24/05/2018

Jn 18,28–19,16a : Jésus, les accusateurs et Pilate



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Le 24 mai 2018


Contenu

Introduction
I. Le contexte et la structure
     1. Le contexte et la délimitation  
     2. La structure de 18,28–19,16a
II. L’identité des accusateurs et celle de Pilate
     1. Le thème de la royauté
     2. La vérité sur les accusateurs
     3. La vérité sur Pilate
III. L’identité de Jésus
     1. La royauté de Jésus aux yeux des autres
     2. La révélation de Jésus sur sa royauté et son pouvoir
     3. Le Fils de Dieu et l’agneau pascal
     4. La lucidité et l’humanité de Jésus face à la mort
Conclusion
     Bibliographie



Introduction

La péricope 18,28–19,16a est une étape du récit de la Passion de Jésus : l’arrestation (18,1-12) et la présentation devant les autorités juives (18,13-28), devant l’autorité romaine (18,28–19,16a), la crucifixion, la mort et l’ensevelissement (19,16b-42). à première vue, les accusateurs amènent Jésus à Pilate pour le faire mourir. Mais Pilate fait le contraire de ce qu’ils demandent. À la fin, Pilate leur livre Jésus pour être crucifié (19,16a). Cependant, Jésus se désintéresse de son propre sort : il parle de sa royauté, de sa mission et démasque le péché des accusateurs. Pour saisir le message de cette péricope, nous traitons trois points : (I) le contexte et la structure, (II) l’identité des accusateurs et celle de Pilate, (III) l’identité de Jésus.

I. Le contexte et la structure

Nous abordons d’abord (1) le contexte et la délimitation, et ensuite (2) la structure de la péricope 18,28–19,16a.

     1. Le contexte et la délimitation  

Cette partie est présentée en trois points : (1) le contexte de la péricope 18,28–19,16a, (2) sa délimitation, et (3) son lien avec ce qui précède et ce qui suit.

(1) La péricope 18,28–19,16a appartient à la section de l’Heure de la glorification sur la croix (Jn 18–19) avec trois péricopes : 18,1-27 ; 18,28–19,16a et 19,16b-42. Le récit Jésus devant Pilate (18,28–19,16a) est un aboutissement inévitable après le conflit et la controverse entre Jésus et les autorités juives tout au long de l’Évangile (cf. 5,18 ; 7,1 ; 8,37.40). À la fin de la mission de Jésus, Caïphe prophétise à son insu le sens de la mort de Jésus (11,49-52) et le conseil des grands prêtres et des Pharisiens a pris la décision de tuer Jésus (11,53). Cependant, Jésus parle de sa mort dès le début de sa mission. Après la purification du Temple de Jérusalem (2,13-17), Jésus dit aux Juifs en 2,19 : « Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai. » Le narrateur explique cette parole en 2,21 : « Mais lui parlait du sanctuaire de son corps. » En 3,14-15, Jésus parle de son élévation : « 14 Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l’homme, 15 afin que quiconque croit ait en lui la vie éternelle. » Dans la péricope 18,28–19,16a, la glose du narrateur en 18,32 : « afin que s’accomplît la parole qu’avait dite Jésus, signifiant de quelle mort il devait mourir » montre que la mort de Jésus est déjà décidée auparavant. Le but du récit consiste à préciser le pourquoi de sa mort et à révéler l’identité de Jésus et le sens de sa royauté.

(2) Pour la délimitation de 18,28–19,16a, Y. Simoens, Selon Jean, t. III, p. 761 et 779, propose de découper ainsi : 18,28-40 : « la déposition du roi dans son procès » et 19,1-22 : « le pouvoir d’en haut du roi des Juifs. » Quant à X. Léon-Dufour, Lecture, t. IV, p. 71, prolonge la péricope 18,28–19,16a jusqu’en 19,22 en estimant que le dialogue entre Pilate et les grands prêtres ne se termine que dans l’ultime réponse de Pilate en 19,22 : « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit. » Cependant, si on choisit l’espace et les personnages comme des critères de découpage, le récit de 18,28–19,16a est bien limité : l’espace est la résidence de Pilate. Avant, Jésus était chez Caïphe (18,28) et après cette scène, Jésus sort et gagne le lieu-dit du Crâne (19,17). Les personnages du récit sont Jésus, Pilate et les accusateurs. En dehors de 18,28–19,16a, ces personnages ne sont plus ensemble. Le verbe « paradidômi » (livrer) exprime l’action des accusateurs qui livrent Jésus à Pilate (18,30.35.36 ; 19,11) et celle de Pilate qui le livre aux autorités juives (19,16a). Pilate ne voit plus Jésus après 19,16a.

(3) Le lien avec ce qui précède dans la péricope 18,28–19,16a concerne les acteurs, le lieu et le temps. D’abord, en 18,19-23, le grand prêtre Hanne interroge Jésus sur ses disciples et sur son enseignement. Dans la péricope 18,28–19,16a, Pilate interroge Jésus sur son identité : « Es-tu le roi des Juifs ? », et sur ses activités : « Qu’as-tu fait ? » (18,33-35). En 18,22, l’un des gardes donne une gifle (hrapisma) à Jésus et en 19,3, les soldats lui donnent des coups (hrapismata). Il s’agit du même terme grec « hrapisma », deux fois dans l’Évangile : 18,22 (singulier) ; 19,3 (pluriel). Pour les lieux ensuite, la première péricope 18,1-27 concerne trois lieux : dans le jardin (18,1-11), chez le grand prêtre Anne (18,12-23), puis chez le grand prêtre Caïphe (18,24). La deuxième péricope (18,28–19,16a) situe le récit à la résidence de Pilate ; la troisième (19,16b-42) se passe au Golgotha. Enfin pour l’aspect du temps, Jésus est arrêté en pleine nuit (18,3). Chez Hanne, Pierre renie Jésus trois fois juste après le chant d’un coq (18,27). La péricope 18,28–19,16a commence au point du jour (18,28) et finit vers la sixième heure (19,14) où Pilate livre Jésus aux autorités juives pour être crucifié (19,16a).

Quant au lien avec ce qui suit dont le titre « le roi des Juifs » et le thème de la royauté reviennent et atteignent le point culminant avec l’écriteau : « Jésus le Nazôréen, le roi des Juifs » écrit en trois langues (hébreu, latin et grec) placé sur la croix (19,19-20). Le dialogue entre Pilate et les autorités juives dans la péricope 18,28–19,16a ne se termine qu’en 19,21-22. Selon X. Léon-Dufour, Lecture, t. IV, p. 114 : « Le texte qui relate le crucifiement est exclusivement déterminé, d’un point de vue littéraire, par la mise en valeur de la dignité royale de Jésus. » Il y a donc un lien entre 18,28–19,16a et 19,16b-22.

     2. La structure de 18,28–19,16a

La péricope 18,28–19,16a est soigneusement construite. Elle est composée de sept scènes alternées par les allers-retours de Pilate entre l’intérieur et l’extérieur du prétoire. Pour mettre en relief des éléments parallèles, nous proposons une structure en parallèle de deux unités concentriques (A, B, C, B’, A’ // AA, BB, CC, BB’, AA’) avec une introduction (18,28), une transition (19,1-3) et une conclusion (19,16a) :


Cette structure met au centre deux dialogues importants entre Jésus et Pilate (C // CC) lesquels éclairent l’ensemble de la péricope. La première unité (A, B, C, B’, A’) met en parallèle d’une part, entre Jésus, un homme, un malfaiteur (A) et Barabbas, un brigand (A’) et, d’autre part, entre la mort de Jésus (B) et son innocence (B’). La deuxième unité (AA, BB, CC, BB’, AA’) met en relief, dans un sens, les paroles des accusateurs : « se faire Fils de Dieu » (BB) et « se faire roi » (BB’) et, dans un autre sens, les paroles de Pilate sur Jésus : « voici l’homme » (AA) et « voici votre roi » (AA’). Observons le détail du récit :

- 18,28 : Introduction. Le premier verset de la péricope introduit les circonstances. Au point du jour, les accusateurs emmènent Jésus chez Caïphe à la résidence de Pilate. Pour ne pas se souiller, les accusateurs n’entrent pas dans le prétoire. Ceci marque une rupture d’espace entre Jésus et les autorités juives. La scène se déroule autour de cette rupture d’espace : le dehors (pur) et le dedans (impur) du point de vue juif.

- A. 18,29-30 : Jésus, un homme, un malfaiteur (dehors). Pour commencer, Pilate pose une question aux accusateurs en 18,29 : « Quelle accusation portez-vous contre cet homme (anthrôpou) ? » Ces derniers accusent Jésus d’être un malfaiteur (18,30). Les désignations de Jésus d’abord par Pilate : « un homme » (18,29b), et ensuite par les accusateurs : « un malfaiteur » (18,30) renvoient à la fois à l’unité A’. 18,39-40 : Jésus et Barabbas, et à celle de AA. 19,4-6 où Pilate présente Jésus : « Voici l’homme ! » (19,5b)

- B. 18,31-32 : Les Juifs réclament la mort de Jésus (dehors). La tension entre Pilate et les autorités juives apparaît puisque Pilate refuse d’intervenir dans cette affaire en leur disant : « Prenez-le, vous, et jugez-le selon votre Loi » (18,31a). Cela signifie que Jésus n’est pas dangereux pour le pouvoir romain. La réponse des Juifs en 18,31b : « Il ne nous est pas permis de mettre quelqu’un à mort » montre qu’ils cherchent à tuer Jésus et non à le juger. La suite de la péricope va dévoiler l’identité de Jésus et la vérité sur les accusateurs et sur Pilate.

- C. 18,33-38a : le premier dialogue entre Jésus et Pilate sur le thème de la royauté (dedans). Cette unité est au centre de la première structure concentrique. Elle est englobée par deux questions de Pilate (18,33.38a). La réponse de Jésus porte sur sa royauté (18,36) et sur sa mission (18,37bcd).

- B’. 18,38b : Jésus, un innocent (dehors). Après le dialogue avec Jésus (18,33-38a), Pilate déclare aux Juifs que Jésus est innocent : « Je ne trouve en lui aucun motif de condamnation » (18,38b). Il le redit encore deux autres fois en 19,4 ; 19,6. Cependant, ce que Pilate dit est contradictoire avec ce qu’il fait à Jésus dans l’unité suivante.

- A’. 18,39-40 : Jésus et Barabbas (dehors). Pour la première fois, Pilate attribue à Jésus le titre « le roi des Juifs » (18,39b) cependant ce « roi » est placé au même niveau qu’un brigand, Barabbas (18,40). La proposition de Pilate est une offense pour les Juifs et une contradiction à lui-même. En effet, il ne trouve pas en Jésus aucun motif de condamnation (18,38b) mais considère Jésus comme un condamné en proposant de le gracier (18,39).

- 19,1-3 : Transition. Jésus est flagellé et bafoué avec les insignes royaux. Cette unité contient trois particularités : il n’y a pas de mention d’un lieu précis, pas de dialogue et les soldats apparaissent uniquement dans cette scène. Cette unité commence par « tote oun » (alors), elle conclut ce qui précède et prépare les scènes suivantes (cf. 19,5). Les trois insignes royaux : le manteau de pourpre, la couronne et la salutation sont encadrés par deux actions : flageller et donner des coups.

- AA. 19,4-6 : « Voici l’homme ! » portant les insignes royaux (dehors). Cette unité commence le deuxième développement sur la royauté de Jésus et renvoie à l’appellation « cet homme » en 18,29. Pilate présente Jésus aux Juifs : « Voici l’homme ! » (19,5) et plus tard : « Voici votre roi ! » (19,14c) Ces deux paroles sont suivies par les cris : « Crucifie-le ! » (19,6a.15a).

- BB. 19,6-8 : « Se faire Fils de Dieu » (dehors). Cette unité est parallèle avec l’unité BB’ avec l’accusation : se faire roi (19,12). Le changement de motif a pour but d’obtenir la condamnation à mort de Jésus (cf. 18,31).

- CC. 19,9-11 : Jésus et Pilate, le pouvoir et le péché (dedans). Cette unité est au centre de la deuxième structure concentrique (19,4-15). Le silence de Jésus évoque une discussion sur le thème du pouvoir ; puis Jésus dévoile le péché de toutes les personnes qui sont impliquées dans sa condamnation à mort y compris Pilate (19,11).

- BB’. 19,12 : « Se faire roi » (dehors). Ce motif d’accusation en opposition avec César touche le point faible de Pilate : relâcher Jésus peut faire perdre le titre d’ami de César (19,12b). Cette accusation souligne à la fois la détermination des accusateurs de tuer Jésus et la royauté de ce dernier.

- AA’. 19,13-15 : « Voici votre roi » (dehors). Cette unité est le point culminant du récit. L’espace, le temps et la circonstance sont mentionnés. Le bouleversement de la position des personnages est réalisé. Au début, les accusateurs manifestent leur fidélité à Dieu : ils n’entrent pas dans le prétoire pour célébrer la Pâque (18,28b). À la fin, ils ne reconnaissent que la royauté de César (19,15c) au lieu de leur Dieu. Quant à Jésus, au début, il est un malfaiteur (18,30) ; à la fin, il est le roi (19,12b).

- 19,16a : Conclusion. Le récit prend fin quand Pilate livre Jésus aux autorités juives pour être crucifié. Pilate ne juge pas Jésus, il ne prononce pas le verdict. En fait, le récit met en relief le rôle de Jésus comme roi et juge. Notons que le verset 19,16b doit être lu avec ce qui suit, car le pronom « ils » dans ce verset désigne les soldats et non les autorités juives. Sous la forme d’une comparution devant l’autorité romaine, la structure de la péricope 18,28–19,16a montre que le but du récit vise à révéler la vérité sur les accusateurs, sur Pilate et sur Jésus.

II. L’identité des accusateurs et celle de Pilate

La vérité sur accusateurs et sur Pilate est dévoilée à travers leurs comportements envers Jésus. Nous présentons d’abord (1) le thème de la royauté, ensuite (2) la vérité sur les accusateurs et enfin (3) la vérité sur Pilate.

     1. Le thème de la royauté

Le thème de la royauté est mis en relief dans la péricope 18,28–19,16a par les deux mots grecs de même racine : « ho basileus » (le roi) et « hè basileia », ce dernier signifie le royaume ou la royauté selon le contexte. Cependant, la royauté et le royaume désignent deux choses différentes. La royauté est la dignité du roi, c’est le pouvoir royal. Tandis que le royaume désigne le pays, l’État gouverné par un roi. La parole de Jésus en 19,36a : « he basileia hè emè » est traduit par « mon royaume » (BiJér, 2000) et par « ma royauté » (TOB, 12e éd.). En tout cas, « hè basileia » de Jésus n’est pas au sens du pouvoir terrestre (cf. 6,15). C’est au moment où Jésus qui n’a aucun pouvoir politique ou religieux que sa royauté se manifeste en tant que roi et juge. Dans le récit, tous les personnages (Pilate, les soldats et les accusateurs) parlent de la royauté de Jésus. En même temps, c’est face à Jésus que la vérité sur les personnages se dévoile.

     2. La vérité sur les accusateurs

Le groupe des accusateurs est présenté de manière originale avec quatre caractéristiques : (1) leur identité n’apparaît pas au début mais au cours de la narration, (2) leur but est clair : presser l’autorité romaine de condamner à mort Jésus sur de multiples accusations, (3) un comportement agressif, (4) un renversement de situation, et (5) leur péché.

(1) Les accusateurs sont présentés au début du récit par le pronom « ils » (18,28a). Le lecteur ne sait pas encore qui ils sont. Au cours du récit les accusateurs apparaissent comme « les Juifs » (cinq fois : 18,31.38b ; 19,7.12.14), « les grands prêtres et les gardes » (une fois : 19,6), « les grands prêtres » seuls (une fois : 19,15). Ces groupes sont ensemble et presque interchangeables. Par exemple, quand Pilate présente Jésus en disant « Voici l’homme ! » (19,5b), « les grands prêtres et les gardes vociférèrent : “Crucifie-le ! Crucifie-le !” » (19,6c). Cependant, ce sont « les Juifs » qui entrent en dialogue avec Pilate dans le verset suivant (19,7). Quant Pilate présente Jésus aux Juifs en 19,14b : « Voici votre roi », ce sont eux qui vocifèrent en 19,15a : « À mort ! À mort ! Crucifie-le ! » Puis brusquement, « les grands prêtres » apparaissent en disant à Pilate en 19,15c : « Nous n’avons de roi que César ! » La réponse de Jésus à Pilate : « … pour que je ne sois pas livré aux Juifs » (18,36) montre que « les Juifs » ici ne désignent pas le peuple juif ni les Juifs en général mais les Juifs qui sont hostiles à Jésus. Nous appelons les accusateurs dans la péricope 18,28–19,16a par « les autorités juives ». (Cf. le point « III. “Les Juifs” et l’incapacité d’entendre » dans l’article : « Jn 8,31-47 : L’incapacité d’entendre la parole de Jésus. »

(2) Les accusateurs cherchent à tout prix à atteindre leur but : faire mourir Jésus. En effet, quand Pilate leur dit en 18,31a : « Prenez-le [Jésus], vous, et jugez-le selon votre Loi. » Ils lui répondent en 18,31b : « Il ne nous est pas permis de mettre quelqu’un à mort. » Puis le narrateur explique en 18,32 : « afin que s’accomplît la parole qu’avait dite Jésus, signifiant de quelle mort il devait mourir » (cf. 3,14 ; 12,32). Ainsi, les accusateurs n’emmènent pas Jésus à Pilate pour être jugé mais pour être exécuté. Notons qu’en 11,53 les autorités juives ont décidé de tuer Jésus. Le lecteur sait que Jésus doit mourir. En fait, à l’époque, les Romains avaient retiré des autorités juives le droit de vie et de mort. De la main des Juifs, Jésus aurait été lapidé (cf. 8,59 ; 10,3) et non pas crucifié. À la fin de la péricope, Pilate va céder aux demandes des autorités juives en leur livrant Jésus pour être crucifié (19,16a). Pilate ne juge donc pas Jésus. L’explication du narrateur en 18,32 éclaire l’ensemble du récit.

Pour atteindre leur but, les autorités juives accusent Jésus de plusieurs choses. Pour commencer, ils le considèrent comme un malfaiteur (18,30) puis réclament le relâchement du brigand Barabbas au lieu de Jésus (18,40). Ensuite, ils accusent Jésus de « se faire Fils de Dieu » (19,7b). Ce motif renvoie à l’accusation en 5,18 et 10,33. Le narrateur rapporte en 5,18 : « Ainsi les Juifs n’en cherchaient que davantage à le [Jésus] tuer, puisque, non content de violer le sabbat, il appelait encore Dieu son propre Père, se faisant égal à Dieu. » En 10,33, les Juifs disent à Jésus : « Ce n’est pas pour une bonne œuvre que nous te lapidons, mais pour un blasphème et parce que toi, n’étant qu’un homme, tu te fais Dieu. » Et enfin, les autorités accusent Jésus de se faire roi, ce qui est une usurpation de titre de l’empereur romain, César (19,12b). L’objectif de ces accusations n’est pas de dire la vérité mais de tuer Jésus.

(3) Le comportement les accusateurs dans le récit est agressif. Au début, ils affirment leur intention de tuer Jésus (18,31). Puis, au cours du récit, le narrateur emploie quatre fois (18,40 ; 19,6.12.15) le verbe « vociférer » (kraugazô) pour parler de leur agressivité : « Alors ils [les Juifs] vociférèrent de nouveau, disant : “Pas lui [Jésus], mais Barabbas !” » (18,40a) ; « les grands prêtres et les gardes vociférèrent, disant : “Crucifie-le ! Crucifie-le !” » (19,6a) ; « les Juifs vociféraient, disant : “Si tu le relâches, tu n’es pas ami de César : quiconque se fait roi, s’oppose à César” » (19,12b) ; « Eux [les Juifs] vociférèrent : “À mort ! À mort ! Crucifie-le !” » (19,15a) La violence augmente à la fin du récit comme le point culminant du rejet Jésus par les autorités juives.

(4) L’ensemble du récit montre un renversement de position chez les accusateurs. Au début du récit, ils n’entrent pas dans le prétoire pour ne pas se souiller. Ils gardent la loi de pureté pour manger la Pâque (18,28b). Le narrateur rapporte à la fin de la péricope : « C’était la Préparation de la Pâque » (19,14a). C’est pour préserver la pureté religieuse que les scènes sont construites sur les allers-retours de Pilate entre le dehors (les accusateurs) et le dedans (Jésus). Cette observance rituelle distingue deux espaces : le dehors représente le monde juif (pur) et le dedans représente le monde romain et païen (impur). Ainsi, l’espace géographique et spirituel est mis en place. Géographiquement cette distinction ne change pas jusqu’à la fin du récit. Cependant, l’espace spirituel est renversé au fur et à mesure. Au début du récit : « C’était le matin » (18,28b), les accusateurs se présentent comme les fidèles de leur Seigneur en gardant la pureté pour fêter la Pâque. Cependant, à la fin du récit, vers midi (la sixième heure, 19,14b), ils deviennent les fidèles de César en proclamant devant Pilate : « Nous n’avons de roi que César ! » (19,15b)

(5) Ce trait ironique montre le péché des accusateurs : en faisant mourir un innocent, ils ne font pas la vérité et n’appartiennent pas à la vérité (cf. 18,37d). Jésus prononce le verdict devant Pilate en 19,11 : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi, si cela ne t’avait été donné d’en haut ; c’est pourquoi celui qui m’a livré à toi a un plus grand péché. » Le péché des accusateurs est donc plus grand que celui de Pilate. Au cours de sa mission, Jésus parle plusieurs fois du péché de ses adversaires (cf. 8,21.24 ; 9,41) et du monde hostile (cf. 15,22.24). Le Paraclet va établir la culpabilité du monde en matière de péché : ils ne croient pas en Jésus (cf. 16,8-9).

     3. La vérité sur Pilate

La vérité sur Pilate se dévoile à travers quatre remarques : (1) son rôle d’intermédiaire entre les accusateurs et Jésus et non comme juge, (2) son désir de confronter Jésus aux autorités juives, (3) un représentant du pouvoir de manière contradictoire, (4) sa peur et sa lâcheté, (5) son péché.

(1) Pilate joue un double rôle dans le récit : dialoguer avec Jésus et négocier avec les autorités juives. Au début, Pilate refuse la demande de ces derniers en leur disant : « Prenez-le [Jésus], vous, et jugez-le selon votre Loi » (18,31a). Ensuite, il leur présente Jésus comme « le roi des Juifs » (18,39b), « votre roi » (19,15b) et leur dit : « Voici l’homme ! » (19,5), « voici votre roi ! » (19,14) À l’intérieur du prétoire, Pilate dialogue avec Jésus à deux moments sur deux sujets : (a) la royauté de Jésus, sa mission et le thème de la vérité (18,33-38a), (b) l’origine du pouvoir et le péché (19,9-11). Pilate tient le rôle de juge mais il ne juge pas Jésus selon la vérité. La personnalité de Pilate se révèle à travers ses actes et ses paroles.

(2) Au cours du récit, Pilate voudrait confronter Jésus à ses accusateurs. En effet, en sachant que ces derniers n’ont pas le droit de mettre à mort Jésus, Pilate propose qu’ils le jugent selon leur Loi (cf. 18,31). Pour Pilate, Jésus n’est pas en sédition contre le pouvoir romain. Devant l’insistance des Juifs (18,31b), Pilate va entrer en scène en disant le contraire des accusateurs. Si ces derniers disent que Jésus est un malfaiteur (18,30), Pilate déclare que Jésus est innocent (18,38c ; 19,4.6b). Surtout Pilate les provoque en attribuant à Jésus le titre « le roi des Juifs » en disant : « Voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs ? » (18,39b) Jésus est donc un malfaiteur pour les uns, un roi pour les autres. Si les Juifs vocifèrent : « À mort ! À mort ! Crucifie-le ! » (19,15a) Pilate leur dit : « Crucifierai-je votre roi ? » (19,15b) L’humiliation pour les autorités juives résulte du fait qu’étant Juifs ils demandent cependant au pouvoir romain de crucifier le roi des Juifs. L’ironie du récit est que Pilate, un païen se comporte comme un Juif en protégeant le roi des Juifs et en cherchant à le relâcher (19,12). Par contre, les autorités juives se comportent comme des païens, ils veulent la mort du roi des Juifs et proclame la souveraineté de César (19,15).

(3) Dans le récit, Pilate déclare trois fois (18,38b ; 19,4.6b) qu’il ne trouve en Jésus aucun motif de condamnation, cependant, ses actions sont contradictoires sur deux points : (a) Si Jésus est innocent, Pilate doit l’innocenter et non proposer de le gracier à la Pâque. En plaçant Jésus au même niveau que Barabbas, Pilate considère Jésus comme un condamné (18,39-40). (b) Si Jésus est non coupable, pour quelle raison Pilate le fait flageller et laisse les soldats l’humilier et lui donner des coups ? Selon X. Léon-Dufour, Lecture, t. IV, p. 91 : « Ce n’est donc pas par souci de justice que Pilate a déclaré Jésus innocent, mais par instinct politique, non pour obtenir l’accord des grands prêtres, mais pour les heurter de front. »

(4) Le rapport entre Pilate et Jésus est entre le juge (qui a le pouvoir) et l’accusé (qui est dépouillé). Cependant, ce rapport est renversé au fur et à mesure. Au niveau de la parole, Jésus se situe comme un interlocuteur et un révélateur. Il n’est aucunement inférieur à Pilate. Sur le plan psychique, il n’y a aucun signe de peur chez Jésus, par contre Pilate a peur de deux choses : (a) de l’identité de Jésus (19,7-9) et (b) de la menace des autorités juives (19,15-16a).

(a) Quand les accusateurs disent à Pilate en 19,7 : « Nous avons une Loi et d’après cette Loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu », le narrateur rapporte en 19,8 : « Lorsque Pilate entendit cette parole, il fut encore plus effrayé (mallon ephobèthè). » L’adverbe « mallon » (encore plus) montre que Pilate a été effrayé auparavant. En 18,33-37, Pilate a entendu la révélation de Jésus sur son royaume d’en haut et sa mission. Pilate est effrayé par son origine mystérieuse. En 19,8, la peur de Pilate est liée au titre de « Fils de Dieu ». Pour exprimer son préoccupation, Pilate entre dans le prétoire et demande Jésus : « D’où es-tu, toi ? » (19,9b) Le fait que Jésus ne lui donne pas la réponse (19,9c) le rendre encore plus perplexe puisqu’il ne connaît pas d’où il vient et qui il est. En plus, la parole de Jésus s’exprimant en 19,11a : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi, si cela ne t’avait été donné d’en haut » place le pouvoir de Pilate sous le pouvoir d’en haut. Cela rend Pilate plus effrayé car il doit exercer le pouvoir selon la vérité.

(b) Ensuite, Pilate a peur de la menace des autorités juives quand ces dernières lui disent en 19,12b : « Si tu le relâches, tu n’es pas ami de César : quiconque se fait roi, s’oppose à César. » Après la déclaration des grands prêtres : « Nous n’avons de roi que César ! », le narrateur rapporte en 19,16a : « Alors il [Pilate] le [Jésus] leur [les autorités juives] livra pour être crucifié. » Par crainte d’une disgrâce de César, Pilate cède aux demandes des accusateurs. La lâcheté de Pilate transparaît dans sa décision finale en livrant Jésus aux Juifs. Pilate ne juge pas Jésus selon la vérité et n’ose pas faire la vérité. Il n’appartient donc pas à la vérité. Le récit montre que Pilate ne comprend pas toute la profondeur de la révélation de Jésus. Cependant, à travers l’ignorance de Pilate, le narrateur communique au lecteur que Jésus est le vrai roi des Juifs et le Fils de Dieu.

(5) L’abus du pouvoir et l’irresponsabilité de Pilate peuvent être qualifiés de péché. Le renversement ironique des rôles se trouve dans le verdict de Jésus adressé à Pilate en 19,11b : « Celui qui m’a livré à toi a un plus grand péché. » De ce fait, l’accusé Jésus devient le juge tandis que le juge Pilate et les accusateurs deviennent les condamnés puisque Jésus prononce la sentence (19,11) dans le cadre du procès. Le péché des accusateurs est plus grand que celui de Pilate qui exerce le pouvoir romain mais pas le pouvoir donné d’en haut selon la vérité.

III. L’identité de Jésus

Dans la péricope 18,28–19,16a, Jésus ne prononce aucune parole face aux accusateurs. Il y a une rupture d’échange entre lui et le monde juif. Dans deux unités (C. 18,33-38a // CC. 19,9-11) Jésus dialogue avec Pilate dans le prétoire. L’ensemble du récit révèle l’identité de Jésus sur quatre sujets : (1) la royauté de Jésus aux yeux des autres, (2) la révélation de Jésus sur sa royauté et son pouvoir, (3) le Fils de Dieu et l’agneau pascal, (4) la lucidité et l’humanité de Jésus face à la mort.

     1. La royauté de Jésus aux yeux des autres

La royauté de Jésus est présentée (1) selon le point du vue de Pilate et des soldats et (2) selon ses accusateurs.

(1) Pour Pilate et les soldats, la royauté de Jésus est une dérision. En 19,1-3, les trois gestes : poser sur sa tête une couronne d’épines, le revêtir d’un manteau de pourpre et le saluer tout en lui administrant des outrages : la flagellation et les coups. Ces outrages fonctionnent comme une ironie johannique : hommage et outrage en même temps. Cette scène de transition (19,1-3) est importante dans la structure du texte. Elle présente visuellement au monde la royauté de Jésus mais non du point de vue de ce monde. Sa royauté vient d’en haut, et son royaume n’est pas de ce monde (18,36a). La suite du récit est liée avec 19,1-3. Le narrateur prend soin de décrire en 19,5a : « Jésus sortit donc dehors, portant la couronne d’épines et le manteau de pourpre. » C’est Jésus bafoué et ridiculisé que Pilate présente aux Juifs : « Voici l’homme » (19,5b) pour l’humilier. Cependant, pour le lecteur, à l’insu de Pilate, Jésus est l’homme par excellence rappelant ainsi le titre de « Fils de l’homme » dont Jésus en parle en faisant allusion à sa passion en 3,14 ; 12,23.

La dernière scène (19,12-16a) qui se trouve en dehors du prétoire est le point culminant de la péricope. Le verbe « kathizô » à l’aoriste en 19,13 : « ekathisen » peut se traduire soit par un verbe transitif : Pilate « fit asseoir » Jésus au tribunal (OSTY, 1973 ; D. Mollat, « L’évangile », 1973 ; TOB, 12e éd.) ; soit par un verbe intransitif : Pilate « s’assit » au tribunal (É. Delebecque, Évangile, 1987 ; Jeanne d’Arc, Évangile, 1990 ; X. Léon-Dufour, Lecture, t. IV, 1996 ; BiJér, 2000 ; J. Zumstein, Évangile, 2008). Le sens transitif de « kathizô » (faire asseoir) exprime l’idée que Pilate ridiculise Jésus comme roi et il pousse jusqu’au bout cette dérision en faisant asseoir Jésus sur l’estrade comme un roi sur son trône. Le texte ne dit pas que Pilate juge, il ne prononce pas la sentence finale. Au sens théologique, en s’asseyant sur l’estrade, Jésus est le juge. I. De La Potterie, La passion, p. 120, écrit : « C’est un des plus beaux exemples de l’ironie johannique. Celui qui, sur le plan historique, est le condamné, se trouve, au plan théologique, le juge ; et ceux qui rendent le jugement sont en réalité les condamnés : total renversement de situation. »

Le sens intransitif de « kathizô » (s’asseoir) signifie que Pilate siège au tribunal et présente Jésus aux Juifs : « Voici votre roi » (19,14c). Selon X. Léon-Dufour, Lecture, t. IV, p. 110 : « Un tel geste [faire asseoir Jésus sur le tribunal] n’est guère convenable de la part d’un juge romain à l’égard d’un accusé : la moquerie se retournerait contre lui-même et sa charge. Si intéressé qu’il soit par le symbolisme, l’évangéliste ne va jamais jusqu’à contredire l’évidence historique. » Nous optons pour le sens intransitif de « kathizô » (s’asseoir) puisque dans le contexte, Pilate montre qu’il exerce le pouvoir romain. Il dit à Jésus en 19,10 : « Tu ne me parles pas ? Ne sais-tu pas que j’ai pouvoir de te relâcher et que j’ai pouvoir de te crucifier ? » Le fait que Pilate, le représentant du pouvoir romain, s’assoit au tribunal appelé le Dallage, en hébreu Gabbatha (19,13b) suivi par les indications : la circonstance (la Préparation de la Pâque, 19,14a) et le temps (vers la sixième heure, c’est-à-dire vers midi, 19,14b) souligne l’importance de sa parole adressée aux Juifs : « Voici votre roi » (19,14c). Ces détails indiquent le caractère officiel et solennel de l’acte et de la parole de Pilate. Les deux échanges avec Pilate montrent que Jésus est le vrai roi des Juifs, le roi d’Israël (cf. 1,49 ; 12,13b). Celui-ci est rejeté par les autorités Juives mais est reconnu par le représentant du pouvoir romain. Pour Pilate, Jésus est un roi qu’il a fait flageller et que les soldats ont bafoué, mais pour le lecteur Pilate proclame, à son insu, l’universalité de la royauté de Jésus. La dérision permet donc d’exclure toute sorte d’ambiguïté et d’amalgame entre la royauté d’en haut et celle d’ordre terrestre.

(2) Pour arriver à leur but de tuer Jésus, les autorités juives changent leur accusation de « se faire Fils de Dieu » (19,7b) à « se faire roi » en opposant ainsi la royauté de Jésus à celle de César (19,12b). C’est un déplacement rusé de leur part, mais aux yeux du lecteur, la royauté de Jésus est fondée sur l’identité du Fils unique de Dieu. Chaque fois que Pilate présente Jésus aux autorités juives, ces dernières ont une seule réponse : « Crucifie-le ! » Le titre de « roi des Juifs » est une insulte pour elles. C’est pour cela elles ne parlent de la royauté de Jésus qu’à la fin du récit. Elles l’accusent de se faire roi pour remettre en question le statut d’ami de César que Pilate possède. Quand les grands prêtres proclament leur fidélité au César, Pilate préfère leur livrer Jésus pour être crucifié (19,16a). L’accusation « se faire roi » joue donc un double rôle : dans un sens, les autorités parlent de la royauté universelle de Jésus en se référant à César, l’empereur romain. Dans un autre sens, elles se montrent infidèles au Dieu d’Israël en se soumettant à César.

     2. La révélation de Jésus sur sa royauté et son pouvoir

Ce sujet est traité en trois points : (1) la révélation de Jésus sur sa royauté, sa mission et son pouvoir, (2) le thème de la vérité, (3) sa royauté universelle.

(1) Dans l’ensemble du récit, les autorités juives et Pilate n’arrivent pas à saisir l’identité de Jésus. Selon la théologie johannique, seul Jésus peut révéler son origine, son identité et sa mission. Les paroles de Jésus devant Pilate dans le prétoire (18,33-38a ; 19,9-11), prennent une dimension universelle. Pour répondre à la première question de Pilate en 18,33b : « Tu es le roi des Juifs ? », Jésus lui pose une autre question en 18,34 : « Dis-tu cela de toi-même ou d’autres te l’ont-ils dit de moi ? » Cela montre que Jésus ne se place aucunement inférieur à Pilate. La suite du récit révèle que Pilate a peur (cf. 19,8) et que Jésus est le juge (cf. 19,11).

La première révélation concerne sa royauté se trouve en 18,36 : « Mon royaume n’est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes gens auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Mais mon royaume n’est pas d’ici », dit Jésus à Pilate. La deuxième révélation concerne sa mission dans le monde et la condition pour écouter sa voix comme il le dit à Pilate : « Tu le dis : je suis roi. Je ne suis né, et je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix » (18,37bcd).

Dans le deuxième dialogue avec Pilate (19,9-11), Jésus révèle le fondement du pouvoir et prononce la sentence comme un juge. Il dit à Pilate en 19,11a : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi, si cela ne t’avait été donné d’en haut. » Le pouvoir de Pilate sur Jésus est donné d’en haut. En fait, Pilate n’exerce pas son pouvoir selon la vérité. Ce que Pilate et les autorités juives font à Jésus renvoie au pouvoir des ténèbres. Selon la théologie johannique, les accusateurs peuvent arrêter Jésus et le livrer à Pilate mais Jésus est maître de son destin et c’est de lui-même qu’il dépose sa vie (cf. 10,18 ; 18,6). Cependant, Pilate et les autorités juives sont responsables de la mort d’un innocent (18,38b ; 19,4.6b). Ils font donc les œuvres du diable (8,44). Quant à Jésus, en déclarant le péché des accusateurs et celui de Pilate (19,11b), il exerce sa fonction de juge dans ce monde. Son pouvoir vient d’en haut et le pouvoir terrestre en dépend (19,11a).

(2) Jésus parle à Pilate de deux aspects de la vérité : la mission de Jésus est de « rendre témoignage à la vérité » (18,37c) et la condition pour écouter sa voix est d’être de la vérité (18,37d). Dans la parole : « Quiconque est de la vérité écoute ma voix » (18,37d), le terme « quiconque » a un sens général. Cette parole est adressée aux Juifs, à Pilate et au lecteur. Tout le monde est invité à être de la vérité pour écouter Jésus. Quant à Pilate, il pose une question « qu’est-ce que la vérité ? » (18,38a) mais ne cherche pas la réponse car il pourrait avoir peur de faire face à la vérité. En même temps, cette question invite le lecteur à chercher la réponse dans l’Évangile. En effet, toutes les paroles de Jésus sont la vérité puisqu’il dit la vérité (8,45-46) : la vérité sur son origine et sur sa mission. Ensuite, c’est Jésus lui-même qui est la vérité (14,6). Sa présence dans le monde est un témoignage à la vérité.

(3) La royauté de Jésus est universelle. Le narrateur a indiqué en 11,52 que sa mort n’est pas seulement pour la nation juive « mais pour réunir dans l’unité les enfants de Dieu qui sont dispersés. » L’universalité atteint son point culminant sur l’écriteau écrit en trois langues, posé sur la croix (19,19-22). Dans la péricope 18,28–19,16a, il y a cinq indices de la royauté universelle de Jésus : premièrement, sa présence dans le prétoire, l’espace païen donc impur selon les Juifs, est un signe de l’universalité. Deuxièmement, l’entretien avec Pilate en tant que représentant du pouvoir de l’empire romain est le moment où Jésus révèle sa royauté et sa mission au monde entier. Troisièmement, le narrateur met dans la bouche des personnages : Pilate (18,37a), Jésus (18,37b) et les accusateurs (19,12c) le terme « roi » (basileus) sans attribut. Cela fait allusion à l’universalité de la royauté de Jésus. Quatrièmement, les termes « monde » (kosmos) et « quiconque » (pas) en 18,36-37 renvoient à tout homme. Jésus déclare devant Pilate : « Mon royaume n’est pas de ce monde » (18,36a) ; « je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la vérité » (18,37c) ; « quiconque est de la vérité écoute ma voix » (18,37d). Ces paroles dépassent le monde Juif et s’adressent à tout homme. Cinquièmement, dans l’unité 19,12-15, le roi Jésus est mis en parallèle avec le roi César, symbole du pouvoir du monde entier à l’époque. Ainsi la royauté de Jésus possède une dimension universelle au plan théologique.

     3. Le Fils de Dieu et l’agneau pascal

Au début de l’Évangile, Jean le Baptiste présente Jésus avec les deux titres : « l’agneau de Dieu » et « Fils de Dieu ». En 1,29, Jean voit Jésus venir vers lui et il dit : « Voici l’agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde. » En 1,34, Jean déclare : « Et moi j’ai vu et je témoigne qu’il est, lui, le Fils de Dieu » (TOB, 12e éd.). La BiJér, 2000, choisit la variante « l’Élu de Dieu ». Cependant, la variante de « Fils » est mieux attestée dans les manuscrits grecs. Dans la péricope 18,28–19,16a, Jésus est présenté comme (1) Fils de Dieu et (2) l’agneau pascal.

(1) Les accusateurs pointent la raison pour laquelle Jésus doit mourir car il s’est déclaré Fils de Dieu (19,7b). Cette accusation à caractère religieux fait allusion à la discussion entre Jésus et ses adversaires dans sa mission. Dans la tradition biblique, le titre de « Fils de Dieu » est donné au roi régnant (2Sm 7,14) ou à Israël (Ex 4,22). En revanche, ce titre attribué à Jésus a le sens fort. C’est le Fils qui est face au Père en tant que « l’Unique engendré » du Père (Jn 1,14d.18b ; 3,16), « l’Envoyé de Dieu » (3,17.34). Croire que Jésus est le Fils de Dieu est le but de l’Évangile (20,31). Au cours de sa mission, ses adversaires ont voulu le tuer en raison du blasphème : Jésus se fait égal à Dieu (5,18c) et se fait Dieu (10,33b). L’accusation des Juifs en 19,7b dévoile l’identité de Jésus : il est le Fils de Dieu en son essence.

(2) Quant au thème de l’agneau pascal, il est attribué à Jésus à travers deux indices : D’abord, la Pâque où Jésus sera crucifié est mentionné avec soin dans l’Évangile : « la Pâque des Juifs était proche » (11,55), « avant la fête de la Pâque » (13,1), « la Préparation de la Pâque » (19,14a), « manger la Pâque » (18,28c), « c’est pour vous une coutume que je vous relâche quelqu’un à la Pâque » (18,39), dit Pilate aux Juifs. Ensuite, le temps et la circonstance indiqués fait allusion à l’agneau pascal. En effet, l’apparition de Jésus devant Pilate commence tôt le matin : « c’était le matin » (18,28b) et prend fin vers midi (vers sixième heure, 19,14b) au jour de Préparation de la Pâque (19,14a). C’est ce moment où Pilate livre Jésus aux autorités juives pour être crucifié (19,16a). Or vers la sixième heure au jour de Préparation de Pâque est le moment où l’on commence à immoler l’agneau pascal. De ce fait, la mort de Jésus symbolise l’agneau Pascal.

Selon le livre de l’Exode (Ex 12,1-14), l’agneau pascal est le signe que Dieu libère le peuple d’Israël de l’esclavage de l’Égypte. Selon l’Évangile, Jésus est l’agneau pascal qui libère l’homme de l’esclavage du péché comme il le dit aux Juifs en 8,34-36 : « 34 En vérité, en vérité, je vous le dis, quiconque commet le péché est esclave. 35 Or l’esclave ne demeure pas à jamais dans la maison, le fils y demeure à jamais. 36 Si donc le Fils vous libère, vous serez réellement libres. » La mort de Jésus sur la croix réalise donc l’annonce de Jean le Baptiste en 1,29b : « Voici l’agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde. » Dans cette perspective, la mort et la résurrection de Jésus inaugurent la nouvelle Pâque fêtée par ses disciples au cours des siècles.

     4. La lucidité et l’humanité de Jésus face à la mort

La péricope 18,28–19,16a nuance le caractère dramatique de la mort de Jésus en soulignant (1) sa royauté et son rôle de juge, en même temps, (2) son humanité est bien présente.

(1) Face à la mort, Jésus est pleinement conscient et lucide. Le but du récit est de montrer l’accomplissement de « la parole par laquelle Jésus avait signifié de quelle mort il devait mourir » (18,32). Il entre librement dans sa passion, comme il le dit aux Juifs en 10,18 : « Personne ne me l’enlève ; mais je la dépose de moi-même. J’ai pouvoir de la déposer et j’ai pouvoir de la reprendre ; tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père. » L’intention de faire mourir Jésus est claire (5,18 ; 7,1.30) chez ses adversaires, mais elle n’aboutira pas encore à la concrétisation quand l’heure de Jésus n’est pas encore venue (cf. 7,30 ; 8,20). Le comportement de Jésus et ses paroles devant Pilate témoignent qu’il est en train d’exercer sa mission. Il y a aucun signe de peur chez Jésus. Les deux dialogues avec Pilate (18,33-38a ; 19,1-11) manifestent la lucidité de Jésus et sa souveraineté. S’il doit mourir, il va mourir comme un roi. Le récit renverse le rôle d’accusateur et celui d’accusé : les accusateurs sont pécheurs (cf. 19,11). La lucidité de Jésus dans sa Passion est une élaboration théologique : Jésus dépose sa vie pour les brebis (10,11b.15b), pour ses amis (15,13). Il exprime ainsi l’amour pour son Père (10,17a) et pour les siens jusqu’à la fin (13,1b). Dans cette perspective, l’heure de la croix est l’heure de sa glorification (12,23). Le récit souligne la souveraineté de Jésus face à la mort, en même temps son humanité n’est pas absente.

(2) Dans la structure de 18,28–19,16a, les deux échanges avec Pilate sont englobés par des détails qui manifestent l’humanité de Jésus. Dans l’unité A. 18,29-30, Jésus est appelé « cet homme » par Pilate et « un malfaiteur » par les accusateurs. Dans l’unité A’, les Juifs réclament de relâcher Barrabas, un brigand au lieu de Jésus. Ce dernier est un homme méprisé, un accusé traîné en justice. Dans la scène de transition (19,1-3), Jésus est un roi déguisé et ridiculisé qui subit des outrages : il est flagellé et battu. C’est un homme dépouillé et maltraité aux mains de Pilate et des soldats. Dans l’unité 19,4-16, le texte met en relief à la fois l’identité divine et l’humanité de Jésus. Les accusateurs s’appuient sur deux accusations en parallèle : « se faire Fils de Dieu » (19,7) et « se faire roi » (19,12b) pour condamner Jésus à mort. Sous leurs yeux, Jésus est un homme parmi d’autres, se faire Fils de Dieu est donc un blasphème. Selon la loi juive, Jésus doit mourir (cf. 10,33). Quant à l’accusation « se faire roi » (19,12b), l’Évangile présente Jésus somme un roi messianique (cf. 1,49 ; 12,13.15) mais les Juifs l’accusent de se faire roi politique contre César (19,12b). Quant à Pilate, Il présente Jésus aux accusateurs en l’appelant « voici l’homme ! » avec des insignes royaux (19,5) et « voici votre roi » (19,14c). Jésus est tourné en dérision à l’extrême. Pour le lecteur, ces titres attribués à Jésus jouent une double fonction : (a) ils montrent l’humanité de Jésus, un homme sans pouvoir terrestre livré à ses accusateurs, un homme outragé et ridiculisé. Le fait que Pilate livre Jésus pour être crucifié manifeste sa condition humaine. (b) Ils confirment sa divinité en tant que Fils de l’homme, Fils de Dieu et roi de l’univers.

Conclusion

La péricope 18,28–9,16a est bien délimitée et structurée en sept scènes marquées par les allers-retours de Pilate de l’intérieur à l’extérieur du prétoire. Sous la forme d’un procès, le but du récit n’est pas pour juger Jésus mais pour révéler la vérité (1) sur les accusateurs, (2) sur Pilate et (3) sur Jésus.

(1) Pour les accusateurs, leur objectif n’est pas de juger Jésus au tribunal romain mais pour le tuer puisque les romains ne permettent pas aux autorités juives de mettre quelqu’un à mort (18,31b). Le fait que l’identité des accusateurs se révèle au fur et à mesure (ils sont les Juifs, les grands prêtres et les gardes) correspond à la révélation de leur vérité à la fin du récit. En effet, pour atteindre leur but, ils accusent Jésus de plusieurs motifs : malfaiteur (18,30), se faire Fils de Dieu (19,7) et se faire roi contre César (19,12b). Ces accusations sont accompagnées par les vociférations : « Crucifie-le ! », « À mort ! » (19,6a.15). Leur dernière parole devant Pilate : « Nous n’avons de roi que César ! » (19,15c) est le point culminant du récit et dévoile la vérité : au matin, ils se présentent comme les fidèles à Dieu en gardant la pureté pour célébrer la Pâque (18,28), à midi, ils deviennent les fidèles de César (19,15c). Leur péché d’infidélité à Dieu et du rejet Jésus (19,11b) est un trait ironique : les accusateurs sont les pécheurs.

(2) L’ironie concerne aussi Pilate. En tant que représentant du pouvoir romain, Pilate se présente comme un négociateur et non comme un juge. Sous la pression des autorités juives, Pilate utilise Jésus pour leur humilier : ce dernier est un malfaiteur pour les uns (18,30a), un roi pour les autres (18,39 ; 19,14c). Sa conduite envers Jésus est contradictoire : trois fois, il déclare qu’il ne trouve pas en Jésus de motif de condamnation (18,38b ; 19,4.6b), mais il a proposé de le gracier à la Pâque comme un condamné (18,39). Il l’a fait flageller sans raison et les soldats l’ont ridiculisé et bafoué (19,1-3). La vérité sur Pilate est dévoilée par le fait qu’il est effrayé devant Jésus (19,7-8) et n’ose pas prendre sa responsabilité de juger Jésus selon la vérité, selon le pouvoir qu’il a reçu d’en haut (19,11a). Par peur de perdre le statut d’ami de César (19,12b), il livre Jésus aux autorités Juives (19,16a). Ainsi Pilate a le péché (19,11b).

(3) Jésus est le protagoniste du récit, son identité est révélée par (a) Jésus lui-même, (b) ses accusateurs, (c) Pilate, et (d) le narrateur. En effet, (a) Jésus révèle devant Pilate qu’il est roi mais son royaume n’est pas de ce monde (18,36) et sa mission dans le monde est de rendre témoignage à la vérité (18,37c). Au moment où il n’a aucun pouvoir politique et religieux dans ce monde, il exerce son pouvoir de juge en prononçant la sentence du procès : le péché des accusateurs est plus grand que celui de Pilate (cf. 19,11b). L’ironie du récit est que l’accusé (Jésus) devient le juge. (b) Quant aux accusateurs, à leur insu, ils dévoilent la vérité sur Jésus à travers les motifs d’accusation : Jésus est bien Fils de Dieu (19,7) et roi (19,12b). (c) Pour Pilate, il s’intéresse au titre « le roi des Juifs » et questionne Jésus sur ce sujet (18,33.37a). Cela permet à Jésus de révéler sa royauté et sa mission. Le fait que Pilate présente aux accusateurs un Jésus bafoué et ridiculisé en portant la couronne d’épines et le manteau de pourpre (19,5) permet une claire distinction entre la royauté de Jésus et la royauté politique, entre le pouvoir d’en haut et le pouvoir terrestre. (d) Quant au narrateur, à travers les détails dans le récit, il présente Jésus comme l’agneau pascal se référant au titre de l’agneau de Dieu (1,29.36). Jésus est crucifié le jour de la Préparation de la Pâque, vers la sixième heure (19,14), l’heure où l’on commence à immoler l’agneau pascal. Le récit souligne la souveraineté et la lucidité de Jésus devant sa mort, puisque personne ne peut enlever sa vie mais il la dépose de lui-même (10,18a). En même temps, l’humanité de Jésus est présente, il est maltraité, dépouillé et crucifié.

La vérité dévoilée sur les personnages fait l’originalité de la péricope 18,28–19,16a. À travers le récit, le narrateur laisse le lecteur libre de faire son discernement entre le mensonge et la vérité, entre l’honnêteté et la malhonnêteté, entre le pouvoir d’en haut et le pouvoir d’en bas. Le récit invite le lecteur à reconnaître la royauté de Jésus et à se mettre du côté de la vérité, d’être de la vérité pour écouter Jésus et avoir le courage de faire la vérité dans sa vie./.


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