeta à l’eau. 8 Les autres disciples, qui n’étaient pas loin de la terre, mais à environ deux cents coudées, vinrent avec la barque, traînant le filet de poissons. »

a) La reconnaissance du disciple que Jésus aimait

L’expression répétée deux fois : « C’est le Seigneur ! » en 21,7a.7b met en relief la reconnaissance du disciple que Jésus aimait. Il est le seul du groupe des sept disciples mentionnés en 21,2 à reconnaître que celui qui est sur le rivage est « le Seigneur (ho kurios) » (21,7). Ce disciple attribue à Jésus ressuscité le titre « ho kurios » (le Seigneur) dans le sens fort du terme comme la confession de Thomas devant Jésus ressuscité en 20,28 : « Mon Seigneur (ho kurios mou) et mon Dieu (ho theos mou) ! » En voyant le signe de la pêche abondante, le disciple que Jésus aimait a reconnu que celui qui a dialogué avec les disciples en 21,5-6 est le Seigneur Jésus ressuscité.

b) Simon-Pierre et le disciple que Jésus aimait

De nouveau, Simon-Pierre et le disciple que Jésus aimait sont ensemble (21,7). Comme dans les récits précédents, Pierre agit comme le chef du groupe. Il prend l’initiative de partir à la pêche et les autres disciples le suivent (21,3). En écoutant ce que dit le disciple que Jésus aimait : « C’est le Seigneur ! » (21,7), Simon-Pierre agit tout de suite sans rien dire ni regarder le Seigneur sur le rivage. Le narrateur raconte la réaction de Simon-Pierre en 21,7b : « À ces mots : “C’est le Seigneur !” Simon-Pierre mit son vêtement – car il était nu – et il se jeta à l’eau. » En faisant confiance au disciple que Jésus aimait, Simon-Pierre agit comme le chef du groupe, il se jette à l’eau pour rejoindre le Seigneur avant les autres disciples. Cependant, la prompte reconnaissance du Seigneur impliquant ainsi la proximité et l’intimité en esprit avec le Maître montre que le disciple que Jésus aimait est plus proche du Seigneur que Simon-Pierre et les autres disciples.

     6. Son destin et sa présence (21,18-23)

À la fin de l’Évangile, le narrateur raconte le destin de Pierre (21,18-19) et celui du disciple que Jésus aimait (21,20-23). Jésus annonce que Pierre sera mort martyr pour glorifier Dieu (21,19a) tandis que le destin du disciple que Jésus aimait est présenté d’une manière énigmatique. Le narrateur raconte le sort de ce disciple en 21,20-23 : « 20  Se retournant, Pierre aperçoit, marchant à leur suite, le disciple que Jésus aimait, celui-là même qui, durant le repas, s’était penché sur sa poitrine et avait dit : “Seigneur, qui est-ce qui te livre ?” 21 Le voyant donc, Pierre dit à Jésus : “Seigneur, et lui ?” 22 Jésus lui dit : “Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? Toi, suis-moi.” 23 Le bruit se répandit alors chez les frères que ce disciple ne mourrait pas. Or Jésus n’avait pas dit à Pierre : “Il ne mourra pas”, mais : “Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne.” »

a) La mort du disciple que Jésus aimait

La réponse de Jésus à la question de Pierre (21,21-22) a créé un malentendu dans la communauté des frères. Le commentaire explicite du narrateur indique que ce disciple est mort. Il y a deux indices qui montrent que ce disciple est mort. D'abord, le narrateur a corrigé la méprise de la phrase : « ce disciple ne mourrait pas » (21,23b). Ensuite Jésus lui-même n’a pas dit que ce disciple ne mourrait pas (21,23c). Ainsi, le narrateur confirme implicitement que le disciple que Jésus aimait est mort. Ce disciple est un personnage historique, la mort physique est inévitable. Cependant, le bruit qui s’est répandu chez les frères que ce disciple ne mourrait pas (cf. 21,23a) indique le rôle important de ce disciple dans la communauté, il est la figure de proue chez les frères. Le souhait que ce disciple vit le plus longtemps possible avec la communauté est compréhensible. Dans ce cas comment interprétons-nous la volonté de Jésus, mentionnée 2 fois en 21,22.23 : « Je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne » ?

b) Ce disciple demeure jusqu’au retour de Jésus

Le texte laisse voir le désir légitime de la communauté de voir le disciple que Jésus aimait demeurer vivant. Mais la réalité est que ce disciple est mort. Cependant la parole de Jésus invite la communauté à aller au-delà de la mort physique pour reconnaître d’une autre manière la présence de ce disciple. La mort physique de ce disciple est inéluctable, mais le témoignage de ce disciple transmis à travers l’Évangile continue à demeurer jusqu’au retour de Jésus. Ce disciple a donc un rôle particulier par rapport à Pierre et aux autres disciples. Pierre est reconnu dans son rôle de pasteur (21,15-17) et de martyr glorieux (21,18-19). Pour le disciple que Jésus aimait, il demeure jusqu’au retour de Jésus à travers le texte de l’Évangile. Cet Évangile, en se reposant sur la qualité du témoignage, de la foi, de la proximité avec Jésus et de l’autorité du disciple que Jésus aimait, continue à demeurer vivant auprès de la communauté, auprès du lecteur jusqu’au retour de Jésus.

Comme nous l’avons souligné plus haut, ce disciple est appelé « le disciple que Jésus aimait » et non « le disciple bien-aimé ». C’est-à-dire qu’à travers son témoignage, c’est l’amour de Jésus qui demeure dans le monde, c’est Jésus lui-même qui continue à enseigner, à témoigner et à transmettre au monde entier son message laissé par l’Évangile. Le rôle de cet Évangile ne se limite pas à la transmission de la foi, ou au renforcement de la foi des disciples mais il est « un témoignage » adressé à toute l’humanité. Ce témoignage écrit est pour les communautés croyantes, pour tout homme qui ne connaît pas encore Jésus et aussi pour les adversaires de Jésus et de ses disciples. Ainsi « la présence » de ce disciple à travers son témoignage dans l’Évangile permet à la fois aux adversaires (« le monde hostile », cf. 15,18-19) et aux non-croyants de connaître qui est Jésus et qui sont ses disciples et permet aux communautés croyantes de se situer dans le monde que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur de la communauté, en sachant que le but de ce témoignage est avant tout un appel à croire pour avoir la vraie vie (cf. 19,35 ; 20,31).

     7. Son vrai témoignage et son écriture (21,24)

Dans la deuxième conclusion du quatrième évangile (21,24-25), le rédacteur confirme d’abord l’autorité du témoignage du disciple que Jésus aimait et son écriture (21,24), ensuite l’impossibilité de tout écrire, mais l’essentiel est déjà raconté dans l’Évangile (cf. la première conclusion en 20,30-31). Le rédacteur conclut en 21,24-25 : « 24 C’est ce disciple [le disciple que Jésus aimait] qui témoigne de ces faits et qui les a écrits, et nous savons que son témoignage est véridique. 25  Il y a encore bien d’autres choses qu’a faites Jésus. Si on les mettait par écrit une à une, je pense que le monde lui-même ne suffirait pas à contenir les livres qu’on en écrirait. »

a) Le témoignage et l’écriture du disciple

Le rédacteur résume le rôle du disciple que Jésus aimait dans l’ensemble de l’Évangile en 21,24a : « C’est ce disciple qui témoigne ces faits (toutôn) et qui les a écrits (ho grapsas tauta). » La traduction littérale de cette phrase est « C’est ce disciple qui témoigne ces choses (toutôn) et qui a écrit ces choses (tauta) ». Dans ce verset de conclusion, le terme « houtos (chose) » employé deux fois : l’un au génitif, neutre, pluriel « toutôn » et l’autre à l’accusatif, neutre, pluriel « tauta » (les choses), montre que le témoignage et l’écriture de ce disciple renvoient à la mission publique de Jésus et surtout à sa mort et sa résurrection. Le noyau du texte de l’Évangile remonte donc à l’écriture de ce disciple, mais nous ignorons quels passages dans l’Évangile actuel ont été écrits par ce disciple. En 21,24, le verbe « graphô » (écrire) est à l’aoriste : « graphô » (a écrit), ainsi la mise par écrit de ce disciple est terminée au moment où le rédacteur compose la deuxième conclusion de l’Évangile. C’est-à-dire que le rédacteur a donné la forme finale à l’Évangile actuel, c’est lui qui parle du témoignage du disciple que Jésus aimait et qui écrit au sujet de ce disciple. Celui-ci n’est donc pas l’auteur de l’ensemble de l’Évangile.

Notons qu’il y a un parallèle notable entre 19,35 et 21,24. En effet, l’expression : « Celui qui a vu rend témoignage » en 19,35a est parallèle avec celle de « C’est ce disciple qui témoigne de ces choses » en 21,24a, et l’affirmation : « Son témoignage est véritable, et celui-là sait qu’il dit vrai » en 19,35b est parallèle avec celle de « Nous savons que son témoignage est véridique » en 21,24c. Ce qui est propre à 21,24 est que ce disciple « les a écrits » (21,24b). Les parallèles entre 19,35 et 21,24 montrent que 21,24 est une relecture de 19,35 avec un élément nouveau dont le rédacteur met en valeur : l’écriture du disciple que Jésus aimait.

Culpepper, John, 66, a fait le lien entre 19,35 et 21,24 : « Ce verset [19,35] signale l’importance du disciple bien-aimé. Il a été le témoin pour les croyants à venir. La description de sa présence dans les moments clés du récit de la Passion a été une façon d’affirmer à la fois son autorité comme un vrai témoin, et par conséquent d’affirmer aussi l’autorité et la crédibilité de l’Évangile. Cet Évangile peut être cru parce qu’il repose sur le témoignage du disciple qui était le plus proche de Jésus, celui qui était présent à sa mort, qui a vu le Seigneur ressuscité et qui a porté un vrai témoignage. » (“This verse [19:35] signals the significance of the Beloved Disciple. He was the witness to later believers. Describing his presence at the key moments in the passion narrative was a way of affirming both his authority as a true witness and, by implication, the authority and credibility of the Gospel. The Gospel may be believed because it rests on the testimony of the disciple who was closest to Jesus, who was present at his death and saw the risen Lord, and who has borne a true witness”).

b) Le disciple que Jésus aimait et le rédacteur

La deuxième conclusion de l’Évangile (21,24-25) permet de distinguer entre « le disciple que Jésus aimait » et « le rédacteur » qui a écrit le ch. 21 et a donné la forme finale du texte de l’Évangile. Selon Zumstein, « Visage de la communauté », 97-98 : « Le chap. 21 de l’évangile est donc représentatif d’une phase de stabilisation de l’évangile dans l’histoire du johannisme. L’heure n’est plus à l’élaboration de l’évangile considéré comme une Écriture désormais clôturée ; elle est à une réflexion sur le statut de cet évangile dont il s’agit d’établir la valeur à la fois documentaire et théologique aussi bien pour les communautés johanniques que pour l’oikoumenè [le monde] tout entière. »

Pour faciliter la lecture de l’Évangile, nous distinguons trois personnes dans le processus de formation du quatrième Évangile : (1) « le disciple que Jésus aimait », le chef de file de l’école johannique, (2) « l’évangéliste » qui a écrit la première conclusion en 20,30-31 et (3) « le rédacteur » qui a composé le ch. 21 et a donné la forme finale de l’Évangile. Nous reviendrons davantage sur ces trois figures dans le prochain article. L’affirmation du rédacteur par un pronom personnel au pluriel « nous » (21,24c) assure la continuité avec le témoignage du disciple que Jésus aimait. Le « nous » collectif en 21,24c et le « je » personnel du rédacteur en 21,25 montrent que le rédacteur n’est pas une personne solitaire. Derrière lui, il existe une école de pensée, qui est responsable de la rédaction de l’Évangile.

IV. Conclusion

Les caractéristiques du disciple que Jésus aimait dans le quatrième Évangile peuvent être résumées dans les huit points suivants :

1) C’est un disciple anonyme dans l’Évangile. Il est appelé « le disciple que Jésus aimait » et non « le disciple bien aimé » puisque l’Évangile met en relief l’amour de Jésus pour ce disciple. Il est le représentant de tous les croyants, parce que Jésus a aimé les siens jusqu’à donner sa vie pour eux (cf. 13,1 ; 15,14).

2) Il est proche dans la relation avec Jésus. Si Jésus est dans le sein du Père (1,18) ce disciple est dans le sein de Jésus (13,23). À la demande de Pierre (13,24), ce disciple est capable d’entrer en dialogue avec Jésus pour avoir les informations sur celui qui va le livrer (13,25-26).

3) Il est fidèle à Jésus jusqu’à la fin. Le disciple que Jésus aimait est présent au pied de la croix. Il ne laisse pas Jésus seul (cf. 16,32).

4) Il est le responsable de la nouvelle famille des croyants. Avant sa mort, Jésus a établi une nouvelle famille. Le disciple que Jésus aimait devient le fils de la mère de Jésus et elle est la mère de ce disciple. Ce dernier accueille la mère de Jésus chez lui. Désormais Israël fidèle à Dieu peut rejoindre la communauté du disciple pour devenir les enfants de Dieu (cf. 1,12).

5) Il est le témoin d’autorité de la mort de Jésus et de l’ensemble de l’Évangile. Le disciple que Jésus aimait est le témoin oculaire de la passion de Jésus (19,35). Son témoignage véridique et son écriture (21,24) assurent l’authenticité de l’ensemble du quatrième Évangile.

6) Il possède une capacité exceptionnelle de « voir », « croire » et « connaître ». En assistant à la mort de Jésus, ce disciple est le témoin oculaire de l’événement. Il est le premier qui voit et croit devant le tombeau vide (20,8). À la mer de Tibériade, il est le premier à reconnaître le Seigneur Jésus (21,7).

7) C’est un disciple parfait par rapport à Simon-Pierre et les autres disciples. Jésus ne lui fait aucun reproche. Les faiblesses humaines n’existent pas chez ce personnage. Le disciple que Jésus aimait est supérieur à tous les autres disciples.

8) Il est un disciple idéal pour tous les croyants. Dans l’Évangile, la figure du disciple que Jésus aimait témoigne d’une portée symbolique importante pour la communauté croyante. En tant que disciple anonyme, l’amour de Jésus n’est pas pour lui seul. Sa relation avec Jésus, sa foi et son témoignage sont des modèles pour tous les disciples. Le parcours de ce disciple est le parcours idéal pour tous les croyants au cours des siècles. Le lecteur est donc invité à s’identifier à ce disciple, c’est-à-dire à apprendre quotidiennement à entrer dans une relation de plus en plus intime avec Jésus et à faire de sa vie un témoignage de l’Évangile.

Dans cet article, nous avons présenté brièvement le processus de rédaction de l’Évangile en distinguant entre « le disciple que Jésus aimait », « l’évangéliste » et « le rédacteur ». Nous continuerons notre étude sur ce disciple dans l’article suivant au sujet de l’« auteur » et du « lecteur » du quatrième Évangile./.


     Bibliographie
Culpepper R.A., John, the Son of Zebedee. The Life of a Legend, (SPNT), Columbia (SC) 1994.
École Biblique de Jérusalem, (dir.), La Bible de Jérusalem, (=BiJer), (Nouvelle édition), Paris 2000.
Tharcher T., “The Legend of the Beloved Disciple”, in R.T. Fortna, T. Tharcher, (ed.), Jesus in Johannine Tradition, Louisville (KY) 2001, p. 91-99.
Léon-Dufour X., Lecture de l’Évangile selon Jean (Parole de Dieu), 4 vol., Paris 1988-1996.
Serra A.M., Marie à Cana, Marie près de la croix (Jean 2,1-12 et 19,25-27), (trad.), (LiBi 64), Paris 1983. (Éd. originale en italien, 1978).
La Potterie I. de, La vérité dans saint Jean, t. I : Le Christ et la vérité. L’Esprit et la vérité, (AnBib 73); t. II : Le croyant et la vérité, (AnBib 74), Rome 1977, 1128 p.
Zumstein J., « Visage de la communauté johannique », dans A. Marchadour, (éd.), Origine et postérité de l’Évangile de Jean, (XIIIè congrès de l’Acfeb, Toulouse, 1989), (LeDiv 143), Paris 1990, p. 87-106.
Brown R.E., (Ed. by F.J. Moloney), An Introduction to the Gospel of John, (ABRL), New York (NY) 2003.


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