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Le 5 mars 2018
Contenu
Introduction
I. La terminologie : « doulos » et « philos »
1. « Doulos » (serviteur, esclave)
2. « Philos » (ami) et « phileô » (aimer d’amitié)
II. Serviteur – maître (13,16 ; 15,20)
1. La traduction des termes :
maître, seigneur, serviteur
2. « Serviteur – maître » en
13,16 et 15,20
III. Serviteurs – amis (15,14-15)
1.
« Vous êtes mes amis » (15,14a)
2. Changement du statut de serviteur à ami
(15,15)
3. « Faire
connaître » – « connaître » (15,15 et ch. 17)
IV. Le
statut de Jésus et de ses amis
1.
L’ami de Jésus est-il égal à ce dernier ?
2.
Qui est Jésus pour les disciples ?
3.
Les appellations : enfants, frères, disciples
Conclusion
Bibliographie
Jésus révèle aux disciples en 15,15 : « Je ne vous appelle
plus serviteurs (doulous)… mais je
vous appelle amis (philous)... » et en 15,20b : « Le serviteur (doulos) n’est pas plus grand que son maître (kuriou). » Comment interpréter les appellations « serviteurs » et « amis » dans ces
versets ? Notre réponse se fait en quatre parties :
(I) la terminologie : « doulos »
et « philos » ; (II) serviteur – maître (13,16 ; 15,20) ; (III)
serviteurs – amis (15,14-15) ; (IV) le statut de Jésus et de ses amis.
Nous présentons d’abord (1) le
sens du terme « doulos »
(serviteur, esclave), puis (2) le thème de l’ami (philos) et le verbe « aimer d’amitié » (phileô) dans l’Évangile.
Pour comprendre le sens du terme « doulos » en Jn
15,15.20 nous l’observons (1) en Is 41,8-9, (2) dans les textes pauliniens, et
(3) dans l’Évangile de Jean.
(1) Le texte d’Is 41,8-9 nous aide à comprendre le thème du
« serviteur » : « 8 Et toi, Israël, mon serviteur (pais mou, LXX), Jacob, que j’ai choisi,
race d’Abraham, mon ami (hon ègapèsa,
LXX), 9 toi que j’ai saisi aux extrémités de la terre, que j’ai appelé des
contrées lointaines, je t’ai dit : “Tu es mon serviteur (pais mou, LXX), je t’ai choisi (exelexamèn, LXX), je ne t’ai pas
rejeté”. » Dans le texte de la Septante (LXX), il s’agit du terme « pais » qui signifie enfant, petit enfant, serviteur, esclave. En tout cas, « serviteur
de Dieu » est un titre prestigieux. En Is 41,8-9, les trois thèmes qui vont
ensemble (être serviteur de Dieu, être choisi par lui et être son ami) se retrouvent
en Jn 15,15.16.20.
(2) Dans les lettres de Paul, le
terme « doulos » peut avoir
l’un des trois sens : (a) d’abord, « doulos » est un titre louable. Paul se présente en Rm 1,1 : « Paul,
serviteur (doulos) du Christ Jésus, apôtre par vocation,
mis à part pour annoncer l’Évangile de Dieu. » Serviteur du Christ Jésus est un titre honorable qui assure le statut et
la mission de Paul. (b) Ensuite « doulos » a un sens
neutre désignant un esclave, un serviteur dans la société.
En gardant la foi en Jésus Christ, un « doulos » peut rester dans son statut d’esclave mais il est libre devant le
Seigneur et les frères. Paul écrit en 1Co 7,21 : « Étais-tu esclave (doulos),
lors de ton appel ? Ne t’en soucie pas. Et même si tu peux devenir libre,
mets plutôt à profit ta condition d’esclave. » Appliquer à la vie
spirituelle, Paul parle de « l’esclave à l’impureté » et de « l’esclave
à la justice » en Rm 6,19 : « J’emploie une comparaison humaine
en raison de votre faiblesse naturelle. – Car si vous avez jadis offert vos
membres comme esclaves (doula) à
l’impureté et au désordre de manière à vous désordonner, offrez-les de même
aujourd’hui à la justice, pour vous sanctifier. » La phrase
« offrez-les de même aujourd’hui à la justice » (BiJér, 2000) littéralement : « Maintenant, mettez vos
membres comme esclaves (doula) à la
justice. » (c) Enfin, le croyant n’est plus « doulos » mais fils. Paul écrit en Ga 4,7 : « Aussi
n’es-tu plus esclave (doulos), mais
fils ; fils, et donc héritier de par Dieu. » Ainsi, le terme « doulos » dans les lettres de Paul peut
avoir un sens positif (Rm 1,1), neutre (1Co 7,21 ; Rm 6,19) ou négatif (Ga
4,7).
(3) Dans l’Évangile de Jean, le terme « doulos » apparaît en onze occurrences (4,51 ; 8,34.35 ; 13,16 ; 15,15a.15b ; 15,20 ;
18,10a.10b ; 18,18.26) avec trois sens. (a) Dans le
premier, le serviteur est en lien avec son maître dans une famille ou une
institution (cinq occurrences) : serviteurs d’un fonctionnaire royal
(4,51), du grand prêtre (18,10a.10b ; 18,26) et de la maison du grand
prêtre (18,18). Le serviteur ici n’a pas le sens péjoratif. (b) Par contre le
deuxième sens (deux occurrences en 8,34.35) est négatif. Jésus dit aux Juifs en
8,34b : « Quiconque commet le péché est
esclave (doulos). » L’opposition se joue entre « être libre » ou « être
esclave » (8,33). Pour être
libre, il faut « devenir les vrais disciples de Jésus » (8,31). (c) Le troisième sens de « doulos » décrit
la relation entre Jésus et ses disciples (quatre occurrences en 13,16 ; 15,15a.15b.20). En 13,16 et 15,20, il
s’agit d’une parole appliquée implicitement à Jésus et à ses disciples : « Le serviteur (doulos) n’est pas plus grand que son maître (kuriou). » Par contre, en 15,15a Jésus leur dit : « Je ne vous appelle plus serviteurs (doulous),
car le serviteur (doulos) ne sait pas
ce que fait son maître (kurios). »
Notons que Jésus n’a jamais appelé directement les disciples serviteurs. Nous
expliquerons le statut du serviteur dans ces versets plus tard. Comme dans les lettres de Paul, « doulos » dans l’Évangile de Jean peut avoir un sens positif (13,16 ; 15,20),
neutre (4,51 ; 18,10.18.26) ou négatif (8,34.35).
2. « Philos » (ami) et « phileô »
(aimer d’amitié)
Nous présentons brièvement (1) les occurrences de « philos », « phileô », puis (2) le sens d’« agapaô » et de « phileô ».
(1) Le terme « philos »
(ami) apparaît en six occurrences dans l’Évangile : 3,29 (ami de l’époux) ;
11,11 (notre ami Lazare) ; 15,13.14.15 (amis de Jésus) ;
19,12 (ami de César). Ce vocable exprime ainsi plusieurs relations d’amitié : Jésus et Jean Baptiste (3,19), Jésus et la famille de
Béthanie (Jn 11), Jésus et ses disciples (15,13-15), Pilate et César (19,12).
Le verbe « phileô » (aimer
d’amitié) revient treize fois dont onze fois avec le sens positif (5,20 ;
11,3.36 ; 16,27a.27b ; 20,2 ; 21,15.16, 21,17a.17b.17c) et deux
fois négatifs : « aimer sa vie » (12,25a) et « aimer son
propre bien » (15,19a). Au ch. 21, l’entretien entre Jésus et Pierre
(21,15-17) contient cinq occurrences de « phileô ». Les trois emplois du verbe « phileô » en 5,20 ; 16,27a.27b
expriment l’amour d’amitié entre le Père, Jésus et ses disciples. En effet,
Jésus parle aux Juifs en 5,20a : « Car le Père aime (philei) le Fils, et
lui montre tout ce qu’il fait. » L’amour du Père pour les disciples et
celui des disciples pour Jésus sont exprimés par « phileô » en 16,27 : « Car le Père lui-même vous aime
(philei), parce que vous m’aimez (pephilêkate) et que
vous croyez que je suis sorti d’auprès de Dieu », dit Jésus aux disciples.
Notons que « phileô » n’est
pas employé dans le Nouveau Testament désignant l’amour de l’homme pour Dieu. Cf.
l’article : « Le thème de l’amour et de
l’amitié dans l’Évangile de Jean. »
(2) Il y a un lien entre « agapaô » (aimer)
et « phileô » (aimer d’amitié) puisque le thème de l’amour (15,9-13) précède celui de l’amitié (15,14-15). Est-ce
que ces deux verbes sont synonymes ? Certains auteurs
sont favorables à la distinction entre les verbes « agapaô » et « phileô ».
Certains d’autres considèrent que ces deux verbes sont synonymes ou interchangeables. Pour nous, ces deux verbes ne
sont pas de simples synonymes ou relevant d’un procédé littéraire pour éviter
la répétition. Au contraire, les termes de même famille :
« agapè – agapaô » (aimer – amour) et « philos – phileô » (ami, aimer d’amitié) ont une place
importante dans l’élaboration de la théologie. Les thèmes aimer Jésus (14,15.21.23)
et demeurer dans son amour (15,9) exprimés par « agapè, agapaô » doivent être compris dans la direction de l’amour
d’amitié exprimé par « philos, phileô ». Le thème de l’ami de
Jésus permet donc à la fois d’orienter le sens des termes « agapè, agapaô » et de mettre en
valeur la liberté des disciples dans leur engagement. De plus, le titre d’ami
de Jésus renvoie à la tradition biblique qui accorde une importance à
l’appellation « ami de Dieu » (cf. Is 41,8 ; 2Ch 20,7 ; Ex
33,11, cf. Jc 2,23). Cf. « III. Le sens des verbes “agapaô” et “phileô” »
dans l’article : « L’amour et de l’amitié. »
Pour comprendre le passage de serviteurs à amis en 15,15a, nous
étudions la relation « serviteur – maître » en deux temps : (1) les
traductions : maître, seigneur, serviteur ; (2) « serviteur –
maître » en 13,16 et 15,20.
1.
La traduction des termes : maître, seigneur, serviteur
Nous présentons la traduction de
trois termes : (1) « kurios »
(maître, seigneur), (2) « didaskalos »
(maître) et (3) « diakonos »
(serviteur).
(1) Le titre « kurios » désigne « un
maître » ou « un seigneur » dans le rapport au « serviteur »
(doulos). À la fin de l’Évangile le
titre « kurios » a le sens
fort quand Thomas dit à Jésus ressuscité en 20,28 : « Mon Seigneur (ho kurios mou) et
mon Dieu (kai ho theos mou) ! »
Le terme « kurios » en 20,28 est rendu par « seigneur » et non
« maître » comme en 13,16 ; 15,20. La BiJér, 2000 et la TOB,
2011 traduisent « kurios »
en 13,16b ; 15,20b par « maître » : « Le
serviteur n’est pas plus grand que son maître » pour souligner la relation
« serviteur – maître ». Le titre « kurios » en 13,13
est traduit par « Seigneur ». Jésus dit aux disciples en
13,13-14 : « 13 Vous m’appelez Maître (ho didaskalos) et Seigneur (ho kurios), et vous dites bien, car je
le suis. 14 Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur (ho kurios) et le Maître (ho didaskalos), vous aussi vous devez
vous laver les pieds les uns aux autres. » Pour être cohérente avec la
traduction de « kurios » en 13,13 par
« Seigneur », certains traduisent « kurios » en 13,16b ; 15,20b par « seigneur » : « Le
serviteur n’est pas plus grand que son seigneur » (cf. M. Girard, Évangile ; Jeanne d’Arc, Évangile). La traduction d’É.
Delebecque, Évangile, n’est pas logique puisqu’elle rend le même terme « kurios » dans la
même parole en 13,16b par « seigneur » (ibid., p.115) et en 15,20b par « maître » (ibid., p.115).
(2) Le mot « didaskalos » est aussi traduit par
« maître » (cf. 13,13) dans le rapport à un « étudiant »
puisque le titre « didaskalos »
vient du verbe « didaskô »
(enseigner), cf. 6,59 ; 7,14. Jésus est à la fois « didaskalos » (maître, enseignant)
et « kurios » (maître,
seigneur) comme il le dit en 13,13.
(3) Le terme « diakonos »
est aussi traduit par « serviteur ». Jésus dit en 12,26 : « Si quelqu’un me sert (diakonèi), qu’il me suive, et
où je suis, là aussi sera mon serviteur (diakonos).
Si quelqu’un me sert (diakonèi),
mon Père l’honorera. » Ici le terme « serviteur » vient de
« diakonos » qui a la même
racine « diakoneô »
(servir). Celui qui sert est appelé « serviteur » (diakonos). Tandis que « doulos » exprime plutôt le statut d’une personne, soit dans la relation : « serviteur – maître »
(13,16 ; 15,20), soit dans l’opposition : « serviteur (esclave)
– fils » (8,35) ou « serviteurs – amis » (15,15).
2.
« Serviteur – maître » en 13,16 et 15,20
La relation « serviteur –
maître » dans le contexte de 13,16 et 15,20 est
présentée en trois points : (1) les relations : « serviteur – maître » et « envoyé –
envoyeur » (13,16), (2) « serviteur
– maître » et la persécution (15,20), et (3) le contexte de crise de 13,16 et 15,20.
(1) Jésus dit aux disciples en 13,16 :
« En vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur
(doulos) n’est pas plus grand que son
maître (kuriou), ni l’envoyé (apostolos) plus grand que celui qui l’a
envoyé (pempsantos). » Jésus parle de deux relations : « doulos – kurios » (serviteur – maître) et
« apostolos – pempsantos » (envoyé –
envoyeur). Cette dernière relation renvoie au statut de Jésus. Plusieurs fois il
définit sa mission et
sa relation avec son Père par la nomination : le Père qui l’a envoyé dans
le monde (cf. 3,17.34 ; 5,23.24.30.37.38 ; 6,29.38.39.44.57 etc., en
particulier aux ch. 7 ; 8 ; 17). Le rapport « envoyeur – envoyé » est appliqué à la relation entre Jésus et ses disciples en 17,18 ;
20,21. Jésus s’adresse à son Père : « Comme tu
m’as envoyé (apesteilas) dans le
monde, moi aussi, je les ai envoyés (apesteila)
dans le monde » (17,18). Il le redit aux disciples après sa
résurrection en 20,21 : « Paix à vous !
Comme le Père m’a envoyé (apestalken),
moi aussi je vous envoie (pempô). »
Ce verset contient deux verbes signifiant « envoyer » : « apostellô » et « pempô ». L’envoi des disciples en 20,21b est exprimé par le verbe « pempô »
et en 17,18b par le verbe « apostellô ».
Certains considèrent que les verbes « apostellô » et « pempô » sont synonymes ; par exemple selon M. Gourgues, En Esprit, p. 264, l’emploi de ces verbes « ne fait guère différence, puisque, pour
parler de son envoi, Jésus emploie indifféremment l’un et l’autre. » À
notre avis, il existe deux nuances de sens entre « apostellô » et « pempô » : d’abord, « apostellô » vise l’envoi dans un lieu : « dans le monde »
(17,18b), tandis que le verbe « pempô »
insiste sur l’action d’envoyer comme Jésus le dit aux
disciples en 13,20 : « En vérité, en vérité, je vous le dis, qui accueille celui que j’aurai
envoyé (pempsô) m’accueille ; et
qui m’accueille, accueille celui qui m’a envoyé (pempsanta). » Il existe deux occurrences du verbe « pempô » dans ce verset. En
identifiant l’envoyeur et l’envoyé quant à
l’accueil, Jésus s’identifie à la fois aux disciples et à son Père. Ensuite, « apostellô »
souligne le rôle de l’envoyé : Jésus (5,38b ;
17,18a ; 20,21a), les disciples (17,18b), tandis que « pempô » insiste sur l’envoyeur : le Père (5,57a ; 13,20a), Jésus
(13,20a ; 20,21b). Dans cette perspective, Jésus dit aux Juifs en
5,37-38 : « 37 Et le Père qui m’a envoyé (ho pempsas me), lui, m’a rendu témoignage.
Vous n’avez jamais entendu sa voix, vous n’avez jamais vu sa face, 38 et sa
parole, vous ne l’avez pas à demeure en vous, puisque vous ne croyez pas celui
qu’il a envoyé (apesteilen). »
(2) L’identification entre Jésus et
ses disciples sur l’accueil en 13,20 est en parallèle avec l’identification entre Jésus et
les disciples sur la persécution et l’observation de la parole en 15,20 : « Rappelez-vous la parole que je vous ai dite : Le serviteur (doulos) n’est pas plus grand que son
maître (kuriou). S’ils m’ont
persécuté (ediôxan), vous aussi ils
vous persécuteront (diôxousin) ;
s’ils ont gardé (etèrèsan) ma parole,
la vôtre aussi ils la garderont (tèrèsousin) »,
dit Jésus aux disciples. L’identification
joue sur les deux verbes « diôkô »
(persécuter) et « tèreô »
(garder) et sur le passage de « je » à « vous ». Ces
personnages sont en parallèle avec la relation « le serviteur – son
maître » (15,20b) en ce qui concerne la persécution et garder la parole.
Les disciples se trouvent donc dans la position de serviteurs (douloi) par rapport à leur maître Jésus
(kurios).
(3) La parole de Jésus en 13,16b ; 15,20b est prononcée dans un contexte de crise. En effet, le v. 13,16 appartient à la péricope
13,1-32 qui présente une situation de crise avec trois indices : (a)
l’annonce de la trahison de Judas (13,10.18) ; (b) l’ignorance
des disciples sur le geste de Jésus (le
lavement des pieds, 13,4-15), et (c) la méconnaissance des disciples sur
l’action de Judas (13,27-30). Il s’agit d’une crise interne du groupe des
disciples. Quant au v. 15,20, Jésus annonce que les disciples seront haïs et persécutés par le monde hostile (15,18-25), ils seront
exclus de la synagogue et seront mis à mort (16,2). Le contexte des péricopes :
13,1-32 et 15,18–16,4a montre que les disciples ont besoin d’un maître qui a le pouvoir de
« donner sa vie et de la reprendre » (10,17), de donner sa paix qui
est toute autre que celle du monde (14,27), d’envoyer le Paraclet – Esprit de
vérité (15,26).
En conséquence le maître dans la relation : « maître –
serviteur » (13,16 ; 15,20) joue le rôle de protection, de soutien et
d’exhortation des siens. Jésus se présente comme un maître par excellence quand
il dit aux disciples en 16,33 : « Je vous ai dit ces choses, pour que
vous ayez la paix en moi. Dans le monde vous aurez à souffrir. Mais gardez
courage ! J’ai vaincu le monde. » La relation « serviteur –
maître » est un grand encouragement pour les disciples. Dans cette perspective, le statut de « doulos » (serviteur) appliqué aux disciples (13,16 ; 15,20)
garde toujours sa valeur puisque cette relation permet aux disciples de tenir
ferme leur foi dans la crise et de surmonter les
difficultés. Si nous soutenons cette
interprétation, quelle signification prendra la déclaration de Jésus aux disciples en 15,15a : « Je ne vous appelle plus serviteurs (doulous) » ?
III. Serviteurs
– amis (15,14-15)
Le thème de « serviteurs – amis » en 15,14-15 est examiné sous
trois points : (1) « Vous êtes mes amis » (15,14a) ; (2) le
changement du serviteur à l’ami (15,15) ; (3)
« faire connaître » – « connaître »
(15,15 et ch. 17).
1. « Vous êtes mes amis »
(15,14a)
Nous présentons d’abord le contexte de 15,14 et ensuite le parallèle
entre 15,10a et 15,14. Jésus décrit son amour en 15,13 : « Nul n’a
plus grand amour (agapên)
que celui-ci : déposer sa vie pour ses amis (tôn philôn). » La condition pour être ses amis se trouve en 15,14 :
« Vous êtes mes amis (philoi), si vous faites ce que je vous
commande », dit Jésus aux disciples. L’amour et l’amitié impliquent donc
un engagement des deux côtés : pour Jésus, il dépose sa vie pour ses amis
(15,13b) ; pour les disciples, ils font ce que Jésus leur commande
(15,14b). Dans la péricope 15,9-17, le thème de l’amour (15,9-13a) introduit à celui de l’amitié (15,13b-15). Ces deux thèmes sont donc inséparables.
La condition pour devenir amis de Jésus (15,14) est parallèle avec
15,10a. Ces deux versets se structurent en chiasme (A, B, B’, A’). Au centre se
trouve l’unité 15,10b-13 exprimant l’amour entre le Père, Jésus et les
disciples :
Dans les éléments A et A’, deux propositions conditionnelles avec « ean + subjonctif » (« tèrèsète », « poiète »),
traduit par « si + indicatif » (« gardez » et « faites »). L’expression « mes commandements (tas entolas mou) » est en
parallèle avec celle de « je vous commande (egô entellomai humin) ». Le nom pluriel : « les commandements » (hai entolai) renvoie au verbe « commander » (entellomai). Le pronom relatif neutre
pluriel « ha » (ce que) au
v.14b fait allusion aux « commandements » au
v.10a ; en même temps, ce pronom a un sens plus large car il s’agit d’un
neutre pluriel (ha) tandis que « hè entolè »
(commandement) 15,10a est au féminin. Ainsi, « ce que Jésus commande »
(v.14b) renvoie à tout enseignement de Jésus.
Le parallèle B // B’ concerne à la fois les verbes :
« demeurer » (menô) //
« être » (eimi) et les
expressions : « mon amour » (agapèi
mou) // « mes amis » (philoi
mou). « Être
amis de Jésus » est donc de demeurer dans son amour et implique l’action
de garder ses commandements (A) et de faire ce qu’il commande (A’). Jésus parle
de ses amis pour la première fois en 15,13b, puis il définit ses amis du côté des
disciples : faire ce que Jésus commande (15,14). Par contre, en 15,15, le
statut de l’ami est défini du côté de Jésus : faire connaître tout à ses
disciples. Avec l’engagement de deux côtés, devenir amis de Jésus marque donc une nouvelle étape à la fois dans la
vie des disciples et dans la mission de Jésus.
2.
Changement du statut de serviteur à ami (15,15)
Nous examinons d’abord (1) la structure et le contexte de 15,15, ensuite (2) nous comparons 15,15
et 15,20 pour conclure que les disciples sont à la fois serviteurs (15,20b) et
non plus serviteurs (15,15a).
(1) La parole de Jésus adressée aux
disciples en 15,15 se structure en parallèle A, B, A’, B’ comme suit :
Cette structure éclaire le rapport « doulos – philos » (serviteur – ami). Le terme
« ouketi » (ne plus), en
15,15a, marque une nouvelle étape dans la révélation. Jésus achève sa mission
dans le monde en faisant connaître aux disciples tout le dessein du Père. Le
verbe « legô » a souvent le
sens « dire », ce verbe en 15,15a.c est traduit par « appeler ».
En 15,15a, il est au présent de l’indicatif : « legô » exprimant l’idée d’inachèvement et de répétition.
Tandis qu’en 15,15c, ce verbe est au parfait de l’indicatif : « eirèka » exprimant l’idée
d’achèvement définitif. Ainsi les disciples sont amis de Jésus pour toujours.
Il s’agit d’un changement de statut qui marque une nouvelle étape dans leur relation
avec Jésus.
Les termes « serviteurs » (A) et « amis » (A’) sont
suivis de la conjonction « hoti »
(car, parce que) qui introduit une explication. Les serviteurs (A) sont définis
par le fait qu’ils ne savent pas ce que fait leur maître (B). Tandis que les
amis (A’) sont les bénéficiaires de la totalité de la transmission de Jésus
(B’) et non de la connaissance des disciples. Les disciples deviennent les amis
de Jésus parce que ce dernier leur a fait connaître tout ce qu’il a entendu
auprès de son Père. De la sorte, l’ignorance du serviteur sur le
« faire » de son maître (B) est mise en parallèle avec la totalité de
la révélation de Jésus (B’). Le parallèle B // B’ est donc dissymétrique car ce
n’est pas le savoir du serviteur qui fait passer du statut de serviteur à celui
d’ami, mais l’accomplissement de la révélation de Jésus.
Ces observations montrent que certains auteurs parlent du parallèle qui
ne figure pas en 15,15. Par exemple, ce n’est pas le parallèle entre « ne
pas comprendre » et « comprendre » comme le propose D.A. Carson, The Farewell, p. 105-106 : « La distinction dressée par Jésus entre un
serviteur et un ami n’est pas la distinction entre obéir et ne pas obéir, mais
la distinction entre ne pas comprendre et comprendre. » Il ne s’agit pas
non plus de la symétrie entre la révélation partielle et la pleine révélation
comme le propos de F.F. Segovia, The Farewell, n. 54, p. 159 :
« L’opposition entre “serviteurs” et “amis” peut donc être comprise à
partir d’une perspective épistémologique (manque de compréhension – parfaite
compréhension) ou christologique (révélation partielle – pleine révélation),
les deux étant au bout du compte analogues. » Nous sommes en désaccord
avec ces interprétations puisque, selon le texte, il existe deux parallèles en
15,15 : le premier est un parallèle d’opposition des appellations :
« serviteurs » (15,15a) et « amis » (15,15c) ; le
deuxième est un parallèle dissymétrique entre « ne pas savoir » du
serviteur (15,15b) et le « tout faire connaître » de Jésus (15,15d).
La dissymétrie du parallèle entre l’ignorance du serviteur et la
totalité de la transmission de Jésus dévoile une double signification :
d’abord, la situation du serviteur qui ne sait pas ce que fait son maître
sous-entend que l’ami sait ce que fait son maître. Dans le contexte de Jn 13–17,
le « faire » de Jésus renvoie à son passage de ce monde vers le Père,
cela est annoncé en 13,1. Ainsi, le serviteur ne comprend pas la signification
du passage de Jésus vers le Père (15,15b), tandis que l’ami peut le saisir. Ensuite,
sur le plan de la révélation, l’expression « faire connaître tout »
en 15,15d renvoie à la mission de Jésus, en particulier l’acte de « déposer
sa vie pour ses amis » (15,13b). Cette interprétation est confirmée
puisque les verbes « akouô »
(entendre) et « gnôrizô »
(faire connaître) en 15,15d sont à l’aoriste : « èkousa » (j’ai entendu), « egnôrisa » (Je l’ai fait connaître). Ce temps indique l’accomplissement de la révélation de Jésus. Notons
que, dans le récit, Jésus continue son discours après
15,15d et il n’a pas encore achevé sa mission en offrant sa vie sur la croix,
mais pour le narrateur, c’est Jésus glorifié qui s’adresse à la communauté et au lecteur après Pâques.
(2) Jésus dit aux disciples en 15,15a : « Je ne vous appelle
plus serviteurs… » Les disciples ne sont plus des serviteurs mais dans
quel sens ? Le parallèle d’opposition « serviteurs – amis »
(15,15) demande une explication sur le passage du serviteur à l’ami. Notons que
les actions : garder les commandements (15,10a) et
faire ce que Jésus commande (15,14b) correspondent plus au statut de serviteur
que celui d’ami. La solution de M.-é. Boismard et A. Lamouille, Synopse, p. 372, semble insatisfaisante : « Faire ce que
commande Jésus, n’est-ce pas une condition de “serviteur” ? Comment Jésus
peut-il alors nous déclarer ses “amis” ? Le v. 15 écarte cette difficulté
en refusant aux “amis” de Jésus le titre de “serviteur”. » Cependant,
après 15,15, Jésus dit aux disciples en 15,20b :
« Le serviteur (doulos)
n’est pas plus grand que son maître (kuriou). »
L’étude plus haut montre que les disciples sont toujours dans la relation
« serviteur – maître » avec Jésus.
À notre avis, les disciples sont à la fois serviteurs et non plus
serviteurs selon le contexte. En effet, les relations « doulos – kurios » (serviteur – maître)
en 13,16 ; 15,20 (cf. analyse plus
haut) et « douloi – philoi »
(serviteurs – amis) en 15,15 doivent être interprétées dans leurs contextes littéraires. Ces relations expriment des aspects
théologiques de la relation entre Jésus et ses disciples.
D’une part, dans un moment de crise, la relation « serviteur –
maître » (13,16 ; 15,20) est indispensable pour que les disciples
puissent tenir ferme leur foi en Jésus. D’autre part, le changement du statut
de serviteur en ami (15,15) est présenté du point de vue de la
révélation : dans un sens, les amis peuvent savoir « le faire »
de son maître, c’est-à-dire la signification de l’acte de déposer sa vie sur la
croix ; dans un autre sens, la totalité de la révélation est communiquée
par Jésus, par conséquent les disciples deviennent ses amis pour toujours. Cela
ne signifie pas que les disciples ont compris toute la révélation. En fait, le processus
de « faire connaître » continue tout au long de la vie du disciple.
Dans cette
partie, nous présentons d’abord (1) le sens des verbes « oida », « ginôskô » (savoir, connaître, reconnaître), puis (2) les
occurrences du verbe « gnôrizô » (faire connaître) dans
l’Évangile et l’emploi du verbe « ginôskô » dans le ch. 17, et enfin
(3) le lien entre « connaître » et « faire connaître » en
15,15 et 17,25-26.
(1) Le non-savoir
des serviteurs (15,15b) est exprimé par le verbe « oida » (savoir). Le thème de la connaissance dans l’Évangile
est formulé par les verbes « oida »
et « ginôskô ». Le verbe « oida » a
la racine « id- » qui veut
dire « voir » (horaô). Ce
verbe exprime ainsi l’idée d’une connaissance acquise par la capacité de
raisonnement intellectuelle. Dans le verbe « ginôskô », le suffixe « skô- » est une forme à redoublement au sens de répétition, qui
exprime l’idée d’apprentissage aboutissant à un résultat. Ce verbe a donc le sens
d’apprendre à connaître. Dans l’usage biblique, « ginôskô » qualifie une communion intime, une relation
interpersonnelle profonde. Cf. l’étude sur la nuance de « oida »
et « ginôskô » au point « II.4.(2) :
La méconnaissance du monde (15,21 ; 16,3) » dans l’article :
« Jn 15,18–16,4a : La haine du monde hostile. »
(2) Le verbe « gnôrizô » (faire connaître) apparaît en trois
occurrences dans l’Évangile (15,15 ; 17,26a.26b). Le complément de ce verbe en 15,15b est tout ce que
Jésus a entendu de son Père (15,15d). Le complément de « gnôrizô » en 17,26a est le nom du Père. Jésus lui
dit : « Je leur [les disciples] ai fait
connaître ton nom (to
onoma) et je le leur ferai connaître... » Les compléments d’objet de « gnôrizô » en 15,15 et 17,26 sont différents, mais ils qualifient la mission de
Jésus. En effet, « faire connaître » exprime à
la fois l’accomplissement de sa mission (le verbe « gnôrizô » est à l’aoriste de
l’indicatif en 15,15 ; 17,26a) et la continuité de sa mission dans
l’avenir (« gnôrizô » est au futur de l’indicatif
en 17,26b).
Quant au verbe « ginôskô »
(connaître, reconnaître), il apparaît cinquante-trois
fois dans l’Évangile dont six fois au ch. 17 (17,3.7.8 ; 17,25a.25b.25c). Jésus
a fait connaître tout aux disciples (15,15d) et les disciples l’ont reconnu
(17,7a). Néanmoins, il ne s’agit pas de « connaître
tout », car la connaissance des disciples
en 17,3.7.8.25 porte sur des sujets précis. En effet, dans son discours adressé
à son Père, en présence des disciples (ch. 17), Jésus définit la vie éternelle
en 17,3 : « Or, la vie éternelle, c’est qu’ils
[les disciples] te connaissent (ginôskôsin),
toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. » Il s’agit de connaître le seul véritable Dieu et Jésus-Christ son envoyé. Cette
connaissance conduit à la vie éternelle.
Jésus résume sa mission en 17,7-8 : « 7 Maintenant ils [les disciples] ont reconnu (egnôkan) que tout ce que tu m’as donné
vient de toi ; 8 car les paroles que tu m’as données, je les leur ai
données, et ils les ont accueillies et ils ont vraiment reconnu (egnôsan) que je suis sorti d’auprès de
toi, et ils ont cru que tu m’as envoyé. » La BiJér, 2000 rend deux fois le verbe « ginôskô » dans ces versets par « reconnaître » pour
souligner le résultat de l’enseignement de Jésus. En 17,7-8, le teneur de la
connaissance est double : tout ce que le Père a donné à Jésus vient du
Père (17,7b) et Jésus est sorti d’auprès de son Père (17,8c). En 17,25, le contenu de la connaissance porte sur
la phrase « le Père qui a envoyé Jésus », comme ce dernier lui dit :
« Père juste, le monde ne t’a pas connu (ouk egnô), mais moi
je t’ai connu (egnôn)
et ceux-ci ont reconnu (egnôsan) que tu
m’as envoyé. » Le verbe « ginôskô » en 17,7.8.25c est au parfait de l’indicatif : « egnôkan » (ils ont reconnu). Ce temps du parfait exprime l’état présent résultant d’une action du
passé. Jésus a réussi à faire connaître aux disciples l’essentiel de la
révélation.
(3) L’enjeu du thème
« connaître » (ginôskô) et « faire connaître » (gnôrizô) est présenté en 17,25-26. En effet, il y a une opposition entre le
monde qui ne connaît pas le Père et Jésus qui le connaît (cf. 17,25). Ce thème se développe en 17,26 avec le verbe « faire connaître » : « Je leur
[les disciples] ai fait connaître (egnôrisa)
ton nom et je le leur ferai connaître (gnôrisô),
pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et moi en eux. » Dans ce dernier verset du ch. 17, le verbe « gnôrizô » est conjugué d’abord à l’aoriste de l’indicatif : « egnôrisa » puis au futur de l’indicatif : « gnôrisô ».
Nous avons souligné qu’en 15,15d, il
s’agit de « faire connaître tout » de Jésus et non pas de tout savoir des disciples. Au terme de sa mission, toute la révélation est communiquée aux disciples mais le « tout
savoir » de ces derniers reste ouvert. Le lien entre les verbes
« connaître » et « faire connaître » dans
le ch. 17 montre que le thème de la
connaissance se présente en deux étapes : (a) à présent (le présent du
récit) Jésus a fait connaître tout aux disciples (15,15d), ils connaissent le Père (17,3), ils ont reconnu
que tout ce que le Père a donné à Jésus vient du Père (17,7), que Jésus est
sorti d’auprès du Père (17,8) et que le Père a envoyé Jésus (17,3.25). Tout cela se résume dans l’expression : « faire connaître » (gnôrizô) le nom du Père »,
le verbe est à l’aoriste, en 17,26a. (b) Le
temps du futur en 17,26b : « Je le leur ferai connaître (gnôrisô) » indique que le processus de « faire connaître » continue
dans l’avenir à travers le Paraclet dont Jésus parle aux disciples en
14,26 : « Le Paraclet, l’Esprit Saint, que le
Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce
que je vous ai dit », et en 16,14 : « Lui [le Paraclet] me glorifiera, car c’est de mon bien qu’il recevra et
il vous l’expliquera. » (Cf. les autres paroles sur le Paraclet en
14,15-17 ; 15,26 ; 16,7-15). Jésus a transmis la totalité de la révélation aux disciples (15,15d), mais
pour connaître et vivre cette révélation les disciples ont besoin du Paraclet
pour leur enseigner, rappeler (14,26), guider (16,13) et expliquer (16,14).
Pour avoir le titre d’ami de Jésus et comprendre la relation
« serviteur – maître » dans le contexte de l’Évangile, nous traitons trois
sujets : (1) l’ami de Jésus est-il égal à ce dernier ?, (2) qui est
Jésus pour les disciples ?, (3) les autres appellations :
« enfants », « frères », « disciples ».
1. L’ami de Jésus est-il égal à ce
dernier ?
Pour répondre à la question : l’ami de Jésus est-il sur le même
pied d’égalité ? Nous traitons d’abord (1) les relations d’amitié
exprimées par les expressions : (1a) « l’ami de l’époux »
(3,29), (1b) « notre ami Lazare » (11,11), (1c) « l’ami de
César » (19,12) ; et ensuite (2) le statut de l’ami de Jésus.
(1a) Jean le Baptiste emploie les images : l’époux, l’épouse et
l’ami de l’époux pour exprimer sa relation avec Jésus. Jean dit à ses disciples
en 3,29 : « Qui a l’épouse est l’époux ; mais l’ami (ho philos) de l’époux qui se tient là et qui l’entend, est ravi de joie à la voix
de l’époux. Telle est ma joie, et elle est complète. » À première vue
c’est une amitié égale entre les hommes. Cependant les ch. 1–3 montrent que l’amitié
entre Jean le Baptiste et Jésus n’est pas une relation d’égal à égal.
En 1,6-8, Jean est celui qui rend témoignage à la lumière, il n’est pas
la lumière, tandis que le Logos–Jésus
était la lumière véritable (1,8). La déclaration de Jean en 1,15.30 souligne la
différence entre ces deux personnages. Jean rend témoignage à Jésus en
1,15 : « C’est de lui que j’ai dit : Celui qui vient derrière
moi (ho opisô mou erchomenos), le voilà passé devant moi (emprosthen mou gegonen), parce qu’avant
moi il était (prôros mou hèn) »
et en 1,30 : « C’est de lui que j’ai dit : Derrière (opisô mou erchetai) moi vient un homme
qui est passé devant (emprosthen mou
gegonen) moi parce qu’avant moi il était (prôtos mou hen). »
L’expression « venir derrière moi » montre que Jésus a été
derrière Jean dans l’espace. Au sens figuré, suivre quelqu’un ou être derrière
quelqu’un désigne la position du disciple. Cependant, entre Jean et Jésus, il y
a un dépassement, voire un renversement exprimé par les termes « derrière »
et « devant » (1,15.30), En 1,15c.30c, le verbe « ginomai » (naître, venir à
l’existence, devenir) dans l’expression : « être passé devant
moi » (emprosthen mou gegonen)
montre que Jésus a radicalement devancé Jean par sa naissance et par son existence.
Jean explique : « parce qu’avant moi il était (prôtos mou hèn) » (1,15d.30d). Le verbe « eimi » (être) à imparfait « hèn » témoigne que Jésus existe
mystérieusement avant Jean. Jésus est donc le maître par excellence. (Cf.
l’analyse de 1,30 au point III.1.b dans l’article : « Le témoin oculaire et
auriculaire dans l’Évangile selon Jean. »)
Le maître Jean déclare qu’il n’est même pas digne de dénouer sa sandale
(1,27). Devant sa grandeur, Jean n’ose même pas se situer comme un esclave.
Selon l’Évangile, Jésus est proche du milieu baptiste : les deux premiers
disciples de Jésus ont été des disciples de Jean (1,37). Jésus et ses disciples
ont pratiqué le rite baptismal en parallèle avec Jean (cf. 3,22-23 ;
4,1-2). Conformément à la condition humaine du Verbe qui s’est fait chair, le
témoignage de Jean campe l’existence de Jésus dans l’histoire.
En 3,28-29, avant de se situer comme « ami de l’époux »
(3,29) Jean décline de nouveau le titre de Christ en disant à ses disciples en
3,28 : « Vous-mêmes, vous m’êtes témoins que j’ai dit : “Je ne
suis pas le Christ (ho Christos),
mais je suis envoyé devant lui” », (cf. 1,20.25). De ce fait, l’époux
Jésus est le Christ tandis que l’ami de l’époux, Jean est le précurseur du
Christ. Jean reconnaît humblement son rang en disant à ses disciples :
« Il faut que lui grandisse et que moi je décroisse » (3,30). Ainsi
l’amitié entre l’époux (Jésus) et l’ami de l’époux (Jean) n’est pas une relation
d’égal à égal comme l’amitié entre des hommes de même statut.
(1b) Quant à Lazare, il est l’ami d’un groupe (Jésus et ses disciples)
puisque Jésus dit aux disciples en 11,11 : « Notre ami (ho philos êmôn) Lazare
repose ; mais je vais aller le réveiller. » En 11,3.36, le verbe
« phileô » est employé pour
exprimer l’amour d’amitié entre Jésus et Lazare : une fois par ses sœurs
qui « envoyèrent donc dire à Jésus : “Seigneur, celui que tu aimes (phileis) est
malade” » (11,3) ; une autre fois par les Juifs qui disent entre
eux : « Voyez comme il l’aimait (ephilei) ! »
(11,36) Ainsi, Marthe, Marie et les Juifs reconnaissent l’amitié de Jésus pour
Lazare. Le narrateur emploie le verbe « agapaô » (aimer) dans la précision en 11,5 : « Or
Jésus aimait (êgapa)
Marthe et sa sœur et Lazare ». Le lecteur comprend
qu’il s’agit de l’amour amitié de Jésus pour cette famille.
Le ch. 11 indique qu’il ne s’agit pas d’une amitié égale. Marthe
confesse sa foi en Jésus en 11,27 : « Oui, Seigneur, je crois que tu
es le Christ, le Fils de Dieu, qui vient dans le monde. » En rendant la
vie à Lazare (11,43-44), Jésus réalise ce qu’il a dit à Marthe en 11,25 :
« Moi, je suis la résurrection. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra. »
C’est Jésus qui appelle Lazare à sortir du tombeau. De la sorte l’amitié entre
Jésus et la famille de Béthanie n’est aucunement une amitié égale.
(1c) Quant au titre de l’« ami de César », le narrateur
rapporte en 19,12 : « Dès lors Pilate cherchait à le relâcher. Mais
les Juifs vociféraient, disant : “Si tu le relâches, tu n’es pas ami (philos) de César :
quiconque se fait roi, s’oppose à César.” » Les Juifs utilisent ce titre pour
mettre Pilate devant un dilemme. Il n’a pas de preuve pour condamner Jésus,
pourtant le fait de le relâcher risque de lui faire perdre le titre de l’« ami
de César », ce qui mettra en danger sa position politique. Ainsi, l’ami de
César n’est pas placé sur le même pied d’égalité.
En résumé, l’emploi de « philos »
(ami) en 3,29 (l’ami de l’époux), en 11,11 (notre ami Lazare) et en 19,12
(l’ami de César) ne décrit pas l’amitié entre des personnes de même statut égal
mais celle du supérieur envers un inférieur.
(2) Pour le statut de l’ami de
Jésus, F.J. Moloney, The Gospel, p. 425, pense que le passage du serviteur à l’ami est un changement de statut,
de la dépendance à l’égalité : « Ils ne sont pas douloi dépendant de l’arbitraire d’un
maître, mais philoi, des associés intimes et égaux de Jésus qui les aime
sans limites. » L’auteur écrit encore, ibid.
p. 427 : « Je ne vous appelle plus serviteurs : le mot grec doulos peut faire allusion à un esclave
ou à un serviteur. Quelle que soit la traduction adoptée, il est clair que l’on
parle ici d’un changement radical de statut d’un doulos subordonné à un philos
considéré comme un égal. »
Nous sommes en désaccord avec cette interprétation parce que le fait de
devenir ami de Jésus ne signifie pas que ses disciples sont égaux à leur maître.
La métaphore de la vigne et les sarments (15,1-8) montre que les disciples
dépendent totalement de Jésus qui affirme qu’en dehors de lui les disciples ne
peuvent rien faire (15,5). Ainsi, devenir ami de Jésus ne rend aucunement
indépendant à son égard. L’ensemble de l’Évangile révèle qui est Jésus pour les
disciples.
Le statut de Jésus est abordé en trois points : (1) l’origine et
l’identité divine de Jésus, (2) les appellations attribuées à ce dernier :
(2a) « le Maître » (ho didaskalos) et « le Seigneur »
(ho kurios) en 13,13 et (2b) « le
Dieu » (ho theos) en 20,28, (3)
c’est Jésus qui choisit ses disciples et non l’inverse (15,16a).
(1) L’origine d’en haut et l’identité divine de Jésus sont soulignées
tout au long de l’Évangile. Le narrateur commence son récit en 1,1 :
« Au commencement était le Verbe [Logos]
et le Verbe était auprès de Dieu et le Verbe était Dieu. » Jésus est le
Verbe qui s’est fait chair (1,14a), le Fils Unique-Engendré du Père (1,14c). La
relation intime entre Jésus et son Père est décrite avec les expressions
fortes : il est dans le sein du Père (1,18b), lui et son Père sont Un
(10,30), il est dans le Père et le Père est en lui (14,10a), qui voit Jésus
voit le Père (14,9b), etc.
(2) La relation entre Jésus et ses
disciples est bien « maître – disciples » exprimée sous deux
sens : « didaskalos »
et « kurios ». Ces titres sont
attribués à Jésus suivant deux étapes :
avant et après sa mort-résurrection. (2a) Dans la première, c’est la relation
« maître – disciples » (didaskalos
– mathètès), cf. 13,13, ou « maître – serviteur » (kurios – doulos) cf. 13,16 ; 15,20.
En 13,13-14, Jésus lui-même reconnaît qu’il est le Maître (didaskalos) et le Seigneur (kurios) pour
les disciples. (2b) Dans la deuxième étape, le titre « kurios » possède le sens fort qui
exprime la divinité de Jésus en tant que Dieu (theos). Thomas exprime sa foi devant Jésus ressuscité en lui
attribuant ces deux titres en 20,28 : « Mon
Seigneur (kurios mou) et mon
Dieu ! (kai ho theos mou). »
(Cf. « II.1. La traduction des termes : maître, seigneur,
serviteur » plus haut). Avec Thomas, la communauté des disciples après Pâques confesse sa foi et
reconnaît l’identité divine de Jésus : il est le Verbe (1,1.14), le Fils
Unique-Engendré (1,14.18) du Père, il vient d’auprès de Dieu (6,46) ; il
est l’envoyé du Père (5,37-38) ; il est descendu du ciel (3,13.31 ;
6,38) et est le sauveur du monde (4,42). Il jouit d’une communion parfaite avec
le Père (10,30 ; 14,10-11), il est le révélateur par excellence et
l’unique médiateur entre Dieu et l’homme (14,9). Son
amitié avec ses disciples n’est pas une relation d’égalité.
(3) Si les disciples sont les amis de Jésus, c’est ce dernier qui les a
choisis et non l’inverse. Juste
après la parole : « Je vous appelle amis » (15,15c), Jésus dit
aux disciples en 15,16ab : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi (ouch humeis me exelexasthe) ; mais c’est moi qui vous ai choisis (all’ egô exelexamen humas exelexamen) et
vous ai établis (ethèka) pour que
vous alliez et portiez du fruit et que votre fruit demeure. » Ainsi, être
amis de Jésus implique à être choisis et établis par lui. Nous examinons le
thème de la sélection exprimé par le verbe « eklegomai » (choisir) en deux points : (3a) la sélection
de Jésus en 15,16a et (3b) celle de Dieu dans l’Ancien Testament.
(3a) Il y a trois éléments à noter dans la parole de Jésus en 15,16a (citée
ci-dessus) : d’abord, les deux fois du verbe « eklegomai » (choisir) sont à l’aoriste de l’indicatif (exelexasthe, exelexamen) ; ce temps
exprime un fait passé sans idée de commencement ni de durée. Ensuite, la
conjonction d’opposition « mais » (alla) commence une phrase affirmative opposée à la proposition
précédente. Enfin, l’insistance du sujet par les pronoms : « humeis » (vous) et « egô » (moi) avec la négation du
côté des disciples : « Ce n’est pas vous » et la confirmation du
côté de Jésus : « mais c’est moi ». Ces trois éléments excluent
toute ambiguïté sur l’autorité de Jésus. Être choisi par ce dernier est la
condition primordiale pour devenir son disciple. Cette sélection doit être lue
avec les autres paroles. Jésus affirme à la fois l’initiative première du Père :
« Nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire »
(6,44a), et son rôle d’unique médiateur : « Nul ne vient au Père que
par moi » (14,6b). (Cf. l’étude de « eklegomai » (choisir) au point « II.2. Être choisi par
Jésus (15,19c) » dans l’article : « Jn 15,18–16,4a : La haine
du monde, et l’attirance du Père dans
l’article : « Jn 3,1-12 ;
6,25-45 : Être né de l’Esprit et attiré par le Père pour voir et entendre
Jésus. »
La sélection en 15,16a renvoie à l’identité et à l’origine de Jésus. Les
disciples sont ses amis, en même temps il est toujours le Maître qui les a
choisis (15,16a). M.-é. Boismard et A. Lamouille, Synopse, t.
III, p. 372, remarque : « La
relation d’amitié entre Jésus et les siens n’est pas comparable aux relations
humaines, où les partenaires sont égaux et
créent des liens réciproques. Ici [15,16], l’initiative revient à Jésus (à Dieu
selon 1Jn 4,10). » Notons que la
supériorité et l’autorité de Jésus ne font pas de lui quelqu’un d’autoritaire. Il
s’agit de l’autorité du Maître qui aime les siens jusqu’à la fin (13,1).
(3b) le thème de l’ami de Jésus et celui de sa sélection dans le
quatrième Évangile renvoient à la
sélection de Dieu et à l’ami de Dieu dans l’Ancien
Testament. Dieu a appelé Abraham (Gn 17,5) et ce dernier est devenu ami de
Dieu (cf. Is 41,8 ; 2Ch 20,7 ; Jc 2,23). Dieu a choisi son peuple :
« Car tu es un peuple consacré à Yahvé ton Dieu et Yahvé t’a choisi (exelexato, LXX) pour être son peuple à
lui parmi tous les peuples qui sont sur la terre » (Dt 14,2). (Cf. le
thème de la sélection en Mc 13,20.22 ;
Ac 13,17 ; Ep 1,4 ; Ap 17,14). Dans la Bible, il existe un
lien entre être choisi par Dieu, devenir son serviteur et son ami. Ces thèmes renvoient
à la sélection de Jésus (Jn 15,16a), à la relation « serviteur – maître »
(15,20) et à ses amis (15,13-15). En choisissant les disciples, Jésus est bien le
maître. En devenant les amis de Jésus, les disciples entrent dans la communion
d’amitié avec lui. Ces parallèles sont des affirmations christologiques fortes
puisqu’elles confirment que Jésus est le Seigneur et Dieu (cf. 1,1 ; 20,28).
Les titres : « ami » et « serviteur » doivent être
articulés avec les autres appellations : (1) « enfants », (2) « frères »,
(3) « disciples » et prendre en compte (4) l’évolution entre les
titres : disciples, amis et frères dans l’Évangile.
(1) L’appellation « enfants » dans l’Évangile (Jn) est
présentée avec les trois épîtres de Jean (1Jn ; 2Jn ; 3Jn). Trois
termes signifient petit enfant ou enfant : (1) « teknion », pluriel
« teknia » (petits
enfants), une fois en Jn (13,33) et sept fois en 1Jn (2,1.12.28 ;
3,7.18 ; 4,4 ; 5,21) ; (2) « teknon », pluriel « tekna »
(enfants), trois fois en Jn (1,12 ; 8,39 ; 11,52) et huit fois
dans les épîtres (1Jn 3,1.2.10 ; 5,2 ; 2Jn 1.4.13 ; 3Jn
4) ; (3) « paidion »,
pluriel « paidia »
(enfants), trois fois en Jn (4,49 ; 16,21 ; 21,5) et deux fois en 1Jn
(2,14.18).
Pour s’adresser aux disciples
dans l’Évangile, Jésus emploie une fois « teknia » en 13,33a : « Petits
enfants (teknia), c’est pour peu de
temps que je suis encore avec vous », et une fois « paidia » en 21,5 : « Mes enfants (paidia), n’auriez vous rien à manger ? » Le
terme « paidion », au singulier, est employé dans le cas de l’enfant du fonctionnaire royal
(4,49) et de l’enfant d’une femme qu’elle va mettre au monde (16,21). Quant à « tekna »
(enfants), ce terme désigne « enfants de Dieu » (1,12 ;
11,52) ; « enfants d’Abraham » (8,39). Le fait que Jésus appelle les disciples
« petits enfants » (13,33a) et « enfants » (21,5) fait allusion à la communauté croyante après Pâques : c’est
le Jésus glorifié qui s’adresse à la communauté. Être appelé « enfants » par Jésus
renvoie à la fois à son identité divine (cf. 1,1 ; 20,28) et à
« enfants de Dieu » (1,12).
L’auteur de la première épître de
Jean emploie le terme « paidia »
(enfants) pour désigner à la fois l’une des trois catégories d’âge :
« enfants » (paidia),
« pères », « jeune gens » (1Jn 2,14) et la communauté :
« Petits enfants (paidia),
voici venue la dernière heure » (1Jn 2,18a). Le terme « teknia » (petits enfants) désigne la communauté en 1Jn 2,1.12.28 ; 3,7.18 ; 4,4 ;
5,21. L’appellation « tekna »
(enfants) dénomme à la fois « enfants de Dieu » (1Jn 3,1.2.10 ;
5,2) et la communauté (cf. 2Jn 1.4.13 ; 3Jn 4). En bref, dans les épîtres
de Jean, trois termes : « paidia »,
« teknia » et « tekna » sont employés pour nommer la communauté. L’auteur de la première
épître ne se présente pas mais celui de la deuxième et de
la troisième épître se présente comme
un « presbuteros » (un ancien),
cf. 2Jn 1 ; 3Jn 1. De ce fait l’auteur s’adresse à sa communauté par la
dénomination « petits enfants » ou « enfants ».
(2) L’appellation « adelphoi » (frères) est abordé en trois
temps : son emploi dans l’Évangile, le titre « frères » en 20,17
et puis en 21,23.
Le terme « adelphos » (frère) apparaît en huit occurrences au singulier
(1,40.41 ; 6,8 ; 11,2.19.21.23.32) et six au pluriel (2,12 ;
7,3.5.10 ; 20,17 ; 21,23). L’emploi au singulier concerne André, frère de
Simon Pierre (1,40.41 ; 6,8) et Lazare, frère de Marthe et Marie
(11,2.19.21.23.32). Ce terme au pluriel désigne les frères de Jésus (2,12 ; 7,3.5.10) et les disciples
(20,17 ; 21,23). Ainsi « adelphos »
(frère) désigne soit la relation familiale soit les croyants (20,17 ; 21,23).
Après sa résurrection, Jésus appelle
ses disciples « frères ». Il dit à Marie de Magdala en 20,17 : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père.
Mais va trouver mes frères (tous
adelphous mou) et dis-leur : je monte vers mon Père et votre Père,
vers mon Dieu et votre Dieu. » Cette relation fraternelle n’est possible qu’à certaines conditions. Après avoir été glorifié, Jésus fait entrer les disciples dans une nouvelle relation avec lui et avec son Père. Les disciples
deviennent frères de Jésus et ont le même Père, le même Dieu que lui.
Cependant Jésus distingue entre « mon Père » et « votre
Père », entre « mon Dieu » et « votre Dieu » (20,17).
Cette distinction souligne le statut de « Fils
Unique-Engendré » (monogenès), cf.
1,14.18 ; 3,16.18, son origine
divine et sa communion parfaite avec le Père.
En faisant les disciples ses frères,
Jésus accomplit sa mission annoncée dans
le Prologue : « Mais à tous ceux qui l’ont
accueilli, il [Logos] a donné pouvoir
de devenir enfants (tekna) de Dieu, à
ceux qui croient en son nom » (1,12). Avec Jésus, Fils (huios) de
Dieu (20,31), les disciples deviennent enfants (tekna) de Dieu (1,12). En devenant son disciple, tout homme peut devenir frère
de Jésus et entrer ainsi dans la communion filiale avec Dieu le Père.
En 21,23, le narrateur qualifie les
croyants par « frères » : « Le bruit se répandit alors chez les frères (tous adelphous) que ce disciple [celui que Jésus aimait] ne
mourrait pas. Or Jésus n’avait pas dit à Pierre : “Il ne mourra pas”, mais :
“Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne.” » Le titre « frère » (adelphos)
marque une étape décisive dans la vie des disciples. Jésus est venu pour leur permettre
de devenir ses frères : désormais tous les croyants sont frères.
(3) « Disciple » (mathètès) est l’appellation par excellence pour désigner ceux qui suivent Jésus. Nous
présentons ici d’abord les occurrences de « mathètès », ensuite disciples des autres, et enfin les disciples
de Jésus.
Le terme « mathètès »
(disciple) apparaît en soixante-dix-neuf occurrences dont soixante-trois au
pluriel et seize au singulier. Ce terme est absent dans les ch. 5 ;
10 ; 14 ; 17 ; 19.
Les 63 occurrences au pluriel (disciples) :
- Ch. 1–4 (15 f.) : 1,35.37 ; 2,2.11.12.17.22 ;
3,22.25 ;
4,1.2.8.27.31.33 ;
- Ch. 5–8 (12 f.) : 6,3.8.12.16.22a.22b.24.60.61.66 ;
7,3 ; 8,31 ;
- Ch. 9–12 (10 f.) : 9,2.27.28 ;
11,7.8.12.16.54 ; 12,4.16 ;
- Ch. 13–17 (7 f.) : 13,5.22.23.35 ; 15,8 ;
16,17.29 ;
- Ch. 18–21 (19 f.) : 18,1a.1b.2.17.19.25 ;
20,10.18.19.20.25.26.30 ;
21,1.2.4.8.12.14 ;
Les 16 occurrences au
singulier (disciple) : 9,28 ; 18,15a.15b.16 ;
19,26.27a.27b.38 ; 20,2.3.4.8 ; 21,7.20.23.24.
Le terme « mathètès »
désigne les disciples de Jean Baptiste en 1,35.37 ; 3,25. Quant aux Juifs,
ils sont distingués entre « disciples de Moïse » et « disciples
de Jésus » (9,27-28). Les frères de Jésus parlent de ses disciples en 7,3.
Le narrateur rapporte en 7,3-4 : « 3 Ses frères lui dirent donc :
“Passe d’ici en Judée, que tes disciples aussi voient les œuvres que tu fais :
4 on n’agit pas en secret, quand on veut être en vue. Puisque tu fais ces
choses-là, manifeste-toi au monde.”
La plupart des occurrences de « mathètès » qualifie les disciples de Jésus. Nous traitons
d’abord les trois occurrences du terme « mathètès » en 8,31 ; 13,35 ; 15,8 où Jésus emploie l’appellation
« disciples », ensuite nous examinons l’utilisation de ce vocable par
le narrateur et enfin le mot « disciple » dans l’appellation « le disciple
que Jésus aimait ».
Jésus emploie le terme « disciples » (pluriel) en 8,31 ;
13,35 ; 15,8. Ces trois occurrences ont des liens entre elles. D’abord, Jésus dit
aux Juifs en 8,31b : « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes
disciples. » La condition pour devenir le vrai disciple
est de demeurer dans la parole de Jésus. Ensuite, en 13,35, Jésus dit aux
disciples : « À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples :
si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » Vivre le commandement
d’amour (cf. 13,34 ; 15,12) manifeste l’identité du disciple. Enfin le
fait de devenir disciple de Jésus glorifie le Père comme il le dit aux
disciples en 15,8 : « C’est la gloire de mon Père que vous portiez
beaucoup de fruit et deveniez mes disciples. » Ainsi devenir disciple de
Jésus implique trois actions : (1) demeurer dans sa parole (8,31), (2)
s’aimer les uns les autres (13,35) et (3) glorifier le Père (15,8). Ces actions
qualifient la relation avec Jésus, avec tous (cf. 13,35) et avec le Père.
Le narrateur n’emploie pas le titre « apôtre » pour désigner
les Douze (dôdeka). Pour parler de ce
groupe (cf. 6,67.70.71 ; 20,24) le narrateur les appelle par « disciples ».
Ainsi, selon la théologie johannique, « disciple » est le titre par excellence pour désigner le croyant. La figure idéale
est « le disciple que Jésus aimait » qui a une
relation intime avec Jésus (13,23), il est un modèle de foi (20,8) et le
premier à reconnaître Jésus ressuscité au bord du lac de Tibériade (21,7). L’autorité
et la crédibilité de l’Évangile reposent sur son témoignage (19,35) et son écriture (21,24).
(4) Il y a une
évolution entre les titres : « disciples », « amis »
et « frères » dans l’Évangile. Ces titres indiquent trois étapes de la révélation : pour la première, la
dénomination « disciple » décrit l’engagement dans la foi en Jésus. La deuxième étape se
trouve à la fin de la mission de Jésus (dans les discours d’adieux, ch. 13–17),
le titre d’ami de Jésus implique un engagement de deux côtés : pour les
disciples, ils font ce que Jésus commande (15,14b) et pour Jésus, il dépose sa
vie pour ses amis (15,13b) et fait connaître tout ce qu’il a entendu de son Père (15,15d). La troisième étape vient à la fin de l’Évangile, le titre « frères »
marque l’accomplissement de la mission de Jésus. Devenus frères de Jésus (20,17), les disciples sont frères les uns pour les autres (21,23). Cette relation fraternelle s’enracine donc
dans la fraternité avec Jésus.
Le thème de l’ami de Jésus oriente le thème de l’amour (agapè, agapaô) vers l’amour d’amitié (philos, phileô). Cette orientation met en valeur la liberté dans l’engagement
de foi des disciples. Devenir ses amis, les disciples ne sont-ils plus des
serviteurs (cf. 15,15a) ? Pour répondre à cette question, nous avons
remarqué que, comme dans la Bible, le terme « doulos » (serviteur, esclave) dans l’Évangile peut avoir le
sens négatif (8,34), neutre (4,51) ou positif (13,16 ; 15,20). Le terme
« doulos » (serviteur) en
15,15a.20b doit être interprété dans un double
contexte : dans un sens, les disciples ne sont plus serviteurs parce que
Jésus a fait connaître tout ce qu’il a entendu auprès de son Père (15,15d) ;
dans un autre sens, les disciples sont toujours serviteurs dans la relation
avec leur Maître Jésus face à la crise et la persécution (cf. 13,16 ;
15,20). Jésus est toujours leur Seigneur et Maître (13,13). Ainsi, les
disciples sont à la fois « serviteurs » (15,20) et « non plus
serviteurs » (15,15) selon le contexte. Cette conclusion montre
l’originalité de la théologie johannique.
Notons que « doulos » (serviteur) renvoie à
« diakonos », également traduit
par « serviteur » (12,26), et que le titre « maître » est donné
d’après deux termes grecs : « kurios »
dans la relation de « maître – serviteur » (13,16 ; 15,20) et
« didaskalos » dans celle
de « maître – disciple » (13,13). L’étude sur le statut de Jésus et
celui de ses amis confirme que l’amitié entre Jésus et les disciples n’est pas une amitié égale puisque leur
vie dépend totalement de Jésus, comme les sarments qui ne peuvent
vivre qu’en demeurant sur la vigne (15,5).
Dans cette perspective, le titre d’ami
de Jésus (15,13.14.15) doit être articulé avec les autres dénominations : « enfants » (teknia,
paidia), « frères » (adelphoi)
et « disciple » (mathètès).
L’amitié avec Jésus est donc une partie de l’élaboration théologique de
l’Évangile : devenir ses disciples (8,31 ; 15,8), ses amis
(15,14-15), ses frères (20,17) et frères entre les disciples (21,23). Ces qualifications
permettent, dans un sens, d’exprimer la richesse de la relation « Jésus –
disciples » et, dans un autre sens, d’éviter de s’enfermer dans tel ou tel type de relation puisque chaque dénomination
exprime un aspect théologique de la relation avec Jésus.
Jésus a fait connaître (gnôrizô) à ses amis toute la révélation (15,15d) mais ils ne saisissent pas encore toute la
portée de son enseignement. Jésus continue donc à leur faire
connaître (17,26) à travers le Paraclet (cf. 14,26). En renvoyant à la tradition biblique sur l’ami de Dieu et son
serviteur (Is 41,8), le thème de l’ami de Jésus (15,13-15) et celui de la relation
« serviteur – maître » dans l’Évangile expriment bien l’amour, la
liberté et la communion entre les disciples et Jésus ainsi que l’autorité de ce
dernier en tant que Maître, Seigneur et Dieu./.
Source : http://leminhthongtinmunggioan.blogspot.co.il/2018/03/jn-1513-1520-serviteurs-et-amis-de-jesus.html
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