13/04/2018

Jn 14–16 : Le Paraclet-Esprit en lien avec Jésus, le monde et les disciples



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Le 13 avril 2018


Contenu

Introduction
I. Le Paraclet et Jésus
     1. La ressemblance dans le statut
     2. La ressemblance dans la mission
     3. Les différences entre Jésus et le Paraclet
     4. Le Paraclet remplace-t-il Jésus ?
II. Le Paraclet et le monde
     1. Témoigner au sujet de Jésus (15,26-27)
     2. Établir la culpabilité du monde (16,8-11)
          a) Le verbe « elegchô » (établir la culpabilité) en 16,8
          b) En matière de péché (16,9)
          c) En matière de justice (16,10)
          d) En matière de jugement (16,11)
III. Le Paraclet et les disciples
     1. Demeurer auprès des disciples (14,16-17)
     2. Enseigner et rappeler (14,26bc)
     3. Guider dans la vérité tout entière (16,13b)
     4. Parler et annoncer (16,13b-15)
Conclusion
     Bibliographie
  


Introduction

Dans l’article : « Jn 14–16 : Les cinq dits du Paraclet », nous avons présenté le contexte et la structure des dits du Paraclet et étudié les thèmes : son envoi, sa venue et ses appellations. Dans cet article nous examinons la triple relation : (I) le Paraclet et Jésus, (II) le Paraclet et le monde, (III) le Paraclet et les disciples. Pour le texte des cinq dits, nous avons utilisé notre traduction pour l’article ci-dessus. Les autres citations sont de la Bible de Jérusalem, 2000.

I. Le Paraclet et Jésus

La relation entre le Paraclet et Jésus est examinée en quatre points : (1) la ressemblance dans le statut, (2) la ressemblance dans la mission, (3) les différences entre Jésus et le Paraclet, et (4) la réponse à la question : le Paraclet remplace-t-il Jésus ?

     1. La ressemblance dans le statut


Trois éléments de ressemblance concernent le statut de Jésus et du Paraclet : (1) leur rapport à la « vérité » et au « saint », (2) leur provenance (d’auprès du Père) et leur destination (auprès des disciples), (3) leur relation avec le monde et avec les disciples.

(1) Jésus et le Paraclet ont un commun rapport avec la vérité (hè alètheia) et le saint (ho hagios). En effet, si Jésus dit qu’il est la vérité (14,6a), le Paraclet est l’Esprit de vérité. Si Jésus « dit la vérité » (8,45) et est venu « pour rendre témoignage à la vérité » (18,37), le Paraclet guide les disciples dans la vérité tout entière (16,13). Si Jésus est « le Saint de Dieu » (6,69), le Paraclet est « l’Esprit Saint » (14,26).

(2) Jésus et le Paraclet ont la même provenance et destination. Jésus dit aux disciples en 16,28a : « Je suis sorti d’auprès du Père et venu (elèlutha) dans le monde. » De même le Paraclet « vient (ekpoeuetai) d’auprès du Père » (15,26c). Jésus et le Paraclet ont donc la même d’origine : ils viennent d’auprès du Père. Quant à la destination, Jésus promet aux disciples en 14,20 : « Ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père et vous en moi et moi en vous. » Quant au Paraclet, il est avec les disciples à jamais (14,16c). Le verbe « erchomai » (venir à) est employé tout aussi bien pour décrire la venue du Paraclet : « lorsqu’il viendra (ethèi) » (15,26 ; 16,13) que la venue de Jésus auprès des disciples. Ce dernier leur dit en 14,18 : « Je ne vous laisserai pas orphelins. Je viendrai (erchomai) vers vous. » De ce fait, il existe une ressemblance quant à leur provenance (d’auprès du Père), et à leur destination (auprès des disciples).

(3) Quant à la place de Jésus et du Paraclet dans la relation avec le monde et avec les disciples, la ressemblance apparaît à travers les verbes : « recevoir » (lambanô), « connaître » (ginôskô, oida) et « voir » (theôreô, blépô). Au cours de la mission de Jésus, ses adversaires ne le reçoivent pas. Il dit aux Juifs en 5,43a : « Je suis venu au nom de mon Père et vous ne m’accueillez pas. » Pour le verbe « connaître » Jésus dit aux Pharisiens en 8,19b : « Vous ne connaissez (oidate) ni moi ni mon Père. » Quant au monde hostile, il ne connaît pas Jésus ni le Père (cf. 7,28 ; 8,14 ; 15,21 ; 16,3 ; 17,25). Pour le verbe « voir », les adversaires ne voient pas Jésus parce qu’ils sont aveuglés par leur prétendu « voir ». Jésus le dit aux Pharisiens à la fin du récit de l’aveugle-né en 9,41 : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais vous dites : Nous voyons ! (blepomen) Votre péché demeure. » Ainsi « voir » ou « être aveuglé » dépend de la position prise face à Jésus (cf. 9,39). Pour le monde, il ne voit plus Jésus après son heure (cf. 14,19). Ainsi, en refusant de croire en Jésus, ses adversaires ne l’ont pas reçu, ni ne l’ont reconnu, ni ne l’ont vu. Il en est de même pour le Paraclet-Esprit, comme Jésus le dit aux disciples en 14,17a : « L’Esprit de vérité, que le monde ne peut pas recevoir (labein), parce qu’il ne le voit pas (ou theôrei) ni ne le reconnaît (oude yinôskei). »

Contrairement au monde, les disciples connaissent le Paraclet, Jésus et le Père. Jésus leur dit en 14,7 : « Si vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père ; dès à présent vous le connaissez et vous l’avez vu. » Pour le Paraclet, Jésus leur dit en 14,17b : « Vous, vous le connaissez, parce qu’il demeure auprès de vous et il sera en vous. » De ce fait, Jésus et le Paraclet ont la même relation au monde et aux disciples.

     2. La ressemblance dans la mission

La ressemblance entre Jésus et le Paraclet dans leur mission se trouve dans ces cinq sujets : (1) la source de la révélation, (2) le péché et le jugement, et puis la ressemblance dans les actions : (3) d’enseigner, (4) de témoigner, et (5) de glorifier.

(1) La même source de la révélation est exprimée par les verbes : « parler » (laleô), « dire » (legô), « faire » (poiô) et « écouter » (akouô). Jésus déclare en 12,49 : « Car ce n’est pas de moi-même que j’ai parlé (elalèsa), mais le Père qui m’a envoyé m’a lui-même commandé que dire (eipô) et de quoi parler (lalèsô). » Il en est de même pour le « faire » : « Je ne fais (poiô) rien de moi-même, mais je dis (lalô) ce que le Père m’a enseigné » (8,28c), dit Jésus dit aux Juifs. Si la source de la révélation de Jésus vient de son Père, la source de la révélation du Paraclet vient de Jésus. Ce dernier dit aux disciples en 16,13cd : « Car il [le Paraclet] ne parlera (lalèsei) pas de lui-même, mais ce qu’il entendra (akousei), il le parlera (lalèsei) et les choses à venir, il vous annoncera. » La communication du Paraclet se réfère à la révélation de Jésus : « Car c’est de mon bien qu’il recevra et il vous l’annoncera. » (16,14b), dit Jésus aux disciples. X. Léon-Dufour, Lecture, t. III, p. 233-234, commente : « Si le “dire” de Jésus vient à cesser, son “parler” qui équivaut à “révéler”, continuera à se faire entendre par la médiation de l’Esprit. » Le Paraclet annoncera donc aux disciples le mystère de Jésus et sa révélation. La mission de Jésus et celle du Paraclet ne viennent donc pas d’eux-mêmes. Jésus la reçoit du Père, le Paraclet la reçoit de Jésus.

(2) Le péché dans l’Évangile est lié au fait de ne pas croire, comme Jésus le dit aux Juifs en 8,24b : « Car si vous ne croyez pas que Moi, Je Suis, vous mourrez dans vos péchés. » En 15,22, Jésus dévoile aux disciples le péché inexcusable du monde hostile. Pour Jésus, l’heure du jugement de ce monde et du Prince de ce monde coïncide avec son heure. Jésus déclare à la fin de sa mission en 12,31 : « C’est maintenant le jugement de ce monde ; maintenant le Prince de ce monde va être jeté bas. » Après le départ de Jésus, le Paraclet établira la culpabilité du monde (16,8) en dévoilant aux disciples le péché du monde (16,9), et le jugement du Prince de ce monde (16,11). Le verbe « juger » en 16,11 est un passif divin : le Prince de ce monde est jugé par Dieu. La ressemblance provient du fait que Jésus et le Paraclet dénoncent le péché du monde et annoncent le jugement du monde et du Prince de ce monde.

(3) Jésus et le Paraclet enseignent. Le verbe « didaskô » (enseigner) revient neuf fois dans lesquelles le sujet du verbe est Jésus (huit fois : 6,59 ; 7,14.28.35 ; 8,2.20.28 ; 18,20), le Paraclet (une fois : 14,26) et l’ancien aveugle-né (une fois : 9,34). Le substantif « didachè » (enseignement), trois fois : 7,16.17 ; 18,19, désigne l’enseignement de Jésus. Ce dernier enseigne dans le Temple de Jérusalem (cf. 7,14). Le discours sur le pain de vie (6,25-59) est au cœur de son enseignement (6,59). Les termes « didaskô » et « didachè » résument la mission de Jésus, comme le narrateur le rapporte en 18,19-20 : « 19 Le grand prêtre interrogea Jésus sur ses disciples et sur sa doctrine (didachès). 20 Jésus lui répondit : “C’est au grand jour que j’ai parlé au monde, j’ai toujours enseigné (edidaxa) à la synagogue et dans le Temple où tous les Juifs s’assemblent et je n’ai rien dit en secret. » De même, le Paraclet enseigne aux disciples tout ce que Jésus leur a dit (14,26bc). La ressemblance dans l’enseignement a une nuance : Jésus enseigne la révélation de Dieu, le Paraclet enseigne la révélation de Jésus. En tous cas, il s’agit d’une même révélation de Dieu que Jésus et aussi le Paraclet communiquent aux hommes.

(4) Jésus et le Paraclet rendent témoignage à Jésus. Jésus se rend témoignage à lui-même devant les Pharisiens en leur disant : « Bien que je me rende témoignage à moi-même, mon témoignage est valable, parce que je sais d’où je suis venu et où je vais ; mais vous, vous ne savez pas d’où je viens ni où je vais » (8,14). En 18,37b, Jésus dit à Pilate : « Tu le dis : je suis roi. Je ne suis né, et je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. » Quant au Paraclet, il rend témoignage à Jésus (15,26). Le témoignage de Jésus et du Paraclet doit être interprété dans une série de témoignages : celui de Jean Baptiste (1,7-8.19-34), du Père (5,37), de l’écriture (5,39), des œuvres du Père (5,36 ; 10,25) ; du disciple que Jésus aimait (19,35 ; 21,24) et des disciples (15,27). Le témoignage, l’un des thèmes clés de l’Évangile, met en relief l’authenticité de la mission de Jésus et celle du Paraclet.

(5) La ressemblance entre Jésus et le Paraclet se manifeste à travers le thème de glorification. Il y a seize occurrences du verbe « doxazô » (glorifier) et quinze occurrences du substantif « doxa » (gloire) dans l’Évangile. Ce grand thème johannique exprime la mission de Jésus et renvoie à l’heure de sa mort. Dans un sens, Jésus est glorifié au cours de sa mission par ses œuvres et ses paroles. Le narrateur conclut le signe de l’eau devenue bon vin en 2,11 : « Cela, Jésus en fit le commencement des signes à Cana de Galilée et il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui. » Jésus annonce la résurrection de Lazare comme une manifestation de la gloire de Dieu et la sienne (11,4). Dans un autre sens, la glorification renvoie à l’heure de sa mort : « Voici venue l’heure où doit être glorifié le Fils de l’homme » (12,23), dit Jésus. Dans cette perspective, la glorification renvoie à la fois au passé et au futur. Jésus déclare en 13,31-32 : « 31 Maintenant le Fils de l’homme a été glorifié et Dieu a été glorifié en lui. 32 Si Dieu a été glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera en lui-même et c’est aussitôt qu’il le glorifiera. » L’heure de Jésus est le moment où le Père et le Fils se glorifieront réciproquement : « Père, l’heure est venue : glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie » (17,1b), dit Jésus à son Père. Si le Père et le Fils se glorifient à travers la mission de Jésus, comment le Paraclet glorifie-t-il Jésus ?

La réponse se trouve en 16,14 : « Celui-là [le Paraclet] me glorifiera, car (hoti) c’est de mon bien qu’il recevra et il vous l’annoncera », dit Jésus aux disciples. La proposition introduite par « hoti » (car) explique la manière dont le Paraclet « glorifie » Jésus : recevoir de ce dernier puis l’annoncer aux disciples. D’abord, le Paraclet reçoit du bien de Jésus, l’expression « de mon bien » (deux fois : 16,14b.15b) renvoie à l’ensemble de la révélation de Jésus. I. de La Potterie, La vérité, t. I, p. 460, explique : « C’est tout ensemble l’œuvre du salut qu’il est venu accomplir, la révélation qu’il apporte, et tout ce qui forme le secret même de sa personne : Jésus en tant que Fils de Dieu. C’est donc tout ce qui, en Jésus, est l’objet de la foi des disciples. En “dévoilant” aux hommes ce mystère de Jésus, l’Esprit, évidemment, le “glorifiera”. » Ensuite, la mission du Paraclet n’est accomplie qu’avec la réception de la part des disciples. Il glorifie Jésus dans le fait qu’il fait connaître aux disciples la révélation de Jésus et son identité. La qualité du disciple joue un rôle important dans le processus de la glorification, comme Jésus le leur dit en 15,8 : « C’est la gloire de mon Père que vous portiez beaucoup de fruit et deveniez mes disciples. » Dans le contexte de 16,13-15, le Paraclet glorifie Jésus par son action de guider les disciples dans la vérité tout entière (16,13) et leur annoncer ce qui est de Jésus. Le Paraclet continue à glorifier Jésus tout au long de l’histoire. Le Père, Jésus, le Paraclet et les disciples ont leur place dans ce processus de glorification.

     3. Les différences entre Jésus et le Paraclet

La différence entre Jésus et le Paraclet concerne cinq sujets : (1) la place dans le récit et le temps d’exercice de la mission, (2) la présence dans le monde, (3) les auditeurs, (4) la source de la révélation, et (5) la relation avec le Père et avec les disciples.

(1) La place de Jésus et celle du Paraclet dans le récit de l’Évangile sont différentes. Le narrateur raconte la vie de Jésus, son origine, son identité, sa mission. Jésus est le principal protagoniste de l’Évangile. Quant au Paraclet, il n’apparaît que dans les ch. 14–16 avec cinq dits dans lesquels Jésus révèle aux disciples son rôle dans la communauté après Pâques. C’est une promesse pour l’avenir. Il y a donc un décalage de leur place dans le récit. Le temps de la mission de Jésus et celui du Paraclet diffèrent. Les activités du Paraclet ne commencent qu’avec le départ de Jésus vers le Père.

(2) Leurs modes d’existence diffèrent. Jésus est à la fois le Logos qui s’est fait chair (1,14) et le fils de Joseph (6,42). Jésus est un homme parmi les hommes. Tandis que la présence du Paraclet est spirituelle. Jésus enseigne par la parole (audible) et par les signes (visibles), Quant au Paraclet, il illumine le cœur et l’esprit des disciples. Le mode de présence de Jésus (avant Pâques) diffère de celui du Paraclet (après Pâques).

(3) Les auditeurs de Jésus et du Paraclet sont différents. Jésus exerce sa mission dans le monde. Ses paroles et ses œuvres sont destinées à un grand public (cf. 18,20). L’universalité de son message est exprimée par la diversité des auditeurs (les disciples, les Juifs, les Pharisiens, le fonctionnaire royal, les Samaritains, la foule, les Grecs, Pilate etc.). Le Paraclet n’exerce sa mission qu’auprès des disciples : seuls ceux qui croient en Jésus connaissent le Paraclet-Esprit, le monde ne le connaît pas (14,17).

(4) La référence à la source de la révélation est différente. En effet, Jésus est venu pour faire la volonté de Dieu (6,38) et il a transmis toute la révélation aux disciples (15,15). Le rôle du Paraclet est de faire connaître aux disciples la révélation de Jésus et de les guider (16,13) sur le chemin qu’est Jésus (14,6). La révélation du Paraclet n’est rien d’autre que celle de Jésus.

(5) Il y a une nuance entre Jésus et le Paraclet au sujet de la relation avec le Père et les disciples. L’Évangile indique une relation intime et une communication parfaite entre Jésus et le Père, tandis que la relation entre le Paraclet et le Père n’est pas révélée. Jésus a accompli trois mouvements : venir dans le monde, puis retourner vers le Père, et enfin revenir auprès des disciples après Pâques. Le Paraclet fait un seul mouvement : venir d’auprès du Père et demeurer à jamais auprès des disciples. De ce fait, leur relation respective avec le Père et les disciples diffèrent.

     4. Le Paraclet remplace-t-il Jésus ?

Après Pâques, peut-on dire que le Paraclet remplace Jésus ? Nous présentons l’opinion de quelques auteurs puis la nôtre sur trois points : (1) la présence du Paraclet et celle de Jésus après Pâques, (2) le Paraclet est-il un autre Jésus ou (3) son successeur ?

(1) Certains auteurs pensent que la présence de Jésus après Pâques se réalise par la venue du Paraclet, ce dernier remplace Jésus. Par exemple, R.E. Brown, “The Paraclete”, p. 128, écrit : « Puisque le Paraclet peut seulement venir une fois Jésus parti, le Paraclet est la présence de Jésus quand Jésus est absent. Ailleurs Jésus promet de demeurer avec ses disciples (14,23) ; cette promesse est accomplie avec la venue du Paraclet. » (Cf. R.E. Brown, The Gospel, vol. II, p. 710-711). L’auteur identifie la présence de Jésus chez les disciples à la présence du Paraclet en considérant que Jésus revient vers les disciples (14,18) dans la venue du Paraclet (14,16-17). Pour F.J. Moloney, The Gospel, Text and Context, p. 256, il commente : « Il [Jésus] est présent après la résurrection, mais seulement dans et à travers le don de “l’autre Paraclet”. » L’auteur souligne le départ de Jésus comme la condition de la venue du Paraclet (16,7) et ne tient pas compte de la présence spirituelle de Jésus auprès des disciples (cf. 14,20.23 ; 15,4).

M.M. Thompson, The God, p. 181, montre la difficulté de ces interprétations : « Si l’Esprit est avant tout pris comme un “remplaçant” de Jésus, alors il est difficile de comprendre son rôle qui consiste à rendre témoignage à Jésus. » L’auteur souligne la place du Père, de Jésus et du Paraclet chez les disciples : « Jésus parle de sa présence, de la présence de son Père et de la présence de l’Esprit avec les disciples. En quelque sorte Jésus, le Père, et le Paraclet seront tous “avec” les croyants. De la même façon que Jésus ne “remplace” pas le Père mais le fait connaître, témoigne de lui, et le révèle, ainsi l’Esprit ne “remplace” pas Jésus mais le fait connaître, témoigne de lui, et le révèle aux disciples. De cette manière l’Esprit ne remplace pas Jésus, ou même ne devient pas la présence réelle de Jésus ; l’Esprit rend la présence de Jésus réelle. » (ibid., p. 181-182). Nous sommes en accord avec cette interprétation. En effet, le Paraclet ne remplace pas Jésus puisqu’après Pâques, Jésus reviendra (14,18), lui et le Père feront leur demeure chez celui qui aime Jésus et garde ses commandements (14,23).

(2) En s’appuyant sur l’appellation « autre Paraclet » (14,16b), certains auteurs considèrent le Paraclet comme un « autre Jésus » ou un « autre Christ ». Par exemple, R.E. Brown, “The Paraclete”, p. 128, écrit : « En tant qu’“autre Paraclet”, le Paraclet est, pour ainsi dire, un autre Jésus. » M. Gourgues, En Esprit, p. 256, commente : « On pourrait parler de lui [le Paraclet] comme d’un “autre Christ”. » Cependant, la différence entre Jésus et le Paraclet (cf. plus haut) montre que leurs rôles ne sont pas interchangeables. La mission du Paraclet se réfère en permanence à la révélation de Jésus (16,14-15). Nous rejoignons donc l’opinion de G. Johnston, The Spirit-Paraclete, p. 118 : « En tant que Paraclet l’Esprit est le représentant de Jésus et il ne devrait donc pas être considéré comme “un autre Jésus” ou “la présence de Jésus quand Jésus est absent”. » Le Paraclet n’est pas « un autre Jésus » ou « un autre Christ ».

(3) L’Évangile permet de considérer le Paraclet comme le successeur de Jésus sous certaines conditions. Selon R. Schnackenburg, The Gospel, vol. III, p. 133 : « le Paraclet est non seulement son interprète [de Jésus], mais aussi son “successeur”. » F.F. Segovia, The Farewell, p. 223, emploie le même titre : « l’Esprit-Paraclet, le successeur de Jésus. » Toutefois la succession du Paraclet est dépendante de la révélation de Jésus. Le titre « successeur » doit être compris dans le sens de continuer à faire connaître la révélation de Jésus et celui-ci est toujours présent avec les disciples. Grâce au Paraclet, les croyants approfondissent leurs relations avec Jésus.

II. Le Paraclet et le monde

Trois dits du Paraclet (1er, 3e, 4e) sur cinq concernent le monde. Dans le premier dit, le monde est jugé incapable de recevoir l’Esprit de vérité, parce qu’il ne le voit pas et ne le connaît pas (14,17a), (cf. l’analyse du 1er dit dans l’article : « Les cinq dits du Paraclet ». Nous traitons dans cette partie d’abord (1) le témoignage du Paraclet sur Jésus (15,26) et ensuite, le rôle du Paraclet établissant la culpabilité du monde (16,8).

     1. Témoigner au sujet de Jésus (15,26-27)

Dans le troisième dit (15,26-27) le terme « monde » (kosmos) n’apparaît pas. Cependant le témoignage du Paraclet (15,26) et celui des disciples (15,27) se trouvent au milieu de la péricope 15,18–16,4a où Jésus révèle aux disciples la haine et la persécution du monde. Le témoignage du Paraclet est traité en trois points : (1) les parallèles entre 15,18–16,4a et le quatrième dit du Paraclet (16,7-11), (2) le lien entre le témoignage du Paraclet et celui des disciples, (3) le contenu du témoignage dans le contexte de 15,18–16,4a.

(1) Il y a un parallèle notable entre la péricope 15,18–16,4a et le quatrième dit du Paraclet (16,7-11). En effet, le terme « kosmos » (monde), une fois en 15,18, cinq fois en 15,19, réapparaît en 16,8. Le thème du péché du monde en 15,22.24 se retrouve en 16,8.9. Les termes communs sont : « le Paraclet » (16,7b // 15,26a), le pronom « ekeinos » (celui-là) (15,26d // 16,8a), l’envoi du Paraclet (15,26a // 16,7d) et sa venue (15,16a // 16,7c.8a). Les deux fonctions du Paraclet : témoigner sur Jésus (15,26) et établir la culpabilité du monde (16,8) sont placées dans le même contexte du conflit avec le monde. Le « monde » (kosmos) ici renvoie à tous ceux qui ne croient pas en Jésus après avoir vu les signes et entendu son message (15,18-25). Le témoignage du Paraclet est donc situé dans le contexte du procès johannique.

(2) En 15,26-27, le témoignage du Paraclet précède celui des disciples. La relation entre ces deux témoignages est double. Dans un sens, le Paraclet témoigne dans le cœur des disciples pour qu’ils tiennent ferme leur foi en Jésus et ne succombent pas dans l’épreuve (16,1). Dans un autre sens, le Paraclet donne aux disciples l’intelligence et le courage pour qu’ils rendent témoignage à Jésus face au monde hostile. I. de La Potterie, La vérité, t. I, p. 391, remarque : « Une seule interprétation nous paraît pleinement satisfaisante : celle qui insiste sur l’aspect intérieur du témoignage de l’Esprit, c’est-à-dire sur son rôle d’illumination et de révélation dans la conscience des disciples pour affirmer leur foi au milieu des épreuves et des persécutions. » Ainsi, face à la persécution du monde, les disciples sont affermis par le témoignage du Paraclet, et à leur tour, ils rendent témoignage à Jésus.

(3) Le contenu du témoignage se trouve dans la péricope 15,18–16,4a. Face à la haine (15,18-19.23) et la persécution (15,20 ; 16,2) du monde, le Paraclet témoignera devant les disciples le péché (15,22.24) et la méconnaissance du monde (15,21 ; 16,3). Grâce à ce témoignage, les disciples après Pâques comprennent que le monde ne sert pas Dieu en faisant mourir les disciples comme il le prétend (16,2). Le Paraclet fait connaître aux disciples que Jésus les a choisis et qu’ils ne sont pas du monde (15,18-19). Le témoignage du Paraclet est vital puisque les réalités de la foi semblent s’opposer aux réalités historiques (la mort de Jésus et la persécution), comme l’écrit  I. de La Potterie, La vérité, t. I, p. 416 : « Sur le plan de l’histoire, les disciples de Jésus sont condamnés par les tribunaux des hommes, l’inverse se produit sur le plan de la foi et au regard de Dieu : les croyants jugent le monde, et c’est le monde qui est condamné. » Ainsi, grâce au témoignage du Paraclet, les disciples accèdent à la vérité du procès à travers son rôle qui est d’établir la culpabilité du monde (16,8-11).

     2. Établir la culpabilité du monde (16,8-11)

Le quatrième dit du Paraclet révèle son rôle, celui d’établir la culpabilité du monde. Ce thème est traité en quatre points : (a) le sens du verbe « elegchô » (établir la culpabilité), et les trois chefs d’accusation en matière : (b) de péché, (c) de justice et (d) de jugement.

          a) Le verbe « elegchô » (établir la culpabilité) en 16,8

Le sens du verbe « elegchô » en 16,8 entraîne une difficulté d’interprétation. Selon D.A. Carson, “The Function”, p. 547 : « Jn 16,7-11 constitue l’un des passages les plus déconcertants du quatrième Évangile. » Les commentateurs ont compris l’expression « elegxei ton kosmon » (il établira la culpabilité du monde) en 16,8a, soit le Paraclet entre en relation directe avec le monde, soit le Paraclet le fait en absence du monde. Pour saisir le sens d’« elegchô », nous étudions quatre points : (1) le verbe « elegchô » dans un processus juridique et dans l’Évangile de Jean, (2) les opinions des auteurs et la nôtre, (3) les difficultés textuelles liées à ce verbe, (4) le sens explicatif de « hoti » (16,9-11) et la cohérence du texte.

(1) Selon l’étude de I. de La Potterie, La vérité, t. I, p. 404-405, le verbe « elegchô » dans la littérature grecque renvoie aux différentes étapes d’un processus juridique : « Son sens le plus usuel : démontrer l’erreur ou les torts de quelqu’un (sens c). Car pour arriver à cette démonstration, on doit entreprendre une enquête (sens a) ; ensuite, l’on presse de questions celui qui est présumé coupable (sens b) ; celui-ci essaie de se défendre, mais on réfute ses arguments, on bien c’est lui-même qui réfutera les accusations portées contre lui (sens d). Mais à partir du moment où la preuve est faite de sa culpabilité, on le couvre de reproches (sens e). Finalement, l’autorité judiciaire prononce la sentence, et on le châtie (sens f). Toutes ces étapes, on le voit, s’enchaînent logiquement et forme un tout organique : elles constituent les différents moments d’une action judiciaire. » Les six sens du verbe « elegchô » sont donc (a) enquêter ; (b) presser de questions ; (c) démontrer l’erreur ou les torts ; (d) réfuter ; (e) reprocher ; (f) châtier. Selon l’auteur, dans ce processus judiciaire, certaines étapes n’exigent pas la présence de l’inculpé. Par exemple quand « elegchô » a le sens d’établir la culpabilité de quelqu’un, cela peut se faire en présence ou en l’absence de l’accusé, seul le contexte permet de trancher.

Dans l’Évangile de Jean, le verbe « elegchô » apparaît en trois occurrences (3,20 ; 8,46 ; 16,8) dans un contexte différent. Le passif de ce verbe en 3,20 a le sens d’être démasqué, dévoilé, démontré coupable face à la lumière. Jésus dit en 3,20 (BiJér, 2000) : « Quiconque, en effet, commet le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient démontrées coupables (elegchthèi). » La traduction de ce verbe en 3,20 diffère : « ne soient dévoilées » (LSG, 1910) ; « ne soit pas révélées » (Jeanne d’Arc, Évangile, 1990) ; « ne soient pas convaincues » (Y. Simoens, Selon Jean, 1, 1997) ; « ne soient démasquées » (TOB, 12e éd.). En 8,46, le verbe « elegchô » exprime l’idée de convaincre quelqu’un de quelque chose. Jésus interroge les Juifs : « Qui d’entre vous me convaincra (elegchei) de péché ? Si je dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas ? » Il s’agit de la controverse en direct entre Jésus et les Juifs au sujet du péché.

En 16,8a, le verbe « elegchô » peut être interprété dans deux sens. Le premier considère que le Paraclet s’oppose au monde en traduisant 16,8a par « il confondra le monde » (OSTY, 1973 ; Jeanne d’Arc, Évangile, 1990 ; TOB, 12e éd.) ou « il convaincra le monde » (LSG, 1910 ; Y. Simoens, Selon Jean, 1, 1997). Les verbes « confondre » et « convaincre » impliquent la présence de la personne confondue. Le second sens considère que le Paraclet ne confond pas directement le monde mais qu’« il établira la culpabilité du monde » devant les disciples (cf. la traduction de X. Léon-Dufour, Lecture, t. III, 1993 ; BiJér, 2000 ; M. Gourgues, En Esprit, 2002).

(2) Les opinions des auteurs sont divisées en raison de deux interprétations ci-dessus. Par exemple, D.A. Carson, “The Function of the Paraclete”, p. 553, écrit : « Les deux, Jésus aux jours de sa chair et le Paraclet exercent ce ministère envers le monde, non envers les disciples. » Ce propos ne tient pas compte de la différence des missions de Jésus et du Paraclet présentée plus haut. Selon F.F. Segovia, The Farewell, p. 234, le Paraclet fait donc la même action que Jésus (condamner le monde hostile), mais il fait cette tâche dans et à travers les disciples. Cependant, I. de La Potterie, La vérité, t. I, p. 410, critique cette interprétation : « Si cette façon de voir [le Paraclet s’adresse au monde par l’intermédiaire des disciples] est tellement répandue, c’est sans doute que beaucoup de commentateurs, de façon plus ou moins inconsciente, interprètent le texte de Jean à la lumière des parallèles synoptiques ou des Actes. Mais c’est dans la perspective johannique qu’il faut le comprendre. »

Dans cette perspective, notons que l’Évangile de Jean n’aborde pas l’apparition des disciples devant les tribunaux. Dans les ch. 14–16, le Paraclet ne convainc pas directement le monde comme Jésus a fait en 7,7. En 16,8-11, le Paraclet dévoile plutôt aux disciples les réalités du monde en l’absence de ce dernier. X. Léon-Dufour, Lecture, t. III, p. 225, propose de traduire « elegchô » (16,8a) par « établir la culpabilité » : « Les termes “confondre” et “convaincre”, souvent retenus par les traductions, laissent présupposer que le Paraclet serait en dialogue direct avec le monde, la traduction proposée [« établir la culpabilité »] évite d’impliquer directement le monde, sinon comme l’objet de dénonciation : c’est aux disciples que l’Esprit en fait saisir la culpabilité. » Nous adoptons cette proposition en ajoutant que le rôle d’établir la culpabilité du monde devant les disciples est à la fois extérieur et intérieur : extérieurement, le Paraclet révèle le péché du monde (16,9) et la condamnation du Prince de ce monde (16,11) ; intérieurement, le Paraclet donne aux disciples la certitude inébranlable que Jésus va vers le Père. L’unité 16,8-11 a donc une connotation juridique mais en l’absence du monde.

(3) Cette interprétation d’« elegchô » doit tenir compte de trois difficultés littéraires : (a) le Paraclet « elegchei » le monde (16,8a), mais le texte parle aussi de la justice de Jésus (16,10) et le jugement du Prince de ce monde (16,11). (b) Comment articuler, d’une part, le glissement entre le singulier (le monde) et le pluriel (ils) en 16,9 (nous expliquons plus tard) et, d’autre part, le rôle de Jésus (« je ») et celui des disciples (« vous ») dans l’action d’« elegchei » ? (c) Comment harmoniser le temps du futur du verbe « elegchô » (16,8a) avec les autres temps : le présent de « croire » (16,9), « aller » et « voir » (16,10) et le parfait de « juger » (16,11) ?

(4) Malgré ces difficultés, l’unité 16,8-11 reste cohérente à condition que la conjonction de subordination « hoti » introduisant les propositions en 16,9.10.11 soit comprise dans le sens explicatif et non causal : « parce que » (cf. OSTY, 1973 ; Y. Simoens, Selon Jean, 1, 1997 ; BiJér, 2000). X. Léon-Dufour, Lecture, t. III, p. 226, remarque que les faits en 16,8 sont « repris un à un [en 16,9-11], ils ne sont pas suivis d’une phrase causale (“parce que”), mais d’une explication, ce qu’indique la ponctuation que nous avons adoptée : “En matière de péché : ils ne croient pas en moi”. » L’auteur a traduit « hoti » ici par deux points. Ainsi, l’unité 16,8-11 est bien construite : les trois faits sont annoncés (16,8), puis les explications reprennent point par point en 16,9-11. D’abord le péché de ne pas croire est sans excuse (15,22.24). Ensuite la justice de Jésus est liée au conflit avec le monde qui conduit Jésus à la mort. La justice de Jésus est exprimée par l’expression « je vais vers le Père et que vous ne me verrez plus » (16,10). Enfin « faire mourir Jésus » est l’œuvre du diable (8,44 ; 13,2), de Satan (13,27), du Prince de ce monde (12,31 ; 14,30 ; 16,11). Le jugement annoncé en 12,31 est réalisé en 16,9-11. Le fait que le Prince de ce monde est jugé (16,11) indique la défaite définitive du monde et de son Prince dans l’heure de Jésus. L’unité 16,9-11 se structure en concentrique : A. 16,9, B. 16,10, A’. 16,11. L’élément négatif (A) concerne le péché du monde. L’élément positif (B) porte sur la justice de Jésus et l’élément négatif (A’) est le jugement de condamnation du Prince de ce monde. La valeur positive (B) est au centre. Les vainqueurs dans le procès sont Jésus et ses disciples.

En résumé, traduire « elegxei » par « il établira la culpabilité » correspond mieux au contexte de 16,8-11. Le Paraclet ne confondra pas le monde, mais il révèlera aux disciples la vérité du monde dans le contexte d’un procès où l’accusé désigné (en son absence) est le monde qui a commis le péché. La justice de Jésus s’exprime dans le fait qu’il va vers le Père. Quand la justice sera établie, le jugement sera annoncé mais à un autre niveau : ce n’est pas le monde mais son Prince qui est jugé (16,11).

          b) En matière de péché (16,9)

Le thème du péché en 16,9 est examiné en trois points : (1) le glissement entre le singulier (« le monde ») et le pluriel (« ils »), (2) le péché du point de vue de Jésus et celui de ses adversaires, (3) le rôle du Paraclet sur ce sujet.

(1) Le pluriel de l’indicatif du verbe : « pisteuousin » (« croient ») en 16,9 indique un glissement du sujet singulier : « le monde » (16,8) vers un pluriel en 16,9. Selon notre étude sur « II.2. “Le monde hostile” et “ils” » dans l’article : « Six caractéristiques “du monde hostile” et “des adversaires de Jésus” », ce glissement permet à la fois de faire allusion aux adversaires de Jésus et à ceux des disciples. Le temps du présent du verbe « croire » (16,9) exprime donc une actualisation du refus de croire au cours des siècles.

(2) Le thème du péché est compris du point de vue de Jésus et de celui de ses adversaires. Pour Jésus, le péché qui conduit à la mort est de ne pas croire en lui. Il dit aux Juifs en 8,24b : « Si vous ne croyez pas que Moi, Je Suis, vous mourrez dans vos péchés. » De ce fait, le péché dans Jean doit être interprété dans une perspective théologique. Jésus dénonce le péché de ses adversaires (3,18 ; 8,21.24 ; 9,41 ; 15,22). Cependant, du point de vue de ces derniers, Jésus est un pécheur. Ils disent à l’ancien aveugle-né en 9,24b : « Rends gloire à Dieu ! Nous savons, nous, que cet homme [Jésus] est un pécheur (hamartôlos). » Les adversaires portent contre Jésus plusieurs accusations : violer le sabbat (5,18a ; cf. 9,16), se faire égal à Dieu (5,18b ; 19,7), blasphémer (10,33).

L’analyse des points de vue relatifs du péché met en valeur le rôle du Paraclet. Jésus révèle aux disciples le péché du monde (15,22-26) et le Paraclet continue ce travail en 16,9. Grâce au Paraclet, le lecteur croyant comprend qu’en persécutant Jésus et ses disciples les adversaires sont du diable et font ses œuvres (8,44). Ils commettent le péché de ne pas croire en Jésus (cf. 8,24). Les disciples se heurtent à l’incroyance et à l’hostilité du monde, mais grâce au Paraclet, ils peuvent tenir ferme leur foi sans pour autant désespérer pour le monde : en effet, il lui est toujours possible de connaître Jésus et croire en lui (cf. 17,21.23).

          c) En matière de justice (16,10)

Comment la justice est-elle manifestée une fois Jésus retourné vers son Père et que les disciples ne le voient plus ? Pour répondre à cette question, nous examinons trois points : (1) le terme « dikaiosunè » (justice), (2) l’expression : « je vais vers le Père » et (3) celle de « vous ne me voyez plus ».

(1) L’adjectif « dikaios » (juste) revient trois fois en 5,30 ; 7,24 ; 17,25. Jésus dit aux Juifs : « mon jugement est juste » (5,30c) ; à la foule : « jugez selon la justice », littéralement : « jugez par un jugement juste » ; et à son Père : « Père juste,… » Cet adjectif caractérise alors Jésus et son Père. Le substantif « dikaiosunè » (justice) apparaît en deux occurrences (16,8.10) dans l’Évangile. Cette justice est placée dans le contexte du procès entre Jésus et le monde.

En effet, la justice de Jésus (16,10) s’oppose à la fois au péché du monde (16,9) et au jugement du Prince de ce monde (16,11). Le Paraclet établira la culpabilité du monde en affirmant la justice de Jésus laquelle se manifestera par un renversement de la situation. Pour les adversaires, Jésus a enfreint le Sabbat et blasphémé. En le tuant, ils prétendaient de faire justice. Cependant le Paraclet retournera cette situation aux yeux des disciples en montrant que le monde est péché et que Jésus obtiendra justice. M.-é. Boismard et A. Lamouille, Synopse, t. III, p. 381, commentent : « Le Paraclet effectuera une véritable révision du procès que le monde intenta à Jésus. Grâce à lui, Jésus sera réhabilité et le monde confondu. » La justice en 16,10 ne relève pas de la droiture morale. Elle a le sens du triomphe et de la victoire sur le pouvoir des ténèbres.

(2) Cette interprétation permet de comprendre la parole de Jésus en 16,10a : « Je vais vers le Père ». Le Paraclet dévoile que par sa mort sur la croix Jésus va vers le Père. Jésus est venu pour faire la volonté du Père (6,38 ; 5,19). Il a été fidèle à sa mission et est en communion permanente avec le Père (10,30.38 ; 15,10). De ce fait, le Père lui a rendu justice en le faisant remonter auprès de Lui. Ainsi, par la mort que ses adversaires lui ont fait subir, Jésus va vers le Père, il est exalté et glorifié.

(3) L’expression « vous ne me voyez plus » est liée à la justice de Jésus. Le matin de Pâques, Pierre et le disciple que Jésus aimait font l’expérience de ne plus voir Jésus (20,1-9). Bien que les disciples soient dans la joie de revoir Jésus ressuscité (20,20.25), l’Évangile se termine par sa déclaration en 20,29b : « Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru. » Cette parole vise à la fois les disciples de la deuxième et de la première génération. Jésus invite ces derniers à continuer de croire quand il n’est plus physiquement avec eux. En effet, après quelques courtes apparitions, les disciples ne voient plus Jésus. Cela montre qu’il est auprès du Père. En même temps, Jésus continue à demeurer avec les disciples (cf. 14,20).

          d) En matière de jugement (16,11)

La troisième accusation est sur le jugement du Prince de ce monde (16,11). Nous traitons d’abord, (1) les appellations : le Prince de ce monde, le diable, le Satan, et le Mauvais, ensuite (2) le temps des verbes dans les trois occurrences du « Prince de ce monde » (12,31 ; 14,30 ; 16,11), puis (3) le sens du verbe « juger » (16,11), et enfin (4) la distinction entre le Prince de ce monde et le monde.

(1) L’adversaire de Jésus revêt deux figures dans l’Évangile. La première concerne les hommes : les Juifs, les Pharisiens, les grands prêtres qui cherchent à faire périr Jésus. Dans les ch. 14–17, ses adversaires prennent le nom de « monde » (15,18-19 ; 16,8) ou le pronom personnel « ils » (15,20-25 ; 16,3.9). La deuxième figure se situe sur un autre niveau. La racine de l’opposition a plusieurs appellations : le diable (diabolos), (trois fois : 6,70 ; 8,44 ; 13,2) ; le Satan (ho satanas), (une fois : 13,27), le Mauvais (ho ponèros), (une fois : 17,15) et le Prince de ce monde (ho archôn tou kosmou toutou), (trois fois : 12,31 ; 14,30 ; 16,11). Ces appellations désignent une seule entité. Si les adversaires de Jésus (ch. 1–12) se transforment en « monde hostile » (ch. 13–17), le diable (8,44) se transforme en Prince de ce monde à la fin de la mission de Jésus (12,31). Le Prince de ce monde est présenté en lien avec le monde (cf. 12,31 ; 14,30-31 ; 16,8.11). Du point de vue d’en bas, le Prince de ce monde est responsable de la mort de Jésus. Du point de vue d’en haut, il n’a aucun pouvoir sur Jésus (14,30b), sa mort manifeste donc son amour et sa fidélité pour le Père (14,31).

(2) Le temps des verbes dans les trois occurrences du « Prince de ce monde » (12,31 ; 14,30 ; 16,11) indique une évolution temporelle. En 12,31b le verbe est au futur de l’indicatif : « Le prince de ce monde va être jeté dehors » ; en 14,30b, le verbe est au présent de l’indicatif : « Car, il vient, le prince de ce monde » (14,30) ; et en 16,11b, le verbe est au parfait de l’indicatif : « Le Prince de ce monde est jugé (kekritai). » Le parfait de l’indicatif exprime l’état présent résultant d’une action passée et l’idée d’un achèvement. Il s’agit d’un fait du passé dont l’effet est permanent. Le Prince de ce monde est jugé de manière définitive. Ainsi le Paraclet dévoile l’efficacité permanente d’un fait du passé.

(3) Le verbe « krinô » et le substantif « krisis » signifient « juger », « jugement » ou « condamner », « condamnation » selon le contexte. (Cf. le point « II.3. Le jugement » dans l’article : « “Aimer (agapaô) les ténèbres” (Jn 3,19c) et “aimer (phileô) son propre bien” (Jn 15,19a) »). Les termes « krisis » en 16,8.11a et « krinô » en 16,11b ont le sens de « condamnation » et « condamner ». Le jugement de condamnation du Prince de ce monde montre que la victoire définitive de Jésus sur ses adversaires est absolue et sans équivoque.

(4) La distinction entre le monde hostile et le Prince de ce monde est importante dans la théologie johannique. Le terme « kosmos » (monde) possède à la fois une portée historique et symbolique. La dimension historique renvoie aux adversaires de Jésus et à ceux de la communauté johannique. La dimension symbolique renvoie à tous les hommes qui refusent de croire en Jésus au cours de l’histoire. Certain auteurs, par exemple, B. Lindars et G.R. O’Day  considèrent qu’en 16,11, le monde est jugé (cf. B. Lindars, The Gospel, p. 501 ; G.R. O’Day, The Gospel, p. 773). Cette interprétation est discutable, car il s’agit du jugement définitif du Prince de ce monde et non pas de celui du monde.

La distinction entre le monde hostile (les hommes) et le Prince de ce monde (le diable, Satan, le Mauvais) au sujet du jugement permet d’avoir un regard juste sur le monde du refus. Ce dernier est dans le péché du fait de sa haine et sa persécution envers Jésus et les disciples (15,18–16,4a). La mort de Jésus est le moment du jugement de ce monde (12,31a) mais ce jugement n’est pas définitif comme celui du Prince de ce monde (16,11). Ce qui est définitif pour le monde, c’est sa défaite. Jésus a définitivement vaincu le monde comme l’indique le verbe « nikaô » (vaincre) en 16,33 qui est au parfait de l’indicatif : « nenikèka » (j’ai vaincu). Ainsi, l’Évangile ne renferme pas le monde hostile dans son péché. La possibilité de connaître Jésus et de croire en lui reste ouverte (cf. 17,21.23).

III. Le Paraclet et les disciples

La relation « Paraclet–disciples » est abordé en quatre points : (1) demeurer auprès des disciples (14,16-17), (2) enseigner et rappeler (14,26bc), (3) guider dans la vérité tout entière (16,13b), et (4) parler et annoncer (16,13c-15).

     1. Demeurer auprès des disciples (14,16-17)

Nous traitons l’inhabitation du Paraclet-Esprit en trois points : (1) l’importance du verbe « demeurer », (2) l’aspect du temps des verbes « demeurer », « être » (v.17b), (3) trois prépositions : « avec » (v.16c), « auprès de », « en » (v.17b).

(1) Le verbe « menô » (demeurer), quarante fois dans l’Évangile, est l’un des termes clés de la théologie johannique avec quatre sens : (1) le sens premier (le sens propre) signifie rester dans un lieu (4,40), habiter (8,35), ou rester dans un état (12,24). (2) Le sens premier renvoie au sens théologique (cf. 1,39 ; 4,40). (3) Le sens théologique exprimé par les expressions : demeurer dans la parole de Jésus (8,31 ; 15,7), demeurer dans l’amour de Jésus et celui-ci demeure dans l’amour du Père (15,9-10). (4) Le sens de l’inhabitation réciproque, soit entre le Père et le Fils, comme Jésus le dit aux disciples en 14,10c : « le Père demeurant en moi fait ses œuvres » ; soit entre Jésus et ses disciples : « Demeurez en moi, comme moi en vous » (15,4a), dit Jésus aux disciples ; soit entre le Paraclet et les disciples : « Il [l’Esprit] demeure (menei) auprès de vous » (14,17b), dit Jésus aux disciples. L’inhabitation du Paraclet-Esprit doit être lue avec le sens théologique du verbe « demeurer » dans l’Évangile.

(2) Quant à l’aspect du temps dans la parole : « Parce qu’il [l’Esprit] demeure auprès de vous et il sera en vous » (14,17b), le verbe « demeurer » est au présent et le verbe « être » est au futur. Selon I. de La Potterie, La vérité, t. I, p. 356, le futur du verbe « être » doit être détaché de la proposition explicative : « parce qu’il demeure auprès de vous ». Le futur du verbe « être » s’accorde avec le futur des verbes « prier » et « donner » en 14,16. Ce temps du futur renvoie au temps après Pâques et correspond au futur dans les dits du Paraclet. Quant au présent du verbe « demeurer », I. de La Potterie, La vérité t. I, p. 355-356, explique : « Il faut récuser l’exégèse de quelques auteurs qui, tout en respectant les formes grammaticales du présent dans ginôskete et menei, les interprètent cependant comme des futurs imminents : Jésus parlerait déjà du temps de l’église. Au contraire, ces verbes au présent se réfèrent manifestement au temps de Jésus. » Pour nous, le temps du présent des verbes en 14,17 renvoie à deux moments (avant et après Pâques). D’une part, les disciples avant Pâques croient en Jésus, ils sont nés de l’eau et de l’Esprit (3,5). D’autre part, la venue du Paraclet-Esprit n’est possible qu’avec le départ de Jésus (16,7). La plénitude de la foi et de la révélation ne sera accomplie qu’après Pâques avec le don de l’Esprit (7,37-39 ; 20,22). Il y a donc deux moments de la présence de l’Esprit. Cependant, pour les croyants après Pâques, naître de l’eau et de l’Esprit coïncide avec la venue du Paraclet.

(3) Les trois prépositions en 14,16-17 expriment l’inhabitation profonde entre le Paraclet-Esprit et les disciples :

(a) la préposition « meta » (avec) en 14,16c renvoie à la présence de Jésus auprès ses disciples (cf. 13,33 ; 14,9 ; 15,27). « Être avec » exprime une protection, une veillée, comme Jésus le dit à son Père en 17,12a : « Quand j’étais avec eux (met’ autôn), je les gardais dans ton Nom que tu m’as donné. J’ai veillé et aucun d’eux ne s’est perdu. » Jésus dit aux disciples en 16,32c : « Le Père est avec moi (met’ emoi). » Ainsi, Jésus est avec (meta) les disciples et le Père est avec (meta) lui. De même, le Paraclet-Esprit est avec (meta) les disciples (14,16c).

(b) La préposition « para + datif » (auprès de) en 14,17b se retrouve en 14,23 où Jésus dit aux disciples : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui (monên par’ autôi). » Il en est de même pour l’Esprit de vérité, il demeure auprès des disciples (14,17b). « Auprès des disciples » est le lieu d’habitation du Père, de Jésus et du Paraclet.

(c) La préposition grecque « en » (en) dans la phrase : « Il [l’Esprit] sera en vous (en humin) » (14,17b) doit être comprise dans le sens de communion interpersonnelle. En 14,11a, Jésus révèle aux disciples : « Croyez-m’en ! Je suis dans le Père et le Père est en moi », littéralement : « Moi en le Père et le Père en moi. » Il n’y a pas de verbe dans cette phrase. L’inhabitation entre Jésus et les disciples se présente de la même manière en 14,20 : « Ce jour-là, vous reconnaîtrez que je [suis] en mon Père et vous en moi et moi en vous. Le verbe « être » n’apparaît pas dans la dernière phrase. Ainsi, de manière forte, la préposition « en » exprime l’inhabitation réciproque à la fois entre Jésus et le Père, entre Jésus et les disciples et entre l’Esprit de vérité et les disciples.

     2. Enseigner et rappeler (14,26bc)

Jésus dit aux disciples en 14,26bc : « Celui-là [le Paraclet], vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que [moi] je vous ai dit. » Ce double rôle du Paraclet est examiné en trois points : (1) rôle d’enseigner et de rappeler du Paraclet par rapport à la révélation de Jésus, (2) opinions de certains auteurs et (3) notre interprétation.

(1) À la fin de sa mission, Jésus dit aux disciples en 15,15d : « Tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. » Cependant la compréhension de la révélation par les disciples continue à travers le rôle du Paraclet après Pâques. Jésus dit à son Père en 17,26 : « Je leur [disciples] ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître, pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et moi en eux. » La deuxième fois du verbe « faire connaître » au futur renvoie à l’activité du Paraclet en 14,26.

(2) Nous sommes en désaccord avec certains auteurs qui considèrent qu’il n’y a qu’une seule fonction du Paraclet exprimée par les deux verbes « enseigner » et « rappeler ». Par exemple, I. de La Potterie, La vérité, t. I, p. 369, écrit : « L’“enseignement” propre à l’Esprit-Paraclet consistera précisément dans le “rappel” des paroles de Jésus. » Quant à M. Gourgues, En Esprit, p. 278, il reconnaît deux aspects : remettre en mémoire (rappeler) et faire comprendre (enseigner), mais les place sous la seule action « se ressouvenir » : « Amener les disciples à se ressouvenir ne se limite pas à leur rafraîchir la mémoire. Le souvenir comporte une double dimension : remettre en mémoire, d’une part, faire comprendre, d’autre part. » Pour l’auteur le « kai » (et) en 14,26 a une valeur explicative, le sens de 14,26bc est : « [Il] vous enseignera [en vous rappelant] tout ce que je vous ai dit. » (ibid, p. 278).

(3) À notre avis, l’interprétation plus haut simplifie les données du texte. Nous distinguons les deux rôles du Paraclet : (a) « enseigner », (b) « rappeler » et (c) l’objet de ces fonctions est tout ce que Jésus a dit.

(a) Huit fois le verbe « didaskô » (enseigner) en 6,59 ; 7,14.28.35 ; 8,2.20.28 ; 18,20 et huit fois le titre « didaskalos » (maître) en 1,38 ; 3,2.10 ; 8,4 ; 11,28 ; 13,13.14 ; 20,16 sont réservés à Jésus. En 14,26, c’est le Paraclet qui enseigne. Comme Jésus, le Paraclet enseigne mais le contenu de son enseignement ne peut différer de celui de Jésus. I. de La Potterie, La vérité, t. I, p. 369, remarque : « L’Esprit n’apporte pas une révélation nouvelle, il ne vient pas ajouter d’autres vérités à celles qu’avait enseignées le Christ. » Le souci « d’un enseignement nouveau dispensé par l’Esprit » autre que « l’enseignement déjà dispensé par Jésus » (cf. M. Gourgues, En Esprit, p. 278) n’a pas de raison d’être. Jésus a fait connaître aux disciples tout (panta) ce qu’il a entendu de son Père (cf. 15,15d), le Paraclet les enseigne tout (panta) ce que Jésus a dit.

(b) Le sens de « rappeler » s’oppose à l’oubli. Ce thème est présenté dans l’Évangile par trois verbes de la même famille : « mimnèiskomai » (trois fois : 2,17.22 ; 12,16), « mnèmoneuô » (trois fois : 15,20 ; 16,4.21), ces verbes signifient « se rappeler », « se souvenir » ; le troisième verbe « hupomimnèiskô » (une fois : 14,26) a le sens de rappeler quelque chose à quelqu’un, de remettre en mémoire. Ce rôle du Paraclet permet aux disciples de se ressouvenir de ce que Jésus a dit pour qu’ils ne l’oublient pas. Grâce au Paraclet, les disciples se rappellent la parole de Jésus (cf. 2,22 ; 12,16).

(c) Certains auteurs (cf. I. de La Potterie, La vérité, t. I, n. 110-111, p. 267) considèrent que le pronom neutre pluriel « ha » (ce que) a pour antécédent seulement de « panta » (tout) en 14,26c : « vous rappellera tout (panta) ce que (ha) [moi] je vous ai dit »). Cependant, dans le mouvement du v.26, les deux expressions : « enseigner tout (panta) » et « rappeler tout (panta) » trouvent leur sens précis dans la proposition relative : « ce que je vous ai dit ». La structure de 14,25-26 est éclairante : elle commence par le « parler » (v.25a) de Jésus et se termine par son « dire » (v.26c). Au centre de la structure en chiasme se trouvent deux éléments : (a) le Père enverra l’Esprit Saint (v.26a), (b) le Paraclet enseignera tout (v.26b) et rappellera tout (v.26c). L’enseignement du Paraclet doit donc se rapporter au « dire » de Jésus (v.26c). Ainsi, la conjonction « et », qui lie v.26b et v.26c, a donc une valeur cumulative et non explicative. C’est-à-dire le Paraclet enseignera tout ce que Jésus a dit et rappellera tout ce que Jésus a dit.

En résumé, l’enseignement du Paraclet consiste à faire comprendre les paroles de Jésus dont les disciples ne saisissent pas encore le sens. Le rappel consiste à remettre en mémoire l’enseignement de Jésus qui risque de tomber dans l’oubli. Ces deux fonctions manifestent la continuité entre Jésus et le Paraclet dans la transmission de la révélation et elles doivent être reliées avec les autres activités en 16,12-15.

     3. Guider dans la vérité tout entière (16,13b)

Le cinquième dit du Paraclet (16,12-15) concerne la vie des disciples. Nous abordons d’abord (1) les disciples ne peuvent « porter » les dires de Jésus (16,12), et ensuite (2) le Paraclet les guide dans la vérité tout entière (16,13).

(1) La situation les disciples en 16,12 : « J’ai encore beaucoup à vous dire, mais vous ne pouvez pas le porter à présent », dit Jésus, est exprimée par le terme « arti » (à présent) et le verbe « bastazô » (porter), deux fois dans l’Évangile : 16,12 ; 19,17. Le narrateur rapporte en 19,17a : « Et il [Jésus] sortit, portant (bastazôn) sa croix, et vint au lieu dit du Crâne. » Ce verbe a donc le sens de porter physiquement un objet lourd. Dans le contexte de Jn 14–16, deux éléments éclairent le sens du verbe « porter » en 16,12. Dans un sens, les disciples sont dans le trouble, l’effroi et la détresse (14,1.27 ; 16,20a.33). La tristesse a rempli leur cœur (16,6). Ils risquent d’être effrayés face à la haine et à la persécution du monde (16,1). Dans cette situation, les disciples ne peuvent donc pas « porter » les dires de Jésus. Dans un autre sens, Jésus n’a pas encore achevé sa mission. Son amour pour les siens qui s’exprime par sa mort sur la croix (13,1) n’a pas encore eu lieu. Pour cette raison, il y a un décalage entre la transmission et la réception de la révélation. La totalité de la révélation est communiquée (15,15), mais les disciples ne peuvent pas saisir « dès à présent » toute sa portée, car les paroles de Jésus ne prennent sens pleinement qu’après son heure.

(2) Le rôle du Paraclet est exprimé par (a) le verbe « guider » et (b) l’expression « dans la vérité tout entière ».

(a) Le verbe « hodègeô », une fois dans l’Évangile en 16,13, est composé par le substantif « hodos » (le chemin, la voie) et le verbe « agô » (mener, conduire, accompagner) ; « hodègeô » signifie donc « guider », « acheminer », « conduire » sur un chemin. Le terme « hodos » (le chemin) apparaît en quatre occurrences (1,23 ; 14,4.5.6). Jésus dit aux disciples en 14,6 : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père sinon par moi. » Si Jésus est le seul chemin pour aller au Père, le Paraclet conduit les disciples sur ce chemin. Les termes de la même famille : « hodègeô » en 16,13 et « hodos » en 14,6 montrent le lien entre le Paraclet et Jésus.

(b) Dans l’expression « dans (en) la vérité tout entière » (16,13b), à la place de la préposition « en + datif » (dans), attestée dans les manuscrits : א, D, L, W, etc., il existe une variante de « eis + accusatif » (vers) : « vers (eis) la vérité tout entière », attestée dans les manuscrits A, B, K, Γ, Δ, Ψ, etc. (cf. l’apparat critique dans NTG, 28e éd.). Certains auteurs optent pour la variante « en » (dans), par exemple, Jeanne d’Arc, Évangile, 1990 ; Y. Simoens, Selon Jean, t. II, 1997 ; BiJér, 2000 ; M. Gourgues, En Esprit, 2002, p. 251. Certains autres sont pour la variante « eis » (vers), par exemple, Osty, 1972 ; I. de La Potterie, La vérité, t. I, 1977, p. 423 ; R. Schnackenburg, The Gospel, vol. III, p. 132 ; F. J. Moloney, The Gospel, 1998, p. 438.

En accord avec NTG, 28e éd., nous choisissons la variante « en » (dans) parce qu’elle est mieux attestée et son sens convient mieux à la théologie johannique. En effet, avec la préposition « eis » (vers), la vérité devient un objectif (vers la vérité), tandis qu’avec « en » (dans), la vérité est un milieu de vie (dans la vérité). Y. Simoens, Selon Jean, t. II, p. 658, remarque : « La vérité n’est pas un but à atteindre : c’est un milieu de vie déjà offert et donné en partie. » Dans les épîtres de Jean, il s’agit de « marcher (paripateô) dans (en) la vérité » (2Jn 4 ; 3Jn 3.4). Cette expression renvoie à « guider dans (en) la vérité » (Jn 16,13b). Le guide du Paraclet ne se fait pas une fois pour toute ; personne ne peut posséder la vérité tout entière. L’accompagnement du Paraclet se fait donc tout au long de la vie du disciple et se concrétise par les verbes « parler », « annoncer ».

     4. Parler et annoncer (16,13b-15)

La communication du Paraclet aux disciples s’exprime par les verbes (1) « parler » (laleô), (2) « annoncer » (anaggellô) et l’expression (3) « les choses à venir » (ta erchomena).

(1) Il y a une nuance entre les verbes « legô » (dire) et « laleô » (parler). Le verbe « legô » est souvent employé pour raconter les dires des personnages. Ces deux verbes se suivent dans la parole de Jésus en 12,49-50 : « 49 Car ce n’est pas de moi-même que j’ai parlé (elalèsa), mais le Père qui m’a envoyé m’a lui-même commandé que dire (ti eipô) et de quoi parler (ti lalèsô) ; 50 et je sais que son commandement est vie éternelle. Ainsi donc ce dont je parle (lalô), tel que le Père me l’a dit (eirèken) j’en parle (lalô). » Ainsi, « legô » (dire) désigne l’acte de prendre la parole et « laleô » (parler) désigne l’énoncé, la réalisation de l’acte de parler. En 16,13c, le verbe « parler » est lié au verbe « guider » au v.13b par la conjonction « gar » (car). L’action de « guider » consiste donc à « parler » (v.13c) et à « annoncer » (v.13d). Le Paraclet-Esprit est spirituel, sa parole ne se fait pas par la voix mais il illumine l’intelligence des disciples et leur parle de l’intérieur parce qu’il est en eux. Le mode de communication du Paraclet diffère donc de celui de Jésus. En même temps le « parler » du Paraclet se réfère au « dire » de Jésus, puisque le Paraclet « ne parlera pas de lui-même, mais ce qu’il entendra, il le parlera » (v.13c). La parole de Jésus est alors le contenu de la communication du Paraclet.

(2) Le verbe « anaggellô » (annoncer) apparaît en cinq occurrences (4,25 ; 5,15 ; 16,13.14.15) dont trois sont au futur de l’indicatif (16,13.14.15) avec le Paraclet pour sujet. Dans le Nouveau Testament, le verbe « aggellô » est employé une seule fois avec le sens « annoncer » en Jn 20,18a : « Marie de Magdala vient annoncer (aggellousa) aux disciples : “J’ai vu le Seigneur” », rapporte le narrateur. Le verbe « anaggellô » est composé par le préfixe « an- » et le verbe « aggellô ». Ce préfixe exprime l’idée d’une répétition, d’un redire, « anaggellô » a donc le sens d’annoncer à nouveau, communiquer, révéler, dévoiler. Nous choisissons le sens « annoncer » en se référant à l’idée de redire ce qui a été entendu et reçu. C’est-à-dire « annoncer (aggellein) au retour (an-) d’une mission, (…) annoncer ou dévoiler quelque chose qui jusque-là était inconnu ou secret. » (I. de La Potterie, La vérité, t. I, p. 445).

En 4,25-26, Jésus s’identifie avec le Messie qui « annoncera (anaggelei) toutes choses » (4,25b, TOB, 12e éd.) La BiJér traduit par « il nous dévoilera (anaggelei) tout ». En 16,25, Jésus est le sujet du verbe « apaggellô » qui signifie aussi « annoncer », « entretenir ». Jésus dit aux disciples en 16,25 (BiJér) : « Tout cela, je vous l’ai dit en figures. L’heure vient où je ne vous parlerai plus en figures, mais je vous entretiendrai (apaggellô) du Père en toute clarté. » La TOB, 12e éd., traduit la dernière phrase : « Je vous annoncerai (apaggellô) ouvertement ce qui concerne le Père. » Le rôle d’annoncer du Paraclet renvoie à celui de Jésus sur deux points : (a) les verbes : « anaggelei » en 16,14b (l’annonce du Paraclet) et « anaggelei » en 4,25b ; « apaggellô » en 16,25c (l’annonce de Jésus) sont au futur de l’indicatif. (b) Le Paraclet annonce ce qu’il a reçu de Jésus, tandis que Jésus annonce « tout » (4,25b) et « le Père » (16,25c). Ainsi le rôle d’annoncer du Paraclet est en continuité avec celui de Jésus.

(3) L’expression « les choses à venir » (ta erchomena) apparaît en une seule occurrence en 16,13. I. de La Potterie, La vérité, t. I, p. 449, remarque : « Plusieurs auteurs ont cru que le Christ promettait ici aux disciples le don de prophétie ; et ils voient volontiers la réalisation de cette promesse dans les annonces de l’avenir que contient l’Apocalypse de l’apôtre Jean. Toutefois, il est manifeste que l’évangile ne songe aucunement au don de prophétie au sens étroit, autrement dit, au don de prédire l’avenir. Le vocabulaire du verset s’y oppose. » (Cf. les auteurs dans ibid. n. 334, p. 449).

En accord avec cette remarque, nous pensons que le sens des « choses à venir » doit être compris dans son contexte avec ces quatre éléments : (a) La conjonction « kai » (et) au v.13d a valeur épexégétique, c’est-à-dire, le second mot est une explication du premier. Le verbe « annoncer » (v.13d) est une explication du verbe « parler » (v.13c). (b) « Les choses à venir » ont de lien avec les dires de Jésus que les disciples ne peuvent pas porter à présent (16,12). (c) Le lien entre le Messie-Jésus qui annonce « tout » (4,25b) et le Paraclet qui annonce « les choses à venir » (16,13d) montre que la révélation de Dieu se fait en deux étapes : l’annonce de Jésus historique et l’annonce du Paraclet après Pâques. (d) Annoncer les choses à venir (16,13d) doit être interprété en union avec l’annonce du destin de Jésus. Par deux fois (16,14b.15b), Jésus dit que le Paraclet annoncera aux disciples ce qu’il a reçu de son bien. La source et le fondement de l’annonce du Paraclet viennent de Jésus. C’est un trésor inépuisable de Jésus que le Paraclet communique aux disciples. De ce fait, « les choses à venir » sont conformes à la révélation de Jésus.

Le contexte ne permet pas de comprendre d’annonce des choses à venir (16,13d) dans le sens de prédire ou de prévoir l’avenir sans rapport avec la révélation de Jésus. En fait, le Paraclet fera découvrir une nouveauté dans l’enseignement de Jésus. « Les choses à venir » renvoient donc aux événements qui surviendront au cours de l’histoire. Il s’agit d’une actualisation de la parole de Jésus dans les situations concrètes. Le Paraclet annoncera le sens des événements à venir en puisant dans le bien de Jésus. Il garantit donc la juste compréhension de la communauté de la révélation de Jésus.

Conclusion

La ressemblance entre Jésus et le Paraclet dans le tableau ci-dessous montre à la fois le lien entre leur mission et l’unicité de la révélation de Dieu.


Les cinq points différents entre Jésus et le Paraclet sont (1) la place dans le récit : Jésus parle du Paraclet dans les ch. 14–16. La mission de Jésus est avant Pâques, celle du Paraclet commence après le départ de Jésus. (2) Jésus est présent physiquement avant Pâques, spirituellement après Pâques ; le Paraclet demeure spirituellement chez les disciples. (3) Jésus enseigne à tous, le Paraclet n’entre pas en contact avec le monde. (4) La source de la révélation de Jésus vient du Père, celle du Paraclet vient de Jésus. (5) La relation de Jésus avec le Père et avec les disciples sont développés dans l’Évangile, ce n’est pas le cas pour le Paraclet. Le Paraclet ne se substitue pas à Jésus, parce que les trois personnes (le Paraclet, Jésus et le Père) demeurent chez celui qui aime Jésus et garde ses commandements (14,15-23). Le Paraclet ne remplace pas Jésus parce qu’il témoigne en sa faveur. Le Paraclet n’est pas un « autre Jésus » parce que chacun a un rôle spécifique.

La fonction du Paraclet dans le rapport avec le monde est double : (1) rendre témoignage à Jésus auprès disciples et dans leur cœur quand qu’ils sont confrontés à la persécution du monde. (2) Établir la culpabilité du monde. Le monde est péché (16,9), la justice appartient à Jésus (16,10) et le Prince de ce monde est définitivement jugé (16,11). Cependant, le monde du refus n’est pas jugé de manière définitive, il est invité à « croire » et à « connaître » Jésus. Le Paraclet révise donc le procès entre la lumière et les ténèbres en effectuant un renversement.

Le Paraclet joue un triple rôle auprès des disciples : (1) demeurer auprès d’eux à jamais ; (2) leur enseigner tout et leur rappeler tout ce que Jésus a dit ; (3) les guider dans la vérité tout entière et annoncer ce qui est de Jésus. La mission du Paraclet se réfère en permanence à la révélation de Jésus. La fonction d’« annoncer les choses à venir » n’a pas le sens de prédire ou de prévoir l’avenir mais elle permet aux disciples d’actualiser l’enseignement de Jésus dans les situations concrètes au cours de l’histoire.

L’originalité du Paraclet se manifeste donc dans le triple rapport : « Paraclet – Jésus » ; Paraclet – monde » et « Paraclet – disciples ». Sa présence et ses activités sont un grand soutient et encouragement, comme Jésus le dit aux disciples en 16,7 : « Je vous dis la vérité : c’est votre intérêt que je parte ; car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai. »



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Les articles sur le Paraclet-Esprit :

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