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Le 9 novembre 2015.
Contenu
I. Introduction
II. Jean l’apôtre et le disciple que Jésus
aimait
1.
Les fils de Zébédée en Jn 21,2
2. Jean,
le frère de Jacques dans les Synoptiques
3.
Quelques actions de Jean l’apôtre
III. Les disciples anonymes dans le quatrième Évangile
1. L’un
des deux premiers disciples en Jn 1,37-40
2.
« Un autre disciple » en Jn 18,15-16
3. L’un
des deux disciples anonymes en Jn 21,2
4.
Le disciple que Jésus aimait
IV. Conclusion
Bibliographie
I. Introduction
Dans
l’article : « “Le
disciple que Jésus aimait”, “Jean l’apôtre” et “Jean l’évangéliste” dans les
traditions des IIè-IVè siècles » du 23 octobre 2015,
nous avons montré que les documents des IIè-IVè siècles
ne nous permettent pas d’identifier « le disciple que Jésus aimait »
dans le quatrième Évangile avec « Jean l’apôtre » et « l’auteur »
de cet Évangile dans la notion moderne du terme.
Dans cet article, d’une part, nous comparons
« le disciple que Jésus aimait » dans le quatrième Évangile et
« Jean l’apôtre » dans les Évangiles synoptiques pour savoir si les quatre
Évangiles sont en faveur ou non d’une identification entre ces deux
personnages, et d’autre part, nous faisons la distinction entre le disciple que
Jésus aimait des autres disciples anonymes dans le quatrième Évangile.
Dans cet article, les références aux auteurs
sont abrégées. Le nom de l’auteur suivi d’un astérisque (*) renvoie à son
commentaire de l’Évangile de Jean. Pour un ouvrage ou un article nous ajoutons
quelques mots du titre, en italique s’il s’agit d’un livre, entre guillemets
s’il s’agit d’un article ou d’un extrait
d’un ouvrage. La référence complète se trouve dans la bibliographie à la fin de
l’article. Pour les citations de la Bible, nous utilisons la Bible de Jérusalem sauf
Jn 1–2 qui est de notre traduction).
II. Jean l’apôtre et le
disciple que Jésus aimait
Cothenet, « Le quatrième évangile »,
288, identifie le disciple que Jésus aimait à Jean le fils de Zébédée pour une
double raison : d’abord les apôtres Jean et Pierre sont associés dans les
Synoptiques, dans les Actes des apôtres et dans l’épître aux Galates (Ga 2,9).
Dans le quatrième Évangile, le disciple que Jésus aimait et Pierre sont souvent
ensemble (Jn 13,23-26 ; 20,3-10 ; 21,1-23). Ensuite ce disciple
pourrait être l’un des fils de Zébédée mentionné en Jn 21,2. Or ces
arguments sont difficiles à soutenir puisqu’il y a une différence indéniable entre
les deux personnages : « l’apôtre Jean » et « le disciple
que Jésus aimait ». Dans cette partie nous présentons la différence entre
ces deux personnages en trois points : (1) Les fils de Zébédée en Jn
21,2 ; (2) Jean, le frère de Jacques dans les Synoptiques ; (3) Quelques
actions de Jean l’apôtre.
1. Les fils de Zébédée en Jn
21,2
La désignation « les fils de
Zébédée » sans préciser les noms « Jacques » et « Jean »
figure en 3 occurrences dans les quatre Évangiles (Mt 20,20 ; 26,37 ;
Jn 21,2). Dans l’Évangile de Matthieu, « les fils de Zébédée »
renvoie explicitement aux deux frères : Jacques et Jean. Dans le quatrième Évangile, les noms de ces deux frères « Jacques » et « Jean »
ne sont pas mentionnés. Grâce aux Synoptiques on sait que « les fils de
Zébédée » sont Jacques et Jean. Selon les Synoptiques, les quatre premiers
disciples (Pierre et André son frère, puis Jacques et Jean son frère) sont
appelés par Jésus au bord de la mer de Galilée. Le narrateur raconte en Mt
4,21-22 : « 21 Et avançant plus loin, il [Jésus] vit deux autres
frères, Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, dans leur barque, avec
Zébédée leur père, en train d’arranger leurs filets ; et il les appela. 22
Eux, aussitôt, laissant la barque et leur père, le suivirent. »
Le quatrième Évangile présente les premiers
disciples de Jésus dans une autre perspective. Les deux premiers disciples de
Jésus (André et un disciple anonyme) étaient disciples de Jean Baptiste (Jn 1,35-39)
et la scène se passe probablement « à Béthanie, de l’autre côté du
Jourdain, où Jean baptisait » (1,28). Ensuite André dit à son frère
Simon-Pierre : « Nous avons trouvé le Messie » (1,41b). Le
groupe des premiers disciples de Jésus dans le quatrième Évangile est formé de cinq disciples (au lieu de quatre dans les Synoptiques) : un disciple anonyme,
André, Simon-Pierre, Philippe et Nathanaël, cf. article : « Jn
1,35-51 : Les premiers disciples de Jésus » du 21 août 2015.
Dans le quatrième Évangile, l’appellation
« les fils de Zébédée », littéralement : « ceux de Zébédée
(hoi tou Zebedaiou) »,
n’apparaît qu’en une seule occurrence en 21,2. Les fils de Zébédée appartiennent
au groupe de sept disciples mentionnés en 21,2 dans lequel deux disciples sont
anonymes. La première partie du récit de la pêche abondante (21,1-14) est racontée
en 21,1-3 : « 1
Après cela, Jésus se manifesta de nouveau aux disciples sur le bord de la mer
de Tibériade. Il se manifesta ainsi. 2 Simon-Pierre, Thomas, appelé Didyme,
Nathanaël, de Cana en Galilée, les fils de Zébédée et deux autres de ses
disciples se trouvaient ensemble. 3 Simon-Pierre leur dit : “Je m’en vais
pêcher.” Ils lui dirent: “Nous venons nous aussi avec toi.” Ils sortirent,
montèrent dans le bateau et, cette nuit-là, ils ne prirent rien. »
Le disciple
que Jésus aimait est l’un des sept disciples dans le bateau, puisqu’il prend la
parole en 21,7 : « Le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre :
“C’est le Seigneur !” À ces mots : “C’est le Seigneur !”
Simon-Pierre mit son vêtement – car il était nu – et il se jeta à l’eau. »
Nous rejoignons l’opinion des auteurs (cf.
Schnackenburg*, III, 384) qui considèrent que « le disciple que
Jésus aimait » en 21,7 est l’un des deux disciples anonymes mentionnés en
21,2. Boismard, « Le disciple », 79, écrit : « Une double
conclusion, négative, en découle : puisque le disciple que Jésus aimait
est l’un des “deux autres disciples” mentionnés en 21,2, il ne peut pas être Jean
l’apôtre, le fils de Zébédée, qui en est explicitement distingué dans ce
verset. En conséquence, l’autre disciple qui accompagne André en 1,35 ss ne
peut pas être non plus ce Jean, fils de Zébédée, comme on l’a affirmé trop
souvent. Respectons l’anonymat voulu par l’évangéliste. »
Nous
pouvons conclure que l’un « des fils de Zébédée » mentionné en Jn 21,2
est Jean l’apôtre et que ce dernier n’est pas le disciple que Jésus aimait. Ce
disciple est l’un des deux disciples innommés en 21,2.
2. Jean, le frère de Jacques
dans les Synoptiques
Le fait que le disciple que Jésus aimait est
souvent présenté à côté de Simon-Pierre dans le quatrième Évangile est-il
suffisant pour identifier le disciple que Jésus aimait avec Jean
l’apôtre ? Pour répondre à cette question, nous comparons « Jean, le
frère de Jacques » dans les Synoptiques avec « le disciple que Jésus
aimait » dans le quatrième Évangile.
L’apôtre Jean est nommé dans les Synoptiques par
quatre appellations : « Jean », « le frère de
Jacques », « le fils de Zébédée » et « le fils du
tonnerre ». Le tableau ci-dessous indique ces appellations dans les
Synoptiques :
Parfois Jacques et Jean sont nommés :
« les deux frères » (Mt 20,24) ou « les fils de Zébédée »
(Mt 26,37). Le surnom « le fils du tonnerre » ne se trouve que dans
la liste des Douze en Mc 3,17 : « … puis Jacques, le fils de Zébédée,
et Jean, le frère de Jacques, auxquels il donna le nom de Boanergès,
c'est-à-dire « fils du tonnerre ». Dans le quatrième Évangile les
noms des deux frères « Jacques » et « Jean » ne sont pas
mentionnés. Il y a seulement une occurrence de l’expression « les fils de
Zébédée » en Jn 21,2 qui renvoie indirectement à Jacques et Jean.
Jean l’apôtre est présent dans plusieurs récits
des Synoptiques. Dans ces récits, Jean l’apôtre agit seul, ou avec Jacques, ou
encore avec Jacques et Pierre, parfois il est simplement mentionné. Voici la
liste des récits où Jean l’apôtre est présent :
Dans ces récits, une seule fois Jean prend la
parole en Mc 9,38 (// Lc 9,49) ; deux fois Jean et Jacques parlent à
Jésus en Mc 10,35 (// Mt 20,22) et
Lc 9,54 ; et une fois Jean, Jacques et Pierre demandent à Jésus les signes
de la destruction du Temple en Mc 13,3. Dans les autres récits, Jean l’apôtre
est seulement mentionné. Dans quatre récits (cf. le tableau), Jean l’apôtre appartient
au petit groupe intime de Jésus : Jean, Jacques et Pierre.
Dans le quatrième Évangile, aucun des récits dans
le tableau ci-dessus n’est rapporté et le groupe des trois disciples :
Jean Jacques et Pierre ne figure pas. Le quatrième Évangile parle du groupe des
Douze (dôdeka) 4 fois en
6,67.70.71 ; 20,24 mais la liste de noms des Douze n’est pas donnée. Il
n’y a donc pas de récit parallèle entre « Jean l’apôtre » et « le
disciple que Jésus aimait ».
3. Quelques actions de Jean l’apôtre
Quelles sont les actions de Jean l’apôtre dans
les Synoptiques ? Nous présentons quelques récits où Jean prend la parole pour
comparer avec le disciple que Jésus aimait dans le quatrième Évangile.
En Mc 9,38, Jean dit à Jésus : « Maître,
nous avons vu quelqu’un expulser des démons en ton nom, quelqu’un qui ne nous
suit pas, et nous voulions l’empêcher, parce qu’il ne nous suivait pas. »
Mais Jésus lui répond en Mc 9,39-40 : « 39 Ne l’en empêchez pas, car
il n’est personne qui puisse faire un miracle en invoquant mon nom et sitôt
après parler mal de moi. 40 Qui n’est pas contre nous est pour nous. » Il
n’y a qu’une seule intervention de Jean l’apôtre dans les Synoptiques (Mc
9,38-40 // Lc 9,49-50). Dans les autres interventions, Jean est associé
soit avec son frère Jacques, soit avec Pierre. Le récit Mc 9,38-40 montre que
Jean ne comprend pas Jésus. Jésus lui demande de faire le contraire de ce qu’il
veut faire.
Quand Jean et Jacques demandent à Jésus de
siéger à sa droite et à sa gauche dans sa gloire (Mc 10,37), Jésus leur
dit en Mc 10,38a : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. »
Notons que dans ce récit, Jésus fait allusion à la mort martyre de ces deux
frères. Jésus leur dit en Mc 10,39 : « La coupe que je vais
boire, vous la boirez, et du baptême dont je vais être baptisé, vous serez
baptisés. » (cf. le martyre de Jean l’apôtre dans l’article « “Le
disciple que Jésus aimait”, “Jean l’apôtre” et “Jean l’évangéliste” dans les
traditions des IIè-IVè siècles ». À la fin du
récit Mc 10,35-41, le narrateur relate la réaction des dix autres apôtres en Mc
10,41 : « Les dix autres, qui avaient entendu, se mirent à s'indigner
contre Jacques et Jean. » Mais Jésus leur enseigne ceci en Mc
10,43b-44 : « 43b Celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera
votre serviteur, 44 et celui qui voudra être le premier parmi vous, sera
l’esclave de tous. » Cet enseignement invite Jean, Jacques et les dix autres
apôtres à changer leur quête du pouvoir et de la grandeur pour devenir des
serviteurs.
Dans la péricope Lc 9,51-56, Jésus et ses
disciples montent à Jérusalem. Quand les Samaritains n’accueillent pas les
messagers qui viennent pour préparer la route, Jacques et Jean dit à
Jésus : « Seigneur, veux-tu que nous ordonnions au feu de descendre
du ciel et de les consumer ? » (Lc 9,54) Cette proposition ne correspond
pas à la volonté de Jésus, c’est pourquoi il fait des reproches à ces deux frères
et prend un autre chemin comme le narrateur le dit en Lc 9,55-56 :
« 55 Mais, se retournant, il [Jésus] les [Jacques et Jean] réprimanda. 56
Et ils [Jésus et ses disciples] se mirent en route pour un autre
village. »
À Gethsémani, Jésus prend avec lui trois
disciples : Jean, Jacques et Pierre et leur dit : « Mon âme est
triste à en mourir ; demeurez ici et veillez » (Mc 14,34), puis il va
un peu plus loin pour prier (cf. Mc 14,35). Au moment de l’agonie de leur
Maître, ces trois disciples se sont endormis. Trois fois Jésus va prier, trois
fois il revient et trouve ses disciples en train de dormir (Mc 14,37.40.41). Même
si Jésus a dit à Pierre en Mc 14,37b-38 : « 37b Simon, tu dors ?
Tu n’as pas eu la force de veiller une heure ? 38 Veillez et priez pour ne pas entrer en
tentation : l’esprit est ardent, mais la chair est faible », ces
trois disciples continuent à dormir parce que « leurs yeux étaient
alourdis ; et ils ne savaient que lui répondre » (Mc 14,40), explique
le narrateur. Jean comme les autres apôtres sont confrontés aux faiblesses humaines, tandis que
le disciple que Jésus aimait dans le quatrième Évangile est présenté
différemment.
Dans les Synoptiques, Pierre joue un rôle plus
important que Jean l’apôtre. Par exemple, lors de la transfiguration de Jésus
(Mc 9,2-8), c’est Pierre qui prend la parole (Mc 9,5). À Gethsémani, trois
apôtres (Pierre, Jacques et Jean) sont présents, mais Jésus s’adresse à Pierre
(Mc 14,37). Dans le quatrième Évangile, la situation est renversée. Au dernier
repas, c’est avec l’aide du disciple que Jésus aimait (Jn 13,23-24) que Pierre
a reçu l’information sur celui qui va livrer Jésus. Dans le récit de la pêche
abondante (Jn 21,1-14), le disciple que Jésus aimait dit à Pierre que l’homme
qui se trouve au bord du lac de Tibériade était le Seigneur (Jn 21,7). Devant
le tombeau vide (Jn 20,1-10), « il [le disciple que Jésus aimait] vit et
il crut » (Jn 20,8), tandis que la foi
de Pierre n’est pas mentionnée. Selon les Synoptiques, les Douze dont
Jean fait partie, sont dispersés quand Jésus est arrêté, tandis que dans le
quatrième Évangile, le disciple que Jésus aimait est présent au pied de la
croix (Jn 19,26) ; il témoigne que le sang et l’eau ont coulé du côté
transpercé de Jésus (Jn 19,31-37).
Ainsi, dans le quatrième Évangile, l’autorité
de Pierre est reconnue mais le disciple que Jésus aimait a une relation plus
intime avec Jésus que Pierre et les autres disciples. Il n’y a aucun malentendu et aucune incompréhension entre Jésus et
le disciple qu’il aimait. Ce n’est pas le cas de l’apôtre Jean dans les
Synoptiques (voir plus haut). Les différences entre « l’apôtre Jean »
et « le disciple que Jésus aimait » sont indéniables. Le fait que le
disciple que Jésus aimait et Pierre aient été souvent ensemble dans l’Évangile de Jean (Jn 13,23-26 ; 20,3-10 ; 21,1-23) ne permet donc pas d’identifier
ce disciple avec Jean l’apôtre.
III. Les disciples anonymes dans le quatrième Évangile
La comparaison entre « Jean
l’apôtre » dans les Synoptiques et « le disciple que Jésus
aimait » dans le quatrième Évangile nous permettent de distinguer deux
personnages différents. En plus, dans le quatrième Évangile, le disciple que
Jésus aimait est l’un parmi d’autres disciples anonymes. Certains passages de
cet Évangile n’ont pas d’indices suffisants pour identifier le disciple anonyme
en question avec le disciple que Jésus aimait. Nous présentons quatre disciples
anonymes : (1) Un des deux premiers disciples en 1,37-40 ; (2) « Un
autre disciple » en 18,15-16 ; (3) L’un des deux autres disciples anonymes
en 21,2 ; (4) Le disciple que Jésus aimait.
En 1,35-37, le narrateur rapporte que les deux
premiers disciples de Jésus étaient les disciples de Jean Baptiste. Jean présente
Jésus à ses deux disciples et ces derniers suivent Jésus. Le narrateur raconte
en 1,35-37 : « 35 Le lendemain, de nouveau, Jean se tenait là avec
deux de ses disciples. 36 Fixant son regard sur Jésus en train de marcher, il
dit : “Voici l’agneau de Dieu.” 37 Les deux disciples l’entendirent parler
et suivirent Jésus. » Ces deux disciples demeurèrent auprès de Jésus ce
jour-là (1,39c).
Dans l’unité littéraire suivante (1,40-42), le
narrateur relate l’appel de Simon-Pierre : « 40 André, le frère de
Simon-Pierre, était l’un des deux qui avaient écouté Jean et qui l’avaient
suivi. 41 Celui-ci trouve d’abord son propre frère Simon et lui dit : “Nous
avons trouvé le Messie” – c’est-à-dire, étant traduit : Christ –. 42 Il
l’amena à Jésus. Fixant son regard sur lui, Jésus dit : “Toi, tu es Simon,
le fils de Jean, toi, tu seras appelé Céphas” – ce qui signifie : Pierre –. »
Parmi les deux premiers disciples qui ont suivi Jésus, seul André est nommé en
1,40. Le nom de l’autre disciple n’est pas communiqué.
Certains critiques cherchent à identifier ce
disciple anonyme en considérant qu’il est le disciple que Jésus aimait (Lagrange*,
46-47 ; Cothenet, « Le quatrième », 288 ; Delebecque, Évangile de Jean, 13 ; Moloney*, 7 ;
Brown, La communauté, 35 ; Marchadour*,
2011, 62) ou Philippe (Boismard, « Les traditions johanniques », 42 ; Colson, L’énigme du disciple, 14 ; Boismard–Lamouille*, III, 95 ; Léon-Dufour*,
I, 193).
En effet, Cothenet identifie le disciple
anonyme en 1,37-39 avec « le fils de Zébédée » et « le disciple
que Jésus aimait ». Cothenet, « Le quatrième », 288,
écrit : « On peut songer à lui [le disciple que Jésus aimait, le fils
de Zébédée] dans la scène de Jn 1,35-39, où l’un est André et l’autre reste
innommé. » Il en est de même pour Delebecque. Cet auteur identifie
l’apôtre Jean avec le disciple que Jésus aimait, un disciple de Jean Baptiste
(1,35-37). Selon Delebecque, Évangile de
Jean, 13 : « Il [Jean, le fils de Zébédée, le disciple que Jésus
aimait] se désigne si timidement que l’on voit mal à quel moment il devint
disciple de Jean-Baptiste. Il ne dit rien sur la pêche miraculeuse du lac de
Tibériade [Lc 5,1-11], mais on ne peut guère douter qu’à côté d’André il était l’autre, l’un des deux qui avaient
entendu parler le Précurseur, et qui l’avaient suivi [Jésus] (1,40). » Delebecque
a mis une note de traduction du v. 40 : « un des deux : l’autre est presque sûrement l’évangéliste qui,
toujours discret sur soi, jamais ne prononce son propre nom. » (Delebecque,
Évangile de Jean, 147).
Moloney identifie « le
disciple anonyme » en 1,35-39 et « l’autre disciple » en
18,15 avec « le disciple que Jésus aimait » en 20,2. Selon Moloney, au
stade plus primitif, il s’agit de l’appellation « l’autre disciple »,
ensuite au stade final de la rédaction de l’Évangile, l’appellation « celui
que Jésus aimait » est ajoutée en 20,2. Moloney*, 7, écrit : « Jean-Baptiste
envoie ses deux disciples pour suivre Jésus (cf. 1,35-42), l’un d’eux est nommé
à la fin : André (1,40), l’autre reste incognito. Il existe une répétition
de cette pratique de non-nommé d’un personnage du récit connue comme “l’autre
disciple” (18,15.16 ; 20,3.4.8). Ce personnage énigmatique vient
finalement d’être connu comme “l’autre disciple… que Jésus aimait” (cf. 20,2).
On voit en 20,2 qu’au stade initial de la tradition on avait tout simplement “l’autre
disciple” (cf. 18,15.16 ; 20,3.4.8), mais que, dans l’édition finale (ou
au moins à un stade ultérieur de la rédaction de l'Évangile) les mots “que
Jésus aimait” ont été ajoutés. »
(“As John the Baptist
sends two of his disciples to follow Jesus (cf. 1:35-42), one of them
eventually named: Andrew (1:40). The other remains incognito. There is the
repetition of this practice in the non-naming of a character in the story known
as ‘the other disciple’ (cf. 18:15,16; 20:3,4,8). This enigmatic character
eventually comes to be known as ‘the other disciple… whom Jesus loved’ (cf.
20:2). In 20:2 it look as if an early stage of the tradition simply had ‘the
other disciple’ (cf. 18:15,16; 20:3,4,8), but that in a final edition (or at
least a later stage in the writing of the Gospel) the words ‘whom Jesus loved’
were added”).
Brown, La
communauté, 35, est d’accord pour voir dans le disciple innommé en 1,35-40,
le disciple que Jésus aimait : « Je suggérerais encore que le tableau
johannique devient plus compréhensible si le disciple bien-aimé fut, comme
quelques-uns des disciples nommés en Jean 1,35-51, disciple de Jean Baptiste,
peut-être même le disciple innommé de 1,35-40 : ce passage mentionne en
effet deux disciples, mais n’identifie que l’un d’eux, André. Dans ce cas, le
disciple bien-aimé aurait eu une expérience première analogue à celle de
quelques membres éminents parmi des Douze. »
Quant à Boismard,
« Le disciple », 79, il refuse d’identifier le disciple innommé en
1,37 avec Jean l’apôtre : « L’autre disciple qui accompagne André en
1,35 ss ne peut pas être non plus ce Jean, fils de Zébédée, comme on l’a
affirmé trop souvent. Respectons l’anonymat voulu par l’évangéliste. »
(Cf. la citation complète plus haut). Boismard attribue au
rédacteur final de l’évangile de l’identification entre « le disciple
anonyme » en 1,37 et « le disciple que Jésus aimait » en Jn 21.
Selon Boismard, « Le disciple », 80, le disciple que Jésus aimait
aurait été un prêtre de Jérusalem : « Il faudrait donc en attribuer
la rédaction à l’ultime rédacteur de l’Évangile. Ne serait-ce pas lui alors qui
aurait fait du disciple que Jésus aimait, d’abord un disciple du Baptiste, puis
un prêcheur de Galilée, alors qu’en réalité, selon la tradition johannique la
plus ancienne dont Polycrate d’Éphèse serait un bon témoin (cf. 18,15-16) il
aurait été un prêtre demeurant à Jérusalem ? » (Cf. les témoins des
Pères de l’Église dans l’article : « “Le
disciple que Jésus aimait”, “Jean l’apôtre” et “Jean l’évangéliste” dans les
traditions des IIè-IVè siècles »).
Dans l’article en 1963, Boismard, « Les traditions johanniques », 42, identifie le disciple anonyme en 1,37 avec Philippe mentionné en
1,43-44 : « L’hypothèse d’une origine rédactionnelle du v. 43 ne doit
pas être exclue, ce qui rendrait évidemment plus facile l’identification du
deuxième disciple de 1, 35 ss avec Philippe. » En rejoignant l’hypothèse
de Boismard, Colson, L’énigme du disciple,
14, écrit : « On comprend mal comment Jésus invite brutalement
Philippe à le suivre sans préavis, sans l’avoir jamais rencontré. Par contre le
passage est tout à fait cohérent si on le comprend comme suit : Deux
disciples de Jean-Baptiste suivent Jésus et passent la journée avec lui. L’un
d’eux, André, d’abord rencontre son frère Simon et l’amène à Jésus. Le
lendemain, Jésus, décidant de partir pour Galilée et rencontrant en la personne
de Philippe l’autre disciple qui, avec André, est venu le trouver
l’avant-veille ou quelques jours auparavant, l’invite à se joindre à lui avec
André et Pierre pour gagner Galilée, puisqu’il est tout comme ceux-ci de Bethsaïde. »
Selon nous, le contexte 1,35-40 ne permet pas
d’identifier le disciple innommé avec le disciple que Jésus aimait, ni avec
Jean l’apôtre, ni avec Philippe. Nous respectons le texte en gardant l’anonymat
de ce disciple. Nous pensons que cet anonymat possède une valeur symbolique
pour le lecteur. Le parcours de ce disciple anonyme invite le lecteur à « écouter »
le témoignage sur Jésus, puis à le « suivre », à « venir »
à lui et à « demeurer » avec lui (1,36-39). Notons que le lieu où
Jésus demeure n’est pas mentionné dans le récit. Le lecteur peut donc suivre
Jésus et demeurer avec lui n’importe où il se trouve. Il y a aussi les autres
types d’appels (Simon-Pierre, Philippe, Nathanaël) comme de modèles pour
devenir disciple de Jésus (cf. article « Jn
1,35-51 : Les premiers disciples de Jésus »).
Après que Jésus fut arrêté par la cohorte et
les gardes des Juifs (18,12), ces derniers le menèrent chez Anne, le beau-père
de Caïphe (18,13). Le narrateur raconte cette scène en 18,15-16 : « 15 Or Simon-Pierre suivait Jésus, ainsi qu’un autre disciple. Ce disciple
était connu du grand prêtre et entra avec Jésus dans la cour du grand prêtre,
16 tandis que Pierre se tenait près de la porte, dehors. L’autre disciple,
celui qui était connu du grand prêtre, sortit donc et dit un mot à la portière
et il fit entrer Pierre. » Dans ce texte, « l’autre disciple » a
fait un aller-retour dans la cour de la résidence du grand prêtre Anne. D’abord
il est avec Pierre (18,15), ensuite il entre seul dans la cour avec Jésus tandis
que Pierre est resté dehors, et enfin l’autre disciple sort et fait entrer
Pierre dans la cour (18,16). L’aller-retour de cet « autre disciple »
met en relief sa relation avec le grand prêtre. Deux fois dans le texte, ce
disciple est défini comme celui qui « était connu du grand prêtre »
(18,15.16).
En s’appuyant sur le fait que l’appellation
« autre disciple » en 18,15-16 est aussi utilisée pour désigner « le
disciple que Jésus aimait » en 20,2-8, certains auteurs identifient cet
autre disciple avec le disciple que Jésus aimait. Hengel, The Johannine
Question, 78-79, remarque : « Déjà dans l'exégèse des Pères
grecs, il est presque tenu pour acquis que cet ‘autre disciple’ est identifié au
disciple bien-aimé (ou Jean), et à un stade très précoce, un article est ajouté
à l’indéterminé ‘allos mathētēs’ [autre disciple] pour le clarifier (cf. 20,2-8). Que ce soit le
disciple bien-aimé ou non est encore un sujet de débat, mais une grande majorité
des exégètes, en commençant par les Pères de l'Église, à juste titre, ont
tendance à faire cette identification. » (“Already in the exegesis of the Greek Fathers it is almost taken for
granted that this ‘other disciple’ is identical to the beloved disciple (or
John), and at a very early stage the article is added to the indeterminate ‘allos mathētēs’ to clarify it (cf. 20.2-8). Whether this is the beloved disciple or
not is still a matter of dispute, but the overwhelming majority of exegetes,
beginning with the church fathers, rightly tend to make the identification”).
Colson, L’énigme
du disciple, 110, identifie « l’autre disciple » en 18,15 avec « le
disciple que Jésus aimait » : « Il [le disciple que Jésus aimait]
était connu du Grand-Prêtre et ayant chez lui ses entrées (Jn., 18, 15 ss).
(…), et introduit celui-ci [Simon-Pierre] chez le Grand-Prêtre. » La même interprétation
se trouve chez Winandy, « Le disciple », 71 : « Il y a tout
lieu de croire que c’est encore de lui [le disciple que Jésus aimait] qu’il est
question là où il est dit (18,15-16) qu’un autre disciple, connu du grand
prêtre, entra avec Jésus prisonnier dans la cour du palais pontifical et y
introduisit Simon-Pierre. »
Cependant, on ne sait pas comment harmoniser entre
« le disciple que Jésus aimait » qui est présent au dernier repas à
côté de Jésus, et « le disciple » qui est connu du grand prêtre et qui
a ses entrées libres dans la résidence de ce dernier ? Schnackenburg*,
III, 386, voit dans cet « autre disciple » (18,15) un habitant de Jérusalem comme Nicodème ou Joseph
d’Arimathie : « Certes, la lecture (correcte) sans article
défini : un “autre disciple” peut également renvoyer à un homme par
ailleurs inconnu. Parce que l’évangéliste mentionne ailleurs expressément le
disciple bien-aimé (19,26) ou renvoie à lui (20,2, ‘l’autre disciple, celui que
Jésus aimait’), cela est encore plus probable. Tout de même, nous faisons ici
la connaissance d’un autre homme de Jérusalem, une relation du grand prêtre, il
doit appartenir aux disciples de Jésus. Avec lui, Nicodème, Joseph d'Arimathie,
les disciples sommairement mentionnés en Judée-Jérusalem (7,3), Lazare et ses
sœurs à Béthanie, il en résulte ainsi un cercle non négligeable de gens qui
viennent dans le cadre des disciples de Jésus dans et près de la capitale. »
(“The (correct)
reading without an article ‘another disciple’ can, admittedly, also point to an
otherwise unknown man. Since the evangelist elsewhere expressly mentions the
beloved disciple (19:26) or refers back to him (20:2, ‘the other disciple, the
one whom Jesus loved’), this is even more probable. All the same, we thus get
to know another man from Jerusalem, an acquaintance of the high priest, who has
to belong to the followers of Jesus. With him and Nicodemus, Joseph of
Arimathaea, the summarily mentioned disciples in Judea-Jerusalem (7:3), Lazarus
and his sisters in Bethany, there thus results a not inconsiderable circle of
people who come within the scope of followers of Jesus in and near the capital”).
Nous sommes d’accord avec l’interprétation de
Schnackenburg*, III, 386. Le contexte de 18,15-16 ne nous permet pas d’identifier
cet « autre disciple » avec « le disciple que Jésus
aimait ». Il s’agit d’un disciple innommé qui « était connu du grand
prêtre » (18,15.16). Il vaut mieux
garder l’anonymat de ce disciple.
Nous avons étudié la liste des disciples en
21,2, en particulier deux expressions : « les fils de Zébédée »
et « deux autres
de ses disciples (alloi ek tôn mathètôn
autou duo) » (cf. le point « 1. Les fils de
Zébédée en Jn 21,2 »). Selon notre interprétation, le disciple que Jésus aimait
est l’un des
« deux autres disciples » innommés en 21,2. Dans ce cas, il reste encore un autre disciple anonyme. Nous ne savons pas si ce
disciple innommé en 21,2 est le disciple anonyme en 1,37-39. En tout cas, celui
qui apparaît en 21,2 a le titre de « disciple » (mathètès) de Jésus, tandis qu’en 1,37-39, le titre « disciple
de Jésus » n’est pas encore utilisé. Deux fois le terme « mathètès (disciple) » dans ch. 1
(1,35.37) désigne les deux disciples de Jean Baptiste et non pas disciples de
Jésus.
« Le disciple que Jésus aimait »
lui-même est aussi un disciple anonyme, parce qu’on ne connaît même pas son nom propre. Dans le quatrième Évangile, l’appellation : « le disciple que Jésus aimait (hon ègapa ho Ièsous) » apparaît en
5 occurrences dans lesquelles le verbe « agapaô » (aimer) figure en quatre occurrences (13,23 ;
19,26 ; 21,7.20), et le verbe « phileô »
(aimer d’amitié) est utilisé 1 fois en 20,2 dans l’expression :
« l’autre disciple, celui que Jésus aimait (ton allon mathètèn hon ephilei ho Ièsous) ». Dans quatre
circonstances (13,21-26 ; 20,2-8 ; 21,1-14 ; 21,18-24), ce
disciple est présent avec Pierre. Au pied de la croix, le seul disciple que
Jésus aimait est présent à côté de la mère de Jésus et quelques autres femmes (19,26).
Dans les contextes des récits concernant ce disciple, il est mentionné simplement
comme « le disciple (ho mathètès) »
en 19,27 ; 21,23.24, soit « l’autre disciple (ho allos mathètès) » en 20,2.3.4.8 par rapport à Simon-Pierre.
On l’appelle souvent « le disciple
bien-aimé » (the Beloved Disciple) mais cette appellation ne figure pas dans
les récits. Nous utilisons l’appellation du texte : « le disciple que
Jésus aimait » puisqu’elle met en relief l’amour de Jésus pour ce disciple.
Cet amour devient son « nom » et son identité. Le disciple que Jésus aimait
apparaît dans le quatrième Évangile à partir du ch. 13. Il joue un rôle
important dans les six circonstances suivantes :
(1) Au repas d’adieu (13,21-26)
(2) Au pied de la croix (19,25-27)
(3) La mort de Jésus, le coup de lance et son
témoignage (19,31-37), voir l’article : « Jn
19,35; 21,24. Le témoignage du disciple que Jésus aimait dans l’Évangile de
Jean » du 7 juillet 2014.
(4) Devant le tombeau vide (20,2-8)
(5) La pêche abondante dans la mer de
Tibériade (21,6-7)
(6) Son destin, son témoignage et son écriture
(21,18-24), voir l’article : « Jn
21,20-25. Le destin, les écrits et le témoignage du disciple que Jésus aimait »
du 30 juin 2014.
Le disciple que Jésus aimait a une place particulièrement
importante dans le quatrième Évangile. Nous consacrerons un article pour
étudier son rôle, sa relation avec Jésus et la portée symbolique de ce
personnage.
IV. Conclusion
Dans un premier temps, nous avons consacré nos
études à montrer que le texte des quatre Évangiles ne nous permet pas
d’identifier « le disciple que Jésus aimait » avec « Jean
l’apôtre, le fils de Zébédée », et dans un deuxième temps, nous avons distingué
les disciples anonymes dans le quatrième Évangile. Le contexte littéraire de
cet Évangile ne permet pas d’identifier « le disciple innommé » en
1,37-39, ni « un autre disciple » en 18,15-16 avec « le disciple
que Jésus aimait » qui est lui-même un disciple anonyme. Nous distinguons
donc quatre disciples anonymes : (1) l’un des deux premiers disciples de
Jésus en 1,37-39 ; (2) un autre disciple qui connaît le grand prêtre en
18,15-16 ; (3) l’un des deux disciples innommés en 21,2 ; (4) le
disciple que Jésus aimait.
Dans l’article suivant, nous continuerons
notre étude sur « le disciple que Jésus aimait » en analysant les tentatives
de donner un nom à ce disciple et les interprétations historiques et
littéraires de ce personnage qui est à la fois mystérieux, impressionnant et
signifiant du quatrième Évangile./.
Source : http://leminhthongtinmunggioan.blogspot.co.il/2015/11/les-fils-de-zebedee-et-les-disciples.html
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Abréviation, voir
ici
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