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Le 09 décembre 2016.
Contenu
II. Trois procédés littéraires
1. Le
malentendu
2. L’ironie
3. Le langage symbolique
a) Les deux demandes de deux sortes
d’eau
b) L’« eau vive » pour désaltérer
« la soif »
c) Le donateur de l’eau vive et sa soif
III. Conclusion
En lisant l’Évangile selon
Jean, le lecteur peut repérer trois procédés littéraires : le malentendu,
l’ironie et le langage symbolique dans plusieurs récits. Cette étude analyse ces
procédés littéraires dans deux unités littéraires : 4,5-15 (la première
partie du dialogue entre Jésus et la femme samaritaine) et 4,31-38 (le dialogue
entre Jésus et ses disciples). En tenant compte de ces procédés littéraires, le
lecteur est guidé par le narrateur dans la juste compréhension du récit. Nous
présentons d’abord les textes : 4,5-15 et 31-38, puis les procédés
littéraires.
I. Le
texte Jn 4,5-15 et 4,31-38
La péricope 4,1-42 raconte le
passage de Jésus en Samarie pour aller en Galilée. D’abord, le narrateur explique
la raison pourquoi Jésus se rend en Galilée en passant par la Samarie (4,1-4). Puis
à Sychar, une ville de Samarie, Jésus dialogue avec la femme samaritaine (4,5-30)
et avec les disciples (4,31-38). Ces dialogues débouchent sur la rencontre
entre Jésus et les Samaritains (4,39-42). Nous citons ci-dessous la Bible de
Jérusalem, 2000, la première partie du dialogue entre Jésus et la femme
samaritaine (4,5-15) et les échanges entre Jésus et les disciples (4,31-38).
Jn 4,5-15 : « 5 Il [Jésus] arrive donc à une ville de Samarie appelée Sychar, près de la terre que Jacob avait donnée à son fils Joseph. 6 Là se trouvait la source (pègè) de Jacob. Jésus, fatigué par la marche, se tenait donc assis tout contre la source (pègèi). C’était environ la sixième heure. 7 Une femme de Samarie vient pour puiser de l’eau. Jésus lui dit : “Donne-moi à boire.” 8 Ses disciples en effet s’en étaient allés à la ville pour acheter de quoi manger. 9 La femme samaritaine lui dit : “Comment ! toi qui es Juif, tu me demandes à boire à moi qui suis une femme samaritaine ?” (Les Juifs en effet n’ont pas de relations avec les Samaritains.) 10 Jésus lui répondit : “Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : Donne-moi à boire, c’est toi qui l’aurais prié et il t’aurait donné de l’eau vive.” 11 Elle lui dit : “Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits (phrear) est profond. D’où l’as-tu donc, l’eau vive ? 12 Serais-tu plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits (phrear) et y a bu lui-même, ainsi que ses fils et ses bêtes ?” 13 Jésus lui répondit : “Quiconque boit de cette eau aura soif à nouveau ; 14 mais qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source (pègè) d’eau jaillissant en vie éternelle.” 15 La femme lui dit : “Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n’aie plus soif et ne vienne plus ici pour puiser.” »
Jn 4,31-38 : « 31 Entre-temps, les disciples le [Jésus] priaient, en disant : « Rabbi, mange. » 32 Mais il leur dit : “J’ai à manger un aliment que vous ne connaissez pas.” 33 Les disciples se disaient entre eux : “Quelqu’un lui aurait-il apporté à manger ?” 34 Jésus leur dit : “Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et de mener son œuvre à bonne fin. 35 Ne dites-vous pas : encore quatre mois et vient la moisson ? Eh bien ! je vous dis : levez les yeux et regardez les champs, ils sont blancs pour la moisson. Déjà 36 le moissonneur reçoit son salaire et récolte du fruit pour la vie éternelle, en sorte que le semeur se réjouit avec le moissonneur. 37 Car ici se vérifie le dicton : autre est le semeur, autre le moissonneur ; 38 je vous ai envoyés moissonner là où vous ne vous êtes pas fatigués ; d’autres se sont fatigués et vous, vous héritez de leurs fatigues.” »
II.
Trois procédés littéraires
Le passage de Jésus et ses
disciples à Sychar, une ville de Samarie, ne figure pas dans les Évangiles
synoptiques ; ce récit est propre au quatrième Évangile. En particulier,
le narrateur utilise trois procédés littéraires johanniques : le
malentendu, l’ironie et le langage symbolique, dans les unités : 4,5-15 et
4,31-38.
1. Le malentendu
Le récit met en relief le
malentendu de la femme samaritaine en 4,5-15 et celui des disciples en 4,31-34.
Le malentendu de la femme se
produit en raison du double sens du terme « eau » (hudôr) et
du verbe « avoir soif » (dipsaô). En effet, Jésus, en
demandant à la femme à boire de l’eau du puits qu’elle a (4,7), affirme qu’il
peut lui donner « l’eau vive » (4,10b). La condition pour recevoir l’eau
vive est la connaissance du « don de Dieu » et de « celui qui a
demandé à boire » (4,10a). Dans le sens courant du terme, « l’eau
vive » (hudôr zôn) désigne l’eau fraîche qui coule de la source. Cette
« eau vive » (living water) s’oppose à l’eau conservée dans
une citerne ou un bassin. Pour la femme samaritaine, l’eau du puits de Jacob
est aussi « l’eau vive » parce que cette eau vient d’une source souterraine
et non d’une citerne étanche. Elle interprète « l’eau vive » dont
Jésus parle à l’eau du puits, c’est pourquoi elle lui demande d’un ton
humoristique et ironique en 4,11 : « Seigneur, tu n’as rien pour
puiser, et le puits est profond. D’où l’as-tu donc, l’eau vive ? »
Cette question conduit Jésus à préciser la nature de « l’eau vive »
en 4,13-14 : « 13 Quiconque boit de cette eau aura soif à nouveau ;
14 mais qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; l’eau
que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissant en vie éternelle. »
Ainsi, il devient évident pour le lecteur qu’il existe deux sortes d’eau et
deux types de soif.
C’est étonnant que la femme n’ait
pas compris l’explication de Jésus en 4,13-14. Elle dit à Jésus en 4,15 :
« Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n’aie plus soif et ne vienne
plus ici pour puiser. » Le malentendu ici est double. Elle confond, d’une
part, entre l’eau du puits et l’eau vive définie en 4,13-14, et, d’autre part, entre
la soif physique, et la soif de la vie éternelle. Cependant, pour le lecteur,
l’explication de Jésus en 4,13-14 est claire : « l’eau vive »
que Jésus donne n’est pas « l’eau du puits » dans le sens courant du
terme, mais il existe un lien entre eux : le sens courant de l’eau renvoie
à son sens symbolique. Ainsi, le lecteur ne confond pas, comme le fait la femme
samaritaine. Le récit vise donc l’intelligence du lecteur. En tenant compte du procédé
littéraire du malentendu dans le récit, le lecteur accède à la juste
compréhension de la révélation de Jésus, tandis que le personnage dans le récit
(la femme samaritaine) ne saisit pas encore le sens et reste dans le
malentendu.
En tout cas, l’incompréhension
persistante de cette femme peut être perçue comme un procédé littéraire. Puisqu’elle
n’a pas compris le sens symbolique de « l’eau vive », c’est le bon moment
pour changer le sujet du dialogue. Jésus lui demande donc d’aller appeler son
mari (4,16), mais elle ne part pas ; les échanges continuent jusqu’au
verset 26 sur des sujets importants : le lieu d’adoration de Dieu
(4,20-24), le salut (4,23b), d’une part ; les grandes figures de la
tradition : les pères (4,20a), le prophète (4,19), le Messie (4,25-26),
d’autre part.
Quant aux disciples dans l’unité
4,31-38, le malentendu se produit en raison du double sens du thème
« nourriture ». Jésus utilise deux termes pour parler de sa
nourriture : « brôsis » (aliment) en 4,32 et « brôma »
(nourriture) en 4,34. Jésus dit aux disciples en 4,34 : « Ma
nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et de mener son œuvre
à bonne fin. » La nourriture dont Jésus parle a le sens symbolique. Le
narrateur utilise un autre terme grec pour référer à la nourriture :
« trophè » au début du récit en 4,8 : « Ses
disciples en effet s’en étaient allés à la ville pour acheter de quoi manger (trophas). »
C’est dans le sens courant du verbe « manger » que les disciples ont
compris la parole de Jésus en 4,32 : « J’ai à manger un aliment que
vous ne connaissez pas. » C’est pourquoi ils se disent entre eux : « Quelqu’un
lui aurait-il apporté à manger ? » (4,33). Devant le malentendu des
disciples, Jésus leur explique le sens symbolique de sa nourriture en 4,34, puis
à travers l’image du travail aux champs : la moisson, le semeur, le
moissonneur, Jésus parle de sa mission et celle de ses disciples en 4,35-38.
Le rôle du groupe de
personnages « disciples » prend fin avec leur question en 4,33. Les
disciples disparaissent de la scène après 4,38. L’unité littéraire suivante (4,39-42)
rapporte la rencontre entre Jésus et les Samaritains de la ville de Sychar. Le
terme « disciple » (mathètès) ne réapparaît qu’en 6,3 :
« Jésus gravit la montagne et là, il s’assit avec ses disciples. » Le
fait, que le narrateur ne dit rien sur les réactions des disciples après les
paroles de Jésus en 4,34-38, montre que le narrateur vise le lecteur et non le
personnage du récit. À travers le procédé littéraire du malentendu, le
narrateur communique au lecteur la révélation de Jésus sur sa mission et celle des
disciples, c’est-à-dire la mission de la communauté croyante au cours des
siècles.
En résumé, le malentendu se
produit quand les interlocuteurs ont compris la parole de Jésus dans un sens
qui n’est pas celui que Jésus veut exprimer. Ce procédé littéraire joue sur les
termes à double sens. Dans le récit, le sens véritable de la déclaration de
Jésus échappe à la compréhension de l’interlocuteur. Ce dernier l’interprète
selon l’expérience humaine tandis que Jésus vise le sens symbolique pour
révéler les réalités du monde de Dieu. La métaphore johannique de l’eau en
4,5-15 et de la nourriture en 4,31-44 est donc le langage de la révélation. Le
procédé du malentendu joue un double rôle : d’abord, il permet à Jésus ou
au narrateur d’expliquer davantage le sens des mots ou des idées qui évoquent
le malentendu ; ensuite, grâce au contexte ou à la précision dans le
récit, le lecteur parvient à saisir le véritable sens de la parole de Jésus. Le
vrai sens à retenir est communiqué au lecteur soit par le narrateur (2,21),
soit par Jésus lui-même (3,5 ; 4,13-14.31-34), soit par le contenu du
récit. Par le procédé littéraire du malentendu, le narrateur guide le lecteur
dans l’interprétation des données du texte.
2. L’ironie
L’ironie découle d’une situation
ou d’une parole dans le récit qui évoque l’humour, le sarcasme ou le paradoxe. Il
existe un double trait ironique dans la rencontre de Jésus avec la femme
samaritaine en 4,5-15 et l’ironie concernant le double sens de nourriture en 4,31-33.
D’abord, l’ironie se trouve
dans le fait que le narrateur réunit les deux figures opposées en un seul
personnage : celui qui demande « l’eau à boire » (4,7b) est
celui qui offre « l’eau vive » (4,10b). Après la demande de Jésus
adressée à la femme : « Donne-moi à boire » (4,7b), Il lui dit :
« Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : Donne-moi
à boire, c’est toi qui l’aurais prié et il t’aurait donné de l’eau vive »
(4,10). À travers ce contraste ironique, le lecteur saisit les deux sens du
terme « eau » (le sens courant et le sens symbolique). Par ce procédé
littéraire, l’identité de Jésus commence à se dévoiler. Jésus est un vrai
homme, il est fatigué par la marche jusqu’à midi (la sixième heure, cf. 4,6),
il demande à la femme à boire pour étancher sa soif.
Ensuite, un autre trait
ironique se trouve dans la parole de la femme. En 4,11-12, elle pose à Jésus
deux questions : la première en 4,11 : « Seigneur, tu n’as rien
pour puiser, et le puits est profond. D’où l’as-tu donc, l’eau
vive ? », et la seconde en 4,12 : « Serais-tu plus grand
que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits et y a bu lui-même, ainsi que
ses fils et ses bêtes ? » Pour la femme, la réponse à ces deux
questions est évidemment négative. Mais le lecteur sait qu’elle ne comprend pas
la parole de Jésus en 4,10 et que c’est le contraire qu’il faut retenir, à
savoir que l’eau vive que Jésus offre n’est pas l’eau du puits et que Jésus est
infiniment plus grand que le patriarche Jacob puisque Jésus est l’envoyé de
Dieu et il vient d’en haut, il peut offrir « une source d’eau jaillissant
en vie éternelle » (4,14b). À travers l’image de l’eau et de la soif, le
contraste entre l’humanité et la divinité de Jésus est mis en relief. Cette
révélation sur l’identité de Jésus est communiquée au lecteur par le procédé
littéraire de l’ironie.
Enfin, l’ironie en 4,31-38 se
construit à travers de double sens de la nourriture. Les deux fois le verbe
« manger » (esthiô) en 4,31-32 possède une connotation ironique.
Souvenons-nous qu’au moment de la rencontre entre Jésus et la femme samaritaine
au début du récit, le narrateur relate que « ses disciples en effet s’en
étaient allés à la ville pour acheter de quoi manger (trophas) » (4,8).
Le dialogue entre Jésus et la femme s’est déroulé en l’absence des disciples
qui sont, entretemps, en ville pour acheter la nourriture pour Jésus et pour le
groupe. Ironiquement, quand ils invitent Jésus « Rabbi, mange » (4,32),
Jésus ne consomme pas cette nourriture, il leur dit en 4,33 : « J’ai
à manger un aliment que vous ne connaissez pas. » Ce trait ironique insiste,
d’une part, sur le sens symbolique et théologique de la nourriture, et d’autre
part, sur la priorité de la mission de Jésus laquelle est liée à la mission des
disciples (4,35-38).
En résumé, c’est au lecteur de
découvrir les traits ironiques dans le récit et de relever le manque de perception
des personnages du récit qui vont dans la fausse direction. À travers les
traits ironiques, le narrateur fait savoir au lecteur les interprétations
erronées, que ce soit de la femme samaritaine en 4,11-12, ou des disciples en
4,33.
3. Le langage symbolique
Le symbole se base sur le sens
courant des réalités de ce monde pour
exprimer les réalités du monde d’en haut (le monde de Dieu). À travers le langage
symbolique, Jésus enseigne et transmet aux interlocuteurs la révélation. Nous
présentons dans cette partie trois points : (a) les deux demandes de deux
sortes d’eau, (b) l’eau vive pour désaltérer la soif, (c) le donateur de l’eau
vive et sa soif.
a) Les deux demandes de deux sortes
d’eau
La rencontre entre Jésus et la
femme samaritaine au puits de Jacob décrit le besoin de deux personnes. D’abord,
« Jésus, fatigué par la marche, se tenait donc assis tout contre la
source » (4,6b), et demande à la femme : « Donne-moi à
boire » (4,7b). Ensuite, la femme demande à Jésus « l’eau vive »
en lui disant : « Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n’aie
plus soif et ne vienne plus ici pour puiser » (4,15). Ces deux demandes
renvoient à deux sortes d’eau : l’eau du puits (4,7b) et l’eau vive (4,15a)
et deux types de soif : la soif physique et la soif spirituelle.
Le narrateur précise en 4,6c
que Jésus se trouve au puits de Jacob environ à la « sixième heure »
(à midi), fatigué par la marche ; il a soif et demande de l’eau à la samaritaine.
Ce détail révèle l’humanité de Jésus. Cependant, le récit ne rapporte pas la
suite de la demande de Jésus laquelle est suivie par la consternation de la
femme samaritaine en 4,9 : « Comment ! toi qui es Juif, tu me
demandes à boire à moi qui suis une femme samaritaine ? » Est-ce que
la femme accède à la demande de Jésus ? Le récit ne le précise pas. En
fait, cette question n’est pas importante puisque le narrateur veut orienter le
lecteur vers un autre point plus essentiel : le renversement de la
situation. En effet, dans la suite du dialogue (4,10-26), Jésus ne parle plus
de sa soif physique, par contre il propose à son interlocutrice l’eau vive
(4,10).
Au lieu de répondre à
l’interrogation de la femme en 4,9, Jésus lui propose une boisson mystérieuse
en 4,10 : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit :
Donne-moi à boire, c’est toi qui l’aurais prié et il t’aurait donné de l’eau
vive. » Étonnée par cette proposition étrange, la femme ne comprend pas le
sens de l’eau vive. Jésus explique en 4,13-14 : « Quiconque boit de
cette eau aura soif à nouveau ; 14 mais qui boira de l’eau que je lui
donnerai n’aura plus jamais soif ; l’eau que je lui donnerai deviendra en
lui source d’eau jaillissant en vie éternelle. » Cette explication est
tout à faire claire pour le lecteur mais il est surprenant que la femme reste
toujours dans le malentendu en disant à Jésus en 4,15 : « Seigneur,
donne-moi cette eau, afin que je n’aie plus soif et ne vienne plus ici pour
puiser. » En tout cas, le narrateur construit son récit avec soin. L’unité
4,5-15 commence par la demande de Jésus à la femme en 4,7b et se termine
par la demande de la femme à Jésus en 4,15. La situation est donc
renversée. Ces deux demandes concernent le même besoin : l’eau pour
apaiser la soif au sens courant puis au sens symbolique. Les expressions « l’eau »
et « avoir soif » possèdent donc un double sens.
b) L’« eau vive » pour désaltérer
« la soif »
L’unité 4,5-15 évoque deux images
symboliques : le nom grec « hurôr » (eau) et le verbe
« dipsaô » (avoir soif). Ces symboles s’appliquent aux personnages
du récit et au lecteur. Dans le point suivant, nous traitons le donateur de
l’eau vive (Jésus), pour l’instant, nous abordons les bénéficiaires de l’eau
vive (tous les hommes).
L’eau au sens premier est un besoin
vital pour la vie humaine. L’homme ne peut vivre sans eau. C’est pourquoi la
femme vient au puits pour puiser l’eau et c’est pourquoi Jésus lui demande à
boire. Ainsi, au sens symbolique, l’eau vive que Jésus offre à l’homme est un
besoin vital avec deux caractéristiques : qui boit l’eau vive
« n’aura plus jamais soif » (4,14a) ; et cette eau « deviendra
en lui source d’eau jaillissant en vie éternelle » (4,14b). Comment faire
pour avoir cette eau vive ?
En 4,10, Jésus parle de deux
conditions pour avoir l’eau vive : « savoir le don de Dieu » et
reconnaître « qui est Jésus ». Dans le déroulement du récit, la femme
samaritaine ne connaît ni « le don de Dieu » ni « qui est
Jésus ». En plus, elle n’arrive pas à distinguer, d’une part, entre « l’eau
du puits » et « l’eau vive », et d’autre part, entre « la
soif physique » et « la soif spirituelle ». Sa demande en
4,15 : « Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n’aie plus soif
et ne vienne plus ici pour puiser » reste donc dans le malentendu et sans
réponse. Le dialogue sur le thème de l’eau et sur celui de la soif se termine à
la fin de ce verset (4,15). En effet, le narrateur a raison d’orienter le
dialogue vers un autre sujet, parce que le lecteur a saisi le sens symbolique
de l’eau vive et de la soif grâce à la parole de Jésus en 4,10.13-14. Cependant,
le lecteur ne sait pas encore comment faire pour avoir l’eau vive. La réponse sera
donnée à la fin de la péricope (4,39-42). Le récit de la rencontre entre Jésus
et les Samaritains montre au lecteur qu’« avoir l’eau vive » équivaut
à « croire en Jésus ».
En 4,5-15, l’image de l’eau
est liée à la soif. Tout homme a une fois dans la vie expérimenté la soif. Pour
survivre au désert, parfois l’eau est plus importante que la nourriture. Le
sens symbolique d’« avoir soif » dans l’unité 4,5-15 prend un sens
fort, il s’agit de la vie ou de la mort spirituelle de l’homme. Pour recevoir l’eau
vive que Jésus offre, il est indispensable que le lecteur ait soif au sens
symbolique du terme, c’est-à-dire soif de la justice, de la vérité, de l’amour,
de la paix, de la communion avec Dieu, de la vraie adoration du Père, de la
venue du Messie et du sauveur, de la parole de Dieu, de la vie éternelle etc. Cette
soif implique la reconnaissance de la limite humaine laquelle est
inévitablement confrontée à la fatigue, la souffrance, l’impuissance et enfin à
la mort physique. Si le lecteur expérimente cette soif spirituelle, il fera
tout pour avoir l’eau vive qui désaltère. L’eau vive que Jésus offre devient ainsi
un don vital pour l’homme. Le récit 4,5-15 ne parle pas seulement du don de
l’eau vive pour l’humanité mais révèle aussi l’identité et la mission du
donateur de cette eau qui est Jésus. Cette révélation est développée dans
l’unité 4,30-38 (le dialogue entre Jésus et ses disciples). Nous allons
maintenant analyser l’unité 4,5-15 en lien avec 4,30-38.
c) Le donateur de l’eau vive et sa soif
Les images de l’eau et de la
soif s’appliquent à Jésus lui-même. Nous avons abordé, plus haut, la soif
physique de Jésus en 4,6-7. Cependant le récit se concentre sur Jésus comme celui
qui offre l’eau vive. Sa soif physique prend donc une dimension symbolique :
la soif de réaliser sa mission. C’est pour cela qu’il passe par la Samarie pour
aller en Galilée (4,4) : il a soif d’offrir l’eau vive aux hommes,
c’est-à-dire de révéler son identité et de donner la vie éternelle à tous ceux
qui la lui demandent.
Dans le dialogue avec les
disciples, Jésus identifie la réalisation de sa mission à sa nourriture. En
effet, quand les disciples l’invitent en 4,31b : « Rabbi,
mange », il leur dit : « J’ai à manger un aliment que vous ne
connaissez pas » (4,32). Manger et boire sont les besoins vitaux pour
l’homme. Mais pour Jésus, la soif d’offrir l’eau vive aux hommes et de révéler
la volonté de Dieu est plus forte que manger et boire au sens courant de ces termes.
Jésus définit sa nourriture en 4,34 : « Ma nourriture est de faire la
volonté de celui qui m’a envoyé et de mener son œuvre à bonne fin. » Nous
comprenons pourquoi le narrateur parle de sa soif physique seulement dans un demi-verset
(4,7b), et en 4,32, Jésus ne mange pas la nourriture apportée par les disciples.
Le long récit (4,8-42) se concentre donc sur la mission de Jésus. Ses paroles révélatrices
et ses actions conduisent, d’abord, à la conversion des Samaritains, et ensuite,
à la reconnaissance de ces derniers que Jésus est vraiment le sauveur du monde
(4,39-42).
Jésus accepte la soif physique
et la fatigue pour accomplir sa mission en Samarie. C’est ainsi qu’il y a ici
une anticipation de sa part par rapport à ce qu’il dit aux Juifs en 10,16 :
« J’ai encore d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos ;
celles-là aussi, il faut que je les mène ; elles écouteront ma voix ;
et il y aura un seul troupeau, un seul pasteur ». Dans cette perspective,
la mission de Jésus en Samarie est un exemple de la mission des disciples. Dans
la péricope 4,1-42, l’unité du dialogue entre Jésus et ses disciples (4,31-38) développe
le thème de la mission à travers les images des champs qui « sont blancs
pour la moisson » (4,35) et du travail du semeur et du moissonneur (4,36-37).
À la fin de l’unité 4,31-38, Jésus dit aux disciples : « Je vous ai
envoyés moissonner là où vous ne vous êtes pas fatigués ; d’autres se sont
fatigués et vous, vous héritez de leurs fatigues » (4,38). La mission des
disciples au cours des siècles s’est toujours reposée sur les autres
missionnaires qui les ont précédés, qui ont peiné et qui se sont fatigués aux
champs de la mission.
Le contexte du récit 4,5-38
permet de conclure que la première personne qui est fatiguée en accomplissant sa
mission est Jésus lui-même. En effet, nous avons présenté plus haut que l’unité
4,5-15 est construite avec soin sur deux demandes d’eau : celle de Jésus
(l’eau du puits) et celle de la femme samaritaine (l’eau vive). C’est la même
structure dans l’ensemble du passage 4,5-38 pour développer le verbe « kopiaô »
(se fatiguer, travailler, peiner). Ce verbe apparaît au début du récit en 4,6b :
« Jésus, fatigué par la marche » et à la fin du dialogue avec ses
disciples en 4,38 (cité plus haut). Notons que le verbe « kopiaô »
apparaît en 3 occurrences (4,6.38a.38b) dans l’Évangile de Jean et se trouve en
4,5-38. Le lien entre 4,6 et 4,38 est indéniable. Ces occurrences s’éclairent
l’une et l’autre. Jésus est le premier qui a peiné, qui est fatigué sur le
chemin de la mission. Dans cette perspective, la mission des disciples au cours
des siècles prennent sa source dans la mission de Jésus. Autrement dit, la
prédication des disciples se fonde et s’inscrit dans la continuité de la
mission de Jésus. Cette interprétation correspond à la théologie johannique. En
effet, Jésus dit à son Père en 17,18 : « Comme tu m’as envoyé dans le
monde, moi aussi, je les [les disciples] ai envoyés dans le monde. » Jésus
le redit à ses disciples après sa résurrection en 20,21 : « Paix à
vous ! Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. » En développant,
d’une part, le dialogue entre Jésus et la femme samaritaine, et d’autre part, les
échanges avec les disciples, le narrateur communique au lecteur la mission de
Jésus et le fondement de la mission des disciples en utilisant le sens symbolique
des thèmes : l’eau, la soif, la fatigue, la nourriture et la moisson.
III.
Conclusion
En tant qu’homme, il est
évident que Jésus a besoin de boire et de manger, mais le récit ne raconte pas si
Jésus a bu de l’eau du puits (4,7b) ou s’il a mangé la nourriture apportée par les
disciples (4,31). Ces non-dits permettent de focaliser le contenu du récit sur
la mission de Jésus et sa révélation. Jésus est venu pour offrir l’eau
vive aux hommes (4,10), faire la volonté de celui qui l’a envoyé (4,34a)
et mener l’œuvre du Père à bonne fin (4,34b). Ces révélations sont communiquées
au lecteur par les procédés littéraires : le malentendu, l’ironie et le
langage symbolique.
Ces trois procédés littéraires
manifestent donc l’originalité du récit johannique. Nous pouvons observer ces
procédés littéraires dans les autres passages de l’Évangile, par exemple le
dialogue entre Jésus et les Juifs (2,19-20) ; les échanges entre Jésus et
Nicodème (3,1-12) ; les controverses entre Jésus et ses adversaires (chap.
7–8) ; le récit de l’aveugle de naissance (9,1-41) et la péricope
« Jésus devant Pilate » (18,28–19,16a) etc. Pour transmettre son
message, le narrateur utilise ces procédés littéraires à travers les rencontres
(avec Nicodème, la femme samaritaine), les discussions (avec les Juifs, les
Pharisiens), les dialogues (avec les disciples, Pilate) etc. Le narrateur
élabore les procédés littéraires par sa manière de raconter le récit et d’utiliser
des termes à double sens (le sens général et le sens symbolique). « Les
réalités d’en haut » et « le don de la vie éternelle » sont donc
transmis au lecteur par des symboles et des métaphores.
Les trois procédés littéraires
présentés sont des techniques de communication du narrateur. Ce dernier révèle
au lecteur l’identité de Jésus et sa mission dans le monde. Le lecteur est
invité à dépasser le sens premier pour accéder à la révélation. C’est donc au
lecteur de découvrir les procédés littéraires pour saisir le message du texte.
Le narrateur laisse donc au lecteur le soin d’interpréter d’une façon
symbolique les besoins vitaux de
l’homme, par exemple, l’eau, la soif, la nourriture, etc. en sachant que la clé
interprétative du sens symbolique se trouve dans le récit./.
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